Le droit à l’information du patient, un droit fondamental de l’homme aux effets limités

Publié le 30/04/2019

« Le principe de transparence qui innerve le droit de la santé s’exprime non seulement au travers de la reconnaissance d’un droit à l’information du patient, mais aussi au travers du droit à un consentement éclairé, voire enfin au travers du droit à l’accès au dossier médical »1. Le droit à l’information, qui conditionne le droit au consentement libre et éclairé à l’acte de santé, puise ses racines au cœur du principe de la liberté humaine et du droit de la personne à l’intégrité de son corps. Placés au-dessus de la loi, les droits à l’information du patient et au consentement médical, intimement liés, se situent donc « à un niveau très élevé dans la hiérarchie des valeurs et de la protection de la personne humaine »2. Ce sont des droits fondamentaux de l’Homme, dont la valeur est constitutionnellement reconnue3.

« Le droit à l’information du patient », objet de la présente étude4, est un droit jeune. Son importance ne cesse de croître, comme d’autres droits à l’information au sein de multiples droits spéciaux. Sans lui, il n’est pas de situation démocratique. Protecteur, le droit à l’information permet de rééquilibrer les savoirs et les pouvoirs. De partie faible, parce qu’initialement « ignorante », le créancier de l’obligation d’information acquiert, grâce à l’information, une réelle liberté décisionnelle, fondamentale lorsque la décision à prendre concerne son intégrité corporelle. Notre société est celle du développement de la connaissance, notamment scientifique et médicale, et des techniques de diffusion de l’information, c’est aussi, en conséquence, celle d’une montée en puissance du droit à l’information.

Effectivement, en droit de la santé, les temps ont changé : feu le paternalisme, voire « l’impérialisme » médical5. Le patient n’est plus ce « serf », docile aux ordres du médecin considéré, jusque dans les années cinquante, comme le notable qui sait et s’impose face à des malades incapables d’exprimer une quelconque volonté6. Peu à peu, les droits à l’information et au consentement du patient7, « principes matriciels du droit de la santé » selon l’éminent spécialiste Pierre Sargos, ont été reconnus en doctrine dès 18968, par les juges dès 19069, avant d’être consacrés par une multitude de textes. Si la notion de droit à l’information du patient n’a de cesse d’être renforcée, ses effets ne semblent pas à la hauteur de la valeur de ce droit.

Historiquement, les bases actuelles du devoir d’information et de recueil du consentement du patient ont été fixées par le célèbre arrêt Teyssier du 28 janvier 194210 (même si le principe avait déjà été évoqué en jurisprudence en matière de chirurgie esthétique11). En l’espèce, « le blessé pouvait être traité soit par un appareillage plâtré, soit par l’opération chirurgicale de l’ostéosynthèse, et il n’avait été averti ni de la nature exacte de l’opération qu’il allait subir et de ses conséquences possibles, ni du choix qu’il avait entre ces deux méthodes curatives ». L’opération, pratiquée sans le consentement du malade, avait été, selon les juges, à l’origine d’accidents infectieux et d’une gangrène nécessitant l’amputation du bras fracturé. Le principe était posé : l’acte médical mutilant ne peut être réalisé que sur justification médicale et avec le consentement du patient, éclairé par l’information.

Par la suite, le Conseil constitutionnel, à propos des lois bioéthiques de 1994, devait placer les principes de primauté de la personne humaine, de respect de l’être humain dès le commencement de la vie, d’intégrité et d’absence de caractère patrimonial du corps humain, et d’intégrité de l’espèce humaine, au rang de principes constitutionnels, puisqu’ils tendent à assurer « le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine »12. La constitutionnalisation du droit à l’information du patient était faite. La Cour de cassation n’a, depuis, cessé de rappeler la constitutionnalité de ce droit. Ainsi, en 200113, elle fonde le devoir d’information du médecin vis-à-vis de son patient « sur l’exigence du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ». En 201214, elle rappelle le rattachement de ce droit au « principe de la dignité de la personne humaine et d’intégrité du corps humain ».

