Mobilisation interministérielle contre la fraude fiscale

Publié le 01/07/2022
Mobilisation interministérielle contre la fraude fiscale
Richard Villalon / AdobeStock

Le 30 novembre dernier, le ministère de la Justice et le ministère de l’Économie, des finances et de la Relance ont publié le bilan de leur travail interministériel destiné à lutter contre les différentes formes de fraudes économiques. Retour en chiffres sur cette mobilisation interministérielle.

La réforme du verrou de Bercy

Adoptée à l’unanimité des groupes parlementaires du Parlement, la réforme du verrou de Bercy s’est traduite par la mise en place d’un mécanisme de dénonciation obligatoire au procureur de la République des faits de fraude fiscale constatés lors des contrôles fiscaux et répondant à certains critères de gravité  : droits rappelés supérieurs à 100 000 € assortis des pénalités administratives les plus lourdes de 100 %, 80 % ou encore de 40 % pour les cas de réitération. Pour les personnes publiques relevant du contrôle de la HATVP, le seuil est abaissé à 50 000 € et la condition de réitération liée aux pénalités de 40 % ne s’applique pas. Cette réforme a permis dès l’année 2019 de doubler le nombre de dossiers de fraude transmis aux parquets, dont 965 dénonciations obligatoires, soulignent la Chancellerie et Bercy. Malgré le contexte sanitaire, l’administration fiscale aura également saisi les parquets de près de 1 500 affaires en 2020, dont 823 dénonciations obligatoires. Au 30 septembre 2021, plus de 850 contrôles fiscaux ont fait l’objet d’une dénonciation obligatoire au parquet pour un montant total de droits de l’ordre de 380 millions d’euros. Pour l’essentiel, la typologie des dénonciations obligatoires aux parquets s’inscrit dans la continuité de celle constatée au titre des années 2019 et 2020. 50 % des contrôles fiscaux dénoncés ont donné lieu à l’application des majorations fiscales au taux de 100 % pour opposition à contrôle fiscal. 42 % des dénonciations ont été effectuées en Île-de-France. Le défaut de déclaration représente 46 % des cas de dénonciation. L’ensemble des secteurs d’activité est concerné (majoritairement les secteurs des services, du bâtiment et du commerce). 74 % des dossiers concernent la fraude à la TVA seule ou avec d’autres impôts.

Premier bilan de l’activité du SEJF

Les deux ministères reviennent également sur les premiers résultats du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF). Créé en 2019 au sein du ministère chargé du Budget et dirigé par un magistrat de l’ordre judiciaire, le service d’enquête judiciaire des finances (SEJF) regroupe 241 officiers de douane judiciaire et 40 officiers fiscaux judiciaires (OFJ). « Avec le SEJF, la capacité experte d’enquête judiciaire sur la fraude fiscale complexe a été multipliée par trois », précise le bilan de novembre 2021. Le SEJF vient compléter l’action de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), rattachée au ministère de l’Intérieur, qui intervient sur un champ d’action plus large, avec une priorité donnée aux affaires dans lesquelles la fraude fiscale est mêlée à d’autres infractions. Au sein du SEJF, la mission des OFJ consiste plus spécifiquement en la recherche et la constatation, sur l’ensemble du territoire, du délit de fraude fiscale dite complexe. Il s’agit de fraudes réalisées via les paradis fiscaux, de fraudes recourant au faux ou à la falsification ou encore de fraudes utilisant les domiciliations fiscales fictives ou artificielles afin de permettre l’établissement de l’impôt éludé et la condamnation de leurs auteurs. Les OFJ seront également compétents pour rechercher et constater les délits qui lui sont connexes. Leur mission est exclusivement pénale. Les OFJ n’assurent pas eux-mêmes le contrôle des contribuables pour lesquels ils ont procédé aux enquêtes judiciaires. Dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, les agents du SEJF sont spécialement habilités à exercer des missions de police judiciaire et disposent de l’ensemble des prérogatives mises à leur disposition par le Code de procédure pénale. À cet effet, ils effectuent personnellement, à l’occasion de leurs enquêtes, les actes de procédure et réaliseront les opérations matérielles permises par le code (filatures, surveillances, auditions, perquisitions, interpellations, garde-à-vues, écoutes téléphoniques, sonorisations, traitements de sources), en France comme à l’étranger. Il est précisé que l’enquête judiciaire fiscale est une procédure particulière, à double composante : fiscale, en ce qu’elle doit permettre de démontrer la fraude fiscale réalisée par des contribuables qui recourent à des procédés complexes, utilisant des comptes à l’étranger, des interpositions, des faux, des domiciliations fiscales fictives ou artificielles, ou toute autre manœuvre destinée à égarer l’administration mais aussi pénale, en ce qu’elle vise à sanctionner d’un point de vue correctionnel les auteurs de ces agissements, ainsi que leurs complices. Les OFJ peuvent être saisis par un magistrat suite à une plainte de l’administration fiscale concernant des dossiers de présomption de fraude fiscale aggravée (LPF, art. L. 228, II) ou sans plainte préalable de l’administration fiscale, sur des dossiers de blanchiment en fraude fiscale. Dans ce second cas, la saisine peut avoir pour origine une dénonciation obligatoire (LPF, art. L. 228, I), le signalement obligatoire, pour toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire, des crimes ou délits dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions (CPP, art. 40) ou d’autres signalements variés (initiative du magistrat, signalement Tracfin, etc.). Les OFJ sont majoritairement saisis par le Parquet national financier (70 % des affaires en cours), notamment pour des faits de blanchiment de fraude fiscale. « Il s’agit d’un enjeu particulièrement important pour la Direction générale des finances publiques (DGFiP) puisque cette procédure de police fiscale a vocation à être mise en œuvre exclusivement pour des affaires pour lesquelles la fraude présumée ne peut pas être appréhendée et réprimée efficacement par les seules procédures de contrôle de l’administration », souligne le rapport. Au 31 octobre 2021, le SEJF était saisi de 116 affaires fiscales dont 70 plaintes pour présomption de fraude fiscale, 39 enquêtes pour blanchiment de fraude fiscale et 7 signalements relevant de l’article 40 du Code de procédure pénale. À cette même date, le SEJF avait réalisé des saisies pénales pour un montant de 27,5 millions d’euros.

