La contrepartie à l’entremise de l’agent immobilier en l’absence d’opération effectivement conclue

Publié le 14/02/2017

L’agent immobilier ne saurait percevoir sa commission en l’absence d’opération effectivement conclue. Il ne peut non plus, dans ces conditions, profiter d’une clause pénale selon laquelle le propriétaire doit conclure la vente si les conditions sont réunies. Pourtant, malgré la formule très générale employée par la Cour de cassation, il faut considérer que la responsabilité du donneur d’ordres doit pouvoir être engagée en cas de faute de sa part.

Cass. 1re civ., 16 nov. 2016, no 15-22010

Le droit à rémunération des agents immobiliers est soumis à des conditions strictes par la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et son décret d’application1. En particulier, la condition qui tient à la conclusion effective de l’opération ne fait pas le bonheur de ces entremetteurs. L’agent qui parviendrait à accomplir sa mission d’entremise en trouvant un acquéreur conforme aux attentes du donneur d’ordres peut en effet se heurter au refus de ce dernier de poursuivre la vente. Faute d’une opération effectivement conclue et malgré toutes ses diligences, l’agent immobilier ne pourra prétendre à sa rémunération. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’agent cherche à se ménager une contrepartie à ses efforts, ce qui passe parfois par la stipulation d’une clause pénale.

C’était la stratégie de l’agent immobilier dans une affaire ayant donné lieu à cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 16 novembre 2016, publié au Bulletin. Une propriétaire confie à un agent immobilier un mandat exclusif aux fins de vente d’un appartement au prix « net vendeur » de 1 900 000 €. L’agent lui transmet finalement une offre d’achat au prix de 1 980 000 €, comprenant une commission de 80 000 € au profit de l’agent immobilier. La propriétaire décline finalement l’offre. L’agent immobilier fait alors valoir une clause du mandat selon laquelle la propriétaire devait « signer aux prix, charges et conditions convenus toute promesse de vente ou tout compromis de vente, éventuellement assortie d’une demande de prêt immobilier (…) avec tout acquéreur présenté par le mandataire » et assigne la propriétaire en paiement de l’indemnité forfaitaire convenue.

La cour d’appel de Paris, le 18 juin 2015, fait droit à sa demande. La propriétaire avait manqué à son engagement de poursuivre la vente, privant par là même l’entremetteur de sa commission. Elle devait donc payer l’indemnité prévue par la clause pénale.

Mais la Cour de cassation, après relevé d’office d’un moyen conformément à l’article 1015 du Code de procédure civile, casse l’arrêt d’appel. Au visa de deux articles issus de la réglementation spéciale des agents immobiliers2, elle précise que la vente n’ayant pas été effectivement conclue, l’agent immobilier ne pouvait se prévaloir des dispositions de la clause litigieuse, « laquelle emportait obligation de conclure la vente sauf à payer la somme contractuellement prévue même en l’absence de faute imputable au mandant ».

Il s’agissait donc pour la Cour de cassation de statuer sur l’efficacité d’une clause pénale en l’absence d’opération effectivement conclue.

Ainsi, la Cour de cassation réaffirme sa position3. L’absence de conclusion effective de l’opération sera un obstacle rédhibitoire au paiement de sa commission à l’entremetteur et ne permettra pas à ce dernier de se prévaloir d’une clause pénale pour obtenir une indemnité forfaitaire (I). Mais la formule utilisée par la Cour de cassation – « aucune somme d’argent n’est due, à quelque titre que ce soit » – est si large qu’elle semble ne laisser aucun espoir à l’agent immobilier. Cela invite à se questionner sur la possibilité de l’agent d’engager la responsabilité du donneur d’ordres en cas de faute de ce dernier (II).

