Vers une redéfinition du champ d’application de la TVA sur la marge ?

Publié le 05/07/2021

La prochaine prise de position du juge communautaire devrait mettre fin aux incertitudes en matière de régime de TVA concernant les opérations immobilières.

Le juge communautaire va se prononcer sur la TVA sur la marge applicable aux opérations de cessions de terrain à bâtir dans deux affaires différentes. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a tout d’abord été saisie dans le cadre d’une opération diligentée par un lotisseur d’achat-revente de biens immobiliers, des terrains nus revendus après division parcellaire et travaux de viabilisation (CE, 25 juin 2020, n° 416727, Icade Promotion Logement). Elle a été saisie une seconde fois, dans le cadre d’une opération immobilière réalisée par un marchand de biens, qui a procédé auprès de particuliers à des acquisitions, placées hors du champ d’application de la TVA, de terrains bâtis constitués de vastes parcelles supportant une construction avant de détacher et diviser les terrains nus attenants aux constructions d’origine en vue de les revendre en qualité de terrains à bâtir (CAA Lyon, 18 mars 2021, n°19LY00501, Les Anges d’Eux). L’avocat général a rendu ses conclusions dans le cadre de l’affaire Icade Promotion Logement. La décision de la CJUE permettra une clarification très attendue du régime de la TVA sur la marge en matière d’opérations immobilières.

Des incertitudes

Pour les ventes d’immeubles soumises à TVA, cette dernière peut être calculée sur le prix de cession ou sur la marge. En effet, le régime de TVA sur la marge réalisée par le cédant s’applique lorsque l’acquisition initiale réalisée par ce dernier n’a pas ouvert droit à déduction de TVA, conformément à l’article 268 du Code général des impôts (CGI). Ce régime s’applique de plein droit pour les cessions de terrains à bâtir et sur option sur les cessions d’immeubles achevés depuis plus de 5 ans. Ce régime de la TVA sur la marge correspond à la transposition en droit interne de l’article 392 de la directive communautaire relative au système commun de TVA (Dir. (CE) n° 2006/112 du Conseil, 28 nov. 2006), selon laquelle les États membres peuvent choisir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat.

Un appel à clarifier le régime de TVA sur marge

Si la France a fait ce choix, le champ d’application de ce régime dérogatoire comporte des incertitudes, lesquelles se concentrent principalement sur les cessions de terrains à bâtir. Ainsi, Bercy considère que lorsqu’un contribuable acquiert un terrain bâti, démoli l’immeuble qui s’y trouvait et revend en plusieurs lots le terrain, le régime de la TVA sur la marge ne peut s’appliquer car il n’y a pas identité entre le bien acquis et le bien revendu. Le changement de qualification fait échec à l’application du régime de la TVA sur la marge. Il existe également des divergences d’interprétation dans les cas de revente de terrain après une division parcellaire et des travaux de viabilisation (voirie, eau potable, électricité, assainissement, télécommunications, etc.).

C’est dans ce contexte qu’en décembre dernier, dans le cadre d’une question ministérielle, le parlementaire Michel Vialay a appelé l’administration fiscale à clarifier le régime d’application de la TVA sur la marge (Rép. min., n° 35380 : JO, 29 déc. 2020, p. 9667, Vialay M.). Bercy a répondu en substance qu’il n’était pas envisagé de faire évoluer le dispositif de taxation sur la marge des opérations immobilières dans la mesure où la CJUE avait été saisie des difficultés d’interprétation de l’article 392 de la directive TVA et notamment de la question de la nécessité d’une identité juridique ou matérielle entre le bien acquis et le bien revendu pour l’application du régime de taxation sur la marge.

Photo d'une calculatrice avec indiqué sur l'écran TVA sur fond de billets euros
Richard Villalon / AdobeStock

La jurisprudence administrative

Pour le Conseil d’État, les dispositions de l’article 268 du Code général des impôts doivent être interprétées comme réservant le régime de la TVA sur la marge aux seules cessions d’immeubles acquis et revendus en gardant la même qualification. Il ne peut donc s’appliquer à une cession de terrains à bâtir acquis précédemment comme terrains ayant le caractère d’immeubles bâtis, notamment lorsque le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition ou lorsque le bien acquis a fait l’objet d’une division parcellaire en vue d’en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d’assiette du bâtiment (CE, 27 mars 2020, n° 428234, SARL Promialp). Depuis, le Conseil d’État a confirmé cette jurisprudence (CE, 1er juil. 2020, n° 431641, SARL RGMB).

Deux questions préjudicielles

En juin 2020, le Conseil d’État décide de poser à la CJUE deux questions préjudicielles. L’article 392 de la directive du 28 novembre 2006 réserve-t-il l’application du régime de la TVA sur la marge aux seules opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition a été soumise à la TVA sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit d’opérer la déduction de cette taxe ? S’applique-t-il également aux opérations de livraison d’immeubles dont l’acquisition n’a pas été soumise à cette taxe, soit parce que cette acquisition ne relève pas du champ d’application de celle-ci, soit parce que, tout en relevant de son champ, elle s’en trouve exonérée ? Et cet article exclut-il du champ d’application du régime de la TVA sur la marge les opérations de livraisons de terrains à bâtir lorsque ces terrains, acquis non bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir et lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques comme une division parcellaire et des travaux de viabilisation (CE, 25 juin 2020, n° 416727, Icade Promotion Logement).

En mars 2021, la cour administrative d’appel de Lyon a à son tour saisi le juge communautaire d’une question préjudicielle destinée à vérifier si l’article 392 de la directive du 28 novembre 2006 doit être interprété comme excluant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir dans deux hypothèses : lorsque ces terrains, acquis bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir et lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots (CAA Lyon, 18 mars 2021, n°19LY00501, Les Anges d’Eux).

Les conclusions de l’avocat général

Dans le cadre de l’affaire Icade Promotion Logement, l’avocat général vient de rendre ses conclusions (Affaire C‑299/20, conclusions de l’avocat général Athanasios Rantos). Il propose au juge communautaire de répondre que l’article 392 doit être interprété en ce sens qu’il permet l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir aussi bien lorsque leur acquisition a été soumise à TVA, sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe, que lorsque leur acquisition n’a pas été soumise à la TVA au motif que cette opération ne relevait pas du champ d’application de celle‑ci, alors que le prix auquel l’assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial, non assujetti. Toutefois, cette disposition ne s’applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l’acquisition initiale en tant que terrains non bâtis était exonérée du champ d’application de cette directive.

L’avocat général précise également que l’article 392 doit être interprété en ce sens que le régime de taxation sur la marge ne peut pas s’appliquer à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont été acquis non bâtis par l’assujetti-revendeur. Il ne s’applique pas non plus à la revente d’un terrain, qui a fait l’objet, entre le moment de son acquisition et celui de sa revente, de modifications de ses caractéristiques telles que la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux. En revanche, il s’applique dans le cas de figure où, entre le moment de l’acquisition initiale d’un terrain à bâtir et celui de sa revente, les transformations subies par ce terrain sont limitées à la division de celui‑ci en lots. Reste à savoir si le juge communautaire se conformera aux conclusions de son avocat général, comme cela a été souvent le cas, par le passé.