De l’inadaptation du régime juridique de la copropriété aux copropriétés horizontales à deux lots

Publié le 27/06/2017

Même si l’immeuble ne comprend que deux lots, le statut de la copropriété lui est applicable.

Cette règle, qui résulte des textes et de la jurisprudence, crée des situations très complexes pour le propriétaire d’une villa construite sur un terrain commun divisé en zones de jouissance.

Ce propriétaire doit en effet admettre qu’il ne bénéficie pas d’une propriété individuelle, son droit de propriété étant limité par l’application imposée de la loi du 10 juillet 1965 et du décret du 17 mars 1967.

Compte tenu de la densification urbaine sans cesse croissante et de la recherche d’une meilleure valorisation des emplacements immobiliers, la gestion de l’espace suscite de nombreuses réflexions. À cet égard, le droit de l’urbanisme comporte un corps de règles relatives à l’affectation de l’espace et son aménagement imposant à tout propriétaire foncier un ensemble de contraintes d’intérêt général.

La loi du 10 juillet 1965 relative au régime de la copropriété fait partie de ce corps de règles et si elle a 48 ans, âge canonique pour une loi, elle régit encore notre quotidien alors pourtant que « les imperfections du texte (sont) connues »1 et que le temps devrait plutôt être à « se demander si le statut de la copropriété n’est pas parvenu à la croisée des chemins »2.

Le régime de la copropriété, régi tant par la loi 65-557 du 10 juillet 1965 que par le décret n° 67-223 du 17 mars 1967, est un mode d’organisation et de gestion de la propriété qui peut prendre la forme d’une copropriété verticale, telle un immeuble en centre-ville, ou bien d’une copropriété horizontale par juxtaposition de bâtiments, mitoyens ou non.

On parle de copropriété horizontale pour un ensemble de maisons individuelles construites sur un terrain commun, divisé en zones de jouissance. La copropriété horizontale est spécialement conçue pour régir un ensemble de maisons individuelles.

Plus précisément, il existe deux définitions distinctes de la copropriété horizontale. Une définition terrienne, en vertu de laquelle est une copropriété horizontale, la division d’une propriété foncière par un état descriptif définissant des lots de copropriété constitués d’une partie privative représentant la jouissance divise exclusive et perpétuelle d’une partie du sol indivis et la propriété exclusive et perpétuelle de la construction édifiée sur cette partie, à laquelle est rattachée une quote-part indivise du sol qui reste partie commune. Avec cette définition, il n’y a pas de division en propriété de l’unité foncière mais division du terrain en zone de jouissance privative. La jouissance est donc morcelée tandis que la propriété reste indivise.

Une définition aérienne, en vertu de laquelle la copropriété horizontale est la division d’une propriété foncière par un état descriptif définissant des lots de copropriété constitués d’une partie privative représentant une quote-part indivise du sol, sans aucune affectation privative de celui-ci et un droit exclusif de propriété sur les constructions édifiées.

La copropriété horizontale est née de ce que certains praticiens n’ont pu se satisfaire de règles strictes en matière d’urbanisme, considérées comme un carcan législatif trop étroit. Ils ont donc modulé la réglementation stricte des divisions et notamment celle relative aux lotissements3, par la substitution, à ce régime par trop classique, de celui de la copropriété horizontale. Ainsi, ce mouvement, conduit notamment par Monsieur Stemmer qui fit un véritable « plaidoyer pour la copropriété horizontale »4, eut l’idée d’introduire une pratique de copropriété sans division, ni en propriété, ni en jouissance, du sol. Par ce concept, tout en incorporant à un terrain en copropriété des équipements communs, il restait possible d’attribuer à chaque copropriétaire, un lot comprenant un droit de construire sur une quote-part du terrain d’ensemble dans une limite quantifiée et délimitée par des millièmes.

Si une partie de la doctrine a salué l’idée et que « la pseudo-copropriété horizontale a connu de beaux jours »5, le juge, quant à lui, y a vu une tentative de fraude à la réglementation des lotissements6. Avec la copropriété horizontale, nous sommes donc en présence d’« une bonne illustration de l’inventivité de la pratique dans son interprétation des textes »7.

Pour autant, s’il est vrai que « les problèmes d’urbanisme soulevés par l’application du régime de la copropriété horizontale font l’objet d’une abondante jurisprudence et de commentaires passionnés depuis de nombreuses années »8, il est une question qui a fort peu été évoquée par la doctrine : celle du cas très particulier de la copropriété horizontale à deux lots.

Par copropriété horizontale à deux lots, on entend classiquement un terrain dont la consistance ne permet la division qu’en deux lots. Le plus souvent, la copropriété horizontale à deux lots est constituée de deux villas avec attribution en pleine propriété de parcelles de terrain distinctes9. C’est cette hypothèse qui sera étudiée ici.

En l’état de la jurisprudence, ces ensembles bizarres sont assujettis aux dispositions de la loi du 10 juillet 1965. En effet, même si l’immeuble ne comprend que deux lots, le statut de la copropriété lui est applicable10.

Ainsi, le législateur a fait le choix discutable de ne tenir aucun compte de la spécificité des copropriétés les plus petites et les juges ont cru devoir s’en tenir à la lettre de la loi. De cet état de fait, les copropriétaires de deux lots sont intégralement soumis aux dispositions impératives de la loi du 10 juillet 1965 et du décret du 17 mars 1967. Pour autant, le formalisme légal apparaît comme totalement inapproprié dans les relations entre deux personnes seulement.

Néanmoins, on trouve, dans le code de la copropriété, sous l’article 1 de la loi du 10 juillet 1965, une mise en garde des auteurs rédigée comme suit : « il est formellement déconseillé de créer des copropriétés ne comprenant que deux lots, ou composées de deux copropriétaires seulement. L’acquéreur d’un lot dans une copropriété de ce type doit être averti par ses conseils des inconvénients résultant de ce type de situation ».

Ce type de copropriété, loin de faire l’unanimité chez les praticiens, a fait l’objet d’une réponse ministérielle relativement récente, puisqu’en date du 15 novembre 2011, dans laquelle le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, a explicitement répondu qu’« il n’est pas envisagé de réformer la loi de 1965 (…) ou son décret d’application pour prévoir un régime spécifique aux syndicats des copropriétaires ne comprenant que deux copropriétaires »11.

Dès lors, si aucun changement législatif n’est prévu, la copropriété horizontale à deux lots restera encore longtemps un sujet d’actualité judiciaire12.

