Règle de compétence exclusive du règlement Bruxelles I en matière de droits réels immobiliers

Publié le 22/06/2017

Dans le système de Bruxelles, les actions en matière de droits réels immobiliers relèvent d’un chef de compétence exclusive en faveur des juridictions de l’État membre du lieu de situation de l’immeuble. La Cour de cassation vient de faire application de ce principe à une action en partage d’immeuble, en reprenant la solution antérieurement dégagée par la Cour de justice pour la liquidation d’une indivision.

Cass. 1re civ., 20 avr. 2017, no 16-16983

La pierre angulaire du système de règles de compétence internationale en matière civile et commerciale instauré par la convention de Bruxelles de 1968 et les instruments communautaires qui l’ont suivie est le domicile du défendeur. Lequel fonde la compétence de principe des juridictions des États membres1.

Ce principe connaît toutefois des exceptions et les plus impératives d’entre elles sont les chefs de compétence exclusive de l’article 22 du règlement Bruxelles I repris de l’article 16 de la convention de Bruxelles.

Ces chefs de compétence, limitativement énumérés, reposent sur des considérations de proximité mais également sur des considérations liées à la souveraineté des États 2 car, ces règles ont vocation à répartir la compétence entre les États membres dans des domaines où leurs intérêts fondamentaux sont en jeu. En effet, celles-ci concernent les droits réels immobiliers, la validité des personnes morales et des sociétés, les registres publics, la propriété intellectuelle et l’exécution des décisions de justice. On justifie aussi les règles de compétence exclusive du règlement Bruxelles I par une nécessaire corrélation de la compétence et de la loi applicable, notamment pour garantir l’application des lois de police de l’État membre dont les juridictions sont exclusivement compétentes3. Lesquelles sont d’ailleurs généralement nombreuses en matière immobilière.

Les règles de compétence exclusive attribuent donc une compétence réservée aux tribunaux d’un État déterminé4, elles dérogent aux règles de compétence ordinaire et spéciale par ailleurs instaurées par le règlement, et elles s’appliquent indépendamment du domicile du défendeur dès que le critère de compétence en cause se réalise sur le territoire d’un État membre. Dès lors, on comprend qu’elles suivent un régime exorbitant des autres dispositions du règlement et que, partant, leur interprétation se doit d’être stricte5. La Cour de cassation le rappelle dans l’arrêt du 20 avril 2017 à propos de la compétence exclusive en matière de droits réels immobiliers prévue par l’article 22 § 1 du règlement Bruxelles I.

En l’espèce, en 1997, un couple de concubins, résidant en France, avait acquis en indivision, un immeuble en Espagne. Après la rupture, il devenait nécessaire de liquider l’indivision. En l’absence d’accord, l’un d’eux avait saisi les juridictions françaises.

Alors que le demandeur au pourvoi tentait de remettre en cause l’appréciation des juges du fond quant à l’existence d’une indivision entre les ex-concubins, sans discuter la compétence des juridictions françaises, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel qui a statué sur l’action en partage de l’immeuble « alors qu’en matière de droits réels immobiliers, sont seuls compétents, sans considération du domicile des parties, les tribunaux de l’État membre où l’immeuble est situé » ; et que « le juge d’un État membre, saisi à titre principal d’un litige pour lequel une juridiction d’un autre État membre est exclusivement compétente, se déclare d’office incompétent ». Le moyen de cassation a été relevé d’office par la Cour de cassation après avis donné aux parties dans les conditions de l’article 1015 du Code de procédure civile. C’est l’occasion de rappeler le régime des règles de compétence exclusive (II) et de revenir sur l’interprétation de la notion de litige en matière de droits réels immobiliers (I)

I – Retour sur la notion de litige en matière de droits réels immobiliers

Il résulte de l’article 22 § 1 du règlement Bruxelles I que sont exclusivement compétents pour statuer sur un litige en matière de droit réel immobilier, les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel l’immeuble est situé.

L’enjeu de la définition du droit réel immobilier était donc important ici car les deux parties au litige étaient résidents français. Aussi, la dérogation à la compétence de principe du for du défendeur (la France) dépendait de la question de savoir si une action en partage d’un immeuble indivis est une action réelle immobilière ou non.

Pour mémoire, la Cour de justice a précisé dans un arrêt Reichert6 que le sens de l’expression « en matière de droits réels immobiliers » devait être défini de façon autonome et strictement. Par conséquent, la compétence exclusive en matière de droits réels immobiliers n’englobe pas toutes les actions concernant des droits réels immobiliers. En réalité, deux critères cumulatifs doivent être réunis. D’une part, l’action doit tendre à déterminer l’étendue, la consistance, la propriété, la possession d’un bien immobilier ou l’existence d’autres droits réels, et d’autre part, elle doit viser à assurer aux titulaires de ces droits la protection des prérogatives attachées à leur titre7.

Dès lors, les actions mixtes, à la fois fondées sur un droit réel et sur un droit personnel sont exclues du champ d’application de l’article 22 § 1.