Parallèlement, les textes se sont emparés du principe à partir de 1974, consacrant ainsi l’œuvre jurisprudentielle. Le premier texte de nature réglementaire vise le fonctionnement des centres hospitaliers et dispose que : « Le médecin chef de service ou le médecin du service doivent donner aux malades, dans les conditions fixées par le Code de déontologie, les informations sur leur état qui leur sont accessibles ; dans toute la mesure du possible les traitements et soins proposés aux malades doivent aussi faire l’objet d’une information de la part du médecin »15. Puis, la loi hospitalière de 199116 met à la charge de tous, praticiens et établissements, un devoir d’information du malade. En 1995, ces notions sont insérées dans le Code de déontologie médicale17. Par la suite, ce droit est doté d’une portée générale grâce à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades18. Ce principe fondamental est également reconnu par les juges et de nombreux textes au niveau international19.

Ce droit est actuellement consacré à l’article L. 1111-2, alinéa 1er, du Code de la santé publique : « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé (…) ». Les exceptions à ce droit à l’information sont rares, il s’agit de l’urgence, de l’impossibilité d’informer le patient et du cas dans lequel le patient exprime sa volonté d’être « tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic », volonté qui ne saurait être respectée « lorsque les tiers sont exposés à un risque de transmission »20.

« Les droits reconnus aux usagers s’accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose », proclame le Code de la santé publique21. Parmi ces droits, le droit à l’information du patient22 ne cesse d’être renforcé dans sa notion (I), tout en étant limité dans ses effets (II).

I – Le renforcement de la notion de droit à l’information du patient

Le renforcement de la notion de droit à l’information du patient résulte d’un élargissement du nombre de bénéficiaires et d’auteurs de l’information (A), et d’une extension du contenu de l’information (B). Le renforcement actuel de la notion est d’inspiration consumériste, ce qui limite la portée de l’évolution.

A – L’élargissement du nombre de bénéficiaires et d’auteurs de l’information

1 – Les bénéficiaires

Le principe est que toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé, sauf en cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus de l’information23. Le patient lui-même est évidemment le destinataire naturel de l’information, s’il est en mesure de comprendre et d’exprimer sa volonté. Or, la transmission directe de l’information n’est pas toujours possible. En ce cas, des règles d’assistance et de représentation ont été précisées. Elles attestent d’un élargissement du nombre de bénéficiaires du droit à l’information.

En principe, les majeurs bénéficient directement de ce droit à l’information. Exceptionnellement, lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, sauf urgence ou impossibilité, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée sans consultation de la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6 du Code de la santé publique24 ou, à défaut, de la famille ou des proches ayant une communauté de vie ou d’affection avec le malade25. L’information, qui ne peut être transmise directement à la personne, est encore élargie à une équipe médicale, conformément à une procédure collégiale, lorsqu’il s’agit de limiter ou d’arrêter un traitement susceptible d’engager le décès de la personne26.

Les mineurs et les majeurs sous tutelle sont en principe indirectement informés par les titulaires de l’autorité parentale ou par le tuteur27, sauf exceptions28. Toutefois, ils conservent eux-mêmes un droit à recevoir une information ou de participer aux décisions prises les concernant, de manière adaptée à leur degré de maturité pour les mineurs, ou à leurs facultés de discernement pour les majeurs sous tutelle. Leur consentement doit également être systématiquement recherché s’ils sont aptes à exprimer leur volonté et à participer à la décision29.

Il est à noter que le droit à l’information du patient se double d’un droit à l’information d’un médecin30, qui peut être le médecin traitant pour assurer une continuité des soins31.

2 – Les auteurs

Les débiteurs du droit à l’information, en vertu de l’article L. 1111-2, alinéa 2, du Code de la santé publique, sont les professionnels de santé, et principalement les médecins. Le Code de déontologie médicale dispose : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension »32. En cas de pluridisciplinarité, l’obligation pèse tant sur le médecin prescripteur que sur le médecin qui réalise la prescription33. L’obligation d’information est ainsi « partagée », chaque médecin en informe ses confrères et le patient lui-même34 en vertu de l’article L. 4127-35 du CSP35. Les personnels paramédicaux participent à cette information dans leur domaine de compétence et dans le respect de leurs propres règles professionnelles.