Si la notion même de copropriété horizontale à deux lots suscite, par une jurisprudence fournie, des questions variées, il sera ici question de traiter la notion de copropriété horizontale à deux lots à l’aune de la problématique du droit de propriété, droit fondamental par excellence.

En effet, le propriétaire d’une villa édifiée sur un terrain en copropriété horizontale se trouve dans une situation paradoxale : s’il se sent naturellement l’âme d’un propriétaire individuel (I), il n’en demeure pas moins soumis à une organisation collective (II)13.

I – Le copropriétaire face à son droit de propriété

En son temps, Proudhon affirmait sur un ton péremptoire : « La propriété, c’est le vol ! »14. Ce à quoi répondait l’académicien Charles Maurras : « La première des libertés est la sécurité des biens et des personnes ».

Voici deux conceptions de la propriété nées au XIXsiècle qui s’affrontent et qui ont particulièrement marqué les idéologies du XXsiècle. En effet, face à une propriété collective de type socialiste marxiste apparaît le concept de propriété individuelle basée sur le modèle libéral.

Rappelons que sous l’Ancien Régime, durant la dynastie des Capétiens, lors de l’extension de la France, le domaine royal s’est confondu avec le territoire national. La propriété immobilière était donc uniquement de source royale. Le roi conférait des droits sur ses terres à des vassaux qui pouvaient à leur tour déléguer ce pouvoir à d’autres vassaux. La propriété était donc consentie par voie de contrat. Petit à petit ces droits sont devenus exclusifs et immuables. Ainsi, de nombreux seigneurs et de nombreux paysans purent accéder à la propriété immobilière.

Durant la Révolution française, le législateur a opté pour la version libérale du droit de propriété, à savoir la propriété individuelle. Ainsi, les élus de 1789 ont affirmé à deux reprises dans leur déclaration la prééminence du droit de propriété, droit naturel et imprescriptible.

En son article 2, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen entend faire respecter « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». De même, l’article 17 énonce que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

Le droit de propriété est réellement une liberté fondamentale émanant d’un acte constitutionnel puisqu’en 1970, le Conseil constitutionnel reconnaît la valeur constitutionnelle de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 en l’intégrant dans le bloc de constitutionnalité du préambule de la Constitution du 4 octobre 1958.

Le droit de propriété concerne l’homme dans sa relation avec les biens. En tant que forme suprême d’exercice du pouvoir de l’homme sur une chose, quelle que soit l’étroitesse du cercle dans lequel il s’exerce, le droit de propriété individuelle reste un atout fondamental de la liberté.

Une partie de la doctrine s’accorde à dire que le droit de l’urbanisme réduit le droit de propriété à ne plus savoir où sont ses limites et porte des coups de frein dans la liberté de choisir la forme d’habitat que l’on souhaite15. Si bien que le droit de diviser est affecté par les nombreuses incertitudes qui nichent dans la définition du lotissement et qui engendrent des débats sans fin autour de la notion de copropriété horizontale16.

La question de savoir si le copropriétaire reste titulaire de son droit fondamental à la propriété est une question classique. Ainsi, « à la question de savoir si la copropriété constitue une limite au droit de propriété, la réponse est, à l’évidence : oui »17. En effet, il est clair qu’en l’application du régime juridique de la copropriété, le copropriétaire devient un propriétaire dans le carcan d’une réglementation parfois restrictive et toujours contraignante.

Pour autant, la propriété étant un droit fondamental reconnu par le Conseil constitutionnel18, tous les commentateurs s’accordent pour dire qu’un tel principe s’applique parfaitement au droit de copropriété. Le droit de propriété du copropriétaire est donc garanti même si le statut de la copropriété organise un régime particulier pour les immeubles entrant dans son champ d’application qui diffère du droit de propriété traditionnel du Code civil.

Ainsi, la loi du 10 juillet 1965, tout en consacrant la notion de lot de copropriété, a repris les fondements de la conception dualiste du droit de propriété en déclarant le copropriétaire, propriétaire exclusif de ses parties privatives à l’article 2 de la loi et propriétaire indivis des parties communes à l’article 4 de la loi. Cependant, un lien indissociable a été institué entre les deux séries de prérogatives à l’article 6 de la loi.

Si tant est que l’on puisse considérer que le copropriétaire est bien propriétaire, on peut se demander quel est le véritable objet de son droit. Il est donc primordial de mettre en relation la théorie consistant à établir une conception dualiste du droit de propriété du copropriétaire (A) et la réalité du droit de propriété du copropriétaire (B).

A – La conception dualiste du droit de propriété du copropriétaire

Le propriétaire d’une villa placée sur un terrain en copropriété horizontale à deux lots se voit attribuer la conception dualiste du droit de propriété instauré par la loi du 10 juillet 1965. Il est ainsi propriétaire exclusif de ses parties privatives (1) et propriétaire indivis des parties communes (2).

1 – Le copropriétaire, propriétaire exclusif de ses parties privatives

Selon l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965, le copropriétaire dispose librement de ses parties privatives. Le copropriétaire peut alors en user et en jouir, conformément à sa destination.

Pour autant, la prétendue propriété exclusive sur les parties privatives est éloignée du droit de propriété défini à l’article 544 du Code civil19. Le seul fait que l’on ne puisse pas en disposer séparément de la quote-part des parties communes qui lui est indéfectiblement rattachée devrait suffire à écarter l’idée de les appréhender isolément en tant qu’objet d’un droit de propriété exclusive.

Dans un arrêt de 2007, il a été demandé à la haute juridiction de savoir si un droit de jouissance exclusive pouvait constituer ou non la partie privative d’un lot. À cette question, la Cour a répondu par la négative20. Il résulte de cette jurisprudence que la copropriété est une privation du droit de propriété, d’autant plus vraie dans le cas d’une copropriété horizontale à deux lots.

En effet, comment peut-on définir les parties privatives d’une copropriété horizontale à deux lots ? L’article 2 de la loi du 10 juillet 1965 n’énumère pas les parties de l’immeuble qui doivent être considérées comme privatives, mais il pose un critère de qualification : celui de l’exclusivité d’usage21. Ce critère de qualification sous-entend alors que l’usage concurrent d’autres copropriétaires sur cette fraction déterminée de l’immeuble est interdit.

Dans l’état de fonctionnement normal d’une copropriété, les parties privatives doivent être définies par le règlement de copropriété et l’état descriptif de division. Mais dans le cas d’une copropriété horizontale à deux lots, qui n’a pas eu le fonctionnement normal d’une copropriété comme c’est souvent le cas22, il est clair que le critère de l’usage exclusif sera déterminant de la nature privative ou commune de la partie d’immeuble en cause. En d’autres termes, les parties privatives d’une copropriété horizontale à deux lots s’avèrent être seulement l’intérieur de la maison.