I – Aucune somme d’argent pour l’agent immobilier en l’absence de conclusion effective de l’opération

L’article 6 (I) de la loi du 2 janvier 1970 ne laisse aucun doute. Lorsque l’opération n’est pas réalisée, l’agent n’a pas droit à sa rémunération, sous quelques formes que ce soit. Ce point est bien sûr rappelé par la Cour de cassation, conformément à sa jurisprudence antérieure, même s’il faut remarquer que la formule utilisée ici est plus générale que celle issue de la loi Hoguet (A). Elle est telle qu’elle permet de rejeter le paiement d’une somme qui serait due au titre d’un engagement exprès du donneur d’ordres à poursuivre l’opération avec le tiers présenté par l’agent (B).

A – Pas de commission sans opération effectivement conclue

Dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, l’article 6 (I), alinéa 3, de la loi Hoguet dispose qu’« aucun bien, effet, valeur, somme d’argent, représentatif de commissions, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d’entremise quelconque, n’est dû aux personnes indiquées à l’article 1er ou ne peut être exigé ou accepté par elles, avant qu’une des opérations visées audit article ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l’engagement des parties ». L’agent ne saurait donc percevoir de rémunération, quelle qu’en soit la forme, pour son activité d’entremise si l’opération n’est finalement pas conclue. La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler à de multiples reprises, les juges du fond faisant souvent droit aux requêtes des agents immobiliers.

Aussi le propriétaire ayant donné mandat à un agent immobilier de rechercher des acquéreurs, qui avait empêché la réalisation de la vente, a-t-il pu être condamné par les juges du fond à payer la commission due à l’agent immobilier4. Il peut s’agir aussi, une fois le compromis de vente signé, de la condition suspensive d’obtention du prêt qui n’est pas remplie suite à un manque de diligence plus ou moins flagrant de l’une des parties. Ainsi les juges du fond ont parfois décidé que le donneur d’ordres ayant signé une promesse de vente et qui ne ferait aucune demande de prêt serait de mauvaise foi, ce qui permet de réputer accomplie la condition suspensive5. Ils se réfèrent parfois expressément à l’article 1178 du Code civil (ancien) pour estimer que l’opération était « effectivement réalisée d’un point de vue juridique »6 et contraindre ainsi le débiteur à verser sa commission à l’agent immobilier.

Mais la Cour de cassation, dans ces affaires, rappelle qu’à défaut de réalisation effective de l’opération, l’agent n’a pas droit au paiement de la commission contractuellement prévue7.

Il faut remarquer que la formule utilisée par la Cour de cassation pour exposer l’article 6 (I), alinéa 3, précité peut tout de même varier d’une affaire à l’autre. Alors qu’elle reprend parfois fidèlement l’article 6 : « attendu qu’aux termes de ce texte, aucun bien, effet, valeur, somme d’argent, représentatif de commissions, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d’entremise quelconque, n’est dû »8, elle adopte également une formulation bien plus générale en affirmant « qu’aucune somme d’argent n’est due, à quelque titre que ce soit »9, si l’opération n’est pas effectivement conclue. C’est la même formule qui est utilisée dans l’arrêt ici commenté. Ces changements de formulations ne sont sans doute pas anodins car la Cour de cassation se montre beaucoup moins réticente à l’indemnisation de l’entremetteur lorsqu’elle reprend exactement l’article 6 (I), alinéa 310.

Face à cette impossibilité d’obtenir le paiement de sa commission, il n’est pas surprenant que l’agent immobilier ait tenté d’obtenir une contrepartie à ses efforts par la stipulation d’une clause pénale.

B – Pas d’indemnité forfaitaire conventionnelle sans opération effectivement conclue

Après avoir rappelé que la vente n’avait pas été effectivement conclue, la Cour de cassation précise que l’entremetteur ne pouvait pas se prévaloir de la clause par laquelle la propriétaire devait signer toute promesse ou compromis de vente avec tout acquéreur remplissant les conditions prévues11. Au premier abord, une telle solution peut surprendre. Il ne s’agit pas simplement d’une clause pénale prévoyant qu’une indemnité forfaitaire serait due en cas de faute du donneur d’ordres. Si tel avait été le cas, il aurait fallu que l’agent immobilier apporte la preuve d’une faute de la propriétaire. Bien au contraire, il s’agit ici d’un véritable engagement de poursuivre l’opération pris en toute connaissance de cause par la propriétaire, engagement qui s’accompagne d’une clause pénale.

