La prise de possession du bien sans retenue sur le prix caractérise la réception tacite

Publié le 12/04/2017

Suite à des désordres et un arrêté de catastrophe naturelle, des acquéreurs se retournent en responsabilité décennale contre le constructeur et en garantie décennale contre son assureur. Ils croient pouvoir se soustraire à la prescription décennale en soutenant que la réception tacite par le maître de l’ouvrage, qui suppose sa volonté non équivoque de recevoir l’immeuble, n’est pas caractérisée à la date retenue. Il n’en est rien. En effet, pour la Cour de cassation, la prise de possession du bien sans retenue sur le prix caractérise bien la réception tacite.

La réception des travaux par le maître de l’ouvrage n’est pas un acte anodin, puisqu’elle fait courir les différents délais d’un an, de deux ans ou de dix ans, de prescription et de responsabilité, à l’encontre du constructeur et de son assureur (C. civ., art. 1792 et s.). Sur ce point, la réception tacite produit les mêmes effets extinctifs de l’action en responsabilité décennale contre l’entrepreneur ou en garantie décennale contre l’assureur, à l’issue du délai de dix ans, que la réception expresse, comme nous le rappelle la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt en date du 8 décembre 20161.

En l’espèce, les faits sont relativement simples. Par acte du 5 octobre 2002, un couple vend à un autre une maison qu’ils avaient fait construire. Suite à l’apparition de fissures en 2008 et à la prise d’un arrêté de catastrophe naturelle le 7 octobre 2008, les acquéreurs déclarent le sinistre à leur assureur multirisques habitation qui refuse sa garantie au motif que la demande relève de la garantie décennale du constructeur. Le couple assigne alors le constructeur et son assureur en responsabilité et garantie décennale.

La cour d’appel de Toulouse, retenant la réception tacite de l’ouvrage à la date de la dernière facture du constructeur (6 juin 2010), aux motifs que le maître d’ouvrage a pris sans réserve possession de l’ouvrage ni retenue sur le prix, rejette les actions des acquéreurs, en responsabilité décennale contre l’entrepreneur et en garantie décennale contre l’assureur, comme étant prescrites.

Les acquéreurs forment alors un pourvoi en cassation où ils soutiennent, en substance, que la réception tacite supposant la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’immeuble, elle ne peut résulter d’un courrier adressé par les acquéreurs au gestionnaire de sinistres du constructeur selon lequel l’immeuble a été livré « durant l’été 2010 », d’autant que le maître d’ouvrage avait la conviction profonde, révélée par l’acte de vente du 5 octobre 2002, de n’avoir reçu l’ouvrage que le 14 février 2002.

Ainsi, la question qui se pose à la Cour de cassation est de savoir si la prise de possession sans retenue sur le prix suffit à caractériser la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’immeuble, autrement dit de savoir si la réception tacite est constituée par une prise de possession sans remise en cause du prix.

La Cour de cassation, en rejetant le pourvoi sur ce point, répond par l’affirmative et confirme la décision des juges du fond, au motif que, ayant constaté que la dernière facture de l’entrepreneur était datée du 6 juin 2000, la cour d’appel a pu retenir que la réception tacite de l’ouvrage inachevé avait été réalisée à cette date par la prise de possession sans retenue sur le prix.

En statuant ainsi, la Cour de cassation confirme la prépondérance de la prise de possession dans la notion de réception tacite, surtout, comme en l’espèce, s’il n’est soulevé aucune contestation quant au prix des travaux.

En effet, l’article 1792-6 du Code civil, qui détermine le régime de la réception des travaux, définit la réception comme étant « l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves ». Ainsi, la réception de l’ouvrage s’apprécie en la personne du maître de l’ouvrage2. Ce qui importe c’est que soit caractérisée la volonté du maître de l’ouvrage de réceptionner3. C’est pourquoi, la déclaration d’achèvement des travaux ne s’assimile pas à un procès-verbal de réception4.

En principe, elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, le plus souvent à l’amiable. On comprend que le constructeur a tout intérêt à ce que la réception soit réalisée pour faire courir les délais de prescription et de garantie. Car, il ne faut pas oublier que, à défaut de réception, la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres de construction se prescrit par dix ans à compter de la manifestation du dommage5. Il a dès lors intérêt, en cas de résistance du maître de l’ouvrage, à faire constater la réception judiciairement, comme le Code civil l’y invite.