Dans le cas précis d’une copropriété horizontale à deux lots, le propriétaire garde un droit exclusif de propriété sur l’intérieur de sa villa. Qu’en est-il des parties communes ?

2 – Le copropriétaire, propriétaire indivis des parties communes

L’article 3 de la loi du 10 juillet 1965 définit les parties communes comme « les parties des bâtiments et des terrains affectées à l’usage ou à l’utilité de tous les copropriétaires ou de plusieurs d’entre eux » et dresse une liste non exhaustive des éléments de l’immeuble qui « dans le silence ou la contradiction des titres, sont réputés parties communes »23. En outre, l’article répute « droits accessoires aux parties communes dans le silence ou la contradiction des titres » le droit de surélever des bâtiments, le droit d’en édifier de nouveaux, le droit d’affouiller les cours, parcs et jardins et le droit de mitoyenneté afférent aux parties communes.

L’article 4 dispose pour sa part que « les parties communes sont l’objet d’une propriété indivise entre l’ensemble des copropriétaires ou certains d’entre eux seulement ; leur administration et leur jouissance sont organisées conformément aux dispositions de la présente loi ». Aux termes de la loi, les copropriétaires sont donc en indivision pour toutes les parties de l’immeuble qui ne sont pas affectées à l’usage exclusif d’un copropriétaire déterminé. La contrepartie de cette indivision est l’organisation collective obligatoire, comme le prescrit l’article 4 précité.

Cependant, l’indivision dont il est question ici est nettement différente de l’indivision de l’article 815 du Code civil. En effet, en situation d’indivision, c’est la chose toute entière qui est l’objet du droit de propriété de chaque indivisaire. Or, telle n’est pas la situation de l’immeuble placé sous le régime de la copropriété immobilière puisque les dispositions de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965 permettent d’exclure toute vision unitaire. Ainsi, « considérer la copropriété immobilière comme une indivision généralisée, c’est rendre superfétatoire la notion de lot de copropriété, mais c’est aussi laisser l’aspect fonctionnel prendre le pas sur l’aspect structurel et considérer l’unité de l’immeuble comme une donnée essentielle »24. Dès lors, et d’un point de vue structurel, la copropriété immobilière est fondée sur l’indépendance des lots les uns vis-à-vis des autres et le droit indivis portant sur les parties communes ne doit pas avoir pour conséquence de nier l’indépendance de chaque lot.

De plus, le droit de chaque copropriétaire de disposer librement de son lot de copropriété constitue un élément permettant de réfuter l’existence d’une indivision entre les copropriétaires.

L’aspect de l’indivision mis à part, qu’en est-il des parties communes dans le cadre d’une copropriété horizontale à deux lots ? Si « le particularisme de la copropriété des parties communes n’a guère attiré l’attention de la doctrine »25, il ressort très clairement dans l’hypothèse d’une copropriété horizontale à deux lots.

Dans ce type de copropriété, le terrain sur lequel les deux pavillons sont construits, même s’il est constitué au cadastre de deux parcelles issues précisément du découpage cadastral est nécessairement la propriété indivise de tous les copropriétaires. Il constitue les parties communes. De ce fait, les espaces, aménagements, bâtiments et équipements communs, comme par exemple une piscine, sont la propriété indivise des copropriétaires. De la même manière, il arrive fréquemment que des maisons voisines constituant des propriétés distinctes comportent un mur commun de séparation, qui est alors propriété indivise des propriétaires voisins. L’entretien de ce mur doit alors être assuré par une association syndicale de propriétaires. La loi du 10 juillet 1965 est donc applicable à cet élément commun, quand bien même il ne s’agit pas d’immeubles en copropriété au sens traditionnel du terme.

Si la copropriété fonctionne normalement, ce qui est rarement le cas dans l’hypothèse retenue, on peut alors envisager l’application du principe des parties communes particulières. C’est le règlement de copropriété qui doit alors distinguer les parties communes générales et les parties communes particulières à chaque bâtiment. Sur ces parties communes particulières, les autres copropriétaires de l’immeuble n’ont aucun droit de propriété indivis sur cette partie26. Cette solution est la conséquence directe du texte de l’article 4 de la loi du 10 juillet 1965 selon lequel les parties communes sont l’objet d’une propriété indivise entre l’ensemble des copropriétaires ou certains d’entre eux seulement. Néanmoins, il revient aux copropriétaires d’une copropriété horizontale à deux lots de faire constater la création de tantièmes particuliers de copropriété dans l’état descriptif de division.

Si la théorie consacre un droit de propriété au copropriétaire se trouvant dans la situation d’une copropriété horizontale à deux lots, dans la pratique son droit de propriété est clairement ébranlé par l’application stricte de la loi du 10 juillet 1965.

B – La réalité du droit de propriété du copropriétaire

Il est essentiel d’entrevoir le droit du copropriétaire dans la situation particulière de la copropriété horizontale à deux lots selon deux hypothèses différentes : le droit de propriété du copropriétaire lorsque son terrain est nu (1) et le droit de propriété du copropriétaire lorsque son terrain est bâti (2).

1 – Le droit de propriété du copropriétaire sur la constructibilité de son lot

Imaginons l’heureux propriétaire d’un terrain nu mais placé en copropriété horizontale. Quelle est alors la marge de manœuvre de ce nouveau « propriétaire » pour faire édifier une construction sur son terrain nu ?

Le Conseil d’État a jugé, dans un arrêt de 1995, que dans une copropriété horizontale, l’obtention d’un permis de construire n’est pas soumise à l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires27. Pour autant, le dossier du pétitionnaire doit impérativement mentionner l’existence de la copropriété et contenir le règlement de copropriété.

Cette jurisprudence de 1995 vient dégager la portée des dispositions de l’article 25 b) de la loi du 10 juillet 1965 selon lequel les travaux affectant les parties communes ou l’aspect extérieur d’un immeuble sont soumis à autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires. Si le projet n’affecte en rien les parties communes, cet article ne doit pas trouver à s’appliquer en raison de la nature de la copropriété, notamment si les deux constructions ne forment pas un ensemble et ne sont pas contigües.

Ainsi, dans une copropriété horizontale à deux lots, les copropriétaires bénéficient d’une situation moins contraignante que celle des copropriétaires verticaux, mais qui n’est quand même pas équivalente à la pleine propriété d’une parcelle.