Deux raisons peuvent être mises en avant pour expliquer l’inefficacité de la clause litigieuse. Selon la plus évidente, il ne s’agit que d’une application de l’article 6 (I), alinéa 3, de la loi Hoguet, mais selon la formule utilisée par la Cour de cassation. Comme « aucune somme d’argent n’est due, à quelque titre que ce soit », si l’opération n’est pas effectivement conclue, il n’y a guère à s’interroger sur l’efficacité de la clause litigieuse. Peu importe l’engagement pris par la propriétaire, elle ne peut devoir aucune somme si l’opération n’est pas conclue. En revanche, à s’en tenir strictement aux termes de l’article 6, il est bien moins évident que cet article empêche la réparation forfaitaire du préjudice subi du fait de l’inexécution d’un engagement contractuel. D’ailleurs la Cour de cassation elle-même le précisait clairement dans une autre affaire en énonçant qu’« aucun bien, effet, valeur, (…) n’est dû, sous réserve de l’hypothèse de la stipulation de la clause pénale »12.

Une autre explication tient aux exigences habituelles de la jurisprudence en matière de pouvoir de représentation de l’agent immobilier. En effet, sauf clause expresse en ce sens, l’agent immobilier n’aura pas le pouvoir d’engager le donneur d’ordres, que ce soit par représentation13 ou par communication aux tiers d’une offre de vente émanant du donneur d’ordres14. En se montrant particulièrement exigeante sur la forme de la clause conférant un pouvoir de représentation, la Cour de cassation entend réduire le risque que les propriétaires ne s’engagent trop hâtivement à vendre leur bien immobilier. Or si seule une clause expresse permet à l’agent immobilier de représenter la propriétaire, il ne sera pas possible de l’engager par une clause lui imposant de poursuivre la vente.

Cette seconde explication correspond peut-être mieux à la décision de la Cour de cassation. Comment expliquer sinon que l’agent ne pouvait se prévaloir de la clause litigieuse « laquelle emportait obligation de conclure la vente sauf à payer la somme contractuellement prévue même en l’absence de faute imputable au mandant » ? L’engagement en question n’ayant pas été valablement pris, le fait d’avoir manqué à cette clause ne saurait constituer un comportement fautif. Et si la propriétaire n’a pas pu s’engager à poursuivre la vente, elle ne saurait devoir une somme d’argent pour avoir simplement renoncer à l’opération.

C’est que la liberté contractuelle lui permet de ne pas poursuivre l’opération, qu’il s’agisse de ne pas conclure la vente ou encore, par exemple, de renoncer au compromis de vente d’un commun accord avec l’autre partie15. Même sans motifs sérieux justifiant le refus de signer le compromis de vente, le propriétaire est en droit de renoncer à l’opération16.

La solution aurait été différente si un pouvoir de représentation avait été conféré à l’agent immobilier. Conformément à l’article 1998 du Code civil, le mandant aurait alors été engagé par la vente conclue par l’agent immobilier. Mais un tel pouvoir n’avait pas été conféré à l’entremetteur ce qui laissait la propriétaire libre de renoncer à l’opération envisagée. La Cour de cassation le rappelle bien, « le refus de ce dernier de réaliser cette opération aux conditions convenues dans le mandat ne peut lui être imputé à faute pour justifier sa condamnation au paiement de dommages-intérêts ».

La solution est sévère17. Justement parce qu’il n’a pas le pouvoir d’engager le donneur d’ordres, la mission de l’agent immobilier est remplie lorsqu’il présente au propriétaire une offre d’achat conforme à ses exigences. Pourtant, l’entremetteur ne pourra semble-t-il rien obtenir en contrepartie de son travail. La loi Hoguet et la jurisprudence font donc peser l’aléa tenant à la non-conclusion de l’opération sur le professionnel qui a pourtant accompli sa mission avec diligence. Cette situation est toutefois plus acceptable en ayant à l’esprit que lorsque cet aléa ne se réalise pas, l’agent immobilier aura droit à une rémunération tout à fait conséquente18.

