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La servitude de passage pour cause d’enclave autorisée par décision judiciaire n’est pas subordonnée au paiement préalable de l’indemnité de désenclavement

Publié le 10/06/2021

Lautorisation judiciaire du droit de passage nest pas subordonnée au paiement préalable de lindemnité de désenclavement.

Cass. 3e civ., 25 mars 2021, no 20-15155, FS–P

Servitude de passage et indemnité de désenclavement. En l’espèce1, un arrêt devenu irrévocable du 30 janvier 2012 a accordé, au profit de parcelles enclavées, devenues la propriété de MM. K. et R. C., une servitude de passage sur une parcelle, propriété de la SCI du Pramaou (la SCI), et fixé le montant de l’indemnité de désenclavement. Se prévalant de l’absence de paiement intégral de cette indemnité, la SCI a assigné les consorts C. en cessation des travaux permettant l’exercice du passage. Cette dernière est déboutée de sa demande en appel, et forme un pourvoi en cassation, soutenant que le propriétaire du fonds dominant ne peut entreprendre des travaux sur l’assiette de la servitude de passage dont il s’est vu reconnaître le bénéfice par une décision de justice sans s’acquitter préalablement de l’indemnité de désenclavement corrélativement mise à sa charge par le juge. La Cour de cassation rejette le pourvoi en estimant que la cour d’appel a retenu à bon droit que l’exercice du droit de passage n’est pas subordonné au paiement préalable de l’indemnité de désenclavement, et que la cour d’appel en a exactement déduit que la SCI ne pouvait prétendre à la démolition de l’accès consenti aux propriétaires du fonds dominant ni obtenir qu’il leur soit fait interdiction de pénétrer sur sa propriété. N’étant pas un moyen de pur droit2, la question se pose néanmoins de savoir si le propriétaire du fonds dominant doit verser l’indemnité de désenclavement préalablement à l’exercice du droit de passage au propriétaire du fonds servant. L’interprétation extensive de l’article 682 du Code civil retenue par la Cour de cassation (I) implique que l’exercice du droit de passage n’est pas subordonné au paiement préalable de l’indemnité de désenclavement (II).

I – La nécessaire interprétation de l’article 682 du Code civil

Questions d’interprétation. Le fait que l’exercice du droit de passage ne soit pas subordonné au paiement préalable de l’indemnité de désenclavement découle d’une interprétation hardie de l’article 682 du Code civil réalisée par la Cour de cassation (B), interprétation à laquelle la doctrine a contribué en proposant plusieurs fondements (A).

A – Fondements de l’interprétation de l’article 682 du Code civil

Charles Demolombe. À cet égard, la jurisprudence civile est hésitante et la doctrine divisée. Comme l’observe le professeur Christian Atias dans son manuel de droit des biens : « L’emploi du mot “charge” et de l’adjectif “imposée” révèle les préjugés des rédacteurs du code »3. De plus, pour Charles Demolombe, les servitudes sont « une des sources les plus fécondes des contestations et des procès »4. Pour autant Charles Demolombe poursuit dans son Traité et tente d’expliquer que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité (…), (…) si l’État lui-même, qui, au nom de l’intérêt public, exproprie un citoyen, est tenu de payer préalablement l’indemnité, on ne comprendrait pas que cette condition ne fût imposée à un particulier qui réclame, dans son intérêt, un droit de servitude sur le fonds d’autrui. Aussi, l’article 545, qui veut que l’indemnité soit préalable, nous paraît-il être, en cette matière, une règle générale et de droit commun »5.

Interprétation de l’article 682 du Code civil : interprétation large ou restrictive. L’article 682 du Code civil n’évoque pas expressément le moment du paiement de l’indemnité de désenclavement6 mais simplement une « (…) indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner ». Il est acquis que l’interprétation de l’article 682 nécessite une interprétation large. En effet, l’article 682 du Code civil initialement voté par les lois du 20 août 1881 a été modifié par la loi du 30 décembre 1967, en incluant les incises suivantes : « les modes d’exploitation mentionnés audit article (agricole, industrielle ou commerciale) et les opérations qui y sont évoquées (de construction ou de lotissement) ». Pour les auteurs, l’article 682 est indicatif et non limitatif, si bien qu’il peut recevoir une large interprétation qui relève du pouvoir souverain des juges du fond7.