En vertu de l’article L. 1111-7 du CSP, les établissements de santé, les centres de santé, le service de santé des armées ou l’institution nationale des invalides sont également débiteurs de l’ensemble des informations qu’ils détiennent concernant la santé des personnes. L’article L. 1112-136 met encore à la charge des établissements de santé, qu’ils soient publics ou privés, le devoir de « communiquer aux personnes recevant ou ayant reçu des soins, sur leur demande, les informations médicales définies à l’article L. 1111-7 ». Si la personne le souhaite, les établissements de santé proposent un accompagnement médical pour l’accès aux informations les concernant37. L’information est donnée par les praticiens des établissements aux personnes soignées, dans le respect des règles déontologiques qui leur sont applicables avec le concours des paramédicaux.

Si le champ d’application du droit à l’information est élargi au regard des bénéficiaires et auteurs de l’information, ce droit est également renforcé grâce à l’extension du contenu de l’information due.

B – L’extension du contenu de l’information due au patient

1 – L’amélioration de l’information médicale grâce aux progrès scientifiques

Toute personne a le droit d’accéder à l’ensemble des informations formalisées qui ont fondé le processus d’élaboration du diagnostic, le suivi du diagnostic et du traitement ou d’une action de prévention. En vertu de l’article L. 1111-2, alinéa 1er, « cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ». Cet article a été modifié sous l’influence des nouveaux acquis de la science. Ainsi, le droit à l’information porte également sur le droit de bénéficier de soins sous la forme ambulatoire ou à domicile, lorsque l’état de santé du malade le permet, notamment lorsqu’il relève de soins palliatifs. De même, si postérieurement aux investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf s’il est impossible de la retrouver.

Le droit à l’information du patient porte donc, depuis l’arrêt Teyssier, sur trois éléments majeurs médicaux, nécessaires à l’obtention d’un consentement éclairé : la nature exacte des soins proposés ou des investigations ; les conséquences de ces soins ; l’existence d’alternatives thérapeutiques entre lesquelles le malade pourrait avoir un choix. Le contenu fondamental de l’information est donc ancien même si la qualité de l’information continue d’évoluer sous l’influence des progrès de la médecine. D’autres éléments d’information sont venus renforcer l’obligation d’information, dans une approche moins scientifique et fondamentale.

2 – La multiplication des informations accessoires sous l’influence consumériste

Initialement, le droit à l’information du patient concernait des données médicales. Progressivement, des informations de nature différente, accessoires, ont été ajoutées, sous l’influence du droit de la consommation.

En premier lieu, les textes ont ajouté au droit à l’information du patient des informations qui portent sur le coût de l’acte, les honoraires, les conditions de leurs prises en charge et de dispense d’avance des frais et, en cas d’hospitalisation, sur le coût de l’ensemble des prestations reçues38. En vertu de l’article L. 1111-3 du Code de la santé publique : « toute personne a droit à une information sur les frais auxquels elle pourrait être exposée à l’occasion d’activités de prévention, de diagnostic et de soins et le cas échéant, sur les conditions de leur prise en charge et de dispense d’avance des frais »39. Depuis 2016, il a été précisé qu’en cas de prise en charge dans un établissement de santé, tout patient reçoit à la sortie un document récapitulatif qui lui permet de connaître le coût de l’ensemble des prestations reçues, avec indication de la part couverte par son régime d’assurance maladie obligatoire, par sa complémentaire et du solde restant à sa charge.

En vertu des articles L. 1111-3-2 et L. 1111-3-3, respectivement modifiés en 2018 et créés en 2016, l’information sur le coût est délivrée par les professionnels libéraux et les centres de santé ou établissements, par affichage dans les lieux de réception des patients, diffusion sur les sites internet de communication au public, et devis préalable au-delà d’un certain montant. Des dispositions particulières s’appliquent en cas de fourniture d’un dispositif médical sur mesure.

En cas de manquement à ces obligations d’information sur le coût, les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont compétents pour prononcer des sanctions, amendes administratives qui ne peuvent excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale40.

En second lieu, depuis 2016, le Code de la santé publique prescrit également un droit à l’information du patient sur le respect par le professionnel ou l’établissement des conditions d’exercice définies par le Code de la santé publique et sur son obligation d’assurance, destinée à le garantir en cas d’engagement de leur responsabilité civile ou administrative41.