Si la Cour de cassation met en exergue le droit du donneur d’ordres de renoncer à l’opération, la question de savoir si l’exercice de ce droit peut être fautif reste entière. Dans cet arrêt, la première chambre civile prévoit un comportement constitutif d’une faute, lorsque « le mandant a conclu l’opération en privant le mandataire de la rémunération à laquelle il aurait pu légitimement prétendre ». Il s’agit alors le plus souvent du propriétaire et du tiers acquéreur qui concluent l’opération en évinçant l’agent immobilier pour éviter de lui payer sa commission19.

Mais à bien lire ce que la Cour de cassation déduit de la règlementation spéciale des agents immobiliers, ce serait le seul cas où la faute du donneur d’ordres pourrait être retenue. Une telle interprétation de l’arrêt ne serait toutefois pas conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation qui laisse la porte ouverte à la responsabilité du donneur d’ordres.

II – La faute ayant conduit à l’absence de conclusion effective de l’opération

Le refus du donneur d’ordres de poursuivre la vente ne saurait lui être imputé à faute, rappelle la Cour de cassation. Est-ce à dire que quel que soit son comportement, aucune faute ne pourra jamais entrainer sa responsabilité ? Il faut en douter : si la protection des propriétaires particuliers face aux agents immobiliers est une chose, en serait une autre l’établissement d’une véritable immunité au profit des premiers. La formule de la Cour de cassation selon laquelle « aucune somme d’argent n’est due, à quelque titre que ce soit, à l’agent immobilier » en cas de non-conclusion, devrait donc supporter certaines limites. Il faut ainsi se demander si l’agent a la possibilité d’engager la responsabilité du donneur d’ordres (A), ce qui implique de s’interroger subséquemment sur la nature de celle-ci et sur l’objet de la réparation (B).

A – L’admission de la responsabilité du donneur d’ordres en cas de faute de sa part

Le refus du donneur d’ordres de réaliser l’opération convenue ne peut lui être imputé à faute. La Cour de cassation ne prévoit pour seule exception que la fraude de ce dernier en vue d’éviter le paiement de l’agent immobilier. Pourtant, le propriétaire qui, sachant pertinemment qu’il ne poursuivra pas la vente de son bien, n’informerait pas l’agent de la situation, ne serait-il pas fautif en refusant de poursuivre la vente une fois un acquéreur présenté ? Le donneur d’ordres qui, une fois le compromis de vente signé, refuserait d’aller au bout de l’opération, ne pourrait-il pas être tenu de réparer le préjudice causé à l’agent immobilier par sa faute ?

La lettre de cet arrêt semble conduire à des réponses négatives mais certaines décisions antérieures de la Cour de cassation paraissent plus favorables à l’admission de la responsabilité du donneur d’ordres en cas de faute. Dans une affaire où le tiers acquéreur avait usé d’une fausse identité pour évincer l’agent immobilier, l’assemblée plénière a ainsi précisé que « même s’il n’est pas débiteur de la commission, l’acquéreur dont le comportement fautif a fait perdre celle-ci à l’agent immobilier, par l’entremise duquel il a été mis en rapport avec le vendeur qui l’avait mandaté, doit, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation à cet agent immobilier de son préjudice »20. Il est vrai toutefois que la vente avait bien été conclue. Mais dans d’autres décisions où l’opération n’avait pas pu être effectivement réalisée du fait du comportement du tiers acquéreur, la Cour de cassation a pu statuer exactement dans les mêmes termes et admettre la responsabilité délictuelle du candidat acquéreur21. Si la responsabilité délictuelle du candidat acquéreur peut être engagée par l’agent immobilier dès lors que sa faute a conduit à ce qu’il soit privé de sa rémunération, pourquoi le donneur d’ordres ne pourrait-il pas être responsable en cas de faute ? Il ne sera d’ailleurs pas possible d’objecter que les tiers ne profitent pas de la loi Hoguet puisque certaines décisions utilisent celle-ci pour refuser que le tiers acquéreur soit tenu au paiement d’une somme d’argent22.

