La SCI promoteur immobilier, un éphémère non-professionnel
La Cour de cassation décide de manière inattendue de qualifier une SCI promoteur immobilier de non-professionnel au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, ce qui lui permet d’écarter la clause limitative de responsabilité insérée dans le contrat que la SCI avait conclu avec un contrôleur technique, cette clause étant considérée comme privant l’obligation essentielle du contrôleur technique de sa substance.
Cass. 3e civ., 4 févr. 2016, no 14-29347, FS–PB
Si le droit de la consommation protège en premier lieu les consommateurs, le législateur décide parfois d’en faire également bénéficier les non-professionnels. Or, si la définition du consommateur est aujourd’hui fixée1, celle du non-professionnel restait à préciser. L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 4 février 20162 en retient une conception extensive.
Une société civile immobilière avait fait réaliser un ensemble de villas avec piscine, vendues en l’état futur d’achèvement. Des désordres étant constatés sur cinq piscines, la SCI et le maître d’ouvrage délégué assignent en indemnisation la société chargée d’une mission de contrôle technique portant sur la solidité des ouvrages et des éléments d’équipement, la société chargée notamment de la réalisation des piscines, le maître d’œuvre et leurs assureurs respectifs. Les acquéreurs intervenant par la suite à l’instance, la SCI est condamnée à les indemniser, les intervenants à l’opération étant quant à eux condamnés in solidum à la garantir des condamnations prononcées contre elle.
Devant la cour d’appel, saisie sur renvoi après cassation3, le contrôleur technique se prévalait d’une clause limitative de responsabilité incluse dans le contrat qui le liait à la SCI et prévoyant que les indemnités susceptibles d’être versées par lui se limitaient au double des honoraires qu’elle aurait perçus dans l’exécution de ce contrat.
La cour d’appel4 refuse d’en faire application. Elle déclare la clause nulle, car abusive, et condamne le contrôleur technique à verser à la SCI l’intégralité du montant des condamnations prononcées à son encontre.
Dans son pourvoi, le contrôleur technique soutenait que la clause ne pouvait pas être qualifiée d’abusive au sens du Code de la consommation. En effet, la convention comportant la clause litigieuse avait été conclue par la SCI dans l’exercice de son activité professionnelle. Or, celui qui conclut un contrat ayant un rapport direct avec son activité professionnelle et pour les besoins de celle-ci ne pourrait pas avoir la qualité de consommateur ou de non-professionnel. Par ailleurs, la clause ayant pour objet de plafonner le montant de l’indemnisation due en cas de mise en jeu de la responsabilité de l’une des parties est licite dès lors qu’elle n’aboutit pas à réduire l’indemnisation à un montant dérisoire au regard des obligations corrélatives de l’autre partie.
La Cour de cassation devait ainsi répondre à la question de savoir si une clause limitant la responsabilité d’un contrôleur technique au double du montant de sa rémunération insérée dans le contrat qu’il a conclu avec une SCI promoteur immobilier est susceptible de tomber sous le coup de l’article L. 132-1 du Code de la consommation prohibant les clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ou non-professionnel.
Elle considère que tel est le cas et approuve la cour d’appel d’avoir retenu que la SCI devait être considérée comme un non-professionnel vis-à-vis du contrôleur technique en application de cet article, et décidé que la clause ayant pour objet de fixer, une fois la faute contractuelle du diagnostiqueur immobilier établie, le maximum de dommages-intérêts que le maître d’ouvrage pourrait recevoir en fonction des honoraires perçus, s’analysait en une clause de plafonnement d’indemnisation et que, contredisant la portée de l’obligation essentielle souscrite par le contrôleur technique en lui permettant de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle quelles que soient les incidences de ses fautes, elle constituait une clause abusive, qui devait être déclarée nulle et de nul effet.
L’arrêt présente l’intérêt de préciser qu’une personne morale ayant la qualité de promoteur immobilier peut être qualifiée de non-professionnel au sens de l’article L. 132-1 (I), et qu’une clause limitative de responsabilité stipulée dans le contrat qu’elle a conclu avec un contrôleur technique est une clause abusive au sens de cette stipulation (II).