Le contenu, la qualité42, les modalités de transfert43 de l’information sont sans cesse renforcés dans la loi et en jurisprudence pour une information la plus claire, loyale et pertinente possible, dans l’intérêt du patient. La volonté de renforcement est plus limitée concernant les effets du droit à l’information du patient, tout particulièrement en cas de dommage corporel.

II – La limitation des effets du droit à l’information du patient

La limitation des effets du droit à l’information du patient, pour le patient lui-même, est tangible en cas d’accidents médicaux, de refus de l’information bien évidemment ou de refus de soins ; dans ces cas, le respect par le professionnel de ses obligations d’information, même renforcées, aboutit à son irresponsabilité à l’égard du patient (A). En cas de violation de son droit à l’information, le patient se heurtera encore à une indemnisation limitée, le principe de la réparation intégrale n’étant que rarement possible en l’état actuel du droit français (B). Une amélioration des effets de ce droit fondamental, constitutionnellement consacré, est souhaitée.

A – La bonne information du patient, source d’une décharge de responsabilité professionnelle

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé »44, sauf en cas d’urgence et d’impossibilité. Ainsi, en cas d’intervention autorisée, s’il apparaît la nécessité d’une nouvelle intervention ou d’un changement de traitement, l’accord initial du malade ne peut qu’exceptionnellement s’étendre implicitement aux nouvelles interventions nécessaires dans l’intérêt du patient45 ; si le report des actes de soins ne lui est pas dommageable, il doit être réalisé pour permettre d’obtenir le consentement à l’acte et ainsi une décharge de responsabilité du professionnel ou de l’établissement.

1 – Accidents médicaux

En général, correctement informé, le patient, directement ou par l’intermédiaire de la personne désignée, accepte, de manière libre et éclairée, les soins proposés46. Étant informé des risques inhérents à l’acte médical et ayant donné son consentement, il n’est alors plus fondé à demander la réparation de l’aléa thérapeutique effectivement survenu. Faisant suite à une divergence entre la Cour de cassation et le Conseil d’État, la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 a mis en place un système de réparation des accidents médicaux par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). L’information justifie l’encadrement et la limitation des demandes d’indemnisation du patient.

2 – Refus de l’information

Le patient peut toujours refuser de recevoir l’information due par le professionnel de santé comme indiqué par la loi et le Code de déontologie, après avoir été consacré en jurisprudence47. La volonté d’un malade de rester dans l’ignorance d’un pronostic ou d’un diagnostic grave doit être respectée. En ce cas, le professionnel informe le patient des conséquences de son refus, le médecin faisant alors seul le choix de la thérapie la plus efficace et la moins risquée. Pour se couvrir, le professionnel ne manquera pas de conserver la preuve qu’il a proposé l’information au patient qui l’a refusée. En cas de doute sur l’état de lucidité du patient, il respectera une nouvelle obligation d’information au profit des proches. En cas de dommage, la responsabilité du professionnel ne sera pas engagée.

3 – Refus de soins

En fonction de l’information reçue, « la personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement »48. En ce cas, le professionnel de santé doit l’informer des conséquences de son refus49. Aucun acte médical, ni aucun traitement, ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. Il est à noter qu’en cas de refus sur des motifs religieux, le médecin peut exceptionnellement passer outre le refus de parents, s’ils agissent au préjudice de l’intérêt de l’enfant50. En vertu de l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique, lorsque la personne est hors d’état de manifester sa volonté, il est fait appel à une information collégiale avec information de la personne de confiance ou des proches qui peuvent refuser les soins et traitements proposés. Le droit au refus des soins est donc un principe général qui découle du principe constitutionnel de respect de la dignité humaine. En cas de refus de soins, la responsabilité du professionnel ou de l’établissement ne pourra être évidemment engagée en cas d’intervention de dommages.

En cas de défaut d’information, l’indemnisation est encore limitée.