Surtout, la Cour de cassation a déjà admis l’idée que le donneur d’ordres puisse être responsable, même lorsque l’opération n’est pas conclue, si sa faute est caractérisée. Dans une affaire où le mandant a refusé de vendre son immeuble au candidat présenté par l’agence, il a été jugé « que l’agent immobilier n’a donc pas droit à la commission prévue par le mandat, mais seulement à des dommages-intérêts s’il prouve une faute de son mandant qui l’aurait privé de la réalisation de la vente »23. Dans une autre, elle a estimé que « le mandat même stipulé irrévocable, de rechercher un acquéreur en vue de la vente d’un bien, ne prive pas le mandant du droit de renoncer à l’opération ; que la révocation produit, alors, tous ses effets, sous réserve de la responsabilité du mandant envers le mandataire »24.

Quel comportement du donneur d’ordres pourrait permettre d’engager sa responsabilité ? Dans une affaire où « le bailleur n’avait pas informé le mandataire de sa décision, prise pendant la durée du mandat, de ne plus louer les locaux litigieux mais de les vendre, laissant le mandataire accomplir ses diligences jusqu’au terme du mandat, la cour d’appel a pu en déduire que ce comportement était constitutif d’une faute »25. Plus généralement, il faut considérer que le donneur d’ordres qui n’informerait pas l’agent qu’il ne désire plus vendre en le laissant accomplir la mission confiée aurait un comportement fautif. Le donneur d’ordres, malgré son droit de renoncer à l’opération, doit ainsi faire preuve d’un minimum de loyauté26 vis-à-vis de l’agent immobilier et l’informer d’un changement de situation pour ne pas l’exposer à des efforts inutiles.

Également, serait sans doute fautif le fait pour le donneur d’ordres de s’engager dans un compromis de vente et de ne pas respecter son engagement. L’agent immobilier devrait pouvoir se prévaloir de cette inexécution contractuelle qui lui cause un préjudice tenant à la perte de sa rémunération27.

Tout bien considéré, soit le présent arrêt affirme qu’aujourd’hui, la responsabilité du donneur d’ordres ne peut plus être engagée sauf « s’il est établi que le mandant a conclu l’opération en privant le mandataire de la rémunération à laquelle il aurait pu légitimement prétendre » et alors, c’est une véritable immunité du donneur d’ordres qui est posée par la Cour de cassation. Soit, malgré la formulation employée dans le « chapeau », la première chambre civile n’a pas entendu fermer la voie de la responsabilité du donneur d’ordres, auquel cas la Cour gagnerait à être plus claire, comme elle a pu l’être auparavant.

Parce que la responsabilité du donneur d’ordres doit pouvoir être engagée en cas de faute de sa part28, c’est la seconde interprétation qui devrait être préférée.

B – La réparation d’une perte de chance par la responsabilité du donneur d’ordres

Si la responsabilité du donneur d’ordres devrait pouvoir être engagée en cas de faute de sa part, reste à déterminer la nature de celle-ci. Il est vrai que le donneur d’ordres et l’agent immobilier sont liés par un contrat appelé « mandat », ce qui invite à y voir une responsabilité contractuelle. La Cour de cassation est parfois en ce sens29. Dans une affaire, les juges du fond avaient retenu la responsabilité des propriétaires qui avaient refusé de poursuivre l’opération. Il y a cassation au visa de l’article 1147 du Code civil mais sans que le principe de la responsabilité ne soit remis en cause30. Cette solution paraît fondée. Lorsque le donneur d’ordre manque à son obligation d’information ou de loyauté vis-à-vis de l’agent, il s’agit bien d’une mauvaise exécution du contrat de mandat.

