Force contraignante de l’état descriptif de division précis et détaillé intégré dans le règlement de copropriété

Publié le 08/01/2018

C’est à bon droit que les juges du fond ayant retenu que l’état descriptif de division, auquel le règlement de copropriété avait conféré une valeur contractuelle et qui affectait les lots situés au-dessus du premier étage à une destination exclusive d’habitation, n’était pas en contradiction avec les stipulations du règlement.

Cass. 3e civ., 6 juill. 2017, no 16-16849, FS-PBI

1. Même s’il est vrai que le statut de la copropriété des immeubles bâtis fait périodiquement l’objet d’ajustements du cadre législatif1, le droit de la copropriété conserve parfois sa part de mystère. Au cas particulier2, la société Le Passage 2000, copropriétaire d’un lot composé d’un appartement situé au deuxième étage d’un immeuble en copropriété, a assigné au fond le syndicat des copropriétaires de la résidence Jean Monnet représenté par son syndic en exercice en annulation de la décision d’assemblée générale lui ayant refusé l’autorisation d’apposer des plaques professionnelles. Le syndicat des copropriétaires a invoqué reconventionnellement qu’il soit constaté qu’en vertu du règlement de copropriété, les locaux situés au deuxième étage, ainsi qu’aux étages supérieurs, ne pouvaient être occupés à titre professionnel. Les juges de la cour d’appel de Metz accueillirent la demande du syndicat des copropriétaires par des motifs renvoyant finalement à « l’approche unitaire » du règlement de copropriété-état descriptif de division. La haute juridiction rejette le pourvoi en estimant que : « L’état descriptif de division, auquel le règlement de copropriété avait conféré une valeur contractuelle et qui affectait les lots situés au-dessus du premier étage à une destination exclusive d’habitation, n’était pas en contradiction avec les stipulations du règlement ». Cette approche résulte de l’appréciation souveraine des juges du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation, qui correspond à une démarche purement empirique3 qui fait appel, selon les cas, à une approche dualiste (I) ou unitaire (II) des actes constitutifs garants des composantes du lot de copropriété4.

I – « Approche dualiste » des actes constitutifs des lots de copropriété : le règlement de copropriété et l’état descriptif de division

2. Dans une approche, pourrait-on dire, dualiste, faisant appel à une qualification juridique stricte, la haute juridiction a dénié tout caractère contractuel à l’état descriptif de division (B), reconnu exclusivement au règlement de copropriété (A).

A – La nature juridique du règlement de copropriété : un contrat d’adhésion

3. La nature juridique du règlement de copropriété peut être qualifiée de contrat d’adhésion5. Il y a lieu de rappeler à ce propos qu’en vertu de l’article 8, alinéa premier, de la loi du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, « un règlement conventionnel de copropriété, incluant ou non l’état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance ; il fixe également, sous réserve des dispositions de la présente loi, les règles relatives à l’administration des parties communes. Le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation. (..) »6. La doctrine majoritaire considère que le règlement de copropriété est une convention privée à vocation collective, et d’ordre partiellement réel7.

4. C’est ainsi qu’en l’espèce, la Cour de cassation précise « qu’en application de l’article 1134 du Code civil8, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites », qui plus est, l’arrêt rapporté précise « qu’aux termes de l’article 8 de l’acte notarié du 16 avril 2003, situé dans la deuxième partie, intitulée “règlement de copropriété” “l’état descriptif de division ci-inclus, dont chaque copropriétaire a eu connaissance et accepté les termes, a même valeur contractuelle que le règlement de copropriété lui-même. Il détermine l’affectation particulière de chaque lot dépendant du groupe de bâtiments que son propriétaire s’oblige à respecter ». En d’autres termes, la détermination de la situation des copropriétaires n’était pas discutée, car le règlement de copropriété existait donc bel et bien. Quid en l’absence de règlement de copropriété ? À cet égard il a été jugé par la haute juridiction que : « (…) L’absence de rédaction et de publication d’un règlement de copropriété ne faisait pas obstacle à la vente de lots de copropriété dès lors qu’ils étaient individualisés et qu’il n’en résultait aucune confusion avec les lots de l’autre copropriétaire »9. Il est certain que si la déclaration de l’absence de règlement de copropriété lors de la vente n’entraîne pas la nullité de l’acte authentique constatant la cession du lot de copropriété10, en revanche, l’absence non signalée de règlement de copropriété constitue une erreur sur la substance11.