B – Le défaut d’information et l’indemnisation limitée du patient

En cas de manquement à l’obligation d’information du patient et d’atteinte corporelle, depuis 1990, le droit à la réparation intégrale des préjudices subis a fait place au principe de l’indemnisation limitée à une perte de chance de les éviter51. La responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé, de nature délictuelle52, a donc été limitée, affaiblissant les effets protecteurs du droit à l’information du patient.

Au départ, le manquement à l’obligation d’information supposait l’indemnisation de l’intégralité des préjudices subis, le patient n’ayant pu consentir valablement53. En 1990, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence et estimé qu’en privant son patient d’information, le praticien le prive d’une chance d’échapper au risque finalement survenu, ce qui constitue un préjudice distinct des atteintes corporelles elles-mêmes54.

La limitation des effets du droit à l’information du patient est de taille, sans pour autant être fondée en droit55. Elle consacre un affaiblissement injustifié de ce droit fondamental.

En l’état actuel de la jurisprudence, la « réparation » ne sera que rarement totale, dans les cas où les juges du fond retiennent que le patient, correctement informé des risques, aurait avec certitude refusé l’intervention.

En effet, en deuxième lieu, si les juges considèrent que le patient correctement informé des risques aurait probablement refusé l’acte de soins, l’indemnisation est limitée sur le fondement de la perte de chance d’éviter le risque, chaque chef de préjudice étant indemnisé partiellement, à proportion de la perte de chance retenue souverainement appréciée56. Certes, un complément d’indemnisation pourra être obtenu par la demande d’indemnisation à l’ONIAM, de la part des préjudices non réparés au titre de la perte de chance, sur le fondement de l’aléa thérapeutique57. Mais l’ONIAM n’intervient pas dans les cas les moins graves et la multiplication des procédures est un frein à l’indemnisation.

