Tracfin : une mobilisation accrue contre la fraude fiscale

Publié le 19/08/2020

La cellule de renseignement fiscal vient de publier son bilan annuel. Il est marqué par une forte progression des déclarations de soupçon, notamment en matière fiscale, et un accroissement des transmissions d’informations aux administrations partenaires de la cellule de renseignements, au premier rang desquelles la DGFiP.

Le rapport d’activité de Tracfin, la cellule du ministère de l’Économie et des Finances, chargée de recueillir, analyser, enrichir et exploiter le renseignement financier vient de sortir (www.economie.gouv.fr/tracfin). Le bilan de l’action de ce service chargé de la lutte contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme pour l’année 2019 marque un net accroissement de son activité. Tracfin a reçu et analysé 95 731 déclarations de soupçon, en hausse de 25 % par rapport à 2018.

Ces résultats encourageants sont dus à la mobilisation accrue des professionnels soumis au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT). À cet égard, le rapport annuel d’activité dresse un état des lieux de la participation des professionnels assujettis au dispositif LCB/FT. Les établissements de crédit demeurent les premiers contributeurs avec 56 588 signalements en 2019 (63 % des déclarations de soupçon du secteur financier, 11 % d’augmentation par rapport à 2018).

Le rapport annuel dresse également un état des lieux de l’activité institutionnelle du service. Le département de l’analyse, du renseignement et de l’information (DARI), en charge de la lutte contre les fraudes aux finances publiques, permet d’établir des synergies, un traitement rapide du renseignement et son orientation optimale. Il est composé de quatre divisions. Le Dari constitue l’interlocuteur privilégié des déclarants et est compétent sur tous les sujets de coopérations nationales et internationales. Le département juridique et judiciaire assure une mission d’expertise et d’appui juridique et judiciaire pour tous les dossiers relevant de sa compétence. Le conseiller juridique est chargé de donner un avis consultatif indépendant du directeur sur la caractérisation des faits susceptibles de constituer l’infraction de blanchiment. Le département des enquêtes (DE) regroupe 4 divisions assurant les investigations approfondies nécessaires au traitement des affaires, regroupant des cellules spécialisées : secteur du jeu, circuits financiers non-bancarisés… Quatre officiers de liaison (Police nationale, Gendarmerie nationale, Office central de répression de la grande délinquance financière et douane) y sont intégrés. La cellule d’analyse stratégique (CAS) vise à identifier des tendances et des schémas en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, soit par l’exploitation transversale des informations réceptionnées par le service, soit par une veille active sur des sujets émergents qui n’apparaîtraient que peu dans les déclarations de soupçon reçues par le service. Le service se compose également d’un département des affaires administratives et financières (DAAF) et d’un département des systèmes d’information (DSI).

Accroissement de l’information fiscale reçue par Tracfin

La lutte contre la fraude fiscale est entrée dans le périmètre de compétence de Tracfin en 2009. Depuis l’activité du service en la matière n’a pas cessé de croître. À l’origine de cette évolution, un volume croissant de déclarations de soupçon. Entre 2009 et 2019, la proportion de déclarations de soupçon visant de manière plus ou moins directe la fraude fiscale s’est régulièrement accrue et atteint désormais environ 30 % du total des déclarations reçues par la cellule de renseignements soit plus de 30 000 déclarations de soupçon reçues en 2019. Les principales typologies de fraudes fiscales soupçonnées sont les suivantes : manipulation d’espèces, qu’il s’agisse de dépôt ou de versement (35 % des déclarations de soupçon en matière de fraude fiscale), activité occulte et/ou minoration de chiffre d’affaires (29,3 %), des revenus d’origine indéterminée (14,9 %), donation non déclarée (9,2 %), détention de compte ou d’avoirs à l’étranger (5,7 %), fraude fiscale impliquant des non-résidents (3,4 %), remboursement de bons anonymes (1,4 %), fraude à la TVA (0,5 %) ou encore minoration IFS/IFI (0,1 %). Précisons que dans de nombreux cas, il peut y avoir combinaison de plusieurs soupçons au sein de la même déclaration, par exemple, un dépôt d’espèces cumulé avec une activité occulte. Il convient de noter que les enjeux financiers présumés sont très hétérogènes et que de nombreuses déclarations de soupçon, liées notamment à la manipulation d’espèces, sont de faible enjeu financier.

