Constat et matérialisation de la réception tacite des travaux par le maître de l’ouvrage

Publié le 20/12/2017

Il appartient au demandeur, qui invoque une réception tacite, de démontrer la prise de possession non équivoque de la construction par le maître de l’ouvrage ainsi que l’intégralité du paiement du prix par ce dernier.

Cass. 3e civ., 13 juill. 2017, no 16-19438, PBI

1. C’est bien connu que la réception de travaux de construction est une étape décisive de l’exécution d’un marché privé de travaux. Même si la réception doit être opérée en principe de manière contradictoire, cette dernière peut toutefois être tacite c’est-à-dire ne pas être formalisée par un écrit conclu entre le maître de l’ouvrage et le maître d’œuvre. Dans la présente affaire1, M. et Mme Z ont confié des travaux de maçonnerie à la société Yvon Boyer, assurée auprès de la compagnie d’assurance du GAN. Le maître de l’ouvrage, M. X, a réalisé pour le compte M. et Mme Z, maîtres de l’ouvrage, le remblaiement autour et au-dessus du garage et de la cave. Qu’invoquant des désordres, M. et Mme Z ont assigné la société Yvon Boyer et M. X en réparation de leur préjudice tant et si bien que la société Yvon Boyer a appelé en garantie son assureur, le GAN pour mettre en œuvre la garantie décennale. Les juges du fond refusent de voir dans le comportement du maître de l’ouvrage la réception tacite des travaux à défaut de preuve caractérisant la matérialisation de cette réception non contradictoire. La Cour de cassation rejette le pourvoi donnant à la réception tacite toute sa portée quant au constat qu’elle suppose (I) et à la matérialisation qu’elle exige (II).

I – Le constat de la réception tacite par le maître de l’ouvrage

2. La Cour de cassation a considéré qu’en l’absence de preuve de la volonté des maîtres de l’ouvrage d’accepter celui-ci (B), la réception tacite ne pouvait être retenue (A).

A – La réception tacite de la réalisation des travaux

3. Il résulte de l’article 1792-6 du Code civil que « la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. La garantie de parfait achèvement, à laquelle l’entrepreneur est tenu pendant un délai d’un an, à compter de la réception, s’étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l’ouvrage, soit au moyen de réserves mentionnées au procès-verbal de réception, soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception. Les délais nécessaires à l’exécution des travaux de réparation sont fixés d’un commun accord par le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur concerné. En l’absence d’un tel accord ou en cas d’inexécution dans le délai fixé, les travaux peuvent, après mise en demeure restée infructueuse, être exécutés aux frais et risques de l’entrepreneur défaillant. L’exécution des travaux exigés au titre de la garantie de parfait achèvement est constatée d’un commun accord, ou, à défaut, judiciairement. La garantie ne s’étend pas aux travaux nécessaires pour remédier aux effets de l’usure normale ou de l’usage ». Ce texte issu du Code civil n’exclut toutefois pas la possibilité d’une réception tacite2. Il est constant, en l’espèce, que les travaux n’ont pas fait l’objet d’une réception expresse. Hormis le cas d’une réception par tranche ou par lot, la réception tacite existe dès lors qu’il y a eu volonté non équivoque du maître de recevoir l’ouvrage. En l’espèce, le demandeur au pourvoi soutenait qu’en se fondant, pour écarter la réception tacite des travaux, sur la circonstance que l’entrepreneur n’avait pas contestée, au cours des opérations d’expertise, que les maîtres d’ouvrage n’habitaient pas dans l’immeuble atteint de malfaçons, sur l’existence d’un solde de facture restant dû par les maîtres de l’ouvrage, ainsi que sur des courriers de réclamations adressés en recommandé avec accusé de réception par ceux-ci les 29 mars 2004, 17 août 2004 et 30 novembre 2004 à l’entrepreneur, soit plus d’un an après l’achèvement des travaux, la cour d’appel, qui s’est prononcée par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une volonté non équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1792-6 du Code civil. La Cour de cassation écarte le moyen et rejette le pourvoi.

B – La charge de la preuve incombant au maître de l’ouvrage

4. Selon la locution latine : « Actori incumbit probatio »3, il appartient au maître de l’ouvrage de rapporter la preuve de sa volonté non équivoque de recevoir cet ouvrage. La Cour de cassation a statué dans un arrêt très récent sur cette question en relevant que l’appelant, à qui incombait la charge de la preuve de la date de la réception ne produisant aucun procès-verbal à cet effet, ne justifiait pas d’une réception tacite sans réserve et devait être débouté de sa fin de non-recevoir jugée non fondée4. En l’espèce, la Cour de cassation relève qu’il appartenait à la société Yvon Boyer, qui invoquait une réception tacite, de la démontrer et relève que M. et Mme Z habitaient l’orangerie, non affectée de désordres, et non le moulin, objet des désordres, et que la société Yvon Boyer ne pouvait se prévaloir du paiement des travaux puisqu’elle leur réclamait le solde de sa facturation. Cet argument ne convainc pas la Cour de cassation car elle estime que le juge du fait, qui a pu en déduire qu’en l’absence de preuve de la volonté des maîtres de l’ouvrage d’accepter celui-ci, la réception tacite ne pouvait être retenue et que seule la responsabilité contractuelle de la société Yvon Boyer pouvait être recherchée, a légalement justifié sa décision de ce chef.