En troisième lieu, si les juges retiennent que le patient, informé des risques, aurait accepté de subir l’acte quand même, l’indemnisation, exclue avec les affaires Hédreul58, est désormais réduite, depuis l’arrêt Seurt du 3 juin 201059 à l’indemnisation du préjudice moral d’impréparation à la survenue du risque réalisé. Après avoir tergiversé, la Cour de cassation considère que : « l’obligation du médecin d’informer son patient avant de porter atteinte à son corps est fondée sur la sauvegarde de la dignité humaine ; (…) le médecin qui manque à cette obligation fondamentale cause nécessairement un préjudice à son patient, fût-il uniquement moral, que le juge ne peut laisser sans indemnisation ». Certes, selon les plus hautes juridictions, le préjudice moral d’impréparation au risque doit être indemnisé, même en l’absence d’indemnisation d’une perte de chance60, mais le montant est dérisoire par rapport à une indemnisation intégrale.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Laude A., Mathieu B. et Tabuteau D., Droit de la santé, 3e éd., 2012, PUF, Thémis, n° 316, p. 337.
  • 2.
    Sargos P., « Les sept piliers de la sagesse du droit », JCP G 2015, étude 34, p. 51.
  • 3.
    Cons. const., 7 juill. 1994, nos 94-343 et 94-344 DC : JO, 29 juill. 1994, p. 11.
  • 4.
    Le droit au consentement libre et éclairé ne sera pas développé.
  • 5.
    Savatier R., Péquignot H., Auby J.-M. et Savatier J., Traité de droit médical, 1956, Librairies techniques, n° 9, p. 22.
  • 6.
    Sargos P., « Principes communs. Information du patient et consentement aux soins », JCl. Droit médical et hospitalier, 13 déc. 2017, Litec, fasc. 9, n° 1.
  • 7.
    CA Angers, 4 mars 1947 : D. 1948, p. 298, obs. Savatier R. : à propos de la responsabilité retenue d’un chirurgien qui avait procédé à l’amputation d’une jambe sans le consentement du patient.
  • 8.
    Hamonic M., « De la responsabilité civile ou pénale que peuvent encourir les chirurgiens », La gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, 5 janv. 1896, cité par Sargos P., « Principes communs. Information du patient et consentement aux soins », JCl. Droit médical et hospitalier, 13 déc. 2017, Litec, fasc. 9, n° 6. Le chirurgien a une obligation d’information préopératoire consistant à « prévenir le malade ou la personne sous l’autorité de laquelle celui-ci se trouve placé et obtenir le consentement de l’un ou de l’autre, en indiquant l’aléa de l’opération. Et la preuve du consentement du malade demeure à la charge du médecin. Il est bien évident que celui qui va subir une opération dans laquelle, ou à la suite de laquelle, il peut succomber, doit être prévenu du danger qu’il va courir ».
  • 9.
    CA Aix-en-Provence, 22 oct. 1906 : D. 1907, 2, p. 41, obs. Mérignac M. : le malade doit être « prévenu du danger » qu’une opération pouvait lui faire courir et doit donner son consentement à celle-ci.
  • 10.
    Cass. civ., 28 janv. 1942, arrêt Teyssier : D. 1942, Jur., p. 63 ; Gaz. Pal. 1942, 1, jur., p. 177. Le chirurgien « est tenu, sauf cas de force majeure, d’obtenir le consentement du malade avant de pratiquer une opération dont il apprécie, en pleine indépendance, sous sa responsabilité, l’utilité, la nature et les risques ; (…) en violant cette obligation, imposée par le respect de la personne humaine, il commet une atteinte grave aux droits du malade ».
  • 11.
    CA Paris, 22 janv. 1913 : Gaz. Pal. 1913, 2, jur., p. 260.
  • 12.
    Cons. const., 7 juill. 1994, nos 94-343 et 94-344 DC.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 9 oct. 2001, n° 00-14564 : D. 2001, Jur., p. 3470, rapp. Sargos P., note Thouvenin D. ; LPA 6 déc. 2001, p. 1, note Clément C. ; RJPF 2002, n° 1, note Chabas F. ; Gaz. Pal., 27 nov. 2001, n°331 p.  53, note J. Guigue.
  • 14.
    Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-18327, arrêt Lamblin : JCP G 2012, 1 252, obs. Vialla F. ; JCP G 2012, note 987, Gout O. ; Resp. civ. et assur. 2012, comm. 245, obs. Hoquet-Berg S. ; D. 2012, p. 1794, note Laude A. ; RLDC 2012/96, n° 4772, obs. Bugnicourt J.-Ph ; Gaz. Pal. 2012, 1, jur., p. 11, obs. Bacache M. : cassation pour défaut d’information imputable à un médecin qui avait ainsi « privé son patient de la faculté de donner un consentement éclairé » au traitement qu’il avait subi.
  • 15.
    D. n° 74-27, 14 janv. 1974, relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers et des hôpitaux locaux, art. 41 : JO, 16 janv. 1974.
  • 16.
    L. n° 91-748, 31 juill. 1991 : JO, 2 août 1991, rect. 29 oct. 1991.
  • 17.