Mais parfois, c’est bien la responsabilité délictuelle qui est retenue31. Cette solution peut également se comprendre lorsque les propriétaires se désengagent de leur promesse de vente vis-à-vis de l’acquéreur sans justification et par là même, empêchent l’agent immobilier de percevoir sa rémunération. Ce n’est pas alors la mauvaise exécution du mandat qui cause un préjudice à l’agent, mais bien un manquement contractuel du vendeur envers le tiers acquéreur. Or comme l’agent immobilier n’est pas partie à cette promesse, c’est la responsabilité délictuelle du propriétaire qu’il devrait pouvoir engager.

Ainsi, il semble que la responsabilité du donneur d’ordres puisse être tantôt contractuelle, tantôt délictuelle, selon les situations.

Une dernière question peut être envisagée : quel préjudice pourra être réparé ? Pour la Cour de cassation, il ne s’agira pas de la commission prévue conventionnellement mais plutôt de la perte de chance de percevoir ladite commission32. Dans l’hypothèse où le propriétaire se désengage sans justification d’une promesse synallagmatique de vente, il faut nécessairement tenir compte du fait que l’obtention du prêt par l’acquéreur pouvait ne pas se produire et donc apprécier le montant de la réparation en fonction des chances d’obtenir le prêt. Il en résulte que la réparation de la perte de chance, en présence d’un aléa lié à l’obtention du prêt, ne peut être égale à la commission conventionnellement prévue33. Ce serait un moindre mal pour l’agent immobilier qui réussirait à engager la responsabilité du donneur d’ordres…