5. C’est de cette réception tacite qu’il est également question dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 13 juillet 20165. Alors que la charge de la preuve de réception tacite de la construction relève du maître de l’ouvrage, la preuve de l’intention de ne pas réceptionner l’ouvrage incombe à l’entrepreneur6. Mais il faut surtout rappeler que si la prise de possession est motivée par l’urgence, elle ne saurait faire présumer une volonté non équivoque de réception7. Ce principe a été affirmé par un arrêt de la Cour de cassation en date du 12 avril 2005, qui estime qu’en présence de désordres dénoncés par le maître de l’ouvrage, avec constat et assignation en désignation d’expert, la prise de possession des lieux, motivée par l’urgence, n’établissait pas la volonté non équivoque des époux Guéroult d’accepter l’ouvrage tant et si bien que le moyen n’est pas fondé, l’éventuelle apparence des vices de construction et la non-formulation de réserves étant inopérantes en l’absence de réception des ouvrages8.

II – La matérialisation de la volonté non équivoque du maître d’ouvrage d’accepter l’ouvrage

6. La Cour de cassation réactive sa jurisprudence selon laquelle la réception tacite se matérialise par la prise de possession du bien par le maître de l’ouvrage (A) et le paiement de la totalité ou de la quasi-totalité du prix des travaux (B).

A – La prise de possession du bien par le maître de l’ouvrage

7. Il n’est pas douteux, et beaucoup d’auteurs l’ont depuis souligné, que la prise de possession des lieux équivaut à une réception sans réserve9. La Cour de cassation a censuré les juges du fond en affirmant que, « la réception, qui peut être tacite, ne ressort pas nécessairement d’un document et qu’elle peut résulter de la prise de possession des lieux par le maître de l’ouvrage ; que faute d’avoir recherché si la prise de possession des lieux par le maître de l’ouvrage, après remise des clés, en septembre 1980, postérieurement à la réalisation des travaux de reprises sous la surveillance de l’expert, ne traduisait pas la volonté de M. Durand d’accepter l’ouvrage, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 et 1792-6 du Code civil »10. Il est certain que le juge du fait doit relever une manifestation de volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux. On sait que la doctrine s’est ingéniée à considérer que : « l’équivocité est un vice de la possession qui, contrairement aux autres vices de l’article 2261 du Code civil, porte sur son animus et non sur son corpus »11. C’est ainsi que la Cour de cassation rejette le pouvoir en estimant : « Justifie légalement sa décision retenant l’existence d’une réception tacite la cour d’appel qui relève que les maîtres de l’ouvrage avaient pris possession des lieux, avaient manifesté sans équivoque leur volonté d’accepter l’ouvrage en installant un important matériel, en ouvrant le garage à la clientèle et en l’utilisant pour leurs besoins professionnels, et que le refus de payer le solde des travaux n’avait été formulé qu’ultérieurement lors de la présentation de la facture »12. Au cas d’espèce, les juges du fait constatent que les maîtres d’ouvrage n’habitaient pas dans l’immeuble atteint de malfaçons, tant et si bien qu’il ne pouvait y avoir de prise de possession du bien par les protagonistes.

8. Par ailleurs, il convient de souligner que la notion voisine d’entrée dans les lieux se rencontre dans les contrats de construction qui vaut réception définitive et sans réserve13. Est-ce à dire que la réception tacite est exclue en matière de contrat de construction ? Un arrêt récent de la Cour de cassation estime que : « Ayant retenu, à bon droit, que les dispositions applicables au contrat de construction de maison individuelle n’excluaient pas la possibilité d’une réception tacite et relevé que les prestations de la société MCA avaient été payées à hauteur de 95 % et que les locataires étaient entrés dans les lieux le 16 décembre 2009 pour le lot 8 et le 7 décembre pour le lot 38, ce dont il résultait une volonté non équivoque des maîtres de l’ouvrage d’accepter les travaux au plus tard le 16 décembre 2009, la cour d’appel, qui, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu fixer à cette date la réception tacite pour la société MCA, a légalement justifié sa décision de ce chef »14.

B – Le paiement de la totalité ou de la quasi-totalité du prix des travaux

9. À cet élément possessoire fondé sur l’animus s’ajoute un autre, tenant davantage à l’aspect financier des travaux. En effet, la prise de possession non équivoque du maître de l’ouvrage peut valoir réception tacite lorsqu’elle s’accompagne d’un paiement du prix. Selon l’article 1342 du Code civil : « Le paiement est l’exécution volontaire de la prestation due. Il doit être fait sitôt que la dette devient exigible. Il libère le débiteur à l’égard du créancier et éteint la dette, sauf lorsque la loi ou le contrat prévoit une subrogation dans les droits du créancier »15. Sur la question, ô combien délicate de la matérialisation du paiement, la jurisprudence est à « géométrie variable »16. Il est acquis pour la jurisprudence que dès lors qu’elle relève que les maîtres d’ouvrage avaient pris possession de l’ouvrage et payé l’intégralité du prix, une cour d’appel a pu retenir que les travaux avaient fait l’objet d’une réception tacite17. En revanche, le paiement du prix des factures sans retenue ni réserve ne suffit pas à caractériser la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter les travaux18. L’idée demeure que la prise de possession contrainte pour des impératifs financiers ou d’évidentes nécessités économiques ne permet pas de caractériser la réception tacite19.

