Acte de vente d’un immeuble frappé par un arrêté d’insalubrité remédiable
En cas de mutations successives d’un immeuble frappé d’un arrêté d’insalubrité remédiable, ce dernier est opposable à celui qui était propriétaire de l’immeuble au jour de son prononcé.
Cass. 3e civ., 22 sept. 2016, no 15-19672, FS–PB
1. L’affaire soumise à la chambre civile de la Cour de cassation révèle une nouvelle fois toute son importance en matière d’arrêté d’insalubrité. Les faits ayant donné lieu au litige méritent d’être rappelés car ils soulignent la complexité de la décision rendue par la haute instance1. Dans l’affaire annotée, un arrêté d’insalubrité remédiable a été pris par le préfet de la région Île-de-France le 2 mars 2000 concernant l’immeuble sis… M. Christian X a consenti le bail portant sur les locaux litigieux à Madame Edwige Z le 5 juillet 2000 alors qu’il avait acquis le bien par acte authentique en date du 28 avril 2000, soit postérieurement à l’arrêté d’insalubrité remédiable. La locataire assigna le propriétaire du bien immobilier en remboursement des loyers indûment versés pendant le cours de cet arrêté d’insalubrité remédiable2.
2. Les juges du fond la déboutent au motif qu’il n’ait pas prouvé que l’arrêté a été notifié à l’acquéreur-bailleur tant et si bien qu’il lui est inopposable. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 521-2 du Code de la construction et de l’habitation pour défaut de base légale, car il appartenait aux juges de fond de rechercher si l’arrêté avait été notifié au précédent propriétaire de l’immeuble3. Cette décision permet de mettre en exergue l’articulation entre l’arrêté d’insalubrité remédiable et le droit commun de la vente d’immeuble (I). La recherche des dysfonctionnements de la notification de l’arrêté d’insalubrité remédiable permettra d’identifier les éventuelles fautes imputables aux différents intervenants à l’acte de vente (II).
I – Vente d’un immeuble dans le cadre des dispositions législatives de l’habitat insalubre
3. Même si cette question de la notification d’un arrêté d’insalubrité remédiable semble relativement bien encadrée par les textes (A), pour autant le débat reste ouvert et la controverse n’a donc pas été tranchée en ce qui concerne la notification aux propriétaires successifs n’est pas nécessaire (B).
A – La notion d’arrêté d’insalubrité remédiable
4. D’aucuns soutiennent avec vigueur sur les opérations de traitement de l’habitat insalubre remédiable ou dangereux et opérations de restauration regroupent les opérations de traitement de l’habitat insalubre remédiable ou dangereux prévues aux articles R. 523-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation4. La lecture des textes issus des différentes réformes5 montre que ces opérations comprennent les immeubles faisant l’objet d’un arrêté d’insalubrité remédiable prévu au II de l’article L. 1331-28 du Code de la santé publique, d’un arrêté de péril ordinaire en application de l’article L. 511-2 du Code de la construction et de l’habitation6. De plus, conformément à l’ordonnance n° 2007-42 du 11 janvier 2007 en matière de publicité foncière, toutes les mesures prescrites par un arrêté d’insalubrité remédiable peuvent faire l’objet d’une exécution d’office7.
5. Dans le droit-fil des principes énoncés ci-dessus, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové a souhaité renforcer la lutte contre l’habitat indigne en incitant les propriétaires à réaliser les travaux prescrits notamment par arrêté d’insalubrité remédiable8. Au cas d’espèce, la haute juridiction judiciaire précise seulement que l’arrêté d’insalubrité remédiable a été pris par le préfet à l’encontre du propriétaire de l’immeuble loué à un locataire.
B – La notification de l’arrêté d’insalubrité remédiable aux propriétaires successifs
6. Certains feront observer, non sans raison que « la Cour nous indique en creux que la notification aux propriétaires successifs n’est pas nécessaire »9. En toute rigueur, l’arrêté d’insalubrité remédiable est opposable aux propriétaires successifs de l’immeuble dès lors qu’il a été notifié à celui qui est propriétaire au jour de son prononcé10. Si la réalité et les causes de l’insalubrité doivent être parfaitement décrites11, pour autant, les textes restent ambigus sur la notification de l’arrêté d’insalubrité remédiable. Certes, la fonction opératoire de la publication est de transmettre les obligations en cas de mutation, mais elle assure également une solidarité entre les propriétaires successifs.