5. La doctrine dans son ensemble et en particulier Pierre Capoulade, François Givord et Claude Giverdon estime que : « (..) Le règlement de copropriété est un contrat d’adhésion, une “charte octroyée”, de telle sorte que le copropriétaire n’est pas à même d’en discuter les clauses (…) »12. On sait, en effet, que cette catégorie de contrat d’adhésion que l’on oppose au contrat stipulé de gré à gré a été intégrée dans le Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016 aux termes du nouvel article 1110 qui dispose que : « Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties. Le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties »13.

B – La fonction de l’état descriptif de division

6. L’article 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière modifié par l’ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 dispose que : « (….) Lorsque, sans réaliser ou constater une division de la propriété du sol entraînant changement de limite, il ne concerne qu’une ou plusieurs fractions d’un immeuble, l’acte ou la décision judiciaire doit comporter à la fois la désignation desdites fractions et celle de l’ensemble de l’immeuble. La désignation de la fraction est faite conformément à un état descriptif de division, ou, éventuellement, à un état modificatif, établi dans les conditions fixées par décret, et préalablement publié ; elle doit mentionner le numéro du lot dans lequel la fraction est comprise, et, sous réserve des exceptions prévues audit décret, la quote-part dans la propriété du sol afférente à ce lot. Les dispositions du présent alinéa ne sont pas applicables lorsque l’acte ou la décision concerne soit une servitude, soit un droit d’usage ou d’habitation, soit un bail de plus de 12 années. Elles sont également sans application lorsque l’acte ou la décision entraîne la suppression de la division de l’immeuble (…) ». Il y a tout lieu de penser que c’est une condition fondamentale de la publicité foncière14 consistant à individualiser l’immeuble soumis au statut de la copropriété qui est réglementé par l’article 71 du décret du 14 octobre 195515.

7. La controverse sur la nature juridique de l’état descriptif de division avait fait rage à partir des années 1970, où la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait jugé le 15 mai 1973 que : « L’état descriptif de division, qu’il soit ou non inclus dans le règlement de copropriété, ainsi que les actes qui le modifient, constituent, comme ledit règlement, des documents contractuels »16. Par un arrêt du 8 juillet 1992, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en affirmant : « (…) que l’état descriptif de division dressé seulement pour les besoins de la publicité foncière n’ayant pas de caractère contractuel, la cour d’appel a, sans dénaturation, légalement justifié sa décision, en retenant que la SCI, en usant de la faculté que lui conférait le règlement de copropriété, de subdiviser le lot 4, ne pouvait, par l’établissement de cet état descriptif, priver l’ensemble des copropriétaires du bâtiment 4 du droit de jouissance privative et particulière sur une fraction du sol commun, délimité au plan annexé au règlement et que leur reconnaissait une stipulation de cet acte »17. Ce revirement de jurisprudence a été, par la suite, confirmé par de nombreuses décisions rendues par la Cour de cassation18. En l’espèce, cet état descriptif de division avait-il une force contraignante ?

II – « Approche unitaire » des actes constitutifs des lots de copropriété : état descriptif de division intégré dans le règlement de copropriété

8. Force est cependant d’observer que cette dualité ne saurait exclure l’approche unitaire dans bien des situations telles que celle de l’arrêt rapporté consistant à insérer l’état descriptif de division dans le règlement de copropriété (A) nécessitant l’appréciation de clauses conformes à la destination de l’immeuble (B).