I – La SCI promoteur immobilier, un non-professionnel
Pour qualifier la SCI de non-professionnel, la Cour de cassation a dû rejeter la conception objective de cette notion (A), pour lui préférer une conception subjective (B).
A – Le rejet d’une conception objective du non-professionnel
Une clause ne peut être réputée non écrite en application de l’article L. 132-1 du Code de la consommation que si elle est insérée dans un contrat conclu entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur5.
Or, en l’espèce, le contrat contenant la clause litigieuse était un contrat d’entreprise conclu entre un professionnel – le contrôleur technique –, et une SCI dont l’activité consistait à réaliser des opérations de promotion immobilière.
N’étant pas une personne physique, cette SCI ne pouvait pas être qualifiée de consommateur, puisque le consommateur se définit comme une « personne physique6 qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » (C. consom., art. prélim.). Il convenait dès lors de vérifier si elle ne pouvait pas l’être de « non-professionnel ». La Cour de cassation admet en effet qu’une personne morale puisse être qualifiée de tel7, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une société commerciale8. Encore faut-il toutefois qu’elle remplisse les qualités requises pour cela. Or, deux conceptions du non-professionnel peuvent être retenues : selon une première conception, subjective, on peut y voir celui qui n’agit pas dans son domaine de spécialité, ce qui permet d’inclure dans cette catégorie des professionnels qui n’agissent pas dans leur sphère de compétence. Mais, selon une deuxième conception, objective, est un non-professionnel celui qui agit dans un but étranger à son activité professionnelle, celui qui présente les mêmes qualités qu’un consommateur, à ceci près qu’il n’est pas une personne physique.
Et l’on aurait pu imaginer que cela soit cette conception qui soit retenue, eu égard à l’évolution de la notion de consommateur. On sait en effet que, après avoir décidé que constituait un consommateur tout contractant placé « dans le même état d’ignorance que n’importe quel autre consommateur »9, y compris lorsqu’il agissait dans le cadre de son activité professionnelle, la Cour de cassation a adopté une conception restrictive de la notion et écarté l’application des dispositions relatives à la lutte contre les clauses abusives toutes les fois que les parties au contrat agissaient toutes les deux pour les besoins de leur activité10. Le critère est alors devenu celui du rapport direct avec l’activité du contractant. Depuis lors, ce qui compte, c’est que le contrat ait une finalité professionnelle. Il a même été jugé que le lien est nécessairement direct quand le contrat est conclu dans le cadre de « relations professionnelles habituelles »11 et qu’il faut exclure l’application de l’article L. 132-1 du Code de la consommation lorsque la clause est contenue dans un contrat accessoire à un autre contrat, lui-même conclu pour des besoins professionnels12. Ce faisant, la Cour de cassation a adopté la conception européenne de la notion de consommateur13, laquelle figure aujourd’hui dans le Code de la consommation, dont l’article préliminaire dispose, depuis l’entrée en vigueur de la loi Hamon, qu’« (…) est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins14 qui n’entrent pas dans le cadre de son activité (…) »15.
On aurait dès lors pu s’attendre à ce que la Cour de cassation retienne la même analyse lorsqu’il s’agirait d’identifier le non-professionnel, se contentant d’appliquer l’article L. 132-1 aux personnes morales qui agissent dans un but totalement étranger à leur activité. L’exemple du syndic de copropriété, qu’elle accepte de qualifier de non-professionnel16 ne permettait pas de penser le contraire : ce dernier est constitué des copropriétaires qu’il représente, qui sont le plus souvent propriétaires du logement de la famille, voire d’une résidence secondaire. Son activité, l’exercice et la défense de leurs droits, n’obéit pas à un objectif professionnel.
Telle n’est pourtant pas la solution qu’elle adopte : la Cour de cassation décide au contraire que la SCI, qui agit pour les besoins de son activité de promoteur immobilier, n’est pas un professionnel dès lors que, si elle est un professionnel de l’immobilier, elle n’est pas un professionnel de la construction, alors que le contrôleur technique est, lui, un professionnel de la construction. Elle retient ainsi une conception subjective de la notion de non-professionnel. Il s’agit de celui qui est placé dans le même état d’ignorance qu’un consommateur, ce qui paraît discutable.
