L’obligation d’adresser à chacun des époux cotitulaires du bail la proposition de relogement consécutive à un arrêté d’insalubrité

Publié le 15/05/2017

Lorsqu’un arrêté d’insalubrité est pris concernant un immeuble, le propriétaire ou l’exploitant est tenu de proposer aux cotitulaires du bail du logement en question une solution de relogement. Selon la Cour de cassation, les personnes mariées étant cotitulaires du bail, la proposition doit être adressée aux deux époux.

Cass. 3e civ., 9 févr. 2017, no 16-13260

Lorsqu’un arrêté d’insalubrité est pris concernant un immeuble, le propriétaire ou l’exploitant est tenu de proposer aux cotitulaires du bail du logement en question une solution de relogement. Les personnes mariées étant cotitulaires du bail, la Cour de cassation considère dans son arrêt rendu en sa troisième chambre civile du 9 février dernier, « que la proposition du relogement de la famille, consécutive à un arrêté d’insalubrité portant interdiction d’habiter les lieux donnés à bail, doit être adressée par le bailleur à chacun des époux cotitulaires du bail ». Ainsi, l’argument selon lequel il a été produit une attestation d’une agence immobilière apportant la preuve « d’une proposition de relogement adressée à Mme X », et celui selon lequel il doit être tenu compte « de l’unicité du bail dont les deux époux étaient titulaires », ne suffisent pas à permettre de conclure valablement que « ce relogement est satisfactoire », comme l’avait énoncé la cour d’appel.

L’espèce est complexe et a donné l’occasion à plusieurs juridictions de se positionner. En effet, le 1er janvier 2000, un propriétaire a donné à bail à un preneur marié une maison d’habitation. Un arrêté préfectoral en date du 26 décembre 2007 a déclaré l’immeuble insalubre, interdit de façon immédiate et définitive son habitation, et ordonné sa libération. Le preneur a assigné le bailleur en « réparation du trouble de jouissance subi par suite du manquement du bailleur à son obligation de relogement et de délivrance d’un logement décent ».

En cause d’appel, le preneur a aussi sollicité le remboursement d’un trop-perçu de loyer. La cour d’appel de Nîmes, par un arrêt rendu le 25 novembre 2010, rejette la demande en dommages et intérêts du preneur. Elle retient en effet que le preneur s’est vu enjoindre, par une ordonnance de non-conciliation qui a attribué la jouissance du logement à son épouse, de quitter les lieux. De plus, il a été informé par le bailleur de sa volonté de vendre l’immeuble loué à la mairie et s’est vu proposer par celle-ci une solution de relogement, à laquelle il a refusé de donner suite. Selon la cour d’appel, il ne peut, dès lors, se prévaloir de manquements du bailleur à ses obligations alors qu’il a non seulement revendiqué la jouissance du logement taxé d’insalubrité mais a aussi sciemment refusé d’en partir. La cour d’appel rejetait en même temps sa demande de remboursement de trop perçu. Le preneur ayant formé un pourvoi en cassation, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes est cassé totalement par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 4 juin 2013, au visa des articles 1719 et 1751 du Code civil, ensemble les articles 6 de la loi du 6 juillet 1989 et L. 521-3-1 du Code de la construction et de l’habitation. Selon la haute juridiction, les motifs retenus par la cour d’appel sont inopérants. La cour d’appel n’a pas caractérisé, notamment, un « événement de force majeure seul de nature à exonérer le bailleur de son obligation de délivrance d’un logement décent pendant la durée du contrat de bail », ni recherché si le bailleur « avait respecté l’obligation de relogement qui lui incombait, et alors que les époux demeurent cotitulaires du bail jusqu’à la transcription du jugement de divorce en marge des registres de l’état civil ».

L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Cette dernière conclut le 26 février 2015 dans le même sens que la première cour d’appel. Selon elle, le bailleur « n’a pas manqué à son obligation de relogement » puisque celui-ci justifie, par la production d’une attestation d’une agence immobilière, d’une proposition de relogement adressée à (…) » l’épouse, « et que, compte tenu de l’unicité du bail dont les deux époux étaient titulaires, ce relogement est satisfactoire ».

Un second pourvoi est donc formé par le preneur sur un fondement quasi identique à celui retenu trois ans plus tôt par la Cour de cassation, précisément l’article 1751 du Code civil, ensemble les articles L. 521-1 et L. 521-3-1 du Code de la construction et de l’habitation.

