Les Républicains demandent en justice la nomination d’un mandataire ad hoc

Publié le 27/06/2024

Mercredi 26 juin, plusieurs responsables du parti Les Républicains  (LR) ont assigné en référé d’heure à heure Éric Ciotti aux fins de demander au tribunal judiciaire de Paris de nommer un mandataire ad hoc avec la mission de convoquer un bureau politique. L’ordre du jour ? Révoquer le président et nommer un président intérimaire. Le jugement sera rendu ce soir à 18 heures.

Les Républicains demandent en justice la nomination d'un mandataire ad hoc
Photo TJ de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

Pour les LR qui ne veulent plus de lui, Éric Ciotti commence à prendre des allures de sparadrap du capitaine Haddock. Ils l’ont exclu une première fois le 12 juin pour avoir annoncé sans concertation et alors que cela n’entrait pas dans ses pouvoirs de président, une alliance avec le RN dans le cadre des législatives anticipées. Puis ils ont tenu un bureau politique le 14 juin lors duquel ils ont entériné cette décision d’exclusion. Mais le jour même, l’intéressé obtenait en référé devant le tribunal judiciaire de Paris la suspension des effets de son exclusion pour éviter la perte irrévocable de la possibilité de poser sa candidature à un scrutin national en tant qu’adhérent du parti dont il revendique la présidence (Lire la décision ici). L’intéressé avait en effet jusqu’au dimanche suivant pour déposer sa candidature.

Éric Ciotti refuse de convoquer un bureau politique malgré plus de 700 demandes

Les LR ont donc décidé de saisir à nouveau le tribunal de Paris en référé pour demander cette fois la nomination d’un mandataire ad hoc chargé de convoquer le bureau politique (ce qu’Éric Ciotti refuse malgré la demande de 703 membres du Conseil national). L’affaire a été plaidée mercredi après-midi. Côté demandeurs : Annie Genevard, secrétaire générale, Daniel Fasquelle, trésorier national, ainsi que Xavier Bertrand, Gérard Larcher, Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, assistés du cabinet Darrois. En défense, Éric Ciotti. Comme la fois précédente, Me Philippe Torre s’est présenté peu avant le début de l’audience et a poussé ses confrères en demande pour occuper le même banc qu’eux au nom du parti Les Républicains. En réalité, il partage la stratégie d’Éric Ciotti défendue par Me. Philippe Prigent et sa présence a visiblement pour objectif de montrer judiciairement que le parti est du côté de son président. Ce qui ne va pas sans créer des tensions, dont il s’amuse énormément, y compris quand cela nécessite de faire venir le bâtonnier, comme ce fut le cas lors de la précédente audience (lire notre récit ici). Ainsi Me Philippe Prigent est-il seul sur les bancs de la défense, alors qu’en pratique deux avocats s’opposent aux demandeurs.

A 16 h 00 précises, la formation de référé composée de trois magistrats sous la présidence de Fabrice Vert fait son entrée. Quand ce dernier demande leurs écritures aux parties surgit la première flèche :

« Nous avons reçu les conclusions de la défense il y a 45 minutes, souligne Me Matthieu Brochier pour les demandeurs.

—Et nous, nous avons reçu l’assignation hier, il n’y aura pas de renvoi, assène Me Philippe Torre.

— Je n’en demande pas. Je ne me plains de rien pour l’instant », réplique sèchement son confrère.

La désignation d’un mandataire ad hoc pour convoquer un bureau politique

C’est Me Carine Dupeyron qui s’avance la barre pour exposer la demande de ses clients. « L’objet de notre assignation d’heure à heure est simple : nous sollicitons pour six membres du bureau politique et le conseil national, face à la carence de M. Ciotti, la nomination d’un mandataire ad hoc afin de convoquer un bureau politique ». Les effets de son exclusion ayant été suspendus, il est donc toujours en poste, au moins jusqu’à ce que le juge du fond, qui a été saisi entre-temps, ne se prononce d’ici plusieurs mois ou qu’un autre moyen soit trouvé de l’exclure. En l’état, on comprend à l’audience que les organes de fonctionnement du parti sont bloqués. D’où la nécessité de tenir un nouveau bureau en urgence avant le premier tour du scrutin afin de pouvoir faire des annonces claires aux électeurs. L’ordre du jour tient en 5 points : constater que le parti n’est pas tenu par l’annonce de l’alliance avec le RN, acter l’exclusion d’Éric Ciotti, nommer un dirigeant provisoire et retrouver la libre disposition des fonds, car le président a interdit à la banque de réaliser la moindre transaction sans son autorisation. Les LR en sont donc réduits à ne traiter que les dépenses courantes, parmi lesquelles les salaires, dans un climat de grande tension puisque le trésorier ne peut plus exercer ses fonctions.

