Magicobus 2 réécrit l’article 145 du CPC et entérine la jurisprudence du Tribunal de Paris

Publié le 17/04/2025 à 12h10

Dans le cadre des travaux de simplification de la procédure civile, la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) soumet actuellement à consultation le projet de décret dit « Magicobus 2 » qui contient notamment une modification importante de l’article 145 du Code de procédure civile. Celle-ci, qui valide les récentes décisions de la juridiction parisienne limitant sa compétence en matière de référés immobiliers, suscite l’opposition du barreau de Paris.  

Magicobus 2 réécrit l’article 145 du CPC et entérine la jurisprudence du Tribunal de Paris
Tribunal judiciaire de Paris. (Photo : ©P. Cluzeau)

Lors de la rentrée solennelle le 21 janvier dernier, le président du tribunal judiciaire de Paris Stéphane Noël appelait la direction des affaires civiles et du sceau à réécrire les articles du Code de commerce et du Code de procédure civile relatifs à la compétence territoriale du juge des référés en matière immobilière (lire notre article ici). Motif ? Paris ne veut plus être saisi de demandes d’expertise portant sur des immeubles en dehors de son ressort. Et il l’a fait savoir en 2024 via plusieurs séries de décisions, prononcées en juin et en septembre, dont Actu-Juridique avait rendu compte ici et . Le tribunal y adopte une position disruptive en décidant que le tribunal géographiquement compétent est uniquement celui du lieu de situation de l’immeuble, et non, selon pourtant une jurisprudence constante de la Cour de cassation soit celui de l’immeuble, soit celui du défendeur. Ces décisions, qui ont suscité l’ire du barreau, ont finalement été invalidées par la cour d’appel de Paris qui est revenue à la jurisprudence traditionnelle fin 2024.

Le projet de nouvel article 145 redéfinit les règles

Au printemps, coup de théâtre ! Le projet de décret de simplification dit « Magicobus 2 » en cours de consultation reprend à son compte la solution du tribunal judiciaire de Paris. La réécriture de l’article 145 du Code de procédure civile commence par consacrer la jurisprudence de la Cour de cassation sur la compétence territoriale en matière d’expertise in futurum, tous domaines confondus, en retenant que le juge territorialement compétent est :

– soit le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond, (défendeur ou lieu d’exécution de la prestation) ;

– soit celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures doivent être exécutées.

Mais, c’est pour poser immédiatement une exception à la règle en précisant qu’en matière immobilière, le juge compétent sera exclusivement celui du lieu de situation de l’immeuble.

Voici la nouvelle rédaction proposée de l’article 145 du Code de procédure civile :

 

Article 145

 

S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

 

La juridiction territorialement compétente pour statuer sur une demande formée en application de cet article est, au choix du demandeur, celle susceptible de connaître de l’affaire au fond ou, s’il y a lieu, celle dans le ressort de laquelle la mesure d’instruction doit être exécutée.

 

Par dérogation au deuxième alinéa, lorsque la mesure d’instruction porte sur un immeuble, la juridiction du lieu où est situé l’immeuble est seule compétente.

 

Les règles de compétence territoriales prévues au troisième alinéa sont d’ordre public.

 

La proposition a fait bondir le barreau de Paris qui, dans une motion adoptée le 1er avril et publiée sur les réseaux sociaux, déclare qu’il :

« S’oppose fermement à une compétence territoriale d’ordre public en matière immobilière, laquelle n’est pas justifiée au regard des dispositions déjà existantes et se ferait au détriment du justiciable.

– Rappelle que le procès civil est la chose des parties, dans le respect des règles édictées par le code de procédure civile ».