Notes de bas de pages

  • 1.
    D. n° 72-678, 20 juill. 1972.
  • 2.
    Article 6-1, alinéa 3, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, ensemble l’article 72 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, dans sa rédaction issue du décret n° 2010-1707 du 30 décembre 2010.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 5 mars 2015, n° 14-13171 – Cass. 1re civ., 27 nov. 2013, n° 12-13897 : Bull. civ. I, n° 230.
  • 4.
    V. Cass. 1re civ., 25 févr. 2003, n° 01-01004.
  • 5.
    V. Cass. 1re civ., 20 mars 2001, n° 98-14493. Même raisonnement dans Cass. 1re civ., 15 nov. 2005, n° 02-13378 : AJDI 2006, p. 303, obs. Thioye M.
  • 6.
    V. Cass. 3e civ., 11 mars 2009, n° 07-20509 : Bull. civ. III, n° 60.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 20 mars 2001, n° 98-14493, préc. ; Cass. 1re civ., 15 nov. 2005, n° 02-13378, préc. ; Cass. 1re civ., 25 févr. 2003, n° 01-01004, préc. – Cass. 3e civ., 19 mai 1999, n° 97-14529 : Bull. civ. III, n° 120 – Cass. 3e civ., 11 mars 2009, n° 07-20509, préc. ; Cass. 1re civ., 13 juin 2006, n° 04-15943 – Cass. 1re civ., 15 mai 2001, n° 95-17098 : Bull. civ. I, n° 131 ; Cass. 1re civ., 24 sept. 2009, n° 08-17244 : AJDI 2010, p. 404, note Thioye M.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 1er déc. 1987, n° 84-17276 : Bull. civ. I, n° 313. V. aussi Cass. 1re civ., 13 mars 1996, n° 94-14035. Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 01-00814 : Bull. civ. I, n° 209. V. aussi Cass. 1re civ., 28 juin 2012, n° 10-20492 : Bull. civ. I, n° 143.
  • 9.
    Cass. 3e civ., 19 mai 1999, n° 97-14529, préc.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 1er déc. 1987, n° 84-17276, préc. ; Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 01-00814, préc. ; Cass. 1re civ., 13 mars 1996, n° 94-14035, préc. ; Cass. 1re civ., 28 juin 2012, n° 10-20492, préc.
  • 11.
    Dans le même sens : Cass. 1re civ., 5 mars 2015, n° 14-13171, préc. ; Cass. 1re civ., 27 nov. 2013, n° 12-13897, préc. – Cass. 3e civ., 9 juill. 2014, n° 13-19061 : Bull. civ. III, n° 96. En sens contraire semble-t-il : Cass. 1re civ., 28 juin 2012, n° 10-20492, préc.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 28 juin 2012, n° 10-20492, préc.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 6 mars 1996, n° 93-19262 : Bull. civ. I, n° 114 – Cass. 1re civ., 27 juin 2006, n° 04-20693.
  • 14.
    Le « mandat » qui ne contiendrait aucune « autorisation d’accepter une offre d’achat ni de conclure la vente » n’est qu’un « contrat d’entremise ». La Cour de cassation a précisé qu’« un tel contrat ne pouvait être assimilé à une offre de vente qui aurait été transformée en une vente parfaite par l’acceptation d’un éventuel acheteur », Cass. 3e civ., 17 juin 2009, n° 08-13833 : Bull. civ. III, n° 148.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 28 mars 2000, n° 97-12737 : Bull. civ. I, n° 100 – Cass. 1re civ., 4 oct. 2000, n° 96-17926.
  • 16.
    Cass. 1re civ., 28 juin 2012, n° 10-20492, préc.
  • 17.
    La Cour de cassation ne l’est d’ailleurs pas toujours autant puisqu’elle a déjà précisé que « le refus du mandant de réaliser la vente avec une personne qui lui est présentée par son mandataire ne peut lui être imputé à faute pour justifier, en dehors des prévisions d’une clause pénale, sa condamnation au paiement de dommages-intérêts », Cass. 1re civ., 28 juin 2012, n° 10-20492, préc.
  • 18.
    Plusieurs dizaines de milliers d’euros en l’espèce.
  • 19.
    Cette pratique est donc sanctionnée : Cass. 3e civ., 8 juin 2010, n° 09-14949 : Bull. civ. III, n° 112 ; JCP N 2010, 1252, note Barbièri J.-J.
  • 20.
    Cass. ass. plén., 9 mai 2008, n° 07-12449 : Bull. ass. plèn., n° 3.
  • 21.
    Cass. 1re civ., 18 déc. 2014, n° 13-23178. V. égal. une décision où il a pu être jugé que l’entremetteur ne pouvait « prétendre qu’à des dommages-intérêts en cas d’échec de l’opération du fait du candidat acquéreur », Cass. 1re civ., 4 févr. 2015, n° 13-27312.
  • 22.
    Cass. 1re civ., 28 nov. 2000, n° 97-18684 : Bull. civ. I, n° 303 – Cass. 1re civ., 27 avr. 2004, n° 01-13868.
  • 23.
    Cass. 1re civ., 1er déc. 1987, n° 84-17276, préc. – Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 01-00814, préc. V. aussi Cass. 1re civ., 13 mars 1996, n° 94-14035, préc.
  • 24.
    Cass. 1re civ., 5 févr. 2002, n° 99-20895 : Bull. civ. I, n° 40.
  • 25.
    Cass. 1re civ., 15 mai 2001, n° 98-20507 : AJDI 2001, p. 1014, obs. Thioye M.
  • 26.
    Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-15620 : AJDI 2013, p. 538, obs. Thioye M.
  • 27.
    Selon la Cour de cassation, « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage », Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13255 : Bull. ass. plén, n° 9.
  • 28.
    Thioye M., Droit des intermédiaires immobiliers, 3e éd., 2016, LexisNexis, n° 688.
  • 29.
    Cass. 1re civ., 15 mai 2001, n° 98-20507, préc.
  • 30.
    Cass. 1re civ., 28 janv. 2010, n° 09-10352 : AJDI 2011, p. 468, obs. Thioye M.
  • 31.
    Dans une affaire, les propriétaires étaient condamnés par les juges du fond pour faute sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Le pourvoi fait justement valoir que la responsabilité ne pouvait être que contractuelle mais il est rejeté par la Cour de cassation : Cass. 3e civ., 9 oct. 2012, n° 11-21351.
  • 32.
    Cass. 3e civ., 9 oct. 2012, n° 11-21351, préc.
  • 33.
    Cass. 1re civ., 28 janv. 2010, n° 09-10352, préc.