    D. n° 95-1000, 6 sept. 1995 : JO, 8 sept. 1995. Le Code de déontologie médicale est intégré au CSP, aux articles R. 4127-1 à R. 4127-112.
  • 18.
    Radé C., « La réforme de la responsabilité médicale après la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé », Resp. civ. et assur. 2002, chron. 5.
  • 19.
    Dès 1995, l’Association médicale mondiale vise, dans une déclaration sur les droits du patient, le droit d’obtenir « l’information nécessaire pour prendre ses décisions ». En 2009, la Cour européenne des droits de l’Homme consacre, dans sa jurisprudence, l’obligation du médecin d’informer son patient des conséquences prévisibles que l’intervention médicale projetée peut avoir, afin qu’il soit en mesure de « donner un accord éclairé » (CEDH, 2 juin 2009, n° 31675/04, Codarcea c/ Roumanie). La France a ratifié, le 14 décembre 2011, la convention d’Oviedo pour la protection des droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : « une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. La personne concernée peut, à tout moment, retirer librement son consentement » (art. 5).
  • 20.
    CSP, art. L. 1111-2, al. 4.
  • 21.
    CSP, art. L. 1111-1.
  • 22.
    Il est précisé que la réglementation vise les termes de « malade », d’« usager du système de santé », ou encore de « personne ». Plus largement, ce droit bénéficie au patient lui-même, et/ou son représentant légal, la personne de confiance qu’il a désignée, ou encore le médecin désigné ou traitant.
  • 23.
    CSP, art. L. 1111-2, al. 2.
  • 24.
    CSP, art. L. 1111-6 : « Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Elle rend compte de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage. Cette désignation est faite par écrit et cosignée par la personne désignée. Elle est révisable et révocable à tout moment ».
  • 25.
    CSP, art. L. 1111-4, al. 5.
  • 26.
    CSP, art. L. 1111-4, al. 6.
  • 27.
    CSP, art. L. 1111-2, al. 5.
  • 28.
    CSP, art. L. 1111-5 et CSP, art. L. 1111-5-1.
  • 29.
    CSP, art. L. 1111-4, al. 7.
  • 30.
    CSP, art. L. 1111-7, al. 2.
  • 31.
    CSP, art. L. 1111-2, al. 8 : cet article prévoit que l’établissement de santé recueille auprès du patient hospitalisé les coordonnées des professionnels de santé auprès desquels il souhaite que soient recueillies les informations nécessaires à sa prise en charge durant son séjour et que soient transmises celles utiles à la continuité des soins.
  • 32.
    CSP, art. R. 4127-35, al. 1.
  • 33.
    Cass. 1re civ., 29 mai 1984 : Bull. civ. I, nos 177 et 178 – Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-19609.
  • 34.
    Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n° 12-14097.
  • 35.
    CSP, art. R. 4127-64 : « Lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement d’un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés ; chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles et veille à l’information du malade. Chacun des médecins peut librement refuser de prêter son concours, ou le retirer, à condition de ne pas nuire au malade et d’en avertir ses confrères ».
  • 36.
    Modifié par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 (art. 95).
  • 37.
    Le refus de cet accompagnement ne fait pas obstacle à la consultation de ces informations.
  • 38.
    Les modalités de cette information sont définies aux articles L. 1111-3 à L. 1111-3-6 du Code de la santé publique modifiés ou créés en 2016 par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 et par l’ordonnance n° 2018-470 du 12 juin 2018.
  • 39.
    La gratuité de cette information est affirmée par ce texte.
  • 40.
    CSP, art. L. 1111-3-5.
  • 41.
    CSP, art. L. 1111-3-6.
  • 42.
    La Haute autorité de santé édicte des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l’information qui sont homologuées par arrêté du ministre chargé de la Santé (CSP, art. L. 1111-2, al. 6).
  • 43.
    Elshoud S., Fiches de droit de la santé et de droit médical, 2017, Ellipses, p. 74. L’information est délivrée au cours d’un entretien individuel, lors de l’échange entre le patient et le professionnel de santé. Elle est également délivrée postérieurement aux soins, grâce à l’accès au dossier médical. Dans tous les cas, la loi prévoit que la délivrance de l’information est gratuite, sauf frais de reproduction et d’envoi pour l’accès au dossier médical.
  • 44.
    Dans ce dernier cas, l’information est réalisée soit par la consultation sur place et remise éventuelle de copies souhaitées, soit par l’envoi de copies des documents sollicités. Il n’y a pas d’accès aux originaux mais la loi prévoit que leur valeur probante est celle d’originaux. Les délais légaux de transmission d’un dossier sont de 8 jours pour la transmission des documents médicaux datant de moins de 5 ans, et de 2 mois au maximum pour les documents médicaux datant de plus de 10 ans.