La DGFiP, premier partenaire de la cellule de renseignements

Tracfin recueille, analyse, enrichit et exploite les renseignements reçus. En 2019, ses équipes ont mené 14 082 enquêtes issues d’informations reçues en 2019 ou les années précédentes. Ces enquêtes ont permis de transmettre 3 738 notes aux principaux partenaires de la cellule, les administrations fiscale, sociale et douanière ainsi que les services de renseignement et cellules de renseignement financier étrangères, un chiffre en progression de 14 %. Les services de Tracfin se mobilisent tout particulièrement en matière de lutte contre la fraude avec 1 019 notes (+ 5 %) transmises aux organismes de lutte contre la fraude fiscale, aux organismes sociaux ou à la douane en 2019. Ces notes de renseignement sont très majoritairement adressées à la DGFiP qui constitue le premier partenaire administratif de Tracfin au regard de la lutte contre les fraudes aux finances publiques.

Tracfin : une mobilisation accrue contre la fraude fiscale
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Nombre d’informations envoyées par la DGFiP à Tracfin

Depuis l’année 2015, Tracfin est destinataire d’informations venant de la DGFiP sur les problématiques de fraude en rapport avec son activité. Ces éléments lui sont envoyés en application de l’article L. 561-27 du Code monétaire et financier et sont intégrés par Tracfin en tant qu’informations administratives. Les informations reçues se répartissent en trois catégories : les informations signalant des fraudes aux faux ordres de virement, les informations émises par la Task Force TVA, les informations de soupçons de portée générale. Après une baisse enregistrée en 2018, le nombre d’informations reçues en 2019 s’inscrit nettement en hausse et dépasse même le niveau élevé enregistré en 2017. Cette hausse s’explique principalement par le retour en nombre des informations reçues de la Mission responsabilité, doctrine et contrôle interne comptable (RDCIC) relatives aux faux ordres de virements ou autres tentatives de fraudes dont la DGFiP est victime : 57 informations transmises en 2019 contre 12 en 2018, un niveau proche de celui de 2017 (52 informations) pour cette catégorie.

En matière de lutte contre ces tentatives d’escroquerie dont la DGFiP est victime, Tracfin peut apporter un appui efficace et dans des délais contraints en coopérant avec ses homologues étrangers, afin de recueillir des informations sur les comptes bancaires internationaux susceptibles de recueillir les fonds. Ces éléments peuvent ensuite être communiqués aux services enquêteurs afin de prévenir toute tentative ultérieure. Le retour à un niveau élevé du nombre de dossiers signalés à ce titre s’explique notamment par une adaptation des fraudeurs aux mesures prises par la DGFiP pour bloquer les sorties de fonds vers l’étranger. Les escrocs procèdent aujourd’hui « en rebond » à partir d’une première étape en France, ce qui complique la détection des mouvements frauduleux. En 2019, 20 informations de soupçon ont été reçues en lien avec les alertes émises par la Task Force TVA (22 en 2018). Enfin, 7 informations concernent des mouvements de fonds suspects détectés dans le cadre des missions de gestion de comptes financiers de la DGFiP.

La part prépondérante des notes flash

Le nombre de notes de renseignement transmises par Tracfin continue de croître avec une progression de + 15 % en 2019. L’année 2017 avait déjà été marquée par une forte progression en volume du nombre de notes. Cette augmentation était liée notamment au lancement d’un nouveau format de notes, dites « flash », ciblant des dossiers de fraude fiscale plus simple et de moindre enjeu financier. 248 notes ont été transmises sous ce format en 2017 et 299 en 2018. Ce format est aujourd’hui largement utilisé et représente 438 notes en 2019, soit presque 60 % du total des notes produites à destination de la DGFiP. Ces notes flash sont principalement utilisées dans des cas de dissimulation partielle d’activité professionnelle par des individuels ou de dissimulation de chiffre d’affaires par des sociétés opérant en France. Le format couvre également les cas simples de détention d’avoirs financiers à l’étranger non déclarés à la DGFiP.