« Si la juridiction parisienne veut rester compétitive, elle ne peut pas juger tous les litiges »

Pour le tribunal judiciaire de Paris, c’est une question de bonne gestion, ainsi que l’expliquait son président à la dernière rentrée solennelle. Victime de son succès, et d’une certaine manière de la qualité et de l’importance du barreau de Paris, le tribunal se retrouve à devoir juger « des différends  concernant  un équipement d’assainissement au Maroc, un projet immobilier au Mali mais aussi un équipement sportif anglais » dénonçait le 21 janvier dernier à la rentrée solennelle le président Noël. Une situation rendue possible par la relative souplesse des règles d’attribution de compétence. `Et Stéphane Noël de mettre en garde :  « Je le répète, si la juridiction parisienne veut rester compétitive, elle ne peut pas juger tous les litiges, notamment ceux qui s’inscrivent dans une gestion de flux importants comme les demandes d’expertise in futurum, lesquelles peuvent tout aussi bien être appréciées par des juges civilistes compétents et engagés dans leur ressort avec des experts et des médiateurs locaux tout aussi qualifiés ». Et d’ajouter : « ce sujet n’est pas clos et fera certainement l’objet d’autres décisions qui seront analysées attentivement par la DACS dans une perspective de réécriture, nous l’espérons, de certaines dispositions du Code de procédure civile et du Code de commerce ».   Le message a été reçu.

Neuf mille référés par an

Dans les faits, le tribunal de Paris traite chaque année environ 9000 référés, dont la très grande majorité en immobilier. Tous les jours se tient une audience, parfois plusieurs, qui voit passer  entre 25 et 40 dossiers en moyenne. Parmi eux, figurent bien sûr des litiges concernant des immeubles à Paris, mais aussi,  des demandes concernant bâtiments en province, voire à l’étranger. C’est de ceux-là – dont la proportion est inconnue – que le tribunal tente de se défaire. Souvent, ce sont les plus gros et les plus complexes. Donc ceux aussi qui surchargent la juge chargée du contrôle qui gère actuellement 5 000 dossiers, dont, là encore, pour l’essentiel en immobilier. C’est d’autant plus problématique que le contrôle des expertises est, de l’avis de l’ensemble des professionnels, le gros point faible de ces dossiers.

Pourquoi les avocats assignent-ils à Paris ? Parce que les règles de procédure permettent toujours de trouver une partie qui y sera domiciliée, en particulier les assureurs, dont le siège est soit dans la capitale, soit à Nanterre. Qui dit gros dossier, dit souvent gros cabinet parisien, et donc confort d’assigner à Paris. Surtout qu’il est facile d’obtenir une date assez rapprochée, de l’ordre de cinq semaines, contre trois mois par exemple à Nanterre. Certains avancent encore la compétence des juges dans un domaine, la construction et l’immobilier, très technique. « Il ne faut pas pousser, pour prononcer une mesure d’expertise, on n’a pas besoin d’un grand juge » commente un magistrat. Au tribunal de Paris, on avance que la bonne administration de la justice rejoint ici l’intérêt du justiciable. Pour de multiples raisons. D’abord, l’expert le moins couteux est celui qui exerce localement. Ensuite, en cas d’incident, le magistrat qui a prononcé la mesure doit pouvoir se rendre sur place si nécessaire. Sans oublier le développement de l’audience de règlement amiable qui impose la présence des parties. Celles-ci ont donc tout intérêt à ce que le juge soit proche d’elles.

« Il ne faut pas oublier que le procès est la chose des parties »