A – Règlement de copropriété avec état descriptif de division

9. Au cas d’espèce, il s’agissait de savoir si les locaux situés au deuxième étage de l’immeuble soumis au statut de la copropriété, ainsi qu’aux étages supérieurs, pouvaient être occupés à titre professionnel. L’arrêt annoté souligne que : « L’état descriptif de division peut revêtir un caractère contractuel quand les dispositions qu’il comporte relatives à l’affectation des lots sont reprises dans le règlement de copropriété et que celui-ci stipule en outre que les copropriétaires entendent attribuer à cet état descriptif de division un caractère conventionnel ». Il y a, sur ce point, une jurisprudence constante qui analyse la destination des locaux litigieux à partir du règlement de copropriété avec état descriptif de division en considérant que : « l’ensemble immobilier La Verboise est “destiné à usage d’habitation” ; que selon l’état descriptif de division – règlement de copropriété, le sous-sol du bâtiment A comprend “vingt-six caves, quatre locaux, un appartement, un local vide-ordures, un local à bicyclettes et voitures d’enfants”; que si le terme “local”, utilisé pour définir la partie privative des lots nos 27, 28, 29 et 30, y est employé distinctement du terme “appartement”, il l’est aussi des termes “cave”, “box enterré à usage de garage”, et “emplacement enterré à usage de parking” qu’on y trouve par ailleurs ; qu’au surplus, les lots litigieux sont affectés d’une quotepart de parties communes générales bien supérieure à celle des caves (2/10 000e), des parkings enterrés (5/10 000e) et des boxes (13/10 000e), et bien plus proche de celle qui aurait pu être attribuée à un studio ou à un T1 ; qu’un “local” étant une partie d’un bâtiment considérée selon sa disposition et sa destination, en l’absence de toute restriction concernant cette dernière, il peut être affecté à toutes sortes d’usages, y compris d’habitation »19.

10. De plus, dans l’arrêt rapporté, la Cour constate explique qu’: « (..) il résulte de l’énumération faite dans l’état descriptif de division que tous les lots se trouvant au deuxième étage et au-delà sont qualifiés d’appartements et que la désignation de locaux commerciaux et professionnels ne concerne que des lots situés au rez-de-chaussée et premier étage ; que la désignation d’appartement correspond, par opposition à celle de locaux commerciaux ou professionnels, à une destination d’habitation ». Il n’est pas douteux que les dispositions de l’état descriptif de division étaient plus précises que le règlement de copropriété en ce qu’elles portaient sur chaque lot20.

B – L’appréciation des clauses du règlement de copropriété au regard de l’état descriptif

11. Le règlement de copropriété et l’état descriptif de division sont, dans une large mesure, interdépendants. L’on peut constater pourtant qu’un travail d’appréciation de la notion d’affectation des lots à l’égard de la destination de l’immeuble21 s’avère nécessaire. Le problème n’est pas clos pour autant, car le contentieux ne cesse de prendre de l’ampleur devant les juridictions judiciaires. C’est ainsi que la Cour de cassation ne cesse de considérer : « qu’ayant relevé que l’article 3 du règlement de copropriété définissait une partie privative comme le local ou l’espace qui non seulement était affecté à l’usage exclusif du propriétaire d’un lot mais était aussi compris dans la composition du lot et constaté que, selon l’état descriptif de division, le terrain litigieux n’était pas en lui-même compris dans la composition du lot appartenant à la SCI, ce lot ne comprenant qu’un droit de jouissance privative sur ce terrain, la cour d’appel, qui a retenu, au terme d’une appréciation souveraine des clauses du règlement de copropriété exclusive de dénaturation, que l’une des conditions de la définition des parties privatives donnée par ce règlement faisait défaut au terrain litigieux et a qualifié celui-ci de partie commune, a légalement justifié sa décision de ce chef »22.