À cet égard, dans une espèce où le défendeur était domicilié au Danemark, la Cour de cassation avait censuré, par un arrêt du 23 septembre 20158, une cour d’appel qui avait retenu la compétence exclusive des juridictions françaises sur le fondement de l’article 22 § 1 du règlement Bruxelles I à raison de la localisation de l’immeuble en France pour statuer sur une action en partage. En effet, la Cour de cassation avait estimé que l’action en partage met en cause à la fois un droit réel et un droit personnel et que partant, elle n’est pas susceptible d’entrer dans le champ d’application de l’article 22 § 19.

Dès lors, pourquoi retenir la conclusion opposée dans l’espèce sous commentaire ?

Entre-temps, un arrêt de la CJUE est intervenu. Le 17 décembre 201510, la Cour de justice a effectivement considéré que la dissolution d’une copropriété indivise sur un bien immeuble entraînant un transfert du droit de propriété, produisant des effets à l’égard de tous, relève de la matière des droits réels immobiliers. La Cour de cassation reprend d’ailleurs in extenso la solution consacrée par la CJUE.

Cette affaire montre à quel point les frontières des actions en matière de droits réels immobiliers sont difficiles à tracer et marquées par une grande casuistique. La jurisprudence de la CJUE est stable quant aux principes mais les applications concrètes qu’elle en fait sont parfois contestables. Ainsi, à propos du trust anglais, elle a jugé que l’action qui tend à faire constater qu’une personne détient un immeuble en qualité de trustee et à lui enjoindre d’établir les documents nécessaires pour que le demandeur devienne le « legal owner » n’est pas une action en matière de droits réels immobiliers11 alors que le trust opère un démembrement de propriété qui entraîne l’attribution de droits réels au bénéficiaire et au trustee12. Cette casuistique est toutefois regrettable dans la mesure où le régime des règles de compétence exclusive est exorbitant et que la volonté des parties ne peut y déroger. Cela va à l’encontre de l’objectif de sécurité juridique qui normalement est vectorisé par l’interprétation uniforme et autonome du règlement par la CJUE.

II – Le régime des règles de compétence exclusive

Les règles de compétence énumérées à l’article 22 du règlement Bruxelles I voient leur exclusivité se traduire à la fois dans les instances directes et dans les instances indirectes.

Dans les instances directes, le juge d’un État membre saisi à titre principal d’un litige pour lequel une juridiction d’un autre État membre est exclusivement compétente doit se déclarer d’office incompétent. En outre, les règles de compétence exclusive ne peuvent pas être écartées par la volonté commune des parties. Autrement dit, elles prévalent donc sur les prorogations de compétence conventionnellement prévues par les parties, ou même sur les accords de for implicites résultant de la comparution du défendeur. Cela explique qu’en l’espèce, même si aucune des parties n’avait songé à soulever l’incompétence des juridictions françaises vers lesquelles elles s’étaient tout naturellement tournées du fait de leur résidence commune en France, le juge devait se déclarer d’office incompétent conformément à l’article 25 du règlement.

De plus, le principe s’applique à tous les stades de la procédure. En effet, à la suite d’une question préjudicielle posée par le Hoge Raad des Pays-Bas, à propos de l’article 19 de la convention de Bruxelles, qui a été intégralement repris par l’article 25 du règlement, la Cour de justice13 avait considéré que le juge national doit se déclarer d’office incompétent dès lors qu’il constate qu’une règle de compétence exclusive désigne les juridictions d’un autre État membre. Elle a précisé que cette solution s’impose même dans le cadre d’un pourvoi en cassation, alors même que les règles de procédures locales limitent l’examen de la juridiction aux seuls moyens invoqués par les parties ; ce qui, si l’on se réfère au droit français va bien au-delà des prescriptions de l’article 93 du Code de procédure civile14.

En relevant d’office l’incompétence des juridictions françaises, la Cour de cassation s’est donc pleinement conformée à la jurisprudence communautaire.

Et, quand bien même la haute juridiction n’aurait pas relevé cette incompétence, la violation d’une règle de compétence exclusive produit des conséquences sur les instances indirectes, c’est-à-dire en matière de reconnaissance et d’exécution des décisions émanant d’un autre État membre.

À vrai dire, bien qu’en principe, les motifs de refus de reconnaissance soient limitativement énumérés à l’article 34 du règlement, et que le principe de confiance mutuelle entre les États membres justifie que le juge de l’État requis ne vérifie pas la compétence du juge de l’État membre d’origine de la décision, il existe cependant deux limites. Elles tiennent au respect des règles de protection des consommateurs et des assurés15, d’une part, et au respect des règles de compétence exclusive, d’autre part.

Certes, le juge de l’État requis n’est pas censé se livrer à un tel contrôle d’office. Il résulte d’ailleurs du considérant 17 que la confiance réciproque justifie que la déclaration relative à la force exécutoire d’une décision rendue dans un autre État membre devrait être délivrée de manière quasi automatique, après un simple contrôle formel des documents fournis, sans qu’il soit possible pour la juridiction de soulever d’office un des motifs de non-exécution prévus par le règlement. Cependant, il suffit que l’une des parties au litige s’oppose à l’exécution pour qu’à sa demande, le juge constate le cas échéant la violation d’une règle de compétence exclusive par la juridiction d’origine de la décision. Dans l’espèce sous commentaire, le contentieux sur la compétence risquait donc de renaître au moment de l’exécution de la décision en Espagne.

