Incendie : la présomption de responsabilité du preneur ne s’applique pas au préjudice subi par les tiers
Un incendie d’origine indéterminée se déclare dans un logement loué. Le bailleur prend à sa charge les frais de relogement des occupants de l’immeuble voisin et croit pouvoir en demander le remboursement à l’assureur de son locataire. Il n’en est rien. La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir retenu que le dommage constitué par les frais de relogement des locataires de l’immeuble voisin concernait des tiers au bail pour lesquels la présomption de l’article 1733 du Code civil n’est pas applicable, et que, en l’absence, conformément à l’article 1384, alinéa 2, du Code civil, de l’existence d’une faute imputable au locataire, la demande devait être rejetée.
Cass. 3e civ., 28 janv. 2016, no 14-28812
En matière d’incendie déclaré dans un logement loué, le locataire preneur unique répond de deux régimes de responsabilité fondés, d’une part, sur la responsabilité présumée de l’article 1733 du Code civil à l’égard du bailleur et, d’autre part, sur la responsabilité délictuelle de l’article 1384, alinéa 2 du Code civil à l’égard des tiers. Le premier n’a pas vocation à indemniser le préjudice de tiers et le second suppose la démonstration d’une faute du locataire, comme nous le rappelle la Cour de cassation dans son arrêt en date du 28 janvier 2016 qui aura les honneurs d’une publication au Bulletin.
En l’espèce, les faits sont relativement simples. Un incendie d’origine indéterminée a pris naissance dans un appartement donné à bail et a entièrement détruit l’immeuble voisin. Le bailleur prend en charge les frais de relogement des occupants de l’immeuble voisin. Il assigne alors l’assureur du preneur, en indemnisation de divers préjudices et notamment de ses frais de relogement.
Le bailleur est débouté de sa demande par la cour d’appel de Paris au motif que ce dommage concerne des tiers au contrat de location, pour lesquels les dispositions de l’article 1733 du Code civil présumant le locataire responsable, ne sont pas applicables et qu’il n’est pas démontré, en application de l’article 1384-2 du Code civil, l’existence d’une faute imputable au locataire.
Le bailleur forme alors un pourvoi en cassation, dans lequel il soutient que le locataire répond à l’égard de son bailleur des conséquences de l’incendie et que cette réparation qui doit être intégrale comprend les frais exposés pour le relogement des occupants de l’immeuble voisin du fait de l’incendie.
La question qui se pose ainsi à la Cour de cassation est donc de savoir si du fait de l’incendie le bailleur est fondé à demander au preneur et à son assureur le remboursement des frais de relogement des occupants de l’immeuble voisin et autrement dit de savoir si le bailleur peut demander au preneur et à son assureur le remboursement de l’indemnisation du préjudice subi par un tiers au contrat de bail.
En rejetant le pourvoi, et validant ainsi la position de la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation répond par la négative. Elle estime, en effet, que, ayant retenu que le dommage constitué par les frais de relogement des locataires de l’immeuble voisin, dont le bailleur du locataire de l’immeuble où l’incendie a pris naissance n’était pas leur bailleur, concernait des tiers au contrat de location pour lesquels les dispositions de l’article 1733 du Code civil présumant le locataire responsable n’étaient pas applicables, la cour d’appel, qui a estimé souverainement qu’il n’était pas démontré, conformément à l’article 1384, alinéa 2, du Code civil, l’existence d’une faute imputable au locataire, en a exactement déduit, sans violer le principe de réparation intégrale du préjudice dès lors que le bailleur sollicitait l’indemnisation du préjudice subi par un tiers, que la demande devait être rejetée.
Ainsi, pour la Cour de cassation, la présomption de responsabilité de l’article 1733 du Code civil est destinée à ne profiter qu’au seul bailleur, de sorte que la responsabilité du locataire pour le remboursement de l’indemnisation des préjudices subis par les tiers ne peut être recherchée que sur le droit commun de la responsabilité délictuelle nécessitant la démonstration d’une faute.
On le sait, en cas d’incendie uniquement1, le Code civil édicte des présomptions légales, de faute du preneur2 ou des preneurs3 à l’égard du bailleur, qui ne sont pas applicables à certains départements d’Alsace-Lorraine4, dès lors que l’incendie s’est déclaré dans la chose louée5 ou l’un de ses accessoires6.
S’agissant d’une responsabilité sans faute, même si le preneur prouve qu’il n’a pas commis de faute, la présomption de responsabilité joue7. Ainsi, le fait que le feu ait été volontairement allumé ou non ne modifie pas sa responsabilité et ne l’exonère pas en tant que tel de sa garantie8.