Typologies des transmissions fiscales

Les dossiers externalisés par Tracfin à l’administration fiscale ciblent aussi bien des personnes morales que des personnes physiques. Tous les impôts sont concernés. Les dossiers transmis concernent principalement des dossiers de domiciliation fiscale à l’étranger, d’exonération fiscale spécifique, d’ISF, de TVA, de revenus d’origine indéterminée, de donations non déclarées, de détentions d’avoirs à l’étranger, d’activités non déclarées. En première position figurent les activités non déclarées (27 % des notes). Celles-ci peuvent être exercées de manière totalement occulte ou bien caractériser une dissimulation partielle de chiffre d’affaires. Elles peuvent résulter d’une activité exercée à titre individuelle (artisan, commerçant, autoentrepreneur, etc.) ou bien sous forme de société. En seconde position figure la détention d’avoirs à l’étranger (26 % des notes). Ces avoirs peuvent être financiers (comptes bancaires, assurance-vie, etc.) ou immobiliers. Ils sont parfois logés dans des structures de type trust ou fiducie. Tracfin a un rôle de détection important dans ce domaine, en particulier grâce à la coopération inter- nationale avec le réseau des cellules de renseignement financier étrangères.

Les problématiques purement patrimoniales (donations non déclarées, impôt sur la fortune, impôt sur la fortune immobilière, bons anonymes) représentent 18 % des notes transmises. 13 % des notes sont relatives à la TVA, sachant qu’une part très importante, environ 75 % des notes de la catégorie activité non déclarée, ont également un volet TVA. On peut donc considérer que cette typologie est majoritaire dans la production des notes de Tracfin.

Enfin, la catégorie des revenus d’origine indéterminée qui concerne environ 14 % des notes désigne des mouvements de fonds suspects dont la caractérisation fiscale sera précisée lors du contrôle des services de la DGFiP. Il peut s’agir, par exemple, d’une forte somme d’argent reçue par le dirigeant d’une société, sans que la justification apparaisse cohérente : salaires, distribution, remboursement de compte courant d’associé, etc. Dans la majorité des cas, cet événement ne cadre pas avec les revenus déclarés à l’administration fiscale au titre de l’année considérée. Les deux tiers des notes adressées par Tracfin à la DGFiP donnent lieu à des contrôles. Sur la période 2016-2018, ceux-ci ont permis de rappeler un montant total de droits de plus de 205 M€, auxquels sont venus s’ajouter 120 M€ de pénalités. Ces contrôles concernent tout le territoire national et concernent les différents échelons territoriaux de contrôle fiscal (directions nationales, interrégionales et départementales). Le développement du format de transmissions flash dont la cible principale est l’échelon départemental ou régional du contrôle fiscal, contribue à ce déploiement des contrôles sur tout le territoire.

Participation à la Task Force TVA

La cellule opérationnelle interministérielle de décèlement précoce des escroqueries à la taxe sur la valeur ajoutée, dénommée « Task force TVA » a pour mission d’assurer le pilotage de la lutte contre l’escroquerie à la TVA dans un objectif de coordination et d’amélioration de la performance. Tracfin participe aux travaux de cette cellule qui regroupe également des services des impôts, des douanes, des ministères de l’Intérieur et de la Justice. L’action de Tracfin se concentre sur les entreprises de création récente qui obtiennent des remboursements de crédit de TVA de montants relativement faibles mais qui vont ensuite multiplier ces demandes. Dans certains cas, le décaissement immédiat des fonds vers un compte localisé à l’étranger renforce la suspicion de fraude. L’objectif consiste à agir le plus en amont possible afin d’interrompre la chaîne de remboursement de TVA. Sur ce sujet, Tracfin mène une politique de sensibilisation des déclarants bancaires afin de renforcer leur réactivité.

Task Force Renseignement fiscal

En 2019, sur la base du constat des interactions croissantes entre services du ministère de l’Action et des Comptes publics, une réflexion a été menée sur le développement d’un travail opérationnel trilatéral liant Tracfin, la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) et la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) permettant de lutter plus efficacement contre la fraude fiscale. C’est dans ce cadre que la Task Force Renseignement fiscal a été constituée en octobre 2019. Elle est composée des services du MACP : la DNEF, la DNRED et Tracfin et son objectif est la recherche, la collecte et l’enrichissement de renseignements à vocation fiscale à destination des services en charge d’effectuer les contrôles. En fonction de priorités stratégiques préalablement définies, la Task Force Renseignement fiscal mutualise les informations détenues, coordonne des actions communes tout en disséminant à d’autres services de renseignement des éléments sur les montages les plus complexes et les réseaux les mieux organisés. La participation de Tracfin à cette Task Force s’est traduite par la création d’une cellule dédiée à ces échanges mise en place fin 2019.

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