La Cour de cassation, une seconde fois, donne raison au preneur. La Cour confirme donc que la proposition du relogement de la famille consécutive à un arrêté d’insalubrité portant interdiction d’habiter les lieux donnés à bail doit être adressée par le bailleur à tous les cotitulaires du bail (I) et donc en particulier en l’espèce, aux deux époux (II). Exit donc l’argument se rapportant à l’unicité du bail.

I – L’obligation de proposer un relogement consécutif à un arrêté d’insalubrité à tous les titulaires du bail

Le Code civil et le Code de la construction et de l’habitation se complètent pour répondre à des problématiques relatives au logement insalubre (A). Lorsqu’une décision qualifiant d’insalubre un logement d’habitation est prise, il convient de proposer un relogement à tous les titulaires du bail (B). Si tel n’était pas le cas, l’obligation ne serait pas satisfaite.

A – L’insalubrité du logement

Lorsqu’un logement présente un danger pour la santé ou la sécurité des occupants, le préfet peut engager une procédure d’insalubrité à l’encontre du propriétaire d’un logement.

L’article L. 1331-25 du Code de la construction et de l’habitation précise qu’un représentant de l’État dans le département peut « déclarer l’insalubrité des locaux et installations utilisés aux fins d’habitation, mais impropres à cet objet pour des raisons d’hygiène, de salubrité ou de sécurité ». « L’arrêté du représentant de l’État dans le département est pris après avis de la commission départementale compétente en matière d’environnement, de risques sanitaires ou technologiques à laquelle le maire ou, le cas échéant, le président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’habitat est invité à présenter ses observations, et après délibération du conseil municipal ou, le cas échéant, de l’organe délibérant de l’établissement public ».

Selon la procédure décrite aux articles L. 1331-25 et suivants du même code, le représentant de l’État dans le département notifie l’arrêté d’insalubrité au propriétaire.

Il existe deux types d’arrêté. Tout d’abord, l’arrêté d’insalubrité remédiable, qui est pris lorsqu’il existe un moyen de remédier à l’insalubrité du logement. Le préfet peut assortir l’arrêté d’insalubrité remédiable d’une interdiction temporaire d’habiter dans les lieux. L’arrêté prescrit alors au propriétaire les travaux à effectuer et le délai donné pour les réaliser. En cas de non-respect des prescriptions, le propriétaire est mis en demeure par le préfet de les réaliser dans le délai d’un mois. Passé ce délai, les travaux pourront être effectués par le maire ou le préfet, aux frais du propriétaire et majorés d’intérêts. Ensuite, l’arrêté d’insalubrité irrémédiable est pris notamment s’il n’existe aucun moyen de mettre fin à l’insalubrité. Cet arrêté vaut interdiction définitive d’habiter et d’utiliser les locaux et installations qu’il désigne.

En l’espèce, le bail a été signé en 2000, et le préfet a déclaré l’immeuble insalubre par arrêté en date du 26 décembre 2007. Par le même arrêté, le préfet interdit de façon immédiate et définitive son habitation et ordonne sa libération, l’insalubrité étant irrémédiable.

Ces mesures destinées à protéger les justiciables contre des dangers avérés induisent un certain nombre d’interrogations quant au droit des preneurs qui se trouvent dépourvus de facto de logement. La législation française met à la charge du propriétaire un certain nombre d’obligations. Il doit en effet faire une proposition de relogement à tous les titulaires du bail.

B – La proposition de relogement à tous les titulaires du bail

Lorsqu’un immeuble fait l’objet d’une déclaration d’insalubrité assortie d’une interdiction d’habiter temporaire ou définitive ou si les travaux nécessaires pour remédier à l’insalubrité rendent temporairement le logement inhabitable, le propriétaire ou l’exploitant est tenu d’assurer le relogement ou l’hébergement des occupants ou de contribuer au coût correspondant. L’article L. 521-1 du Code de la construction et de l’habitation modifié par l’ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005, dispose que « l’occupant » d’un logement est « le titulaire d’un droit réel conférant l’usage, le locataire, le sous-locataire ou l’occupant de bonne foi des locaux à usage d’habitation et de locaux d’hébergement constituant son habitation principale ».

La Cour de cassation a précisé la nature de cette obligation mise à la charge du propriétaire. Elle relève de « l’ordre public social ». Ainsi, selon la Cour, l’article L. 521-1 du Code de la construction et de l’habitation visant les occupants de bonne foi ne distingue pas suivant que l’occupant étranger est ou n’est pas « en situation irrégulière »1.