L’indemnité de désenclavement préalable. On sait que l’article 545 du Code civil édicte que : « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ». Ainsi, en vertu d’une jurisprudence séculaire, la Cour de cassation considère que « l’indemnité n’est pas préalable comme en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique8 »9. Dans la même veine, il a été observé que : « L’action du propriétaire enclavé ayant pour but de faire fixer l’assiette de la servitude ne saurait être déclarée irrecevable par cela seul que l’intéressé aurait exercé son droit de passage avant la détermination de cette assiette ou de l’indemnité à verser. »10 Pour autant, comme le souligne un auteur : « la formulation de la solution ne faisait pas ressortir avec certitude cette solution car elle affirmait qu’aucune loi ne subordonne à l’offre d’une indemnité la recevabilité de l’action du propriétaire enclavé, qui demande que l’assiette du passage auquel il a droit, en vertu de l’article 682 du Code civil, soit fixée sur tel fonds, et (…) il appartient au propriétaire de ce fonds de réclamer, s’il s’y croit fondé, une indemnité pour le dommage que lui causera l’exercice du passage »11. Un arrêt de la Cour de cassation était venu préciser ultérieurement que le fondement légal de la servitude de passage en cas d’enclave justifie le droit du propriétaire enclavé avant même toute indemnisation12.

B – Interprétation hardie de l’article 682 du Code civil

Servitude de passage pour cause d’enclave. C’est en matière de servitude de passage que la jurisprudence civile s’est montrée la plus hardie, en admettant : « que cette notion de “moindre dommage” marque les limites de ce véritable démembrement du droit de propriété du titulaire du fonds servant que l’article 682 permet de réaliser, au bénéfice du propriétaire du fonds dominant ; que la notion de “dommage raisonnable” sous-jacente à celle de “moindre dommage” s’oppose à ce que le passage soit accordé quel que soit le préjudice subi par le propriétaire du fonds servant ; qu’admettre la solution contraire conduirait à réaliser dans certains cas une véritable expropriation au bénéfice d’un particulier »13. Force est de remarquer qu’à partir du moment où l’état d’enclave est reconnu par le juge judiciaire, la servitude de passage existe de plein droit14 si bien que l’indemnité de désenclavement n’est pas nécessairement préalable au droit de passage pour ne pas paralyser l’exécution de l’exercice du droit de passage. En l’espèce, les propriétaires du fond dominant souhaitaient la réalisation des travaux de décaissement sur l’assiette de la servitude et la construction d’une rampe d’accès. Cette situation semble fondée en équité car comme le souligne un auteur : « La difficulté en droit provient du fait que le législateur a fait un choix au profit du propriétaire du fonds enclavé qu’il a favorisé de plus en plus comme le montre la nouvelle rédaction de l’article 682 du Code civil (loi du 30 décembre 1967). Or ce faisant, le législateur ne s’est pas attardé à considérer l’intérêt du propriétaire du fonds servant, et notamment il n’a pas envisagé l’hypothèse où par suite du droit de passage, c’est le fonds servant qui deviendrait inexploitable »15. En doctrine, un commentateur éminent et avisé considère : « (…) À notre avis, que pour justifiable qu’elle soit encore de nos jours, notre décision risque d’être mal comprise si on tente de la situer dans les nouveaux courants, tout particulièrement naturalistes, qui traversent nos matières »16.

Désenclavement, chantier
shime/AdobeStock

II – Enjeux, enseignements et conséquences d’un arrêt audacieux

Du conventionnel au judiciaire. La présente décision illustre une tendance de la jurisprudence à protéger l’exploitant bénéficiant d’une servitude de passage pour cause d’enclave autorisée par décision judiciaire (A). La méconnaissance de la force obligatoire de la convention de servitude permet-elle au propriétaire du fonds servant de recouvrer l’indemnité de désenclavement (B) ?

A – Servitude de passage sur autorisation judiciaire

Recours au tribunal judiciaire. Il est de jurisprudence constante qu’il appartient aux tribunaux, à défaut d’accord entre le propriétaire d’un fonds enclavé et l’un de ses voisins, de fixer l’assiette et le mode d’exercice de la servitude de passage17. Ainsi il a été jugé que la création de la servitude de passage sans l’accord du fonds servant engage la responsabilité du propriétaire du fonds enclavé18. En l’espèce, le propriétaire du fonds dominant a entrepris des travaux sur l’assiette de la servitude de passage dont il s’est vu reconnaître le bénéfice par une décision de justice. Généralement la preuve de l’enclavement se fait soit par un procès-verbal d’huissier ou un rapport du géomètre. Il est évident qu’un procès-verbal d’huissier va constater si l’enclavement est visible et incontestable. Le rapport du géomètre expert va quant à lui exploiter les plans, titres et documents cadastraux. En cas de difficulté, il convient de saisir le juge des référés d’une demande d’expertise judiciaire qui sera validée par le tribunal judiciaire. Comme le soulignent les auteurs : « Le rapport de l’expertise ordonnée par le magistrat est généralement admis comme preuve dès lors qu’il n’est pas entaché d’erreur dont l’influence aurait été déterminante »19.