Mais, s’il ne fait pas de doute que, en l’absence de faute du bailleur à l’origine de l’incendie, l’indemnisation due au bailleur ne peut pas être réduite9, comme le bailleur le sollicite en l’espèce, pour que la présomption joue, il est impératif qu’un contrat de bail10, mobilier11 ou immobilier12, écrit ou verbal, existe13. La présomption de responsabilité s’applique alors aux rapports locatifs bailleur/preneur14. Il a été jugé que la présomption s’applique aux préposés du locataire et aux personnes de sa maison15, à la personne introduite par le preneur dans les lieux même temporairement16, au concubin17, ou encore au preneur resté dans les lieux après l’expiration du bail contre la volonté du propriétaire18. En revanche, la présomption a été exclue entre le bailleur et le nouveau locataire entré dans les lieux avant la prise d’effet du bail19, entre le nu-propriétaire de l’immeuble donné à bail par un usufruitier et le preneur20, entre le preneur et le propriétaire d’un local voisin21 ou encore entre le bailleur et le sous-locataire22 et où dans ce cas c’est le preneur qui a sous-loué qui dispose de la même action en responsabilité contre le sous-locataire23.
À défaut de rapport locatif, la responsabilité de l’occupant ne peut donc être recherchée que sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle pour faute, puisque cette présomption de responsabilité est limitée au profit du seul bailleur et ne bénéficie pas au tiers. Ainsi, par exemple, la présomption ne joue pas au profit du syndic, tiers au bail24. La présomption ne sert pas de fondement à la condamnation in solidium du preneur et du propriétaire à indemniser un tiers25. D’une manière générale, lorsqu’un incendie survient dans des locaux donnés à bail, le preneur est soumis, dans ses rapports avec le bailleur, à la présomption de responsabilité édictée par l’article 1733 du Code civil, mais il n’est responsable vis-à-vis des tiers avec lesquels il n’a pas de rapports locatifs que dans les conditions prévues à l’article 1384, alinéa 2, du Code civil26 qui prévoit que « celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable »27. Il revient, en effet, à celui qui se prévaut de ces dispositions de rapporter la preuve que se trouvent réunies les conditions de son application28.
Le bailleur, ne pouvant ainsi ni prétendre bénéficier de la présomption de l’article 1733 du Code civil, ni bénéficier de la responsabilité pour faute en l’absence de la démonstration d’une faute du preneur, pour obtenir le remboursement de l’indemnisation de tiers au contrat de bail, ne pouvait espérer prospérer.
La position prise par la Cour de cassation, écartant la présomption de responsabilité du locataire, doit être approuvée. La solution contraire aurait permis à tout tiers de pouvoir réclamer le remboursement de leurs divers frais au bailleur qui, assuré d’être indemnisé ensuite par le preneur et son assureur, n’aurait pas d’inquiétude à ne pas s’y opposer farouchement. De sorte que la présomption de responsabilité bénéficierait alors aux tiers qui auraient la garantie d’être indemnisés sans même avoir à faire la démonstration d’une faute.
Notes de bas de pages
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1.
Si la présomption joue même si l’incendie fait suite à une explosion (Cass. 3e civ., 7 nov. 1978, n° 77-11663 : Bull. civ. III, n° 331 – Cass. 3e civ., 30 mai 1990, n° 89-10356 : Bull. civ. III, n° 129 – Cass. 3e civ., 10 mars 2010, n° 09-10736 : RJDA 5/10, n° 478), en revanche, dans le cas de la seule explosion, la présomption ne s’applique pas (Cass. 3e civ., 10 mars 1999, n° 97-12133 : RJDA 5/99, n° 53) ; il y a lieu d’appliquer les dispositions relatives à la perte ou la dégradation de l’immeuble (Cass. 3e civ., 6 déc. 1972 : Bull. civ. III, n° 662 – Cass. 3e civ., 18 mars 1974 : JCP 1974, IV, 165).
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2.
C. civ., art. 1733.
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3.
C. civ., art. 1734.
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4.
L. 1er juin 1924 ; Cass. 3e civ., 24 janv. 1996, n° 93-18179. Dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, la responsabilité du locataire n’est engagée qu’en cas de faute prouvée.
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5.
Les parties communes de l’immeuble ne tombent pas sous la présomption de responsabilité dans la mesure où elles ne font pas partie du bail et sont affectées à l’usage collectif : Cass. civ, 15 juill. 1954 : D. 1954, p. 658 ; RTD civ. 1955, p. 130, obs. Carbonnier.