7. À cet égard, une question mérite d’être signalée tant elle illustre la problématique liée à notification de l’arrêté d’insalubrité remédiable. On évoque souvent cette procédure en précisant que « Le préfet en informe le propriétaire concerné, par lettre recommandée avec avis de réception, qu’une réunion va se tenir avec cette commission »12. Cette formule utilisée n’est pas des plus heureuses en cas de propriétaires successifs parce qu’elle peut semer le doute sur le bon propriétaire à aviser. Il est à souligner que dans le cadre de la lutte contre l’habitat indigne, des amendes administratives sont prononcées par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, dont le montant ne peut excéder 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale, selon les modalités et la procédure prévues au VIII de l’article L. 141-1 du Code de la consommation13.
II – La recherche des dysfonctionnements liés à la notification de l’arrêté d’insalubrité remédiable
8. Les faits de l’espèce exigent, une fois de plus, de recourir au rôle du notaire chargé d’instrumenter l’acte de vente frappé par un arrêté d’insalubrité remédiable (A) sans pour autant oublier l’éventuelle réticence dolosive du vendeur (B).
A – L’éventuelle responsabilité du notaire rédacteur
9. Il n’est pas douteux qu’un arrêté d’insalubrité pris après la vente n’engage pas la responsabilité du notaire. C’est ainsi que la Cour de cassation a jugé qu’« (…) ayant constaté que le notaire rédacteur avait fourni aux époux E. toutes les indications sur les lots acquis et leur transformation, sur les cessions antérieures et sur l’état de la modification du règlement de copropriété et de l’état descriptif de division, relevé qu’il avait également porté à leur connaissance la définition du logement décent et qu’il n’appartient pas à un notaire de visiter le bien immobilier vendu même en l’absence d’intervention d’agence immobilière, la cour d’appel, qui, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a déduit que MM. Z et A n’avaient pas commis de faute, a légalement justifié sa décision ; Par ces motifs rejette le pourvoi (…) »14. À l’évidence le notaire n’ayant pas été chargé de la négociation de la vente, il n’est pas tenu de visiter le bien vendu, il en résulte qu’il n’est pas responsable si un arrêté d’insalubrité est pris après la vente15. Mais qu’en est-il lorsque l’arrêté d’insalubrité remédiable est intervenu avant la signature de l’acte de vente ? Il y a tout lieu de penser, comme le remarquent les auteurs, que « Le devoir de conseil, que la jurisprudence fait peser sur tous les intervenants professionnels de l’immobilier et, en particulier, de manière aggravée sur les notaires, dépend de la mission du professionnel (…)16. L’auteur poursuit en précisant qu’« (…) en cas d’arrêté d’insalubrité ou de péril, il est interdit de vendre en divisant l’immeuble tant que l’arrêté n’est pas levé. Un marchand de biens ne peut donc pas faire d’opération de division sur un tel immeuble en mettant à la charge des acquéreurs les travaux prescrits… »17. Au cas d’espèce, l’arrêté d’insalubrité remédiable n’ayant pas eu pour effet de prohiber la mutation du bien immobilier, le notaire devait donc veiller à avertir l’acquéreur de la situation et notifier une copie de l’acte de mutation l’autorité publique compétente18.
B – La question de la réticence dolosive
10. Une autre question suscitée par l’arrêt annoté concerne l’éventuelle réticence dolosive du vendeur qui a donné lieu à des controverses tant doctrinales que jurisprudentielles. On sait qu’aux termes de l’article 1137 du Code civil, anciennement article 1116, « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. De plus, l’article 1116, alinéa 2, aujourd’hui abrogé, précisait à propos du dol qu’il ne se présume pas et doit être prouvé »19. La Cour de cassation a estimé que le fait pour le propriétaire de cacher l’existence d’un arrêté d’insalubrité remédiable constitue une réticence dolosive permettant au locataire d’exercer une action en répétition des loyers indûment versés20. Ainsi, la haute instance précise « Qu’en statuant ainsi, la juridiction de proximité, qui a procédé par voie d’affirmation et n’a pas répondu au moyen par lequel M. Y soutenait qu’en raison de l’arrêté préfectoral d’insalubrité remédiable, “le bailleur n’avait pas le droit d’encaisser des loyers jusqu’à remise en état”, n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ; Par ces motifs : Casse et annule (…) »21.