Par ailleurs, dans un arrêt de 2002, le Conseil d’État a jugé qu’il n’y avait aucune contre-indication au droit du permis de construire dans le fait pour deux copropriétaires horizontaux (mais pas plus de deux) d’obtenir chacun un permis de construire sur la totalité de l’unité foncière classée préalablement sous le régime de la copropriété horizontale en deux lots28.

Par contre, dans l’hypothèse où le propriétaire d’un terrain voudrait faire édifier des villas pour ensuite les soumettre au régime de la copropriété horizontales à deux lots, il est à noter que le seul placement sous la copropriété horizontale de plusieurs maisons destinées à être vendues dans l’avenir à des propriétaires différents ne permet pas de se contenter d’obtenir des permis de construire ordinaires pour les édifier : il faut obtenir un permis de construire contenant une autorisation de construire en vue de diviser, c’est-à-dire un permis valant division29. Dans le cadre de cette hypothèse, une lettre circulaire du Conseil supérieur du notariat en date du 13 février 2003, avait déjà mis en garde les notaires sur les risques résultant pour leur responsabilité professionnelle de la commercialisation de constructions réalisées sur le fondement de la « méthode Stemmer », c’est-à-dire en plaçant une unité foncière sous le régime de la copropriété horizontale, et en complétant par l’obtention d’un permis de construire unique et ordinaire, suivi de ses transferts partiels à plusieurs maîtres d’ouvrage30.

Le propriétaire d’un terrain nu placé en copropriété horizontale dispose d’une légère marge de manœuvre au regard de son droit de propriété, sans pour autant se retrouver au même rang qu’un propriétaire ayant la pleine propriété de sa parcelle.

La situation est totalement différente lorsqu’il s’agit du droit de propriété du copropriétaire sur le bâti existant.

2 – Le droit de propriété du copropriétaire sur le bâti existant

En tant que copropriétaire appartenant à une copropriété, le propriétaire d’une maison individuelle ne peut, sans respecter un formalisme assez lourd et sous peine de sanctions graves, effectuer des travaux sur les parties communes en touchant à l’aspect extérieur de sa maison, il ne peut non plus creuser le sol de son terrain pour y édifier une piscine ou aménager le sous-sol de sa maison, le droit d’affouiller étant un droit accessoire aux parties communes31, il ne peut surélever sa maison, ouvrir une fenêtre ou encore fermer une issue.

En effet, les autorisations de travaux affectant les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble, prévues à l’article 25 b) de la loi du 10 juillet 1965 ne peuvent être valablement délivrées que par une décision votée en assemblée générale des deux copropriétaires32. Ainsi, une simple autorisation ou bien une simple convention entre les deux copropriétaires sont inopérantes33. Par contre, lorsque le copropriétaire unique d’une maison en a vendu une partie pour constituer une copropriété en stipulant dans l’acte de vente qu’il était autorisé à réaliser ultérieurement des travaux déterminés, l’acquéreur ne peut dénier le principe de cette autorisation car il s’agit d’une clause de la vente.

La soumission des copropriétés horizontales à deux lots au régime légal de la copropriété favorise nécessairement les manœuvres déloyales. En effet, on peut tout à fait imaginer que l’un des copropriétaires feigne de se satisfaire de la pratique suivie – aucune assemblée générale convoquée, aucun syndic désigné – et accorde à l’autre copropriétaire, qui se croit à l’abri de tout reproche, une autorisation écrite d’effectuer des travaux. Une fois les travaux achevés, il ne lui restera plus qu’à se prévaloir de l’absence d’autorisation délivrée en assemblée générale pour exiger, par exemple, une somme d’argent à son voisin en contrepartie de sa renonciation à agir en justice.

Il découle de ces observations que « c’est souvent une erreur d’espérer qu’après avoir participé de son plein gré à la réunion, l’autre copropriétaire ne tentera pas de la contester »34. L’un des copropriétaires peut, à tout moment, contester la pratique suivie depuis des années et exiger le retour au statut légal de la copropriété. Les copropriétaires sont dans une incertitude juridique désastreuse : dès qu’il estime avoir un intérêt, l’un des copropriétaires pourra prendre l’initiative de solliciter l’annulation de n’importe quelle décision antérieure. Cela peut entraîner, par exemple, la démolition d’une construction qui avait été autorisée, certes par l’autre copropriétaire, mais dans des conditions illégales. Selon l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965, cette contestation demeurera possible pendant un délai de dix ans.

En réalité, seule l’insertion d’une clause d’autorisation de travaux dans le règlement de copropriété – lorsqu’il existe – permet d’éviter le blocage d’une copropriété à deux personnes35.

À cet égard, le Conseil d’État a jugé qu’en cas d’accord des copropriétaires requis pour le dépôt d’une demande d’autorisation de construire – en l’espèce, une déclaration préalable de travaux – le maire n’a à contrôler ni l’existence de l’accord, ni sa validité, mais doit se contenter de l’attestation déclarative du demandeur. Le maire ne peut donc pas exiger la production des autorisations auxquelles la loi subordonne le droit, pour chacun des copropriétaires, de réaliser certains travaux et, en particulier vérifier si les travaux faisant l’objet de la déclaration affectaient des parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble et nécessitaient ainsi l’assentiment de l’assemblée générale des copropriétaires36. Cette décision va dans le sens d’un rétablissement du droit de propriété des copropriétaires.

Lorsque l’un des deux copropriétaires souhaite vendre son lot – pour lui, il ne s’agit que de vendre sa maison – il arrive très fréquemment, dans le cadre d’une copropriété horizontale à deux lots, que la vente soit conclue sans que l’existence d’une copropriété ne soit évoquée. L’acte de vente définit alors l’objet de la convention en déterminant l’immeuble vendu mais sans faire état ni d’un syndicat, ni de lots de copropriété, ni des modifications opérées sans autorisation.

Les difficultés peuvent surgir en cas de contentieux ultérieur et l’acquéreur, non pas d’une maison individuelle mais de ce qui constitue en réalité un lot de copropriété, peut se plaindre de n’avoir pas été correctement informé sur la nature du bien acquis. Il peut même aller jusqu’à dénoncer une tromperie. Dans ce cas de figure, l’annulation de la vente n’est pas exclue. Ainsi, l’acquéreur, assigné par l’autre copropriétaire en rétablissement de l’état antérieur des parties communes, peut mettre en cause son cédant pour solliciter sa condamnation à la garantir et à l’indemniser de toute perte subie. Il est évident qu’« une telle action risque fort de prendre au dépourvu l’ancien propriétaire découvrant, plusieurs années après la vente, une situation qu’il avait ignorée »37.