De plus, tous les occupants d’un immeuble doivent être regardés « comme des occupants de bonne foi ». Notamment, il a été jugé que les occupants d’un hôtel meublé qui avaient signés des baux d’habitation sont de bonne foi, « même si de tels baux ne peuvent être légalement conclus s’agissant de logements meublés et même si le locataire commercial avait fait l’objet d’une mesure d’expulsion ». De même, si ces baux n’ont « pas été signés par le propriétaire de l’immeuble », si « ce dernier n’en ignorait pas l’existence »2.

Aussi, selon la troisième chambre civile de la Cour de cassation3, il résulte des articles L. 521-1 et L. 521-3-1 du Code de la construction et de l’habitation, que l’obligation de relogement « incombe indifféremment au propriétaire ou à l’exploitant ».

Le champ d’application de la loi est donc large, cela étant justifié par la finalité de la législation mise en place.

Concernant la proposition de relogement qui pèse sur le propriétaire ou l’exploitant, elle doit répondre à certains critères. Notamment, selon la cour d’appel de Douai 14 avril 20114, en application de l’article L. 521-3-1 du Code de la construction et de l’habitation, le bailleur doit assurer à la locataire un hébergement décent correspondant à ses « besoins ». Dans cette affaire tranchée par la cour d’appel, le bailleur avait fait à la locataire une première offre d’hébergement qui portait sur un logement de 71 m² à 300 m de l’habitation de la locataire. Cette dernière refusa l’offre au motif que celle-ci ne correspondait en aucune façon aux caractéristiques du logement qu’elle occupait alors. Selon la cour d’appel, dès lors que le logement correspondait « aux besoins » de la locataire, seule exigence posée par le texte, le refus de la locataire est infondé de sorte qu’il doit être retenu que le bailleur a satisfait à l’obligation d’hébergement qui pèse sur lui.

Il faut noter en parallèle que le juge peut aussi mettre à la charge du bailleur une indemnité pour le préjudice lié à la jouissance des lieux. En effet, le propriétaire a l’obligation d’assurer une jouissance paisible des lieux, et s’il ne satisfait pas à cette obligation, il peut être condamné à verser une compensation financière5.

En l’espèce, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel tous les titulaires du bail doivent être les destinataires de l’offre de relogement. Cette dernière affirmation prend une signification particulière du fait que les deux titulaires du bail sont des époux. La cotitularité résulte en effet du statut matrimonial.

II – L’obligation de proposer un relogement aux deux époux ou l’éviction de l’argument tiré de l’unicité du bail

La jurisprudence est constante en matière de cotitularité du bail conclu par les époux (A) : seule la transcription du jugement de divorce met un terme à cette cotitularité. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation confirme cette jurisprudence en concluant que la proposition de relogement « doit être adressée par le bailleur à chacun des époux cotitulaires du bail » (B).

A – La cotitularité du bail conclu par les époux

L’article 1751 du Code civil, modifié par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 dispose que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité ». C’est le principe de cotitularité du bail relatif au logement de la famille6.

Même en cas de séparation du couple, la Cour de cassation a jugé en sa troisième chambre civile, le 31 mai 20067, que le mari reste cotitulaire du bail conclu par son épouse, bien qu’il ait cessé de résider dans le logement, dès lors que le logement a servi effectivement à l’habitation des deux époux et qu’aucun jugement de divorce n’est intervenu.

En cas de divorce des époux, seule la transcription met fin aux obligations liées à la cotitularité du bail. C’est ce qu’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 3 octobre 1990 qui indiquait que « les époux, cotitulaires du bail du local servant à leur habitation, sont tenus solidairement du règlement du loyer et des charges » et conclut que « le jugement de divorce est opposable aux tiers, en ce qui concerne les biens des époux, du jour où les formalités de publicité prescrites par les règles de l’état civil ont été accomplies ». Selon la haute juridiction, peu important le fait que le mari ait quitté les lieux loués avant cette date8.

Enfin, selon la Cour de cassation, « la transcription du jugement de divorce ayant attribué le droit au bail à l’un des époux met fin à la cotitularité du bail, tant légale que conventionnelle »9. Parallèlement, la jurisprudence relative à la délivrance d’un congé donné par le bailleur aux époux met en avant des principes identiques.

Ainsi, le congé par le bailleur doit être délivré aux deux époux et doit faire l’objet de lettres distinctes adressées à chacun des époux10 Si tel n’est pas le cas, la Cour de cassation censure les décisions des juges du fond. C’est ainsi qu’elle cassait un arrêt rendu par une cour d’appel qui avait constaté que le congé n’avait pas fait l’objet de lettres distinctes, adressées à chacun des époux, tout en considérant que le congé était valable. Le congé est en conséquence inopposable à l’époux qui n’en a pas été destinataire et il peut en contester la validité11. Mais le moyen pris de la non-opposabilité du congé à un conjoint ne peut être invoqué que par lui.