11. Une telle démarche jurisprudentielle, on le constate aisément à la lecture de l’arrêt rapporté, conduit indubitablement celui-ci à pénétrer très en avant sur le terrain de l’articulation entre le droit de la vente et celui des dispositions législatives de l’habitat insalubre qui n’a pas fini de provoquer des controverses, illustrant ainsi tout l’intérêt que suscite cette question.
Notes de bas de pages
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1.
Ghiglino M., « Opposabilité d’un arrêté d’insalubrité à l’acquéreur de l’immeuble », Dalloz actualité, 6 oct. 2016 ; Pouliquen E., « Arrêté d’insalubrité : le bon propriétaire doit être avisé », Lamy actualités, oct. 2016 ; Veille, « Mise en location de l’immeuble acquis et arrêté d’insalubrité », JCP N 2016, n° 40, act. 1076 ; « Arrêté d’insalubrité, opposabilité au bailleur et remboursement des loyers indûment perçus », Defrénois Flash 17 oct. 2016, n° 136c1, p. 5 ; Berland C., « Arrêté d’insalubrité et paiement des loyers », Gaz. Pal. 11 oct. 2016, n° 277b8, p. 34.
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2.
Pouliquen E., art. préc.
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3.
Ghiglino M., « Opposabilité d’un arrêté d’insalubrité à l’acquéreur de l’immeuble », art. préc.
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4.
Derrez P., Agence nationale de l’habitat (Anah) – Subventions pour le financement des prestations d’ingénierie des programmes d’amélioration de l’habitat privé et des opérations de résorption de l’habitat insalubre, JCl Construction – Urbanisme, fasc. 64-21.
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5.
La loi du 6 juillet 1989, la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).
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6.
Derrez P., fasc. 64-21, préc.
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7.
Instruction 10 sept. 2007, BOI 10 D-4-07, « Incidence de l’ordonnance n° 2007-42 du 11 janvier 2007 en matière de publicité foncière », RFP 2007, comm. 138.
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8.
« Lutte contre l’habitat indigne : conditions de modulation et de progressivité de l’astreinte administrative », LexisNexis 10 déc. 2015.
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9.
Ghiglino M., « Opposabilité d’un arrêté d’insalubrité à l’acquéreur de l’immeuble », art. préc.
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10.
Ibid.
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11.
de Monte P., « Contrôle du juge sur la déclaration d’insalubrité irrémédiable », AJDA 2011, p. 1910.
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12.
Procédure d’insalubrité et conséquences sur les occupants de l’immeuble, http://www.interieur.gouv.fr/.
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13.
Montoux D., Avant-Contrat. – Vente par intermédiaire. – Réglementation professionnelle, JCl Notarial Formulaire, V° Avant-contrat, fasc. 250.
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14.
Cass. 3e civ., 17 sept. 2014, n° 13-18931 : Veille, « Arrêté d’insalubrité pris après la vente et responsabilité du notaire », JCP N 2014, art. 1019.
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15.
Sanséau T. et Sagaut J.-F., « Responsabilité notariale. – Applications. – Vente d’immeuble », JCl Notarial Formulaire, fasc. 20.
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16.
Delpérier J.-M., « Le rôle du professionnel dans la mise aux normes de l’immeuble », Defrénois 15 juill. 2004, n° 37979, p. 938.
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17.
Ibid.
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18.
Insalubrité et copropriété, http://www.adiltarn.org/.
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19.
CA Metz, 13 oct. 2016, n° 13/02549.
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20.
Ghiglino M., « Opposabilité d’un arrêté d’insalubrité à l’acquéreur de l’immeuble », art. préc.
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21.
Cass. 3e civ., 19 mars 2008, n° 07-12103.