12. De toute évidence, l’articulation du règlement de copropriété avec l’état descriptif de division, qui a longtemps constitué et qui demeure une source de contentieux, nécessite le recours à une interprétation précise des actes constitutifs des lots de copropriété.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Rouquet Y. et Thioye M., Code de la copropriété, 20 éd., 2017, Dalloz.
  • 2.
    Berlaud C., « Destination exclusive d’habitation des lots : règlement de copropriété et état descriptif de division », Gaz. Pal. 25 juill. 2017, n° 299y5, p. 29 ; « Combinaison du règlement de copropriété et de l’état descriptif de division et destination des lots », Defrénois flash 31 juill. 2017, n° 141f2, p. 1 ; Gailliard A., « Valeur contractuelle de l’état descriptif de division inséré dans un règlement de copropriété », D. 2017, Actu., p. 5101 ; Paquet Y., Le lot de copropriété, entre complexité et illusion : analyse de la nature juridique du lot de copropriété, thèse, 2016, université Grenoble Alpes.
  • 3.
    Atias C., « Copropriété des immeubles bâtis », n° 214, Répertoire de droit civil éd Dalloz.
  • 4.
    Paquet Y., op cit.
  • 5.
    Atias C., note ss CA Paris, 15 juin 2000 : Defrénois 15 avr. 2001, n° 37341, p. 453.
  • 6.
    Plaidy M., « Valeur de l’état descriptif de division publié postérieurement au règlement de copropriété », Rev. Loyers 2011/921, 1er nov. 2011, p. 426, éd Lamy.
  • 7.
    Atias C., Le Dicopropriété, 2007, Édilaix, 2007, p. 467, qui cite : Givord F., Giverdon C. et Capoulade P., La copropriété, 5e éd., 2005, Dalloz, p. 223 et s., n° 543.
  • 8.
    Nouvelle numérotation à l’article 1103 du Code civil qui dispose à nouveau que : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». est issue de l’ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, art. 2.
  • 9.
    Cass. 3e civ., 17 nov. 2010, n° 10-11287, FS-PB : Rouquet Y., « Validité de la vente d’un lot en l’absence de règlement de copropriété », D. 2010, Actu.
  • 10.
    Ibid.
  • 11.
    Atias C., « L’absence non signalée de règlement de copropriété constitue une erreur sur la substance », D. 2000, p. 219.
  • 12.
    Capoulade P., Givord F. et Giverdon C., La copropriété, 2012, Dalloz, p. 515, n° 953.
  • 13.
    Porchy-Simon S., Droit civil 2e année, les obligations, 2017, Dalloz, HyperCours, p. 28, n° 57.
  • 14.
    Maublanc J.-P., « La réforme de la publicité foncière et les modifications apportées aux décrets du 4 janvier et du 10 octobre 1955 », AJDI 2013, p. 266
  • 15.
    BOI n° 140, 2 août 1979 [BOI 10E-1-79].
  • 16.
    Atias C., « Copropriété des immeubles bâtis », n° 211, op. cit.
  • 17.
    Ibid.
  • 18.
    V. par ex : Cass. 3e civ., 8 avr. 2014, n° 13-11633 : Vaillant T. et Muzard A., « Ces travaux qui entraînent le changement de destination du lot de copropriété », Defrénois 1er juin 2016, n° 123h7, p. 35.
  • 19.
    Cass. 3e civ., 4 juill. 2012, n° 11-16051 : « Le changement d’usage des lots peut porter atteinte à la destination de l’immeuble », Defrénois flash 30 juill. 2012, n° 114h4.
  • 20.
    « Combinaison du règlement de copropriété et de l’état descriptif de division et destination des lots », Defrénois flash 30 juill. 2012, n° 141f2, p. 1.
  • 21.
    Ibid.
  • 22.
    Cass. 3e civ., 13 nov. 2003, n° 02-12311 : Gaz. Pal. 15 janv. 2004, p. 13.
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