Accélérer la réponse pénale

Ce bilan conjoint souligne également le développement des procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) et de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Afin de mettre en place une réponse pénale plus efficiente, la procédure de CRPC, dite de plaider coupable, et la CJIP ont été étendus à la fraude fiscale, permettant le règlement rapide de nombre de dossiers. Plusieurs dizaines de CRPC sont d’ores et déjà intervenues. En matière de CRPC, en 2020, le bilan totalise 69 condamnations visant au moins une infraction de fraude fiscale et 60 condamnations visant une infraction principale de fraude fiscale. Pour mémoire, les chiffres respectifs n’étaient que de sept condamnations visant au moins une infraction de fraude fiscale et sept condamnations visant une infraction principale de fraude fiscale. Quatre CJIP ont été conclues, permettant de mettre fin à des contentieux en cours. Le paiement des droits dus et le versement d’amendes d’intérêt public en cause atteignent un montant total de 556,4 millions d’euros. Le 26 août dernier, le président du tribunal judiciaire de Paris a validé la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) que la banque JP Morgan a signé avec le Parquet national financier. À la clé, une amende de 25 millions d’euros et l’extinction des poursuites pour complicité de fraude fiscale dans le cadre de l’affaire Wendel qui porte sur un schéma d’apport cession mis en place en 2004 par d’anciens dirigeants du groupe Wendel et jugé abusif par l’administration fiscale. Cette affaire a également fait l’objet de poursuites pour fraude fiscale en 2012, après avis favorable de la Commission des infractions fiscales. La banque en signant cette convention a évité un procès pour complicité de fraude pénale, nuisible à son image. Le calcul de l’amende a tenu compte du caractère limité de l’implication de l’établissement bancaire dans l’opération, du caractère ancien et isolé des faits et la coopération que la banque a apporté aux autorités judiciaires dans le cadre de leurs investigations. En revanche, la complexité du montage fiscale en cause a constitué un facteur aggravant sa responsabilité. Parallèlement, l’administration a recouvré la faculté de réaliser des transactions en cas de poursuites pénales, facilitant ainsi un règlement global de certaines affaires.

Affaires de police fiscale et d’escroquerie fiscale

Enfin, entre 2010, date de la création de la procédure judiciaire d’enquête fiscale et jusqu’au 31 décembre 2020, ce sont plus de 600 dénonciations sur présomption caractérisée de fraude fiscale qui ont été déposées par l’administration fiscale. En 2020, 44 personnes ont été reconnues coupables à la suite de plaintes de l’administration fiscale sur présomptions caractérisées de fraude fiscale : 27 prévenus ont été condamnés définitivement, des appels ou pourvois en cassation ayant été formés par les autres prévenus. La procédure de CRPC a été utilisée dans quatre affaires ayant abouti à la condamnation définitive de cinq prévenus. 12 personnes ont bénéficié d’une décision de relaxe, dont 4 à titre définitif. Les deux ministères communiquent également quelques chiffres en matière d’affaires d’escroquerie fiscale. En 2020, 153 personnes physiques ou morales ont été condamnées, dont 80 de manière définitive, pour des faits d’escroquerie. 20 prévenus ont été relaxés, dont 10 à titre définitif. Sur les 75 personnes physiques condamnées à titre définitif, 68 d’entre elles l’ont été à une peine de prison, qui, dans 56 % des cas, a été prononcée sans sursis.

X