Dès lors, se pose la question de savoir s’il existe une obligation d’information préalable de la part du notaire lors d’une vente notariée d’une maison individuelle en copropriété horizontale à deux lots. En l’état actuel, il n’y a pas d’obligation spécifique d’information de l’acquéreur sur les caractéristiques et les modalités de fonctionnement du syndicat des copropriétaires lorsque ce dernier ne comporte que deux copropriétaires. Il n’existe pas non plus la possibilité pour le notaire chargé de la vente d’établir un règlement de copropriété lorsqu’un tel document n’existe pas. Le manque d’informations sur les copropriétés à deux personnes lors d’une vente notariée a été déploré lors d’une question ministérielle dont la réponse, en date du 27 septembre 201138, n’envisageait pas de prévoir une obligation spécifique d’information de l’acquéreur sur les caractéristiques et les modalités de fonctionnement du syndicat des copropriétaires lorsque ce dernier ne comporte que deux copropriétaires. Cependant, la réponse ministérielle a rappelé l’obligation d’information générale du notaire sur laquelle peut être engagée sa responsabilité civile professionnelle.

Le droit de propriété, ce droit fondamental, trouve ici à s’appliquer d’une façon que les révolutionnaires de 1789 n’avaient certainement pas prévue. Pourtant loin d’être privé totalement de son droit de propriété, le copropriétaire d’une copropriété horizontale à deux lots s’en trouve cependant dessaisi à bien des égards.

Pour autant, s’il est évident que dans tout copropriétaire il y a un propriétaire qui veille, il est indiscutable que le copropriétaire est également, peut-être malgré lui, membre d’une organisation collective.

II – Le copropriétaire, membre d’une organisation collective

La loi du 10 juillet 1965 vise essentiellement la gestion de la copropriété et non sa création sur une assiette foncière – à la différence du lotissement. Dès lors, elle intéresse avant tout la gestion d’une organisation communautaire d’un ensemble immobilier et répond à la gestion d’une communauté de vie entre copropriétaires usant de certaines parcelles destinées à l’usage collectif.

Dès lors, le copropriétaire est également le membre d’une organisation collective quand bien même cette organisation collective ne concerne que deux personnes. Le droit de propriété des copropriétaires s’entend alors comme la propriété collective de Marx et non plus comme la propriété de la théorie libérale.

Afin de respecter le mode de fonctionnement normal de la copropriété, les deux copropriétaires doivent mettre en place toutes les structures et les documents inhérents à la copropriété : le syndicat est soumis au même régime que tous les syndicats qui administrent des immeubles réunissant plusieurs dizaines ou centaines de copropriétaires, un règlement de copropriété et un état descriptif de division doivent être mis en place.

Pour autant, il est extrêmement rare qu’une copropriété horizontale à deux lots s’organise de la sorte et vive telle une copropriété classique, selon le mode de fonctionnement prévu par la loi du 10 juillet 1965.

Au contraire, on assiste plutôt à un état général d’inorganisation de la copropriété (A) aboutissant le plus souvent à un réel blocage dans la prise des décisions liées à la vie de la copropriété (B).

A – De l’inorganisation de la copropriété…

Un trait commun à de nombreuses copropriétés à deux lots est qu’elles vivent dans un état d’inorganisation déplorable. En effet, dans la plupart des cas, les copropriétaires ignorent tout du fonctionnement élémentaire d’une copropriété : aucun syndic n’a été mis en place et aucune assemblée générale ne s’est tenue. Pourtant, le statut de la copropriété s’applique à ces copropriétés dans toute sa rigueur.

Ainsi, la copropriété horizontale à deux lots étant soumise au régime juridique de la copropriété, des documents liés à la mise en place de la copropriété doivent être pris par les copropriétaires.

Une copropriété, fusse-t-elle composée de seulement deux lots, doit alors être pourvue d’un règlement de copropriété. Si le règlement n’a pas été établi, les deux lots ne se trouvent pas moins soumis au régime de la copropriété39. Cela peut entraîner de sérieuses conséquences au niveau du fonctionnement de la copropriété puisque des points essentiels aux droits et obligations des copropriétaires qui relèvent du règlement de copropriété ne sont pas définis. La jurisprudence considère que le règlement de copropriété ne pourra être ultérieurement adopté que par le consentement des deux copropriétaires, c’est-à-dire à l’unanimité40.

L’état descriptif de division, dont fait obligatoirement l’objet tout immeuble soumis au régime de la copropriété, doit être établi dans tous les cas conformément aux prescriptions de l’article 71 du décret du 14 octobre 1955 sur la publicité foncière. Ainsi, dans l’hypothèse d’un ensemble pavillonnaire, même ne comprenant que deux lots, pour lequel a été établi un règlement de copropriété, l’identification des lots doit résulter de leur seul numérotage.

De la même manière, la copropriété va devoir se doter d’organes de fonctionnement.

Ainsi, malgré la petitesse de la copropriété, le syndicat existe de plein droit et la désignation d’un syndic est donc obligatoire. Pour ce qui est de la première assemblée générale des copropriétaires appelée à désigner le premier syndic, il y aura lieu de lancer la procédure prévue par l’article 47 du décret du 17 mars 1967.

Cependant, force est de constater que dans l’hypothèse d’une copropriété horizontale à deux lots, tenues à deux, les assemblées générales peuvent paraître bien étranges : une fois désignés un président et un scrutateur, tous les votants sont investis d’une fonction ; le syndic, qui est généralement un copropriétaire, doit donc être scrutateur ; et le conseil syndical est composé de tous les copropriétaires, comme l’assemblée générale elle-même.

Dans le cas où le syndicat des copropriétaires est dépourvu de syndic, le président du tribunal de grande instance, statuant par ordonnance sur requête, à la demande de tout intéressé, doit désigner un administrateur provisoire chargé de convoquer l’assemblée en vue de la désignation du syndic.

Le formalisme de la loi du 10 juillet 1965 concernant la gestion de la copropriété a des répercussions importantes en termes d’action en justice. En effet, en cas d’action d’un tiers à la copropriété et contre celle-ci, le syndicat, même s’il n’est composé que de deux membres, ne peut être assigné « en la personne de ses membres »41. Ce qui veut dire que le tiers qui veut agir contre le syndicat doit faire désigner un représentant légal de cette personne morale. Si les deux copropriétaires s’entendent sur ce point, une assemblée générale peut toutefois être convoquée par l’un d’eux. Il suffira alors que l’autre copropriétaire vote en la faveur de la désignation d’un syndic pour que nul n’ait qualité pour contester la décision ainsi votée par une assemblée irrégulièrement convoquée42.