Droit à indemnisation de désenclavement fixé par le tribunal judiciaire. On enseigne généralement que l’évaluation de l’indemnité de désenclavement recouvre des critères qui tiennent compte par exemple : de la nature de la surface grevée – dont la propriété du sol n’est pas pour autant transférée – et de la gêne résultant de l’utilisation plus ou moins fréquente ou saisonnière du passage20 ou du nombre de maisons construites sur le fonds dominant et de l’importance du passage qui va en résulter21. « Au cas d’espèce, par arrêt définitif du 30 janvier 2012, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a constaté l’enclavement des parcelles (…), (…) et (…), accordé une servitude de passage sur la parcelle (…) et condamné le propriétaire des fonds dominants au paiement d’une indemnité légale de désenclavement de 31 880 € ». Un tracé matérialisé sur un plan de solution annexe 12 est proposé par l’expert, confirmé en ces mêmes termes par l’arrêt de la cour d’appel du 30 janvier 2012, de même que le montant de l’indemnité légale de désenclavement fixée à 31 880 € ([17] 120 € pour l’emprise + 14 760 € pour la nuisance).

B – Constitution d’une servitude de passage

Indemnité de désenclavement. On sait qu’il appartient au notaire instrumentaire d’apporter le plus grand soin à la constitution d’une servitude de passage dès lors que les parties conviennent de constituer une servitude entre le fonds dominant enclavé et le fonds servant. Ainsi que le relève un auteur : « Au-delà de la rigidité du texte, la pratique imposait parfois que le propriétaire du fonds servant puisse se voir obliger personnellement afin d’assurer un usage optimal de la servitude. La notion d’obligation réelle ou obligation propter rem fut donc utilisée à cet escient »22. On rappellera que la constitution d’une servitude de passage peut être consentie sans indemnité de désenclavement23. Pour autant, pour la perception de la « contribution de sécurité immobilière » il est fortement recommandé de prévoir une évaluation dans la clause relative aux déclarations fiscales de l’acte de constitution de servitude de passage24.

Exception d’inexécution « exceptio non adimpleti contractus » et indemnité de désenclavement. Sur ce point, un commentateur admet que « la servitude ayant un fondement légal en l’espèce, il ne semble pas qu’on puisse l’appliquer aux servitudes de passage ayant une origine conventionnelle. Dans ce dernier cas, la force obligatoire des conventions devrait prévaloir (C. civ., art. 1103), et une sorte d’exception d’inexécution devrait même être admise (C. civ., art. 1219) »25. Il a été parfois fait appel en effet à la notion d’exception d’inexécution qui n’a pas rencontré le succès escompté de sorte que la doctrine n’a pas manqué de relever « (…) que le propriétaire du fonds grevé d’une servitude conventionnelle de non-construction ne peut invoquer l’exception d’inexécution fondée sur le non-respect des engagements contractuels du propriétaire du fonds dominant, pour s’affranchir de la servitude et édifier une construction, passant ainsi d’une suspension d’exécution à une résolution unilatérale du contrat : ayant relevé que l’existence de la servitude “non aedificandi” n’était pas contestée et retenu à bon droit que s’il existait une contrepartie à cette servitude, l’absence de cette contrepartie ne pouvait être invoquée pour décider unilatéralement de s’affranchir de la servitude conventionnelle »26.

Conclusion. Gageons que l’avant-projet de réforme du droit des biens présenté par l’association Henri Capitant des amis de la culture juridique française27 puisse voir le jour et clarifier cette question du versement préalable de l’indemnité de désenclavement.