B – L’adoption discutable d’une conception subjective de la notion de non-professionnel
La solution retenue en l’espèce ne s’impose pas avec évidence. Elle traduit en effet la volonté de placer le professionnel vulnérable sous la protection des dispositions du Code de la consommation qui protègent le non-professionnel au même titre que le consommateur, volonté qui, il est vrai, est parfois également celle du législateur actuel. On se souvient que la loi Hamon a prévu que certaines dispositions relatives au démarchage à domicile s’appliquent non seulement dans les rapports entre un professionnel et un consommateur mais aussi, « aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l’objet de ces contrats n’entre pas dans le champ de l’activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq »17.
On peut toutefois douter de l’opportunité de la démarche. Il ne s’agit pas de nier que les professionnels peuvent être en position de faiblesse et se voir imposer des conditions contractuelles inacceptables. Simplement, il n’est pas certain que ce soit au droit de la consommation de leur venir en aide. En effet, s’il est évident qu’un professionnel n’est pas toujours plus compétent qu’un consommateur lorsqu’il contracte pour les besoins de sa profession, il semble que, en bon professionnel, il reste capable d’être vigilant. L’espèce est à ce titre symptomatique : la SCI est un promoteur immobilier. Son activité consiste à réaliser un ou plusieurs immeubles afin d’en faire acquérir la propriété à un ou plusieurs accédants à la propriété18. Si elle ne participe pas à proprement parler à l’opération de construction, sa profession suppose de faire construire19. Elle est donc loin d’être placée dans la même situation de faiblesse et d’ignorance qu’un véritable consommateur. Cela est d’autant plus vrai que la clause litigieuse était une clause limitative de responsabilité, dont il est peu probable qu’elle n’ait pas été en mesure d’apprécier les implications. Le professionnel qui agit en dehors de son domaine de spécialité peut par ailleurs être économiquement suffisamment en position de force pour imposer le contenu du contrat à son cocontractant. Doit-on, dans ce cas, lui offrir la même protection qu’à un consommateur ordinaire ?
Cela n’est pas certain. S’il faut protéger le professionnel vulnérable, ce n’est pas par l’intermédiaire du droit de la consommation, ne serait-ce que parce qu’il est conçu pour s’appliquer sans nuance : la clause présumée abusive de manière irréfragable par l’article R. 132-1 du Code de la consommation sera réputée non écrite quoi qu’il arrive, y compris lorsque le contractant qui en pâtit l’a acceptée librement et en toute connaissance de cause ou moyennant une contrepartie qui la rend tout à fait acceptable. La vie professionnelle semble justifier un contrôle plus nuancé de la situation.
La décision ne semble pourtant pas être d’espèce : certes, on se situait en dehors du domaine d’application de l’article L. 432-6 I, 2° du Code de commerce, puisque la clause litigieuse n’était pas imposée par un « producteur, commerçant, industriel ou [une] personne immatriculée au répertoire des métiers » à un « partenaire commercial ». Mais il n’est pas certain que cela soit uniquement pour offrir une solution ponctuelle à la SCI enfermée dans un contrat déséquilibré et combler un vide quelques mois avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats et l’introduction de dispositions destinées à lutter contre les clauses abusives dans le Code civil que la Cour de cassation a statué en ce sens : l’arrêt est destiné à avoir les honneurs d’une publication au Bulletin. Et la discussion sur l’application de l’article L. 132-1 était inutile, la SCI ayant démontré que les conditions de l’éradication de la clause en application de la jurisprudence Chronopost étaient réunies20. Il semble dès lors falloir en déduire, même si la position de la Cour de cassation ne paraît pas fermement arrêtée21, que le non-professionnel doit s’entendre de la personne qui agit en dehors de son domaine de compétence.
Quoi qu’il en soit, la solution ne sera que transitoire, puisque, à compter du 1er juillet 2016, la notion de non-professionnel sera définie par le Code de la consommation comme « toute personne morale qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole »22. Quant aux dispositions de l’article L. 132-1, transférées aux articles L. 212-1 et suivants du même code, elles continueront à protéger aussi bien les non-professionnels que les consommateurs, même si, sur le plan symbolique, les non-professionnels ne seront plus mis au même niveau que les consommateurs puisque le futur article L. 212-1 ne précise plus que la clause abusive est celle qui est insérée dans un contrat conclu entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur, mais qu’il s’agit de celle qui figure dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, l’article suivant ajoutant que les dispositions de l’article précédent s’appliquent également aux non-professionnels.