Par ailleurs, si l’un des deux copropriétaires subit un préjudice du fait d’un tiers, il ne peut agir qu’à condition d’établir que ce préjudice lui est personnel. À défaut, seul le syndicat est recevable à assigner le tiers en question43.

Inversement, et même s’ils ne sont que deux, les copropriétaires n’ont « individuellement aucune qualité pour répondre des désordres provenant des parties communes ». En effet, c’est la responsabilité du syndicat qui doit être recherchée44.

La loi du 10 juillet 1965 étant mal adaptée aux copropriétés ne comportant que deux lots, la gestion en « bon père de famille » est souvent préférée au formalisme. Dès lors, les copropriétaires se retrouvent dans l’illégalité parce qu’ils n’ont jamais pris la précaution de veiller à faire fonctionner normalement le syndicat qu’ils doivent composer entre voisins alors même qu’il est clair que « la soumission d’une si petite copropriété aux lourdeurs et contraintes légales paraît irréaliste »45.

Pour autant, il est légitime de se demander si le copropriétaire qui a accepté la situation qui a pu durer pendant plusieurs années n’est pas lié par son attitude ? Est-il possible d’appliquer « la pratique constante des propriétaires » et de mettre en avant la bonne foi du copropriétaire ? Il semble que l’argument n’a pas porté en jurisprudence. Pourtant, dans l’exemple de deux villas placées en copropriété horizontale avec attribution en pleine propriété de parcelles de terrain distinctes, l’argument de la bonne foi pourrait être reçu. En effet, dans une telle hypothèse, l’article 1er, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965 semble autoriser à conclure une convention contraire créant une organisation différente de celle du syndicat et un tel accord semble pouvoir être tacite.

Un premier pas vers une solution moins lourde pour la gestion des petites copropriétés a été franchi avec la loi « Accès au logement et urbanisme rénové », dite Alur, portée par la ministre de l’Égalité des territoires et du Logement, Cécile Duflot46. La loi prévoit, entre autres, que pour les copropriétés inférieures à 10 lots et dont le budget annuel est inférieur à 15 000 € – ce qui est automatiquement le cas pour les copropriétés horizontales à deux lots – l’assemblée générale pourra décider à la majorité de l’article 25 d’adopter la forme coopérative47.

Avec la création de l’article 17-1-1 inséré dans loi du 10 juillet 1965, on peut espérer une sortie pour les copropriétés horizontales à deux lots en crise qui pourront, par le biais d’un vote à la majorité, décider d’adopter la forme coopérative pour gérer la copropriété. Ainsi, il leur est désormais permis, si les deux copropriétaires sont d’accord, de désigner un syndic bénévole, contrôlé et assisté par le conseil syndical. Ce syndic bénévole peut ne pas percevoir de rémunération, ce qui diminue sensiblement les coûts de gestion de la copropriété, surtout dans une copropriété horizontale à deux lots. Cette forme de gestion directe de la copropriété permettra, peut-être, de soulager certains copropriétaires pour qui la copropriété horizontale à deux lots est synonyme de grosses difficultés.

À l’existence du droit de propriété de chacun des copropriétaires sur leurs lots se superpose une personne morale à laquelle on a confié des pouvoirs étendus de gestion sans pour autant lui confier de droit réel sur le bien à gérer.

Cette situation, qui s’avère être cocasse dans l’hypothèse d’une copropriété horizontale à deux lots, entraîne le plus souvent un véritable blocage des décisions relatives à la copropriété.

B – … au blocage des décisions relatives à la copropriété

Le syndicat des copropriétaires, selon l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965, « a pour objet la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes » et l’assemblée générale, organe majeur du syndicat est seule à être investie du pouvoir de décision en rapport avec cet objet48. Tous les copropriétaires font donc de plein droit partie de l’assemblée générale et doivent y être régulièrement convoqués. Chacun peut prendre part aux votes et dispose d’un nombre de voix égal à sa quote-part dans les parties communes49.

Selon l’article 22, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, le syndicat des copropriétaires est régi par le principe majoritaire. Néanmoins, celui-ci perd tout son sens dans les copropriétés horizontale à deux lots dont les titulaires sont réputés disposer du même nombre de voix. Ainsi, sauf si l’un des deux copropriétaires est défaillant, toutes les décisions ne peuvent être prises qu’à l’unanimité. Dès lors, « le blocage est irrémédiable »50.

En effet, à l’évocation du fonctionnement de la prise de décision au sein d’une copropriété, on devine aisément les difficultés qui surviennent lorsqu’on se trouve dans l’hypothèse d’une copropriété horizontale à deux lots. Ainsi, ce qui est surprenant dans l’application stricte de la loi du 10 juillet 1965 aux copropriétés horizontales à deux lots, c’est que « même dans l’hypothèse où les deux copropriétaires se soumettent scrupuleusement aux exigences légales, des difficultés insurmontables peuvent surgir »51.

L’administration d’une telle copropriété s’avère, en effet, illusoire, lorsque les copropriétaires se trouvent en désaccord sur les dispositions à prendre puisque chacun d’eux possède le même nombre de voix pour adopter une décision. Ainsi, le statut de copropriété est inadapté à ce genre de situation où les deux copropriétaires en présence ne peuvent administrer leur immeuble s’ils sont en désaccord, puisqu’aucune décision ne peut être prise faute d’une majorité en assemblée.

La copropriété horizontale à deux lots entraîne nécessairement l’incompatibilité d’un élément essentiel du régime de la copropriété, c’est-à-dire le mécanisme majoritaire. Il est alors difficilement concevable d’imposer à un bien un régime juridique dont une disposition essentielle ne peut trouver application compte tenu de la consistance du bien en question. En effet, il est évident que dans une copropriété réduite à deux lots, le principe majoritaire ne peut pas fonctionner.

Une copropriété horizontale à deux lots peut alors vite devenir un enfer et aboutir inévitablement à des blocages faute de majorité lors des assemblées et la situation est alors totalement bloquée si les relations personnelles entre les deux copropriétaires se détériorent : une situation de blocage va irrémédiablement naître. Dès lors, « marchandages, pressions, heurts et contentieux deviennent la loi des copropriétés dont le législateur se désintéresse depuis près de quarante ans »52.

Le formalisme rigoureux, voire rigoriste, de loi du 10 juillet 1965 fait encourir la paralysie à l’organe décisionnaire entraînant de graves difficultés à la copropriété horizontale à deux lots à pouvoir prendre les décisions indispensables à leur bon fonctionnement.

