Quel bilan pour Tracfin ?
La cellule de renseignement créée dans le cadre de la lutte contre le blanchiment publie son rapport annuel d’activité. Le nombre de renseignements transmis à l’administration fiscale, continue à augmenter notamment grâce au processus de transmissions accélérées dites « flash ».
Depuis 1997, la France s’est dotée d’une cellule administrative spécialisée, devenu un maillon essentiel de la lutte anti-blanchiment et de la lutte contre la fraude aux finances publiques et le financement du terrorisme, un organisme de renseignement financier baptisé Tracfin (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). Rattaché au ministère de l’Action et des Comptes Publics, ce service à compétence nationale concourt au développement d’une économie saine en luttant contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Tracfin est chargé de recueillir, analyser et enrichir les déclarations de soupçons que les professionnels assujettis sont tenus, par la loi, de lui transmettre (banquiers, assureurs, conseil en investissement, avocats, notaires, huissiers, commissaires aux comptes, experts-comptables, commissaires-priseurs,…). La cellule n’est en revanche pas habilitée à recevoir et traiter les informations transmises par des particuliers. Ces déclarations concernent les sommes ou les opérations portant sur des sommes dont ils soupçonnent qu’elles puissent provenir d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an, participer au financement du terrorisme ou provenir d’une fraude fiscale. Tracfin reçoit ces déclarations, les analyse, les enrichit puis les transmet principalement à l’autorité judiciaire et aux administrations partenaires, service de renseignements, administration des douanes, administration fiscale, organismes sociaux.
Progression marquée de l’activité
L’année 2018 constitue une nouvelle année de forte progression de l’activité de Tracfin. Le nombre d’informations reçues et analysées a augmenté de 12 % en 1 an et de 75 % en 3 ans. « En 2018, Tracfin a pleinement démontré la valeur ajoutée du renseignement financier au service de lutte contre la fraude, en répondant aux besoins et aux sollicitations de l’ensemble de ses partenaires au sein de l’État comme des professionnels assujettis », a déclaré Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics. « Le renseignement est devenu une arme de détection massive des activités terroristes et Tracfin a montré sa capacité de coopération au plan international comme national », a ajouté le ministre. Avec une progression de 34 % en 2018, les demandes entrantes en provenance des cellules de renseignement financier étrangères ont explosés. Ce phénomène est à mettre en parallèle avec l’augmentation de 28 % du nombre de requêtes adressées par Tracfin à ses homologues étrangers, un indice de l’importante amélioration de la coopération internationale.
Le rôle crucial des professionnel assujettis
Les types d’informations adressées à Tracfin sont de plusieurs ordre : déclarations de soupçons émanant des professionnels assujettis au dispositif LCB/FT, informations transmises par les services de l’État et informations en provenance des cellules de renseignement financier (CRF) étrangères. Les professionnels assujettis sont tenus de déclarer à Tracfin les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner une provenance frauduleuse. En 2018, 96 % des informations reçues par Tracfin émanent des professionnels déclarants. En valeur absolue, leur nombre progresse de 11 % passant de 68 661 déclarations de soupçon en 2017 à 76 316 en 2018. La progression d’activité de Tracfin est le fruit de l’effort constant de vigilance de l’ensemble des professionnels assujettis, en particulier du secteur financier au sein duquel les établissements de paiement se distinguent avec une hausse de 40 % du nombre de déclarations de soupçon transmises, mais aussi de nouveaux acteurs de plus en plus impliqués comme les intermédiaires en financement participatif (+ 213 %) et en monnaies virtuelles (+ 54 %) même si les volumes déclaratifs restent faibles. Pour les professionnels non financiers, ce sont les notaires qui, cette année encore, totalisent les plus gros volumes déclaratifs. L’activité déclarative des casinos continue à progresser. « Les professionnels de l’immobilier témoignent d’un réveil progressif, notamment les agents immobiliers dans la dynamique des actes de sensibilisation réalisés et de la diffusion de nouvelles lignes directrices (+ 54 %) », précisent les équipes de Tracfin. Déception en revanche du côté des professionnels du chiffre au regard du reflux significatif de la participation effective des experts-comptables (- 9 %) et des commissaires aux comptes (- 18 %), un constat d’autant plus étonnant que le partenariat entre Tracfin et ces deux professions est profondément engagé. « Par ailleurs, le constat reste préoccupant sur l’insuffisante participation et l’absence d’engagement et de volonté d’engagement au dispositif de lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme du secteur de l’art et des agents sportifs », souligne le rapport.
