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Garantie d’éviction : la condition d’actualité du trouble

Publié le 03/03/2023
parapluie, immobilier, assurance, protection, garantie
naum/AdobeStock

La garantie d’éviction en matière de vente suppose l’existence d’un trouble actuel et non simplement éventuel.

Cass. 3e civ., 30 nov. 2022, no 21-20033

Le vendeur d’un bien, dans la mesure où il doit assurer la possession paisible de ce bien par l’acquéreur, est tenu à son égard d’une obligation de le garantir contre tout risque d’éviction. Celle-ci concerne la vente immobilière comme celle mobilière1 et vise à permettre à l’acheteur de ne pas être troublé dans la jouissance de la chose par le vendeur lui-même ou par un tiers (C. civ., art. 1626). Cette garantie d’éviction, contrairement à celle des vices cachés de la chose vendue, fait l’objet d’une jurisprudence limitée, d’où l’intérêt de l’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 30 novembre 2022. En l’espèce, un couple vend à un autre couple une propriété bâtie composée d’une maison d’habitation et d’une piscine hors-sol. Postérieurement à la vente, les acquéreurs sont informés du fait que la piscine empiète sur le terrain voisin appartenant à une société civile immobilière (SCI). Dans ces conditions, ils assignent leurs vendeurs, sur les fondements de la garantie d’éviction et du dol, en paiement du coût des travaux nécessaires à la délimitation de la parcelle et en indemnisation de leur préjudice.

La Cour de cassation, confirmant la décision des juges du fond, rejette le pourvoi formé par les acquéreurs. En effet, elle précise que l’éviction suppose un trouble actuel et non simplement éventuel. Or, en l’espèce, la SCI n’avait engagé aucune procédure visant à mettre fin à l’empiétement. La simple connaissance par les acquéreurs d’une contestation quant à la propriété d’une partie de la parcelle cédée n’est pas suffisante pour engager la garantie d’éviction. Cette analyse est-elle transposable à l’hypothèse où le trouble de jouissance est futur et certain ? La réponse à cette interrogation doit être négative pour trois raisons. En premier lieu, il apparaît que dans cette hypothèse, si le trouble de jouissance n’est pas actuel, il n’est pas non plus éventuel puisqu’il se produira nécessairement. Dès lors, il n’y a aucune raison de ne pas admettre la mise en œuvre de la garantie d’éviction. En deuxième lieu, cette analyse est admise par la jurisprudence dans un cas particulier de garantie d’éviction prévu par l’article 1719 du Code civil en matière de bail. De fait, ce texte dispose dans son troisième alinéa que le bailleur est tenu d’assurer la jouissance paisible du bien loué par le preneur. Or, par une décision du 2 mars 2017, la troisième chambre civile a décidé que le risque d’éviction du preneur justifie la résiliation du bail commercial et le versement de dommages-intérêts s’agissant d’un préjudice, certes futur, mais certain2. Enfin, en troisième lieu, la mise en œuvre de la garantie d’éviction en présence d’un trouble de jouissance futur et certain va dans le sens de la jurisprudence qui admet une conception libérale de la condition d’actualité du trouble de jouissance3. C’est ainsi que, par exemple, elle considère comme actuel le trouble de jouissance quand bien même l’action révélant ce trouble serait engagée contre un tiers et non contre l’acquéreur lui-même4.

Les acheteurs invoquaient également la réticence dolosive des vendeurs. Cependant, rien ne prouve que ces derniers aient eu connaissance de l’empiétement lors de la conclusion de la vente.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. par ex. en matière de cession d’actions : Cass. com., 10 nov. 2021, n° 21-11975 : Dalloz actualité, 24 nov. 2021, obs. C. Hélaine.
  • 2.
    Cass. 3e civ., 2 mars 2017, n° 15-11419 : Dalloz actualité, 21 mars 2017, obs. A. Cayol.
  • 3.
    V. dans ce sens Rép. civ. Dalloz, vo Vente-(effets), n° 437 et la jurisprudence citée.
  • 4.
    Cass. 3e civ., 4 juill. 1968 : Bull. civ. III, p. 249.
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