Quoi qu’il en soit, une fois la SCI qualifiée de non-professionnel, il fallait encore vérifier si la clause litigieuse constituait une clause abusive, ce que la Cour de cassation admet.
II – La clause limitant la réparation susceptible d’être allouée au maître de l’ouvrage, une clause abusive
La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir vu dans la clause litigieuse une clause privant l’obligation essentielle du contrôleur technique de sa substance (A), ce qui risque de générer une confusion entre les dispositions relatives aux clauses abusives et la jurisprudence Chronopost (B).
A – Une clause privant l’obligation essentielle du contrôleur technique de sa substance
Pour éviter toute discussion liée à l’application de la loi dans le temps, le contrat litigieux ayant été conclu en juillet 2004, soit avant la réforme de l’article L. 132-1 par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 et l’entrée en vigueur du décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 présumant abusive de manière irréfragable les clauses limitatives de responsabilité23, la SCI fait application des textes en vigueur à l’époque des faits, lesquels lui imposaient de rapporter la preuve de ce que la clause litigieuse pouvait être qualifiée d’abusive, car répondant à la définition posée à l’article L. 132-124.
Or, après avoir admis que la SCI était un non-professionnel, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir considéré que la clause litigieuse « s’analysait en une clause de plafonnement d’indemnisation » qui contredisait « la portée de l’obligation essentielle souscrite par le contrôleur technique en lui permettant de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle quelles que soient les incidences de ses fautes ».
Et il est vrai que la clause avait effectivement trait à l’obligation essentielle du contrôleur technique, qui est chargé « de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d’être rencontrés dans la réalisation des ouvrages » (CCH, art. L. 111-23, al. 1er), et doit, pour ce faire, procéder à des vérifications tout au long de la conception et la réalisation du projet, et avertir le maître de l’ouvrage des insuffisances qu’il constate25.
En contredit-elle pour autant la portée ? On pouvait en douter. La formule n’est pas sans rappeler la solution issue des arrêts Chronopost26 et Faurecia 227, selon lesquels la clause qui prive l’obligation essentielle d’un contractant de toute portée doit être réputée non écrite dans la mesure où elle conduit à priver l’obligation de l’autre partie de cause28. Mais la Cour de cassation n’applique cette jurisprudence qu’avec rigueur. Ainsi, s’agissant des clauses limitatives de responsabilité, elle refuse de les réputer non écrites pour la seule raison que l’obligation inexécutée serait l’obligation essentielle29. Par ailleurs, elle a déjà admis qu’une clause limitant le montant de l’indemnisation au prix du service est valable30, l’important étant qu’elle ne soit pas dérisoire. Or, en l’espèce, la clause était loin d’être dérisoire : le plafond d’indemnisation était fixé à deux fois le montant des honoraires du contrôleur technique, soit 26 010 euros hors taxe.
C’est pourtant une réponse positive qui est retenue, au motif que la clause permet au contrôleur technique « de limiter les conséquences de sa responsabilité quelles que soient les incidences de ses fautes ». C’est dire que la validité de la clause est appréciée au regard de l’importance du dommage. Ce dernier était en l’espèce de plus de 250 000 euros. Les quelques 26 010 euros hors taxe prévus par la clause apparaissent trop faibles. La clause est nulle.
On remarquera au passage que la sanction retenue est elle-même inattendue : la clause n’est pas réputée non écrite, comme on aurait pu s’y attendre, puisque telle est la sanction retenue tant par l’article L. 132-1 du Code de la consommation que par la jurisprudence Chronopost, mais annulée. Il faut certainement y voir l’influence du dernier projet de réforme du droit des contrats publié par la Chancellerie en février 2015, qui décidait que les clauses abusives pouvaient être supprimées par le juge31, mais qui a suscité de nombreuses discussions, l’ordonnance du 10 février 2016 revenant à une solution plus traditionnelle, et décidant que la clause est réputée non écrite, ce qui présente l’avantage de l’automaticité. On sait en effet que la nullité partielle doit être demandée en justice, et qu’elle ne peut plus l’être lorsque la règle méconnue était destinée à protéger l’une des parties et que la partie protégée a confirmé l’acte ou renoncé à se prévaloir de la nullité.