10. La jurisprudence prend ainsi en considération les circonstances relatives au paiement du prix, les juges déclarent « qu’ayant retenu, à bon droit, que les dispositions applicables au contrat de construction de maison individuelle n’excluaient pas la possibilité d’une réception tacite et relevé que les prestations de la société MCA avaient été payées à hauteur de 95 % et que les locataires étaient entrés dans les lieux le 16 décembre 2009 pour le lot 8 et le 7 décembre pour le lot 38, ce dont il résultait une volonté non équivoque des maîtres de l’ouvrage d’accepter les travaux au plus tard le 16 décembre 2009, la cour d’appel, qui, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu fixer à cette date la réception tacite pour la société MCA, a légalement justifié sa décision de ce chef »20. Au cas d’espèce, la haute juridiction estime que la société Boyer ne peut se prévaloir du paiement des travaux puisqu’elle leur réclame une somme de 53 010,78 € pour solde de facturation qui est manifestement trop importante21.

11. Dans ces conditions, l’action constitue une responsabilité contractuelle de droit commun fondée sur l’article 1147 du Code civil qui disposait avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ». Dorénavant, le nouvel article 1231-1 issu de l’ordonnance du 10 février 2016 dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ». Force est de conclure que l’absence de réception des travaux implique que les garanties légales issues de la loi du 4 janvier 1978 relatives à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction ne peuvent pas être mises en œuvre.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Garcia F., « Réception tacite : preuve de la volonté du maître d’ouvrage d’accepter l’ouvrage », Dalloz actualité 11 septembre 2017 ; « Synthèse – Construction », JCl. Responsabilité civile et assurances, n° 29, LexisNexis.
  • 2.
    V. par ex. : Cass. 3e civ., 7 janv. 2016, n° 14-25837.
  • 3.
    Roland H., Lexique juridique, Expressions latines, 7e éd., 2016, Litec, p. 11, Vis Actori incumbit probatio.
  • 4.
    Cass. 3e civ., 14 févr. 1990, n° 88-15937. En ce sens v. Albarian A., « La preuve du caractère fautif de la rupture des relations précontractuelles à l’épreuve de la confidentialité des correspondances entre avocats : probatio diabolica », RLDC 1er mai 2010, n° 71, p. 13.
  • 5.
    Garcia F., « Caractérisation de la réception tacite malgré les contraintes économiques et les protestations », Dalloz actualité, 9 sept. 2016.
  • 6.
    Ibid.
  • 7.
    Caston A., « La réception tacite », 27 sept. 2009 : https://blogavocat.fr/space/albert.caston.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 12 avr. 2005, n° 04-11610, Ibid.
  • 9.
    Bergel J.-L., Cassin I., Eyrolles J.-J., Liard J.-J. et Jeanne C., « Les modalités de la réception tacite », Lamy immobilier.
  • 10.
    Ibid., Cass. 3e civ., 12 oct. 1988, n° 87-11174.
  • 11.
    Seube J.-B., « novembre 2015 – février 2016 : L’animal protégé pour lui-même ou pour les sentiments qu’il fait naître ? », Dr. & patr. n° 259, 1er juin 2016, p. 68.
  • 12.
    Cass. 3e civ., 18 nov. 1992 : Bull. civ. III, n° 296, p. 182. Caston A., « La réception tacite », 27 sept. 2009, op. cit.
  • 13.
    V. par ex. Cass. 3e civ., 4 nov. 1992 : Bull. civ. III, n° 285, p. 175.
  • 14.
    Cass. 3e civ., 20 avr. 2017, n° 16-10486, arrêt n° 435. Kullmann J., « Jurisprudence sous l’empire de la loi du 4 janvier 1978 », Le Lamy Assurances, n° 3639.
  • 15.
    Modifié par Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, art. 3.
  • 16.
    Kullmann J., « Jurisprudence sous l’empire de la loi du 4 janvier 1978 », Le Lamy Assurances, n° 3639, op. cit.
  • 17.
    Kullmann J., « Jurisprudence sous l’empire de la loi du 4 janvier 1978 », Le Lamy Assurances, n° 3639, op. cit.
  • 18.
    « Synthèse – Construction », JCl. Responsabilité civile et assurances, op. cit., n° 29, LexisNexis.
  • 19.
    Ibid. n° 29.
  • 20.
    Cass. 3e civ., 20 avr. 2017, n° 16-10486.
  • 21.
    Garcia F., « Réception tacite : preuve de la volonté du maître d’ouvrage d’accepter l’ouvrage », Dalloz actualité, 11 sept. 2016, op. cit.
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