Faible mobilisation des avocats
Les avocats ont adressé en 2018 une seule déclaration de soupçon recevable à Tracfin. « Cet état de fait démontre s’il en était besoin, l’investissement toujours particulièrement limité de la profession, soulignent les équipes de Tracfin. Cette tendance pose d’autant plus question que les professionnels, en lien avec des activités également exercées par les avocats (conseil en investissement financier, immobilier, fiducie), démontrent une mobilisation plus importante et révèlent des missions exposées aux problématiques de blanchiment d’argent ». En 2018, les droits de communication adressés aux CARPA ont en revanche abouti à des résultats prometteurs. Au total, sur la dizaine de droits de communication exercés, les typologies révélées revêtent un caractère varié : fraude fiscale, criminalité organisée, lutte contre le financement du terrorisme, abus de confiance, blanchiment dans l’immobilier. Si les CARPA doivent gagner encore en réactivité, ces premiers résultats soulignent la pertinence du dispositif et le rôle prépondérant de ces structures dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Un approfondissement de ce partenariat devrait être consolidé avant 2020. En 2019, Tracfin et le Conseil national des barreaux doivent finaliser une révision de la 2e édition du guide pratique « Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme » afin de préciser la connaissance et les réflexes des professionnels.
Une collaboration efficace avec Bercy
En 2018, la cellule a reçu 79 376 informations. En 10 ans, le nombre d’informations reçues a été multiplié par 5. Le poids des personnes physiques déclarées est significatif puisqu’elles représentent 84 % des déclarations de soupçon reçues par Tracfin. À l’inverse, les personnes morales ne représentent que 16 % des informations reçues. Cette répartition manifeste en faveur des particuliers s’explique par le poids des activités de clientèle de particuliers des principaux déclarants. Les capteurs sur le monde de l’entreprise sont, de leur côté, moins nombreux et plus diffus du fait, en particulier, de la faiblesse du volume déclaratif des professionnels déclarants qui leur sont plus spécifiquement dédiés tels que les professionnels du chiffre et les administrateurs et mandataires judiciaires.
Toutes les informations reçues sont analysées par le service. En 2018, le service a réalisé 14 554 enquêtes. Ces enquêtes sont issues de 9 150 informations reçues en 2018 et 5 904 reçues antérieurement. 72 265 actes d’investigations ont été réalisés pour enrichir l’information reçue. Ces enquêtes ont débouché sur l’externalisation de 3 282 notes, soit 948 notes à l’autorité judiciaire (dont 469 notes portant sur une présomption d’une ou plusieurs infractions pénales) et 2 334 notes aux administrations partenaires (dont administrations fiscale, sociale, douanière et services de renseignement) soit + 26 % de notes d’informations diffusées aux partenaires du service en 1 an. En 2018, comme les années précédentes, les cinq catégories d’infractions sous-jacentes les plus représentées sont le travail dissimulé, l’escroquerie (simple ou aggravée), la fraude fiscale, l’abus de confiance et l’abus de biens sociaux.
En 2018, Tracfin a transmis 637 notes de renseignements à l’administration fiscale, soit une hausse de 2 %. Le nombre de notes de renseignement transmises à la DGFIP par Tracfin a augmenté de 169 % en 5 ans. Cette hausse résulte du processus de transmissions accélérées dites « flash », qui totalise lui seul 299 transmissions en 2018. Parallèlement, l’enjeu moyen par dossier est stable, tel que Tracfin peut l’évaluer lors de l’envoi de ses notes, et s’élève à 940 029 € en 2018 contre 966 286 € en 2017. Au regard de l’exploitation des notes Tracfin par La DGFIP, au 31 décembre 2018, 1 333 propositions de vérification fiscale ont été initiées à partir des 2 022 notes de renseignement transmises par Tracfin depuis 2015. Les résultats financiers font état d’un montant total de droits rappelés de plus de 193 M€ et plus de 111 M€ de pénalités.