Il est donc difficile d’admettre l’application d’un régime juridique spécifique à un bien dont la nature exclut la mise en œuvre d’une disposition essentielle de ce régime.

Cette difficulté a été évoquée par un parlementaire dans une question à un ministre qui indiquait que le fonctionnement d’une copropriété à deux personnes est parfois compliqué et à défaut d’accord parfait et unanime des deux copropriétaires sur toutes les décisions à prendre pour l’administration du syndicat et la gestion des parties communes, la gestion du bien dans les conditions prévues par le statut de la copropriété est impossible puisque chacun des deux copropriétaires en désaccord dispose d’un même nombre de voix.

La réponse du ministre à cet égard rappelle qu’en application de son article 1er, la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis s’applique automatiquement dès lors que la propriété d’un immeuble ou d’un groupe d’immeubles bâtis est répartie entre plusieurs personnes, par lots comprenant chacun une partie privative et une quote-part de parties communes et qu’en conséquence, le statut de la copropriété est applicable à un immeuble bâti divisé en deux lots ou plus, dès lors que ces lots appartiennent à deux personnes différentes. Rien n’est donc envisagé pour mettre un terme à l’inadaptation du régime de la copropriété aux copropriétés horizontales à deux lots.

Toujours est-il que l’idéal pour un propriétaire de villa étant la propriété individuelle, la tentation de reprendre son autonomie est grande. Quelle est alors la procédure à suivre ? Trois possibilités s’offrent aux copropriétaires.

La première possibilité est le retrait amiable de la copropriété. La procédure de retrait est définie et déterminée par l’article 28 a) de la loi du 10 juillet 1965. Elle passe par une demande de l’un des copropriétaires au syndic qui convoquera alors l’assemblée générale des copropriétaires. Il est donc tout à fait nécessaire qu’il y ait un syndic, nommé, le cas échéant, aux termes du dispositif prévu par l’article 47 du décret du 17 mars 1967, puis une assemblée générale des copropriétaires.

La deuxième possibilité est l’intervention du juge. En effet, un processus judiciaire peut se substituer de façon pure et simple au mécanisme consensuel de l’assemblée générale. Ainsi, l’article 29, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965 donne expressément compétence au président du tribunal de grande instance afin de contrôler et, si besoin est, de prononcer la scission d’une copropriété. Conformément à l’article 62 du décret du 17 mars 1967, la juridiction compétente est celle du lieu de situation de l’immeuble. Le président du tribunal de grande instance statue sur la division « comme en matière de référé ». Dans le cadre de cette procédure, la question qui se pose est de savoir quelle est la personne du défendeur. Le décret du 27 mai 2004 a éclairé cet aspect particulier en faisant du syndic désigné, en qualité de représentant du syndicat en difficulté, le défendeur à l’action. Saisi sur le fondement de l’article 29, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965, le président du tribunal de grande instance statue sur le bien-fondé de la scission sollicitée. La motivation de la décision devra refléter le caractère impératif et nécessaire de la division, considérée comme le seul moyen permettant le rétablissement normal du droit de propriété.

Enfin, la troisième possibilité est la nomination d’un administrateur provisoire. C’est la solution la plus envisageable pour quitter une copropriété horizontale à deux lots. En effet, il résulte de l’article 47 du décret du 17 mars 1967 que la nomination d’un administrateur provisoire suppose que le syndicat n’ait pas de syndic, ce qui est très souvent le cas dans le type de copropriété étudié. La demande de nomination d’un administrateur provisoire en application de l’article 47 est faite par requête simple présentée par un avocat au président du tribunal de grande instance du lieu de l’immeuble à la requête de tout intéressé. La durée des fonctions de l’administrateur provisoire est fixée par l’ordonnance et est susceptible d’être prorogée. Les honoraires de l’administrateur provisoire constituent des charges communes générales qui doivent être supportées par les deux copropriétaires selon leurs tantièmes de copropriété, en application de l’article 10, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 196553.

En tout état de cause, lorsque plusieurs années se sont écoulées sans que la copropriété ne fonctionne en tant que telle, on ne pourrait reprocher aux copropriétaires de vouloir simplifier leur structure de gestion en procédant au partage. Concernant le régime fiscal du partage de la copropriété, il est à souligner qu’un nouvel article 479 A a été introduit dans le Code général des impôts par l’article 85 de la loi SRU aux termes duquel sont exonérés du droit d’enregistrement ou de la taxe de publicité foncière les partages d’immeubles soumis à la loi du 10 juillet 1965 – dont les copropriétés horizontales à deux lots font partie – et la redistribution des parties communes qui leur est consécutive.