En l’espèce, la problématique liée à la fin de vie du couple est apparue. L’arrêt rendu par la Cour de cassation faisant apparaître cet argument dans le premier arrêt de 2013, sans que la Cour de cassation ne le retienne. En effet, une ordonnance avait attribué le logement à l’épouse. Mais tel n’était pas l’argument principal retenu par la cour d’appel de renvoi. Selon la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le bailleur n’a pas manqué à son obligation de relogement, car « une proposition de relogement adressée à Mme X », l’épouse, et « compte tenu de l’unicité du bail dont les deux époux étaient titulaires, ce relogement est satisfactoire ».

Le fait que le bail soit unique et concerne un couple marié n’est pas un argument satisfaisant pour la Cour de cassation, qui ne fait qu’appliquer sa jurisprudence relative aux droits personnels des cotitulaires des baux d’habitation.

B – L’obligation de proposer un relogement aux deux époux

Le raisonnement de la Cour de cassation rendu au visa de l’article 1751 du Code civil, ensemble les articles L. 521-1 et L. 521-3-1 du Code de la construction et de l’habitation dans l’arrêt commenté est simple. La haute juridiction en fait un attendu de principe : « la proposition du relogement de la famille, consécutive à un arrêté d’insalubrité portant interdiction d’habiter les lieux donnés à bail, doit être adressée par le bailleur à chacun des époux cotitulaires du bail ».

Ainsi, la troisième chambre civile fait une application du principe plus général de cotitularité des baux d’habitations.

De plus, il faut rappeler que le bail avait été donné, à l’origine, à l’époux et donc, logiquement, la cotitularité du bail au bénéfice de l’épouse est une conséquence du mariage. Il conserverait donc ses droits, même si par la suite, un divorce intervenait. La Cour de cassation a affirmé sur une question similaire, que le preneur qui avait signé un bail avant son mariage, conserve les droits attachés à ce bail, malgré le nouveau bail signé par son épouse à qui avait été attribué le logement à titre provisoire suite à la saisine du juge aux affaires familiales. Le nouveau bail conclu entre l’épouse et le propriétaire était inopposable au premier preneur12.

Dans la présente décision, la Cour censure donc la décision rendue par les juges du fond, qui avaient fondé leur décision sur le principe d’unicité du bail. Un seul bail, certes, mais deux titulaires. Ainsi, chacun des deux titulaires doivent être destinataire d’une proposition de relogement, dans le cadre d’une procédure liée à l’insalubrité du bien en cause, pour que la proposition soit « satisfactoire ».

En effet, il existe un lien entre la cotitularité et les droits attachés au bail. La Cour de cassation l’a montré à différentes reprises, chacun des cotitulaires détient les mêmes droits. Accepter que la proposition de relogement soit satisfaisante en étant adressée à un seul des époux, reviendrait à priver l’autre des droits attaché au bail. La position de la Cour est donc logique. Elle ne fait par ailleurs que confirmer ce qu’elle avait déjà dit quelques mois plus tôt dans la même affaire13.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 3e civ., 12 sept. 2012, n° 11-18073.
  • 2.
    CAA Bordeaux, 10 déc. 2013, n° 11BX02628.
  • 3.
    Cass. 3e civ., 4 mars 2009, n° 07-20578.
  • 4.
    CA Douai, 14 avr. 2011, n° 10/09005 : AJDI 2012, p. 105.
  • 5.
    V. par ex. ibid.
  • 6.
    V. par ex. Buffelan-Lanore Y. Rép. civ. Dalloz, V° Domicile, demeure et logement familial, juin 2014 (actualisation : juin 2015), nos 27 et s.
  • 7.
    Cass. 3e civ., 31 mai 2006, n° 04-16920.
  • 8.
    Cass. 2e civ., 3 oct. 1990, n° 88-18453.
  • 9.
    Cass. 3e civ., 22 oct. 2015, n° 14-23726.
  • 10.
    Cass. 3e civ., 10 mai 1989, n° 88-10363.
  • 11.
    Cass. 3e civ., 2 février 1982, n° 80-11309.
  • 12.
    Cass. 3e civ., 1er avr. 2009, n° 08-15929.
  • 13.
    Cass. 3e civ., 4 juin 2013, n° 11-27650.