La solution serait peut-être d’introduire dans le cas des actions mixtes une option de compétence à l’image de ce qui est prévu en matière de baux immobiliers16, lorsque les parties sont domiciliées dans le même État membre, comme en l’espèce, afin de leur éviter de devoir plaider à l’étranger.

Quoi qu’il en soit, la solution retenue ici serait la même sous l’empire du règlement Bruxelles I bis du 12 décembre 2012 puisque l’article 24 § 1 reprend le même chef de compétence exclusive en matière de droits réels immobiliers.

Cela dit, à l’avenir, l’entrée en application, du règlement (UE) n° 2016/1104 du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, prévue le 29 janvier 2019 risque de changer la donne, du moins lorsque la liquidation de l’indivision interviendra à la suite de la dissolution d’un partenariat (dans la présente affaire, il s’agissait de concubins). En effet, il résulte de l’article 5 que lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie pour statuer sur une demande en dissolution ou en annulation d’un partenariat enregistré, les juridictions de cet État sont compétentes pour statuer sur les effets patrimoniaux du partenariat enregistré en relation avec ladite affaire de dissolution ou d’annulation, lorsque les partenaires en conviennent ainsi. Ce qui laisse entendre que l’accord des parties pourrait lier les juridictions saisies à propos de l’annulation du Pacs quant à leur compétence pour liquider une indivision portant sur un immeuble, où qu’il soit situé…

Notes de bas de pages

  • 1.
    Conv. Bruxelles art. 2 ; Règl. (CE) n° 44/2001, art. 2 ; Règl. n° 1215/2012 dit Bruxelles I bis, art. 4.
  • 2.
    Lagarde P., Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain, vol. 196, RCADI 1986-I, p. 9, spéc. p. 128 et 129 ; Loussouarn Y., Bourel P. et de Vareilles-Sommières P., Droit international privé, 10e éd., 2013, n° 766, p. 775.
  • 3.
    Gaudemet-Tallon H., Compétence et exécution des jugements en Europe, 4e éd., 2010, Paris, LGDJ, n° 101.
  • 4.
    Holleaux D., Compétence du juge étranger et reconnaissance des jugements, 1970, Paris, Dalloz, nos 24 et s.
  • 5.
    La CJUE l’a rappelé récemment : CJUE, 12 mai 2011, n° C.144-10, BVG c/ JP.Morgan Bank Na, Frankfurt Branch : Rev. crit. DIP 2011, p. 922, note Trépoz E.
  • 6.
    CJCE, 10 janv. 1990, n° C-115/88 : JDI 1990, p. 503, note Bischoff J.-M. ; RCDIP 1991 p. 151, note Ancel B. Confirmé par CJCE, 18 mai 2006, n° C-343/04, EZ ; et, CJUE 3 avr. 2014, n° C-438/12, Irmengard Weber c/ Mechthilde Weber : JDI 2015, comm. 11 note Nioche M.
  • 7.
    CJUE, 3 oct. 2013, n° C-386/12, Schneider, pt 21 : Europe 2013, comm. 556, obs. Idot L. ; AJ fam. 2013, p. 720, obs. Raoul-Cormeil G. ; RTD com. 2013, p. 831, obs. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast A. ; D. 2014, p. 1059, obs. Gaudemet-Tallon H. et Jault-Seseke F. ; Rev. crit. DIP 2014, p. 182, note Corneloup S.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, n° 14-50031, D.
  • 9.
    Dans le même sens, Gaudemet Tallon H., op. cit. n° 101.
  • 10.
    CJUE, 17 déc. 2015, n° C-605/14, LEDIU févr. 2016, n° 22, p. 2, note Pemzec A., Europe 2016, comm. 80, Obs. Idot L. ;
  • 11.
    CJCE, 17 mai 1994, n° C-294/92, G.L. Webb c/ L.D. Web : Rec. CJCE 1994, I, p. 1717 ; JDI 1995, p. 477, obs. Bischoff J.-M., RCDIP 1995, p. 123, note Beraudo J.-P.
  • 12.
    Pour une appréciation critique en ce sens : Beraudo J.-P., préc.
  • 13.
    CJCE, 15 nov. 1983, n° C-288/82, Duijnstee c/ Goderbouer ; Rec. CJCE 1983, p. 3663 ; RCDIP 1984, p. 361, note Bonet G.
  • 14.
    CPC, art. 93 nouv. : « En matière gracieuse, le juge peut relever d’office son incompétence territoriale. Il ne le peut, en matière contentieuse, que dans les litiges relatifs à l’état des personnes, dans les cas où la loi attribue compétence exclusive à une autre juridiction ou si le défendeur ne comparaît pas ».
  • 15.
    Le règlement Bruxelles 1 bis, art. 45, a ajouté les règles de compétence protectrices du salarié
  • 16.
    Art. 22§ 1, al. 2.
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