En définitive, il ressort de cette étude que dans l’hypothèse d’une copropriété horizontale à deux lots, l’adage « cessante ratione legis, cessat ejus dispositio » devrait trouver à s’appliquer. En effet, selon cet adage, la loi ne doit pas être appliquée à des situations qui, tout en paraissant être prévues par la lettre du texte, se trouvent excluent de son esprit.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Meyssan P.-J., « La copropriété à la croisée des chemins », LPA 6 sept. 2007, p. 8.
  • 2.
    Meyssan P-J., préc. cit., p. 8.
  • 3.
    V. à cet égard, C. urb., art. L. 332-12 d) et R.315-32 et s.
  • 4.
    Stemmer B., « Plaidoyer pour la copropriété horizontale », JCP N, 1982.
  • 5.
    Bouyssou F., « La copropriété horizontale sans division en jouissance : mythe, réalité ou fraude ? », RDI 1996, p. 329.
  • 6.
    CE, 2 févr. 1977, ministère de l’Équipement c/ Crespin ; Cass. 3e civ., 3 févr. 1981. V. égal. Chaput J.-C., « L’appréhension d’une troisième dimension », LPA 6 sept. 2007, p. 21.
  • 7.
    Division de l’immeuble. Le sol, l’espace, le bâti, 103e Congrès des notaires de France de Lyon des 23-23 septembre 2007, 2007, LexiNexis, p. 396.
  • 8.
    Koenig A., « Lotissement ou copropriété horizontale, un beau débat téléologique », RDI 1996, p. 321.
  • 9.
    On peut estimer à plus de 5 000 les logements construits suivant cette méthode dans les Alpes Maritimes.
  • 10.
    Cass. 3e civ., 7 mai et 12 juin 2003 : Juris-Data n° 2003-018917 et 017583 – CA Versailles, 2 juin 1980 ; CA Dijon, 17 mars 1998 : Juris-Data n° 1998-056313 – CA Nîmes, 26 oct. 2004 : Juris-Data n° 2004-255889. Plus récemment, v. Cass. 3e civ., 11 janv. 2012, n° 10-24413.
  • 11.
    Rép. min. n° 87.279 : JOANQ, 15 nov. 2011, p. 12.028.
  • 12.
    CAA Marseille, 4 juill. 2013, n° 10MA03527.
  • 13.
    C’est ce qu’il ressort de l’analyse des travaux préparatoires de la loi du 10 juillet 1965 selon lesquels « l’ensemble immobilier résulte du fait que, même s’il existe une organisation commune, certains copropriétaires ou groupes de copropriétaires ont des droits réels exclusifs sur certaines parcelles de terrain ».
  • 14.
    Proudhon E., Qu’est-ce que la propriété ? ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement, 1840, A. Lacroix, Verboeckhoven & Cie éditeurs.
  • 15.
    V. à cet égard Perignon S., Le nouvel ordre urbanistique. Urbanisme, propriété, libertés, 2004, Defrénois, spéc. p. 13.
  • 16.
    V. à cet égard Perignon S., préc. cit., p. 94 et s.
  • 17.
    Bouyeure J.-J., « La copropriété constitue-t-elle une limite au droit de propriété ? », Administrer, déc. 1989, p. 29.
  • 18.
    V. par ex. la décision du 16 janvier 1982 : JO, 17 janv. 1982, p. 299.
  • 19.
    L’article 544 dispose que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».
  • 20.
    Cass. 3e civ., 6 juin 2007, n° 06-13477.
  • 21.
    Le texte dispose que « sont privatives les parties des bâtiments et des terrains réservés à l’usage exclusif d’un copropriétaire déterminé ».
  • 22.
    V. infra.
  • 23.
    L’article cite le sol, les cours, les parcs et jardins, les voies d’accès, le gros-œuvre des bâtiments et les éléments d’équipement communs, les coffres, gaines et têtes de cheminées, les locaux des services communs et les passages et corridors.
  • 24.
    Bayard-Jammes F., La nature juridique du droit du copropriétaire immobilier. Analyse critique, 2003, LGDJ, p. 87.
  • 25.
    Bayard-Jammes F., préc., p. 77.
  • 26.
    TGI Paris, 8e ch., 1re sect., 12 mars 1984.
  • 27.
    CE, 27 mars 1995, n° 92651, SCI Harmonie 85 : BJDU 1995, n° 2, p. 150-153, comm. Loloum F. Les faits de l’espèce concernent une copropriété horizontale composée de deux lots.
  • 28.
    CE, 30 déc. 2002, n° 218019, Commune de Rians : Constr.-Urb. 2003, n° 3, p. 82, comm. Cornille P.
  • 29.
    V. à cet égard, Cornille P., « Permis de construire et copropriété horizontale : exigence d’un permis de construire valant division », commentaire de l’arrêt de CA Lyon, 17 août 2010, n° 08LY0240, SARL La côte d’Orienne : Juris-Data n° 2010-015771 ; Constr.-Urb. 2010, n° 10.
  • 30.
    Sur la problématique du notariat face à la méthode Stemmer, v. Cornille P., « Copropriété horizontale et permis de construire : un thème faustien ? », Constr.-Urb. 2003, n° 5.
  • 31.
    L. 10 juill. 1965, art. 3.
  • 32.
    Cass. 3e civ., 19 juin 1996, n° 94-19328.
  • 33.
    Cass. 3e civ., 13 nov. 1974, n° 73-13499 ; Cass. 3e civ., 27 févr. 2002, n° 00-13907 ; Cass. 3e civ., 9 févr. 1982, n° 80-11710 ; Cass. 3e civ., 22 mai 1973, n° 72-10427 ; Cass. 3e civ., 28 mars 2007, n° 06-11947.
  • 34.
    Atias C., « Les trois pièges de la copropriété réduite à deux lots », IRC 2002, n° 477.
  • 35.
    Cass. 3e civ., 12 févr. 2003, n° 01-12360.
  • 36.
    CE, 15 févr. 2012, n° 333631 : Juris-Data n° 2012-002033.
  • 37.
    Atias C., préc. cit.
  • 38.
    Question n° 101153 de Mme Chantal Robin-Rodrigo. Rép. min. : JO AN, 27 sept.2011, p. 10391.
  • 39.
    Cass. 3e civ., 11 mars 1987, n° 88-14990.
  • 40.
    Cass. 3e civ., 12 févr. 2003, n° 01-12360.
  • 41.
    Cass. 3e civ., 6 mai 2009, n° 08-14348.
  • 42.
    V. en ce sens l’article 42, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965.
  • 43.
    Cass. 3e civ., 6 sept. 2011, n° 10-25092.
  • 44.
    Cass. 3e civ., 15 déc. 2010, n° 09-17162.
  • 45.
    Atias C., préc. cit.
  • 46.
    L. n° 2014-366, 24 mars 2014.
  • 47.
    Article 56 de la loi Alur qui dispose : « Après l’article 17-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 précitée, il est inséré un article 17-1-1 ainsi rédigé :
  • 48.
    “Art. 17-1-1. – Lorsque le syndicat de copropriétaires comporte moins de dix lots à usage de logements, de bureaux ou de commerces et que son budget prévisionnel moyen sur une période de trois exercices consécutifs est inférieur à 15 000 €, le syndicat peut bénéficier des dérogations suivantes aux articles 17-1 et 26 :
  • 49.
    A. – La modification du règlement de copropriété en vue de prévoir la possibilité d’adopter la forme coopérative est approuvée à la majorité de l’article 25 et, le cas échéant, à la majorité de l’article 25-1” ».
  • 50.
    Article 17, alinéa 1, de la loi du 10 juillet 1965.
  • 51.
    Article 22 de la loi du 10 juillet 1965.
  • 52.
    Cass. 3e civ., 12 févr. 2003, n° 01-12360.
  • 53.
    Atias C., préc. cit.
  • 54.
    Atias C., préc. cit.
  • 55.
    Cette solution a été envisagée par une décision du TGI de Nanterre du 5 octobre 2004. En l’espèce, un conflit opposait depuis vingt ans les propriétaires de deux pavillons édifiés sur un sol indivis, à tel point que le rétablissement d’un fonctionnement normal de la copropriété paraissait, selon l’avis de l’administrateur provisoire, inenvisageable. La solution prônée par l’administrateur provisoire suggérait la suppression de la copropriété par la division du terrain commun de sorte que l’on a pu aboutir, une fois donné l’aval judiciaire, à deux propriétés distinctes consécutives à la disparition du syndicat.
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