  • 45.
    Les professionnels de santé et les établissements sont tenus de conserver les documents médicaux de leurs patients durant un délai de 20 ans. D’autres professionnels comme les avocats, par exemple, qui peuvent détenir des pièces médicales dans le cadre de la gestion de dossiers d’indemnisation, sont tenus à une obligation de conservation plus courte de 5 ans.
  • 46.
    CSP, art. L. 1111-4, al. 1er.
  • 47.
    Cass. 1re civ., 27 oct. 1962 : Bull. civ. I, n° 307 – Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-19817 : Bull. civ. I, n° 142.
  • 48.
    CSP, art. L. 1111-4 et s.
  • 49.
    CSP, art. L. 1111-2 et CSP, art. R. 4127-35, al. 2. Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, n° 97-10267 ; CE, 5 janv. 2000, n° 181899, Cts T c/ Hospices civils de Lyon.
  • 50.
    CSP, art. L. 1111-4, al. 2.
  • 51.
    CSP, art. L. 1111-4, al. 3 : « Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité ». V. aussi CSP, art. R. 4127-35. Cass. crim., 3 juill. 1969 : JCP G 1970, II 16447, note Ravatier R. – Cass. 2e civ., 19 mars 1997, n° 93-10914 : Bull. civ. II, n° 86.
  • 52.
    CSP, art. R. 4127-43 : « le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage ». L’exercice de l’autorité parentale est alors limité par le droit du médecin de donner des soins conformes aux données acquises de la science, en vertu des articles L. 1111-4 et L. 1111-5 du CSP.
  • 53.
    En cas de manquement à l’obligation d’information du patient, l’établissement public sera attrait devant la juridiction administrative, tandis que le professionnel libéral et/ou l’établissement de santé privé seront engagés devant la juridiction judiciaire.
  • 54.
    Le principe de la responsabilité contractuelle du médecin vis-à-vis de son patient posé par l’arrêt Mercier (Cass. civ., 20 mai 1936 : D. 1936, 1, p. 88, note Pilon E. ; Gaz. Pal. 1936, 2, jur. p. 41) a été écarté en matière d’information du patient, implicitement en 2006 (Cass. 1re civ., 6 déc. 2006, n° 06-19301), puis expressément en 2010 (Cass. 1re civ., 28 janv. 2010, n° 09-10992) et 2012 (Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-18327, arrêt Lamblin).
  • 55.
    CA Paris, 12 mars 1931, arrêt Le Guen : Gaz. Pal. 1931, 1, p. 590 ; Cass. civ., 28 janv. 1942, arrêt Teyssier.
  • 56.
    Cass. 1re civ., 7 févr. 1990, n° 88-14797 : Bull. civ. I, n° 39 ; D. 1991, Somm., p. 183, obs. Penneau J.
  • 57.
    Sargos P., « Principes communs. Information du patient et consentement aux soins », JCl. Droit médical et hospitalier, 13 déc. 2017, Litec, fasc. 9, n° 32, p. 16 : l’auteur souligne que l’application de la théorie de l’équivalence des conditions de l’arrêt Teyssier était tout à fait justifiée, que la perte de chance n’a pas lieu de s’appliquer en présence d’un dommage résultant avec certitude de l’intervention médicale fautive réalisée sans consentement du patient ; que le préjudice indemnisé tient compte de l’état antérieur du patient et que la réparation ne va donc pas au-delà de la réparation intégrale.
  • 58.
    Dernièrement : Cass. 1re civ., 22 juin 2017, n° 16-21141 : Resp. civ. et assur. 2017, comm. 251, Hocquet-Berg S. – Cass. 1re civ., 8 juill. 1997, n° 95-18113 : Bull. civ. I, n° 238 – Cass. 1re civ., 8 juill. 1997, n° 95-17076 : Bull. civ. I, n° 239 – Cass. 1re civ., 29 juin 1999, n° 97-14254 : Bull. civ. I, n° 220. Sur la jurisprudence du Conseil d’État statuant dans le même sens : CE, 5 janv. 2000, n° 181899 : Lebon, p. 5, concl. Chauvaux D. – CE, 19 mai 2014, n° 216039.
  • 59.
    Cass. 1re civ., 11 mars 2010, n° 09-11270 : Bull. civ. I, n° 63 – Cass. 1re civ., 9 févr. 2012, n° 10-25915 : Rev. gén. Droit médical sept. 2012, p. 281, étude Sargos P.
  • 60.
    Dans l’affaire Hédreul, à l’origine de deux arrêts de la Cour de cassation en 1997 et 2000, toute indemnisation des préjudices est écartée si, même informé sur les risques, le patient aurait nécessairement accepté l’intervention, ne pouvant dès lors justifier d’un préjudice : Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n° 94-19685 ; Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-23046 : Bull. civ. I, n° 193.
  • 61.
    Cass. 1re civ., 3 juin 2010, n° 09-13591 : Bull. civ. I, n° 128.
  • 62.
    CE, 16 juin 2016, n° 382497 ; Cass. 1re civ., 25 janv. 2017, n° 17-27898 : Resp. civ. et assur. 2017, note Hocquet-Berg S.
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