Servitude de passage : le chemin le plus court n’est pas toujours le meilleur

Publié le 07/11/2017

Une cour d’appel croyait pouvoir fixer, comme assiette de la servitude légale de passage, le chemin le plus court et le moins dommageable. Il n’en est rien. Elle aurait dû rechercher si ce passage était compatible avec des contraintes de sécurité.

Cass. 3e civ., 11 mai 2017, no 16-12627

Si le chemin le plus court à la préférence du législateur pour constituer la servitude de passage d’une propriété enclavée, dès lors qu’il n’est pas le plus dommageable, des contraintes environnementales, d’urbanisme et même de sécurité doivent toutefois être prises en compte par les juges du fonds, comme nous l’indique la Cour de cassation dans son arrêt en date du 11 mai 2017.

En l’espèce, les faits sont relativement simples. Le propriétaire d’une parcelle à bâtir enclavée assigne ses voisins, ainsi que la commune, en fixation de l’assiette de la servitude de passage nécessaire au désenclavement de sa parcelle.

Pour accueillir sa demande, la cour d’appel retient, parmi les options proposées par l’expertise, celle du passage le plus court et le moins dommageable.

Les voisins propriétaires du fonds grevé par cette nouvelle servitude forment alors un pourvoi en cassation où ils soutiennent, en substance, que l’assiette de la servitude légale de passage prévue à l’article 682 du Code civil doit être compatible avec les contraintes d’urbanisme, d’environnement et de sécurité applicables et que, par conséquent, la cour d’appel aurait dû rechercher si l’assiette de la servitude légale de passage retenue était compatible avec les contraintes de sécurité applicables à une citerne de gaz souterraine implantée sur leur fonds.

La question qui se pose ainsi à la Cour de cassation est de savoir si des contraintes de sécurité peuvent être un obstacle quant à la fixation de l’assiette de la servitude légale de passage, autrement dit, de savoir si l’existence d’une citerne de gaz dans le tréfonds peut conduire à devoir rejeter le choix du chemin le plus court et le moins dommageable.

La Cour de cassation, en cassant l’arrêt rendu par la cour d’appel de Nîmes, répond par l’affirmative.

Elle motive son arrêt de cassation en retenant que la cour d’appel, sans rechercher, comme cela le lui était demandé, si l’assiette de la servitude ainsi définie était compatible avec les contraintes de sécurité applicables à la citerne de gaz souterraine implantée sur le fonds voisin, n’a pas donné de base légale à sa décision.

Ainsi, pour la Cour de cassation, outre des contraintes environnementales ou d’urbanisme, des considérations de sécurité doivent être prises en compte pour la détermination de l’assiette de la servitude légale de passage.

On le sait, le propriétaire dont le fonds est enclavé et qui n’a sur la voie publique aucune issue ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, peut réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner (C. civ., art. 682).

Si les juges du fonds sont souverains pour apprécier, d’après l’état des lieux et les circonstances de la cause, si le fonds est enclavé ou non1, la question ne posait pas débat en l’espèce, l’enclavement ne faisant pas de doute.

En effet, il s’agissait ici seulement de déterminer l’assiette de la servitude de passage, autrement dit, de savoir quel chemin de passage retenir.

Le principe fixé par l’article 683 du Code civil est alors simple, « le passage doit régulièrement être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique ». Pour autant, aussitôt ce principe affirmé en faveur du chemin le plus court, le texte tempère en prévoyant que néanmoins le passage « doit être fixé dans l’endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé ». Autrement dit, le passage le plus court doit être retenu par préférence, sauf s’il s’avère être plus dommageable pour le fonds sur lequel il est accordé qu’un autre passage plus long. Ainsi, le juge peut, en raison de l’état des lieux, fixer une assiette différente que celle du chemin le plus court2.

En l’espèce, la cour d’appel croyait pourtant pouvoir légitiment retenir le chemin le plus court dès lors qu’il était aussi le moins dommageable, d’autant que classiquement les juges du fond sont souverains pour déterminer le passage répondant aux exigences de l’article 683 du Code civil3.

C’était alors oublier que les juges du fonds doivent aussi rechercher, d’autant plus si cela leur est demandé, si le tracé retenu respecte certaines contraintes. Ainsi, il avait déjà été jugé par la Cour de cassation que des contraintes environnementales et urbanistiques doivent être prises en compte. Avait donc été cassé l’arrêt qui avait fixé l’assiette de la servitude selon un trajet plus long, mais moins dommageable pour le fonds servant, sans rechercher si ce tracé était bien compatible avec les contraintes d’urbanisme et environnementales applicables à la parcelle située en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager4.

Désormais, les juges du fond pour retenir un tracé devront aussi vérifier sa comptabilité avec des contraintes de sécurité.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 3e civ., 5 mars 1974 : Bull. civ. III, n° 102.
  • 2.
    Cass. 3e civ., 24 oct. 1974 : Bull. civ. III, n° 376.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 19 janv. 1966 : Bull. civ. I, n° 47 – Cass. 3e civ., 6 nov. 1969 : Bull. civ. III, n° 722.
  • 4.
    Cass. 3e civ., 5 sept. 2012 : Bull. civ. III, n° 115 ; D. 2012, p. 2093 ; D. 2013, p. 2123, obs. Reboul-Maupin N.
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