La solution étonne donc à plus d’un titre. Elle risque de faire naître une confusion regrettable entre les dispositions destinées à lutter contre les clauses abusives et la jurisprudence Chronopost.
B – Le risque de confusion entre la législation relative aux clauses abusives et la jurisprudence Chronopost
Le déséquilibre n’est en l’espèce pas appréhendé comme il aurait dû l’être en application de la jurisprudence Chronopost. Il ne s’agit en effet pas de se demander si le plafond prévu par la clause est tellement bas que la clause autorise indirectement le débiteur à ne pas s’exécuter, mais bien de s’assurer que le créancier ne subisse pas de préjudice excessif à la suite de l’application de la clause, qu’il ne soit pas privé de la possibilité de recevoir des dommages-intérêts en rapport avec « les incidences » des fautes du débiteur. Il faut certainement comprendre que la clause ne sera valable que si elle ne s’applique que pour les fautes aux conséquences limitées ou lorsque le montant de l’indemnité est proportionné aux conséquences engendrées par cette même faute.
On relèvera à ce titre que la Cour n’a aucun égard pour la nature de la faute : ce n’est pas le fait que le débiteur ait commis une faute lourde ou dolosive qui justifie la mise à l’écart de la clause, mais bien la différence entre le plafond d’indemnisation et l’ampleur du dommage. Ce qu’il faut, c’est éviter que la clause conduise à faire supporter au non-professionnel l’essentiel du montant du dommage occasionné par la faute du professionnel. Encore une fois, seule une clause ne s’appliquant qu’en présence d’un dommage peu grave, ou une clause qui prévoit un plafond d’indemnisation proportionné au regard de l’ampleur du dommage paraît de nature à être jugée valable.
C’est à ce titre certainement au regard du dommage prévisible au jour de la conclusion du contrat qu’il faut apprécier la validité de la clause. En l’espèce, on se situait dans le domaine de la construction immobilière. Ne pas avertir le maître de l’ouvrage de défauts de conception pouvait conduire à des dommages extrêmement couteux. La clause ne pouvait pas limiter le montant susceptible d’être alloué au maître de l’ouvrage à quelques dizaines de milliers d’euros.
Cela montre que le déséquilibre n’est pas appréhendé de la même manière selon que l’on se situe dans le domaine de la lutte contre les clauses abusives ou dans le cadre de la jurisprudence Chronopost et permet au passage de comprendre l’introduction dans le Code civil de ces deux séries de règles32, à savoir de la jurisprudence Chronopost et de dispositions destinées à lutter contre les clauses abusives, ces différentes mesures n’étant pas parfaitement superposables33, pas plus que ne le sont d’ailleurs les articles L. 132-1 du Code de la consommation et l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, même si le Conseil constitutionnel a pu indiquer que l’interprétation des premières devait servir de guide pour l’interprétation des secondes34. Il en ira de même de ces dispositions et du futur article 1171 du Code civil, malgré ce qu’ont pu en dire les auteurs du rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 201635.
On ne peut toutefois manquer de regretter, puisque les deux séries de règles n’obéissent pas à la même logique, que la Cour ait retenu en l’espèce une formule de nature à introduire une confusion avec la jurisprudence Chronopost. On peut en effet se demander si la SCI n’aurait pas pu justifier l’éradication de la clause par le fait qu’elle aboutissait à faire supporter au non-professionnel l’essentiel des risques de l’opération, et que le droit de la consommation stigmatise depuis l’origine toutes les clauses limitatives de responsabilité, y compris d’ailleurs lorsque la responsabilité du professionnel est engagée du fait de l’inexécution d’une autre obligation que son obligation essentielle. Le décret n° 78-464 du 24 mars 1978 les interdisait déjà36. Et, si l’annexe A de la directive n° 93/13/CEE, du 5 avril 1993 sur les clauses abusives, comme celle à laquelle renvoyait l’article L. 132-1 à l’époque des faits ne la faisaient figurer que sur une liste indicative et non exhaustive des clauses interdites, cela traduisait une méfiance évidente à l’égard de ce type de clause, lequel est par ailleurs régulièrement pointé du doigt par la Commission des clauses abusives.