Notes de bas de pages

  • 1.
    P. Cornille, « Servitude judiciaire pour cause d’enclave : vous pouvez passer sans payer », Constr.-Urb. 2021, comm. 66 ; G. Tamwa Talla, « Droit de passage : conditions d’exercice », Dalloz actualité, 13 avr. 2021.
  • 2.
    H. Groutel, « Il y a droit (question de) et droit (moyen de pur) », JCl. Responsabilité civile et Assurances, n° 6, juin 2001, 100005.
  • 3.
    C. Atias, Droit civil. Les biens, 6e éd., 2002, Litec, n° 165, cité par R. Desgorces, Servitude contre droit propriété, 2003, Dalloz, p. 2111.
  • 4.
    C. Demolombe, Traité des servitudes ou services fonciers, t. 1, 4e éd., 1867, Book on Demand Ltd, n° 1.
  • 5.
    C. Demolombe, Cours de Code Napoléon, t. XII, Traité des servitudes ou services fonciers, t. II, 1876, Hachette, n° 631, p. 110, cité par G. Tamwa Talla, « Droit de passage : conditions d’exercice », Dalloz actualité, 13 avr. 2021.
  • 6.
    « Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner ».
  • 7.
    J. Hugot et É. Meiller, « Servitudes – Passage pour cause d’enclave », Notion d’enclave. Indemnisation, JCl. Constr.-Urb., fasc. 262-10, mise à jour : 21 juin 2017.
  • 8.
    Cass. req., 15 juin 1875 : DP 1876, p. 502, cité par J. Hugot et É. Meiller, « Servitudes – Passage pour cause d’enclave », Notion d’enclave. Indemnisation, JCl. Constr.-Urb., fasc. 262-10, mise à jour : 21 juin 2017
  • 9.
    G. Tamwa Talla, « Droit de passage : conditions d’exercice », Dalloz actualité, 13 avr. 2021.
  • 10.
    J. Hugot et É. Meiller, « Servitudes – Passage pour cause d’enclave », Organisation et protection de la servitude, JCl. Constr.-Urb., fasc. 262-30.
  • 11.
    Recueil général des lois et des arrêts, 1876, Sirey, p. 349-350.
  • 12.
    Cass. crim., 26 oct. 1934 : DH 1934, p. 542 ; J. Hugot et É. Meiller, « Servitudes – Passage pour cause d’enclave », Notion d’enclave. Indemnisation, JCl. Constr.-Urb., fasc. 262-10, mise à jour : 21 juin 2017.
  • 13.
    CA Rennes, 30 juin 1975, Marc c/ Le Gall. L,
  • 14.
    C. Larher-Loyer, « Revue juridique de l’Ouest », RJO 1976, p. 26-30.
  • 15.
    C. Larher-Loyer, « Revue juridique de l’Ouest », RJO 1976, p. 26-30.
  • 16.
    P. Cornille, « Servitude judiciaire pour cause d’enclave : vous pouvez passer sans payer », Constr.-Urb. 2021, comm. 66.
  • 17.
    Cass. civ., 15 mai 1950 : Bull. civ. I, n° 118 ; JCP G 1950, IV 109 ; J. Hugot et É. Meiller, « Servitudes – Passage pour cause d’enclave », Organisation et protection de la servitude, JCl. Constr.-Urb., fasc. 262-30.
  • 18.
    Cass. 3e civ., 3 juill. 1969.
  • 19.
    J. Hugot et É. Meiller, « Servitudes – Passage pour cause d’enclave », Organisation et protection de la servitude, JCl. Constr.-Urb., fasc. 262-30.
  • 20.
    CA Poitiers, 9 avr. 1986 : Juris-Data n° 1986-043943 ; J. Hugot et É. Meiller, « Servitudes – Passage pour cause d’enclave », Notion d’enclave. Indemnisation, JCl. Constr.-Urb., fasc. 262-10, mise à jour : 21 juin 2017.
  • 21.
    CA Aix-en-Provence, 22 sept. 2008 : Juris-Data n° 2008-373611 ; J. Hugot et É. Meiller, « Servitudes – Passage pour cause d’enclave », Notion d’enclave. Indemnisation, JCl. Constr.-Urb., fasc. 262-10, mise à jour : 21 juin 2017.
  • 22.
    V. Poux, L’obligation propter rem à l’épreuve des servitudes Bacaly [En ligne], n° 7, publié le 23 juill. 2015, https://lext.so/j_IsZy.
  • 23.
    G. Morin et M Vion, Recueil de solutions d’examens professionnels, t. 1, 2017, Defrénois, p. 294.
  • 24.
    G. Morin et M Vion, Recueil de solutions d’examens professionnels, t. 1, 2017, Defrénois, p. 294.
  • 25.
    G. Tamwa Talla, « Droit de passage : conditions d’exercice », Dalloz actualité, 13 avr. 2021.
  • 26.
    M. Storck, « Contrat – Inexécution du contrat – Exception d’inexécution », JCl. Civil Code, fasc. unique, art. 1219 et 1220, dernière mise à jour : 1er sept. 2020.
  • 27.
    Proposition de réforme du livre II du Code civil relatif aux biens, association Henri Capitant, https://lext.so/pe-DR2.
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