Querelle de chiffres

Sur le banc de la défense, régulièrement sollicité par le président pour savoir ce qui est contesté ou pas, tout est précisément sujet de contestation, à commencer par le quorum. Me Carine Dupeyron explique qu’il y a théoriquement 2307 membres statuaires et élus, mais quand on soustrait les postes non occupés, on en arrive à 1990. Ils sont 703 à avoir demandé la convocation du bureau sous le contrôle d’un huissier, soit le quart quelle que soit la base de calcul. Un chiffre que la défense conteste en invoquant des doublons ou encore des signatures illisibles, mais aussi en soutenant que la preuve n’est pas rapportée qu’ils sont à jour de leurs cotisations. Ce point est sans incidence sur la capacité à demander la convocation du bureau, rétorque Me Dupeyron, statuts à l’appui.

Le président Fabrice Vert avance méthodiquement dans le dossier, il rappelle qu’il est juge de l’urgence et de l’évidence d’où cette analyse méticuleuse à chaque étape du raisonnement. « Avez-vous de la jurisprudence ? interroge-t-il. Autrement dit, existe-t-il des précédents sur un juge des référés désignant un mandataire ad hoc pour convoquer une instance aux fins de révoquer un président au titre des article 834 et 835 du Code de procédure civile. Il s’ensuit de longs échanges avec les avocats des demandeurs qui finissent par citer une décision de cour d’appel concernant la révocation d’un dirigeant de SAS, laquelle fut cassée mais parce que la demande avait été faite sur requête et donc de façon non-contradictoire. La procédure est régulièrement utilisée par les tribunaux de commerce, précisent les demandeurs. Sur son banc, Me Philippe Torre ricane de ce qu’il analyse visiblement comme une déconfiture. Plus tôt, il avait déjà interrompu la plaidoirie de sa consœur pour la reprendre sur un numéro d’article du règlement intérieur. À tort.

« Madame Genevard a ridiculisé les LR devant le Conseil d’État, elle a perdu ! »

Au bout d’une heure d’échanges nourris entre les demandeurs et le tribunal sur chaque aspect du dossier, le président donne la parole à la défense. « Je viens de lire dans le Figaro pendant la très longue plaidoirie de ma consœur qu’Annie Genevard a prévu d’être présidente par intérim avant le 30 juin. C’est ça l’urgence ? ironise Me Philippe Torre.  Que M. Ciotti ne soit plus président ? ». Selon lui, il y a surtout urgence pour la justice à ne pas s’immiscer dans la campagne, au nom de la séparation des pouvoirs. Il cite à ce sujet l’article 48-2 du Code électoral « Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ». Il indique alors qu’il est lui-même candidat RN à Saint-Quentin (Aisne) face à Julien Dive, député sortant LR, qu’il espère bien être élu et qu’il quittera alors son cabinet pour se consacrer à son mandat.  Mais justement, sa candidature risquerait d’être impactée par la réunion d’un nouveau bureau autorisée par le juge des référés, sans qu’il ait le temps de réagir.  Il met donc en garde le tribunal contre « ce quarteron de politiciens en préretraite ». Puis il ajoute, dans ce qui ressemble plus à une guérilla judiciaire qu’à une audience classique « Mme Genevard n’est plus secrétaire générale de LR depuis qu’elle a ridiculisé les LR devant le Conseil d’État, elle a perdu, elle a gravement nui, elle est à la retraite de ses fonctions » (lire la décision ici).

—C’est contesté ! tonne Me Matthieu Brochier

— Devant qui ?

— Devant vous, Monsieur ! ».