On regrettera également que la Cour de cassation n’ait pas insisté pour que les juges du fond fassent une appréciation plus globale de l’opération, comme les y incite d’ailleurs l’article L. 132-1, alinéa 5 du Code de la consommation, voire s’interrogent, comme il faudra le faire lorsque l’on appliquera le futur article 1171 du Code civil sur le point de savoir si le contrat avait été négocié. La solution permet en effet d’offrir opportunément un responsable à la SCI, qui avait obtenu la condamnation in solidum de l’ensemble des participants à l’opération, mais qui était notamment confrontée à la liquidation judiciaire du constructeur, lequel n’était par ailleurs pas assuré. Mais elle semble en même temps constituer une prime, si ce n’est à la mauvaise foi, à tout le moins à la négligence, puisqu’un promoteur immobilier ne peut pas ne pas être conscient de l’ampleur des risques qu’il encourt. Il avait accepté la clause et est autorisé à brandir l’arme de l’article L. 132-1 pour obtenir une indemnisation complète de son préjudice. La décision offre à ce titre un bel exemple à faire valoir à tous ceux qui étaient opposés à l’entrée de la législation contre les clauses abusives dans le Code civil.
Notes de bas de pages
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1.
C. consom., art. prélim.
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2.
Cass. 3e civ., 4 févr. 2016, n° 14-29347, PB, ECLI:FR:CCASS:2016:C300159, rejet pourvoi c/ CA Montpellier, 23 oct. 2014, M. Chauvin, prés. ; SCP Boulloche, SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, av.
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3.
Cass. 3e civ., 19 mars 2013, n° 11-25266 (cassation CA Montpellier, ch. 1, sect. A1, 28 juin 2011, n° 09/5272).
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4.
CA Montpellier, ch. 1, sect. A1, 23 oct. 2014, n° 13/04143.
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5.
L’action en suppression des clauses abusives des modèles de contrats reconnue à la DGCCRF a le même domaine (C. consom., art. L. 141-1, VIII). Par contre, celle ouverte aux associations de consommateurs par l’article L. 421-6 suppose que le modèle de contrat soit destiné aux consommateurs, à l’exclusion des non-professionnels ; v. Cass. 1re civ., 14 janv. 2016 : nos 14-28335, 14-28336 et 14-28337 (3 arrêts).
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6.
V. avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, CJCE, 22 nov. 2001, nos C-541/99 et C-542/99 ; Cass. 1re civ., 2 avr. 2009, n° 08-11231 : JCP G 2009, n° 38, p. 21, note Paisant G. ; Contrats, conc. consom. 2009, n° 182, obs. Raymond G.
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7.
Cass. 1re civ., 15 mars 2005, n° 02-13285 : Bull. civ. I, n° 135 ; JCP G 2005, II, 10114, note Paisant G. ; JCP E 2005, 769, note Bakouche D. ; Defrénois 30 déc. 2005, n° 2009N1, p. 2009, obs. Savaux E. ; Contrats, conc. consom. 2005, n° 100, note Raymond G. ; LPA 12 mai 2005, note Bert D. ; Gaz. Pal. 22 juin 2006, p. 9, obs. Bury B. ; RDC juill. 2005, p. 740, obs. Fenouillet D. ; v. aussi Cass. 1re civ., 27 sept. 2005, n° 02-13935 : Bull. civ. I, n° 347 ; D. 2006, p. 238, note Picod Y. ; D. 2005, AJ p. 2670, obs. Delpech X. ; Gaz. Pal. 8 nov. 2005, p. 36, concl. Sainte-Rose J. ; JCP G 2006, I, 123, n° 1, obs. Sauphanor-Brouillaud N. ; Defrénois 30 déc. 2005, p. 2003, obs. Savaux E. ; Defénois 28 févr. 2006, n° 0332N1, p. 332, note Piedelièvre S. ; Contrats, conc. consom. 2005, n° 215, note Raymond G. ; Contrats, conc. consom. 2006, n° 2, note Leveneur L. ; RDC avr. 2006, p. 359, obs. Bruschi M.