Les choses sont un peu plus complexes lorsqu’on interroge les avocats. Me Valérie Rosano est membre du conseil de l’ordre de Paris et auteur d’un rapport sur ce sujet qu’elle connait bien puisqu’elle le pratique au quotidien. La très grande majorité des avocats spécialisés en construction et immobilier sont à Paris, explique-t-elle, c’est vrai, mais ce n’est pas pour leur confort qu’ils assignent là. C’est avant tout une demande des clients qui veulent que leur dossier soit traité efficacement et dans un délai raisonnable. Il ne faut pas oublier que le procès est la chose des parties. « Par ailleurs, poursuit Me Rosano, il s’agit également d’avoir des experts compétents et indépendants, qui n’ont pas d’interaction locale, gage de leur impartialité ». Assigner à Paris peut aussi répondre à une nécessité liée aux délais. La juridiction se vante, à raison, de proposer des dates de référé à cinq semaines, quand d’autres juridictions de départements limitrophes sont dans l’impossibilité de proposer le moindre créneau à plusieurs mois sur une demande qui, par définition, est urgente. « Je me souviens d’un dossier où l’on avait besoin d’un expert avant que ne commencent les travaux objet du litige, et Paris était le seul tribunal qui pouvait nous proposer une date rapide, ce qui était dans l’intérêt des justiciables en défense  » explique l’avocate. Assigner à Paris quand le tribunal territorialement compétent ne propose pas de date d’audience, c’est aussi la possibilité d’interrompre une prescription ou une forclusion, et donc de préserver les droits des justiciables ». Enfin, s’agissant du juge du contrôle, Me Rosano fait observer qu’en trente ans de carrière, elle n’a jamais vu un juge se déplacer. Indépendamment de cette expérience, elle rappelle dans son rapport que le juge du contrôle peut, en vertu de l’article 157 du Code de procédure civile, charger une autre juridiction de procéder à tout ou partie des opérations ordonnées. « Il est exact que la juge parisienne du contrôle est débordée, mais c’est un problème que l’Ordre et le Tribunal entendent  traiter dans le cadre de réunions entre avocats, magistrats et greffiers. C’est une question de formation, par exemple, il faut que certains confrères cessent de mettre le juge du contrôle en copie de toute leur correspondance comme si c’était une partie à l’expertise », explique Valérie Rosano.

Appliquer la même règle aux baux commerciaux ? 

Et les baux commerciaux dans tout ça ? Dans ses fameuses décisions prononcées le 21 juin dernier, le tribunal judiciaire de Paris a traité une demande d’expertise, mais aussi deux affaires les concernant. Dans la première, le juge des référés a considéré que l’article R. 145-23 du Code de commerce, édicté dans le cadre de l’organisation judiciaire et pour une meilleure administration de la justice, doit être considéré comme d’ordre public, de sorte que les parties ne peuvent y déroger et que la clause attributive de compétence au profit de la juridiction parisienne stipulée au bail litigieux doit être regardée comme non-écrite.

Une solution saluée par Me Gilles Hittinger-Roux, avocat au barreau de Paris, défenseur des enseignes et commerçants face aux bailleurs et aux foncières. Dans cette matière à ses yeux, tout désigne la compétence du juge du lieu du site d’exploitation dans la logique du décret du 30 septembre 1953 intégré dans le Code de commerce sous la forme de l’article R145-23. « On ne fait pas des conclusions, mais un mémoire, tous les actes de procédures sont notifiés au lieu d’exploitation, ces deux caractéristiques démontrent la volonté du législateur de rapprocher le juge du justiciable ». Et si, depuis une vingtaine d’années, les propriétaires ont introduit des clauses attributives de compétence désignant la juridiction parisienne, par commodité pour eux, il n’en demeure pas moins que ’intérêt du justiciable, c’est que le juge naturel soit celui du lieu d’exploitation. « Cet article R145-23 pourrait s’inscrire dans le cadre de l’ordre public révélé, c’est-à-dire celui qui est déterminé non par le législateur, mais par le juge » analyse Me Hittinger-Roux. Pour l’heure, la Chancellerie ne semble pas envisager de modifier les textes.

Au-delà des aspects pratiques, ce dossier soulève la question de savoir jusqu’où le procès civil est-il la chose des parties, comme le fait remarquer le barreau de Paris. S’il est acquis qu’elles maitrisent la matière du litige, cela va-t-il jusqu’au droit de choisir son juge ? Les règles de compétence territoriales sont à la lisière de l’intérêt du justiciable et de la bonne administration de la justice, ce qui permet toutes les interprétations….

 

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