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6.
Ainsi, lorsque l’incendie s’est déclaré dans une dépendance, la présomption joue, même s’il s’agit d’une caravane accolée au bâtiment loué dès lors qu’elle sert de logement au personnel : Cass. 1re civ., 10 juill. 2001, n° 98-16687 : Bull. civ. I, n° 207 ; Resp. civ. et assur., n° 329.
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7.
Cass. 3e civ., 9 nov. 2010, n° 09-69910 : RJDA 3/11, n° 213.
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8.
Cass. 3e civ., 19 mai 1971, n° 70-10295 : Bull. civ. III, n° 324, p. 231.
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9.
Cass. 3e civ., 13 juin 2007, n° 06-10033 : Bull. civ. III, n° 104.
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10.
La présomption ne s’applique ainsi pas au contrat sui generis (Cass. 3e civ., 16 déc. 1970, n° 69-12936 : Bull. civ. III, n° 703), ni au contrat concédant la jouissance des lieux qui a été rétroactivement anéanti (Cass. 3e civ., 24 nov. 1976, n° 75-13076 : Bull. civ. III, n° 423).
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11.
Cass. 1re civ., 6 mai 1968 : JCP 1970, II, 16157, note Chevassus.
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12.
Cass. 1re civ., 10 juill. 2001, n° 98-16687 : Bull. civ. I, n° 207.
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13.
Il a été jugé que la convention d’occupation précaire n’est pas un bail : Cass. 3e civ., 17 juill. 1996, n° 94-16590 : Bull. civ. III, n° 184 ; Loyers et copr. 1996, comm. n° 471.
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14.
Cass. 3e civ., 31 oct. 2006, n° 03-10730 – Cass. 3e civ., 22 juin 1983, n° 82-12236 : Bull. civ. III, n° 144 – Cass. 3e civ., 31 oct. 2006 : RJDA 1/07, n° 20.
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15.
Cass. 3e civ., 14 juin 1978, n° 75-15768 : Bull. civ. III, n° 244 ; JCP N 1979, prat., 7085.
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16.
Cass. 3e civ., 11 juill. 1990, n° 89-11100 : Bull. civ. III, n° 170.
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17.
CA Douai, 18 juin 1992 : Rev. loyers 1993, p. 354.
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18.
Cass. com., 27 mars 1990, n° 88-20472 : Bull. civ. IV, n° 89.
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19.
Cass. 3e civ., 29 nov. 2000 : RJDA 2/01, n° 130.
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20.
Cass. 3e civ., 23 nov. 1993.
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21.
Cass. 3e civ., 19 sept. 2012, n° 11-10827 : RJDA 12/12, n° 1045.
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22.
Cass. 3e civ., 8 déc. 1993, n° 90-13904 : Bull. civ. III, n° 159 ; Loyers et copr. 1994, comm. n° 101 – Cass. 3e civ., juill. 1996, n° 94-16590 : Bull. civ. III, n° 184 ; RD imm. 1996, 619, obs. Collart-Dutilleul et Derruppé.
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23.
Cass. civ., 13 avr. 1934 : Gaz. Pal. 1934, 1, p. 1001 – Cass. 3e civ., 13 juin 1969 : Bull. civ. III, n° 363 – Cass. 3e civ., 8 déc. 1993 : RJDA 3/94, n° 266 ; CA Douai, 7 oct. 1999, n° 96-4469 – Cass. 3e civ., 4 janv. 2007, n° 06-13028 : Bull. civ. III, n° 6 ; Loyers et copr. 2007, comm. n° 70, obs. Vial-Pedroletti ; RJDA 4/07, n° 334i – Cass. 3e civ., 23 mai 2012, n° 17-17183 : RJDA 10/12, n° 830.
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24.
Cass. 3e civ., 22 juin 1983, n° 82-12236 : Bull. civ. III, n° 144.
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25.
Cass. 3e civ., 6 mars 1996, n° 92-18763 : Resp. civ. et ass. 1996, com. n° 262.
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26.
Qui deviendra, le 1er octobre 2016, l’article 1242, alinéa 2, du Code civil, en vertu de l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ; JO du 11 février 2016, n° 0035, texte n° 26 ; rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ; JO du 11 février 2016, n° 0035, texte n° 25.
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27.
Cass. 3e civ., 19 sept. 2012, n° 11-10827 et n° 11-12963.
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28.
Cass. 2e civ., 4 mars 1982 : JCP 1984, II, 20154, N. Chabas – Cass. 2e civ., 6 déc. 1984 : Bull. civ. II, n° 191.