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8.
Cass. 1re civ., 11 déc. 2008, n° 07-18128 ; Cass. com., 3 déc. 2013, n° 12-26416.
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9.
Cass. 1re civ., 28 avr. 1987, n° 85-13674 : Bull. civ. I, n° 134 ; v. toutefois, Cass. 1re civ., 15 avr. 1986, n° 84-15801 : Bull. civ. I, n° 90.
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10.
Cass. 1re civ., 24 nov. 1993, n° 91-17753 ; Cass. 1re civ., 24 janv. 1995, n° 92-18227 : Bull. civ. I, n° 54 ; Cass. 1re civ., 21 févr. 1995, n° 93-14041.
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11.
Cass. com., 23 nov. 1999, n° 96-21869.
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12.
Cass. 2e civ., 18 mars 2004, n° 03-10327.
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13.
Art. 2, b), dir. n° 93/13/CEE, 5 avr. 1993 ; Art. 2, 1), dir. n° 2011/83/UE, 25 oct. 2011.
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14.
Nous soulignons.
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15.
À compter du 1er juillet 2016, il s’agira de « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole » (art. liminaire, réd. ord. n° 2016-301, 14 mars 2016).
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16.
Pour une application de l’article C. consom., art. L. 136-1 ; Cass. 1re civ., 23 juin 2011, n° 10-30645 : LEDC sept. 2011, p. 2 ; RDC oct. 2011, p. 1246, note Sauphanor-Brouillaud N. ; Contrats, conc. consom. 2011, comm. n° 224, obs. Raymond G. ; D. 2011, p. 2245, note Tisseyre S. ; JCP G 2011, 1080, note Paisant G. ; Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, n° 14-20760 et Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, n° 14-21873 : Contrats, conc. consom. 2016, comm. n° 49, obs. Bernheim-Desvaux S. ; v. aussi, Rouquette-Térouanne C., « Le syndicat des copropriétaires est un non-professionnel au sens de l’article L. 136-1 du Code de la consommation », Loyers et copr. 2011, étude 11, p. 13. Et il est vrai que l’analyse paraît justifiée ; v. en ce sens, Bernheim-Desvaux S., in Contrats, conc. consom. 2016, comm. n° 49.
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17.
C. consom., art. L. 121-16-1, III, réd. L. n° 2014-344, 17 mars 2014.
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18.
Jestaz P., Jourdain P., Malinvaud P. et Tournafond O., Droit de la promotion immobilière, 9e éd., 2014, Dalloz, Précis, nos 1 et 2.
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19.
Sa mission consiste à « a) rechercher le terrain ; b) établir le plan notamment financier de l’opération ; c) obtenir les autorisations administratives et plus généralement se charger de tous rapports avec les administrations publiques ; d) traiter avec les différents corps de métier en vue de la passation des marchés de travaux et surveiller l’exécution de l’ouvrage ; e) souscrire les polices d’assurance nécessaires à la couverture des risques de l’opération ; f) d’une façon générale, procéder à toutes les formalités de caractère juridique, administratif et fiscal que requiert la construction de l’immeuble » ; v. Jestaz P., Jourdain P., Malinvaud P. et Tournafond O., op. cit., n° 3.
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20.
Le passage par l’article L. 132-1 n’était pas nécessaire ; v. infra.
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21.
Cass. com., 16 févr. 2016, n° 14-25146, à propos d’un comité d’entreprise, qui ne peut pas être qualifié de non-professionnel au sens de l’article L. 136-1 du Code de la consommation, dont les dispositions « sont inapplicables aux contrats qui ont un rapport direct avec leur activité professionnelle ».
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22.
Art. prélim. C. consom., réd. issue de l’ord. n° 2016-301, 14 mars 2016.
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23.
C. consom., art. R. 132-1, réd. décret du 18 mars 2009.
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24.
C. consom, art. L. 132-1, al. 3, réd. ord. n° 2001-741, 23 août 2001.
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25.