Lorsqu’elle intervient à l’amiable, réalisée sans réserve, elle n’est soumise à aucun formalisme6. En pratique, la réception se matérialise par un procès-verbal de réception. Encore faut-il que la réception soit contradictoire, ce que les juges du fond doivent constater7. Ainsi, la réception n’est pas contradictoire lorsque le procès-verbal de réception est signé par le seul maître de l’ouvrage8, sauf, s’il est bien caractérisé sa volonté de recevoir les bâtiments, que le maître d’œuvre absent avait été dûment convoqué9. Il a aussi été jugé que ne constitue pas une réception contradictoire le constat d’huissier décrivant l’état de travaux des gros œuvres réalisés par une entreprise qui a abandonné le chantier10.

En l’absence de réception expresse, il ne fait pas de doute que la réception tacite est admise11, même, comme en l’espèce, pour un ouvrage inachevé12.

Si les parties peuvent décider d’écarter la réception tacite pour s’imposer une réception expresse13, ils peuvent même, au contraire, l’organiser contractuellement14, tout au moins, semble-t-il, dès lors que le maître d’œuvre, tenu d’assister et conseiller le maître de l’ouvrage lors de la réception, l’a informé des conséquences de la prise de possession15.

Jusqu’à peu, la position de la jurisprudence semblait claire quant aux éléments constitutifs de la réception tacite. En effet, il a encore été jugé récemment que l’article 1792-6 du Code civil n’exclut pas « la possibilité d’une réception tacite lorsqu’est manifestée une volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter celui-ci, même en l’absence de paiement du solde du prix et en présence de travaux inachevés »16. Il suffisait que soit caractérisée une prise de possession caractérisant une volonté non équivoque de réceptionner l’ouvrage, c’est-à-dire de l’accepter en l’état avec ou sans réserves17.

Les juges du fond devaient donc rechercher si la prise de possession manifestait une volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage18. La réception tacite n’avait pas été retenue malgré la prise de possession de l’ouvrage sans qu’il soit procédé au règlement du solde des travaux et qu’il a été manifesté le refus de réception en introduisant dès l’année suivante une procédure de référé-expertise19. Le paiement des travaux pouvait être un indicateur. En effet, la réception tacite avait été retenue en cas de prise de possession et de paiement intégral20 ou quasi-intégral21. Mais, en soi, le seul paiement intégral ne suffit pas à caractériser la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux22.

C’est que, la prise de possession, en soi, ne caractérise pas une réception, dès lors qu’elle peut s’assimiler en une simple livraison de l’ouvrage qui ne fait que transférer la garde juridique du bien au maître de l’ouvrage (C. civ., art. 1788). Ainsi, la réception ne consiste pas seulement à la livraison du bien, mais aussi dans l’appropriation par le maître de l’ouvrage du travail exécuté23. Traditionnellement, on considérait que la livraison non corroborée par un procès-verbal de réception ne faisait pas présumer en soi une réception tacite. Par principe, il était admis que la « prise de possession d’un immeuble est insuffisante à caractériser la volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage avec ou sans réserves »24. En effet, la Cour de cassation a pu juger que « la prise de possession résultant d’évidentes nécessités économiques, s’agissant de l’outil de travail du maître de l’ouvrage, non accompagnée du paiement intégral des travaux et assortie de contestations réitérées, ne caractérisait pas la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir tacitement les travaux »25. Dès lors, si la prise de possession marque davantage « le souci du maître d’ouvrage d’éviter des pertes commerciales que son souhait d’accepter les travaux », il n’y a pas de réception26. Il est cependant vrai que, en pratique, les notions de livraison et de réception, le plus souvent, se confondent, en ce sens que la date de réception retenue peut être celle de la livraison27.

Il n’en reste pas moins que désormais il semble acquis que le principe établi s’inverse et que la prise de possession vaut présomption, simple, de réception. En effet, la Cour de cassation a décidé de casser l’arrêt de la cour d’appel qui a écarté la réception tacite « par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une volonté non équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage  »28. La Cour de cassation a confirmé cette position en estimant que ne suffit pas à caractériser la volonté non équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage la lettre de réclamation des maîtres d’ouvrage adressée plus de six mois après la fin du chantier, alors que le maître de l’ouvrage a payé l’intégralité du prix et pris possession des lieux29.

La Cour de cassation a même estimé que la prise de possession des lieux sans qu’aucune somme ne soit réclamée au maître de l’ouvrage au titre du marché « laissait présumer sa volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage »30.

Il semble donc bien que, désormais, en cas de prise de possession des travaux, pour écarter la réception tacite, les juges du fond doivent constater en quoi la volonté non équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage est caractérisée. Ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, n’étant pas démontré en quoi le maître de l’ouvrage n’a pas voulu réceptionner le bien. Il est vrai que le débat ne portait pas tant sur la volonté ou non de recevoir que sur celui de déterminer la date de réception, que les juges du fond doivent préciser31.

