Le fonds de pérennité en action

Publié le 20/08/2021
Fonds, patrimoine
AlexOakenman/AdobeStock

À la lumière du lancement du premier fonds de pérennité, retour sur ce nouvel instrument de transmission patrimoniale.

Près d’un an et demi après sa création dans le cadre de loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte), le premier fonds de pérennité a vu le jour en France. En effet, le législateur a créé un nouveau véhicule à destination des entrepreneurs qui souhaitent explorer des modèles de gouvernance plus vertueux au service du bien commun. « Nouvel instrument juridique de détention et de transmission du capital d’une société, le fonds de pérennité vise principalement à assurer la pérennité économique de l’entreprise détenue », analyse Stéphane Couchoux, avocat, à la tête de l’équipe « Mécénat & Entreprises à impact » du cabinet Fidal. L’équipe de Stéphane Couchoux a accompagné Élémentaire, une entreprise à mission basée à Paris et fondée en avril dernier par Nardjisse Ben Mebarek, une entrepreneure engagée dans la création de ce fonds de pérennité.

En mai dernier, un décret très attendu est venu permettre les premières constitutions de fonds de pérennité et en préciser les modalités de création et de contrôle administratif de leur gestion (D. n° 2020-537, 7 mai 2020). « Si le décret a rendu possible la création d’un fonds de pérennité, nous avons dû faire œuvre de défrichage », précise Stéphane Couchoux. « Pour l’anecdote, les modèles, nécessaires à une telle création n’existent pas encore. Nous avons donc collaboré avec le ministère pour créer les documents nécessaires à l’enregistrement de ce premier fonds de pérennité français ».

Un modèle économique innovant

La gouvernance d’un fonds de pérennité est structurée autour d’un conseil d’administration librement mis en place par le fondateur-donateur de titres. Un comité de gestion formule des recommandations au conseil d’administration en matière de gestion financière de la dotation, et d’exercice des droits attachés aux parts et actions détenues. La dotation d’un fonds de pérennité est composée des titres apportés et peut être complétée par d’autres libéralités. La dissolution d’un fonds de pérennité doit faire l’objet d’une publication au Journal officiel aux frais du fonds.

Avec les avocats du cabinet Fidal, Nardjisse Ben Mebarek a bâti un modèle économique innovant. Il comprend une entreprise, Élémentaire, une société à mission qui commercialise une marque responsable de vêtements pour enfants, un fonds de dotation œuvrant en faveur de l’égalité des chances et luttant contre le déterminisme social dès l’école maternelle, Élémentaire Foundation, et enfin un fonds de pérennité : le fonds de pérennité Élémentaire.

La qualité de société à mission, qui permet à une entreprise de déclarer sa raison d’être à travers plusieurs objectifs sociaux et environnementaux, a été introduite dans le cadre de la Loi Pacte. Le décret n° 2020-1 du 2 janvier 2020 est venu préciser les déclarations que la société doit effectuer lors de sa demande d’immatriculation ainsi que la vérification effectuée par un organisme tiers indépendant sur l’exécution par la société à mission des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés dans les statuts.

L’équipe « Mécénat & Entreprises à impact » conjugue des expertises plurielles et se mobilise pour initier les projets à impact de demain, particulièrement en lien avec les enjeux de transition écologique, énergétique et sociale. C’est dans ce cadre que ses avocats ont accompagné cette jeune marque pour enfants, qu’ils conseillent depuis ses origines, dans la construction d’un modèle économique innovant et pionnier, au service d’une croissance économique citoyenne. « Le fonds de pérennité constitue un instrument particulièrement adapté dans le cadre de nouveaux business modèles qui souhaitent conjuguer performance économique et impact positif en termes social et environnemental. Il peut également servir de levier philanthropique en soutenant des actions d’intérêt général », précise Stéphane Couchoux.

Un instrument de transmission

Le fonds de pérennité a vocation à recueillir les actions d’une ou de plusieurs entreprises transmises de manière irrévocable et gratuite. « Ce mécanisme de protection du capital a pour vocation de contribuer à la pérennité économique à long terme de l’entreprise concernée », explique Stéphane Couchoux. Les entrepreneurs qui souhaitent mettre en place un fonds de pérennité peuvent être découragés par son régime fiscal, peu attractif de prime abord, notamment lorsqu’on le compare au régime de faveur dont jouissent les fondations actionnaires. En effet, lors de l’apport des titres au fonds, les droits d’enregistrement s’appliquent au taux de 60 %. L’utilisation d’un pacte Dutreil permet cependant, le cas échéant, de réduire de façon significative la charge fiscale. « Surtout, pour une entreprise nouvellement créée, porteuse d’un projet à impact positif, comme c’est le cas ici, la transmission de ses actions à un fonds de pérennité est fiscalement assez indolore, puisque les actions sont valorisées à leur coût de création », commente Stéphane Couchoux.

Autres aspects fiscaux à prendre en compte, les dons et legs affectés à un fonds de pérennité n’ouvrent pas droit aux réductions d’impôt pour mécénat prévues pour les personnes physiques et pour les personnes morales. En outre, le fonds de pérennité est soumis aux impôts commerciaux dans les conditions de droit commun. Les dividendes perçus par le fonds de pérennité seront assujettis à l’impôt sur les sociétés. « Ils peuvent cependant bénéficier d’une quasi-exonération d’impôt sur les sociétés dans le cadre du régime mère-fille prévu à l’article 145 du Code général des impôts », modère Stéphane Couchoux. Lorsque comme c’est le cas ici, la société dont les titres sont détenus a par ailleurs le statut de société à mission, le fonds de pérennité est un actionnaire de référence dont le choix est cohérent avec la mission que s’est fixée l’entreprise. « Il participera naturellement au comité de suivi de la mission », souligne l’avocat.

Combiner fonds de pérennité et fonds de dotation

La créatrice d’entreprise a choisi de combiner le fonds de pérennité à un fonds de dotation créé ad hoc. « Dans cette hypothèse, le fonds de pérennité peut recevoir une quote-part de titres, qui additionnée avec les titres détenus par le fonds de dotation, permet d’assurer le contrôle de l’entreprise », précise l’avocat. Outil innovant de financement du mécénat, créé dans le cadre de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, le fonds de dotation a pour objectif de soutenir des missions d’intérêt général. Destiné à collecter exclusivement des fonds d’origine privée, il peut mener lui-même ses missions d’intérêt général, ou financer un autre organisme d’intérêt général pour leur accomplissement. « Actionnaire minoritaire, le fonds de dotation conserve son statut fiscal attractif », analyse l’avocat. En effet, ces fonds sont exonérés d’impôt sur les sociétés conformément à l’article 206 du Code général des impôts. En outre, aux termes des articles 200 et 238 bis du même code, les donateurs personnes physiques ou entreprises qui effectuent des dons à un fonds de dotation peuvent bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 66 % de leur don dans la limite de 20 % du revenu imposable pour les particuliers et à 60 % du don dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires, pour les entreprises, l’excédent étant reportable sur cinq ans pour ces dernières (mais avec imposition de la plus-value latente sur les titres donnés dans ce cas). « En l’espèce, Élémentaire Foundation pourra poursuivre ses missions d’intérêt général grâce à ses revenus propres et les dividendes que lui versera le fonds de pérennité Élémentaire », conclut Stéphane Couchoux.

X