Sur ces obligations, v. not. Auby J.-B., Noguellou R., Périnet-Marquet H., Droit de l’urbanisme et de la construction, 10e éd., 2015, LGDJ, Précis Domat, n° 979.
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26.
Cass. com., 22 oct. 1996, n° 93-18632 : Bull. civ. IV, n° 261 ; GAJC, 11e éd., n° 156 ; v. déjà, Cass. 1re civ., 22 mai 1991, n° 88-13700 ; v. depuis, admettant la validité de la clause concernée, Cass. com., 18 déc. 2007, n° 04-16069 : Bull. civ. IV, n° 265 ; D. 2008, p. 154, obs. Delpech X. et chron. Mazeaud D. ; RCA 2008, comm. 94 ; JCP G 2008, I, 125, n° 13 et s., obs. Stoffel-Munck P. ; Cass. com., 3 déc. 2013, n° 12-26412 ; v. au contraire, écartant une clause réputée non écrite, Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-10350 : RDC oct. 2009, p. 1359, obs. Mazeaud D.
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27.
Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11841 : Bull. civ. IV, n° 115 ; D. 2010, Act. p. 1707, note Delpech X. ; D. 2010, p. 1832, note Mazeaud D. ; JCP G 2010, 787, note Houtcieff D. ; JCP G 2010, 1015, obs. Stoffel-Munck P. ; JCP G 2011, n° 63, obs. Ghestin J. ; Contrats, conc. consom. 2010, comm. n° 220, obs. Leveneur L. ; Comm. com. électr. 2010, comm. 99, obs. Stoffel-Munck P. ; RLDC 2010/76, n° 3994, obs. Pimont ; RLDC 2010/78, n° 1030, note Lamoureux ; RDC oct. 2010, p. 1220, obs. Laithier Y.-M. ; RDC oct. 2010, p. 1253, obs. Deshayes O. ; RTD civ. 2010, p. 555, chron. Fages B.
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28.
Auparavant, ce sont les clauses « claim made » qui avaient été écartées des contrats d’assurances sur le fondement de l’article 1131 du Code civil. V. Cass. 1re civ., 19 déc. 1990, n° 88-12863 (7 arrêts) : Bull. civ. I, n° 303 ; rappr. Cass. 1re civ., 16 déc. 1997, n° 88-13700 : D. 1998, p. 287, note Lambert-Faivre Y. ; JCP G 1998, II, 10018, rapport Sargos P. ; v. depuis, Cass. com., 14 déc. 2010, nos 08-21606 et 10-10738 : Bull. civ. IV, n° 200 ; Cass. 3e civ., 26 nov. 2015, n° 14-25761 ; v. aussi, réputant les clauses relatives aux dates de valeur non écrites sur le fondement de la cause, Cass. com., 6 avr. 1993, n° 90-21198 : Bull. civ. IV, n° 138, p. 94.
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29.
Cass. com., 29 juin 2010, préc. ; v. déjà, Cass. com., 18 déc. 2007, n° 04-16069 ; Cass. com., 4 mars 2008, n° 07-11790 ; Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-10350. Contra : auparavant, Cass. ch. mixte, 22 avr. 2005, n° 03-14112 ; Cass. com., 30 mai 2006, n° 04-14974 : Bull. civ. IV, n° 132 ; Cass. com., 13 févr. 2007, n° 05-17407 : Bull. civ. IV, n° 43 ; Cass. com., 5 juin 2007, n° 06-14832 : Bull. civ. IV, n° 157.
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30.
Cass. com., 3 déc. 2013, n° 12-26412.
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31.
Art. 1169 du projet : « Une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée (…) ».
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32.
Futurs articles C. civ., art. 1169 et 1170, créés par l’ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016.
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33.
Sur ce point, v. not. Chenedé F., « Le contrat d’adhésion dans le projet de réforme », D. 2015, p. 1229.
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34.
Cons const., 13 janv. 2011, n° 2010-85 QPC : D. 2011, p. 415, note Picod Y.
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35.
Selon le rapport, « les critères d’appréciation du déséquilibre sont déjà connus puisqu’ils sont inspirés de ceux fixés dans le Code de la consommation et qu’ils résultent de la transposition de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 sur les clauses abusives ».
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36.
D. n° 78-464, 24 mars 1978, art. 2.