Dès lors que la réception tacite est admise, elle produit les mêmes effets juridiques qu’une réception expresse au titre de l’article 1792-6 du Code civil, à la date retenue par les juges du fond. Ainsi, si une réception tacite sans réserve « couvre les désordres apparents »32, elle fait bien courir les délais de responsabilité et garantie.

Pour éviter toute ambiguïté et incertitude liée à la réception tacite des travaux et aux mouvances de la jurisprudence, les parties seraient bien avisées de procéder à une réception expresse, si nécessaire en se faisant assister.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 3e civ., 8 déc. 2016, n° 15-25951.
  • 2.
    Cass. 3e civ., 6 juill. 2011, n° 09-69920.
  • 3.
    Cass. 3e civ., 16 févr. 1994, n° 92-14342 ; Cass. 3e civ., 16 mars 1944, n° 92-10957.
  • 4.
    Cass. 3e civ., 14 févr. 1990 : Bull. civ. III, n° 47.
  • 5.
    Cass. 3e civ., 24 mai 2006 : Bull. civ. III, n° 132.
  • 6.
    Cass. 3e civ., 12 juin 1991 : Bull. civ. III, n° 166.
  • 7.
    Cass. 3e civ., 16 févr. 1994 : Bull. civ. III, n° 22.
  • 8.
    Cass. 3e civ., 18 juin 1997 : Bull. civ. III, n° 142.
  • 9.
    Cass. 3e civ., 12 janv. 2011 : Bull. civ. III, n° 3. Comp. Cass. 3e civ., 3 juin 2015, n° 14-13126.
  • 10.
    Cass. 3e civ., 3 mai 1989 : JCP 1989, IV 249.
  • 11.
    Cass. 3e civ., 12 oct. 1988 : Bull. civ. III, n° 137 – Cass. 3e civ., 7 déc. 1988 : Bull. civ. III, n° 174 – Cass. 3e civ., 4 oct. 1989 : Bull. civ. III, n° 176.
  • 12.
    Cass. 3e civ., 13 juill. 2016, n° 15-20840.
  • 13.
    Cass. 3e civ., 31 janv. 2007.
  • 14.
    Cass. 3e civ., 4 nov. 1992 : Bull. civ. III, n° 284 – Cass. 3e civ.,13 juill. 1993 : JCP N 1995, II 938, note Le Bars L. – Cass. 3e civ., 13 juill. 1993 : JCP 2995, II 22395.
  • 15.
    Cass. 3e civ., 27 juin 2001 : Bull. civ. III, n° 82.
  • 16.
    Cass. 3e civ., 30 juin 2016, n° 15-17789.
  • 17.
    V. encore Cass. 3e civ., 24 nov. 2016, n° 15-26090 ; Cass. 3e civ., 19 mai 2016, n° 15-15801.
  • 18.
    Cass. 3e civ., 14 janv. 1998 : Resp. civ. et assur. 1998, comm. n° 123 – V. déjà en ce sens : Cass. 3e civ., 3 mai 1990 : Bull. civ. III, n° 104.
  • 19.
    Cass. 3e civ., 12 sept. 2012 : Bull. civ. III, n° 117.
  • 20.
    Cass. 3e civ., 16 mars 1994 : Bull. civ. III, n° 50 – Cass. 1re civ., 10 juill. 1995 : Bull. civ. I, n° 315 – Cass. 3e civ., 17 mars 2004 : JCP 2004, IV, 2005 – Cass. 3e civ., 23 mai 2012 : Bull. civ. III, n° 76.
  • 21.
    Cass. 3e civ., 18 nov. 1992 : Bull. civ. III, n° 296 – Cass. 1re civ., 13 juill. 2016, n° 15-17208.
  • 22.
    Cass. 3e civ., 30 sept. 1998 : Bull. civ. III, n° 175 – Cass. 3e civ., 24 mars 2016, n° 15-14830.
  • 23.
    Cass. 3e civ., 8 oct. 1974 : Bul. civ. III, n° 337.
  • 24.
    Cass. 3e civ., 19 mai 2016, n° 15-14776.
  • 25.
    Cass. 3e civ., 12 févr. 2014, n° 13-10930.
  • 26.
    Cass. 3e civ., 8 avr. 2014, n° 13-16250.
  • 27.
    Cass. 3e civ., 31 janv. 2007, n° 05-20683.
  • 28.
    Cass. 3e civ., 13 juill. 2016, n° 15-17208.
  • 29.
    Cass. 3e civ., 15 sept. 2016, n° 15-20143.
  • 30.
    Cass. 3e civ., 24 nov. 2016, n° 15-25415.
  • 31.
    Cass. 3e civ., 30 mars 2011 : Bull. civ. III, n° 52.
  • 32.
    Cass. 3e civ., 8 déc. 2016, n° 15-17022.
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