Typologie des fraudes fiscales
La prépondérance de la fraude fiscale dans les informations reçues par Tracfin est en partie due au fait qu’elle est fréquemment associée à d’autres schémas de fraudes déclarés : abus de biens sociaux, escroquerie, travail dissimulé… Nombre de déclaration de soupçon visent des phénomènes d’évasion fiscale complexe bien identifiés par les déclarants. Les sujets les plus fréquemment déclarés sont des montages financiers impliquant des fonds ou entités situés dans des États ou territoires non coopératifs, des transferts, rapatriements ou détention par des résidents français d’avoirs financiers provenant de pays frontaliers ou de pays à fiscalité privilégiée, des soupçons liés à des flux ayant pour origine des trusts ou des fiducies, le plus souvent au bénéfice de personnes d’origine étrangère résidentes en France. Il peut également s’agir de déclarations de soupçons relatifs à des carrousels de TVA ou des participations à des circuits visant à obtenir indûment des remboursements de crédits de TVA, des tentatives d’organisation d’insolvabilité en lien avec une procédure fiscale, des détentions d’avoirs financiers ou mouvements de fonds via des sociétés civiles de type société civile immobilière non cohérents avec l’objet officiel de ces structures, un soupçon d’activité occulte ou de dissimulation partielle d’activité ou de chiffre d’affaires, parfois avec utilisation de comptes de tiers. Certains signalements sont relatifs à des opérations financières visant à bénéficier indûment d’un dispositif d’exonération fiscale tel que des plus-values non éligibles logées dans un PEA ou encore l’application non légitime d’un dispositif d’exonération de plus-values dans le cadre d’un départ à la retraite, l’application abusive ou frauduleuse du régime de défiscalisation DOM-COM Girardin ou encore des transferts financiers entre personnes physiques ou morales sous couvert d’un prêt souvent non justifié et consenti à des conditions financières très favorables (absence d’intérêts, date de remboursement non compatible avec l’âge du prêteur, somme prêtée disproportionnée avec les moyens financiers de l’emprunteur…). Ces opérations ont fréquemment pour but de masquer des donations. Enfin il peut s’agir de problématiques patrimoniales diverses parfois en lien avec la manipulation de fortes sommes en espèces (minoration d’ISF, donation occulte, succession…).
Les transmissions flash
Au cours de l’année 2018, 299 transmissions fiscales « flash » ont été adressées à la DGFiP. En 2017, il y avait eu 248 transmissions de ce type. L’officier de liaison DGFiP mis à disposition de Tracfin, issu de la sphère du contrôle fiscal, a participé à la mise en place, puis au développement d’un circuit complémentaire de transmissions accélérées des informations recueillies, les transmissions fiscales « flash ». Il s’agit, dans ce cadre, de mobiliser très rapidement les renseignements fiscaux, dont le nombre reçu par Tracfin s’est accru au cours de ces dernières années. Ainsi, lorsque la consolidation du soupçon ne nécessite pas d’investigation complémentaire autre que la consultation des bases fiscales, l’information est diffusée de manière quasi immédiate. À titre d’illustration de cas traités, les autoentrepreneurs se placent parfois sous le régime fiscal de la microentreprise, alors qu’ils dépassent très largement les limites du plafond du chiffre d’affaires autorisé. « En ne s’acquittant pas notamment de la TVA, ils pratiquent également une concurrence déloyale envers les professionnels de leur secteur d’activité », soulignent les équipes de Tracfin. La DGFiP a bénéficié d’un nombre croissant de renseignements fiscaux au cours de ces dernières années. Une organisation de traitement déconcentré a donc été mise en place. À l’initiative de l’officier de liaison de la DGFiP, des réunions d’information au bénéfice des acteurs du contrôle fiscal dans les interrégions ont été organisées. Accompagné d’un cadre de Tracfin chargé de présenter le service, l’officier de liaison a détaillé et illustré le nouveau processus de transmissions « flash ». Au cours de l’année 2019, les transmissions « flash » feront l’objet d’un suivi en partenariat avec les services de la DGFiP afin d’évaluer leur impact en termes de contrôles fiscaux.
La participation de Tracfin aux travaux de la task-force TVA
La cellule opérationnelle interministérielle de décèlement précoce des escroqueries à la taxe sur la valeur ajoutée, dénommée « task-force TVA » a pour mission d’assurer le pilotage de la lutte contre l’escroquerie à la taxe sur la valeur ajoutée dans un objectif de coordination et d’amélioration de la performance. Tracfin participe aux travaux de cette cellule qui regroupe également des agents des impôts, des douanes, des ministères de l’Intérieur et de la Justice (DACG). Les alertes émises par la DGFiP à l’occasion de la mise au jour de réseaux frauduleux sont communiquées à Tracfin dans le but, d’une part de recoupement avec d’éventuelles déclarations de soupçon, et d’autre part afin d’améliorer la phase de détection d’autres tentatives frauduleuses menées par les mêmes acteurs. Plusieurs alertes ont donné lieu à un travail approfondi en 2018, dont certaines ont abouti à des transmissions à l’autorité judiciaire ou à la DGFiP après avoir fait l’objet d’un enrichissement en mobilisant, notamment, le réseau des cellules de renseignement financier étrangères. Réciproquement, Tracfin est à l’origine de trois alertes task-force sur des opérateurs de paiement impliqués dans des schémas frauduleux d’escroquerie et/ou ayant des procédures d’entrée en relation à distance défaillantes.