Darrois payé par l’Élysée ?

L’interruption ne déstabilise en rien Me Philippe Torre qui indique s’en rapporter à la plaidoirie de son confrère Me Prigent pour Éric Ciotti dont il partage intégralement la ligne de défense. Il lance une dernière bombe avant de terminer : « nous avons cinq avocats de chez Darrois, le cabinet qui a fait émerger Emmanuel Macron auprès d’Attali, il représente ce quarteron de politiciens à 8 000 euros par mois, c’est moins que le tarif horaire du cabinet, on saura peut-être un jour par qui ils sont payés, peut-être par l’Élysée ». Du côté des très policés associés du cabinet Darrois, la tension est palpable face à ces attaques.

Me Philippe Prigent s’avance à son tour à la barre. Son style à lui est celui du « bon élève » pour reprendre ses propres termes. Il entend s’employer à démonter pièce par pièce les arguments des demandeurs.  « Il a fallu une heure pour plaider une évidence ! » attaque-t-il avant de pointer une contradiction à ses yeux : Éric Ciotti a déjà été « exclu, révoqué et remplacé » et il faudrait nommer un nouveau bureau politique pour « l’exclure, le révoquer, le remplacer » ? Les demandeurs ont indiqué en plaidant qu’ils avaient fait appel du jugement de référé suspendant les effets de la décision d’exclusion du bureau. Me Prigent estime que cet appel confirme qu’il y a bien eu exclusion et qu’en conséquence les demandeurs n’ont plus d’intérêt à agir dans la présente procédure qui a le même objet. « C’est un aveu de délit de fausse nouvelle contre un adversaire politique en pleine campagne électorale. On a affaire à des menteurs ! » s’exclame l’avocat.

« Ce n’est pas un dictateur mais un tyran de pacotille »

De l’aveu des demandeurs eux-mêmes, l’ordre du jour constitue un tout indissociable, par conséquent si un seul point sur les cinq est illégal, tout tombe, estime Me Prigent. Alors il s’emploie à démontrer que tous les points sont contraires aux statuts : le bureau ne peut pas exclure un adhérent ni révoquer le président, il ne peut pas non plus nommer un président intérimaire. Quant à donner l’accès aux finances du parti, si la commission d’investiture distribue des investitures frauduleuses, prévient-il, c’est la décision du juge des référés qui aura permis cela. Il met d’ailleurs en garde le tribunal, faire droit aux demandeurs, c’est forcément empiéter sur le fond et prendre le risque d’être désavoué par un juge dans deux ans qui constatera par exemple que la question de cotisations à jour était réelle ou encore que le bureau n’avait pas les pouvoirs qu’il s’est arrogés.

En colère, Me Brochier reprend la parole pour une ultime passe d’armes. Il dénonce la confusion entretenue par le fait d’invoquer devant le juge civil des infractions pénales, d’affirmer que la secrétaire générale ne l’est plus ou encore de se présenter en tant qu’avocat du parti LR  tout en étant candidat sous la bannière RN…

« — C’est interdit ? l’interroge Philippe Torre, provocateur.

— C’est une confusion, réplique son confrère, glacial. Ce qui est interdit, c’est de m’interrompre, on attaque le cabinet en disant qu’il est payé par l’Élysée, première nouvelle ! On a refusé le débat avant, on le refuse après, on ne vous demande pas de trancher la question de la révocation, mais de permettre cette réunion, le droit c’est qu’il y ait un débat sur ce sujet que M. Ciotti refuse parce qu’il a tort. Il se présente comme irrévocable, ce n’est pas un dictateur mais un tyran de pacotille ! ».

L’audience a duré 2 h 30 ce qui est exceptionnel pour un référé. Le président annonce que le tribunal rendra sa décision jeudi à 18 heures. Dans l’hypothèse où il accueillerait favorablement la demande des LR, il ne leur resterait que jusqu’à vendredi soir pour tenir le bureau et faire des annonces à la presse. Mais rien n’est moins sûr car le pouvoir du juge civil en période électorale est très réduit. Mardi, le TJ de Paris s’est déclaré incompétent pour répondre à une demande de LFI sur l’utilisation du matériel électoral par une candidate non réinvestie…

 

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