Hauts-de-Seine (92)

Les notaires du Grand Paris font 30 propositions pour répondre à la crise du logement

Publié le 17/11/2021
Notaire
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Le 21 septembre 2021, le Sommet du Grand Paris, événement co-organisé par les notaires du Grand Paris, rassemblait les acteurs économiques et politiques de la Métropole. Un constat, loin d’être nouveau, était fraîchement reformulé : la crise du logement ne cesse d’être aggravée. Comment alors faciliter l’accès à un logement de qualité ? La réponse se trouve peut-être dans les 30 propositions formulées selon cinq axes d’action, une réflexion menée par les notaires de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-et-Marne, de l’Essonne et des Yvelines. Leur stratégie serait alors de « faire feu de tout bois » et « agir sur tous les fronts », en privilégiant la construction neuve, la mobilisation du parc existant, l’accès à la propriété et la numérisation du marché immobilier.

Le document présenté à la presse le 12 octobre dernier est le fruit d’un groupe de travail composé de Marc Cagniart, vice-président de la Chambre interdépartementale des notaires de Paris, Guy Durand, représentant de la Chambre des notaires des Hauts-de-Seine, Jean-Michel Hautebas, représentant de la Chambre des notaires de Seine-et-Marne, Frédéric Level, représentant de la Chambre des notaires d’Essonne, Benoît Riquier, représentant de la Chambre des notaires des Yvelines, Anne Muzard, rapporteure au Congrès des notaires du CSN, Michèle Raunet et Olivier Valard, notaires à Paris, Damien Robert, secrétaire général de la chambre interdépartementale des notaires de Paris et de Marie Blanchard, chargée de mission à la chambre interdépartementale des notaires de Paris. Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment Durable a également été un « appui précieux et continu ». En tout, 12 experts et expertes ont été auditionnés.

À la suite du déjeuner de presse, un colloque a été organisé avec le GRIDAUH, un organisme d’intérêt général qui réfléchit sur le droit de l’aménagement, de l’urbanisme et le droit de la construction. « On a présenté certaines propositions sous la forme de trois tables rondes », explique Marc Cagniart. « Il y avait des universitaires, des notaires, des architectes ou encore des promoteurs pour mettre nos propositions à l’épreuve. C’était la première étape, les confronter à l’avis des professionnels et des experts ».

Ce travail collectif résonne sur le territoire francilien qui doit faire face à un paradoxe : ne pas artificialiser les sols tout en produisant des logements supplémentaires, le tout dans un contexte de pénurie de logements neufs. « Tous ces enjeux se télescopent et montrent que nous avons de nombreuses difficultés à résoudre. Notre objet était d’amener des propositions concrètes qui fonctionneraient si elles étaient mises en œuvre et qui sont juridiquement structurées », poursuit le vice-président.

Au début du rapport, les auteurs et les autrices précisent qu’au cours de la décennie 2005-2015, la part du logement dans le budget des particuliers a « augmenté de cinq points de pourcentage en moyenne pour s’établir à 31 % chez les ménages à revenu intermédiaire dans la plupart des pays de l’OCDE ». Paris et la petite couronne n’en sont pas exempts. Des situations qui ont d’ailleurs été amplifiées par la crise sanitaire. Les revenus modestes n’arrivent plus à accéder au parc locatif social tandis que les ménages issus de la classe moyenne, qui ont aujourd’hui « un revenu trop faible pour acquérir un logement dans le secteur privé ». Cette classe moyenne est même présentée comme l’oubliée de la politique du logement. À ce contexte défavorable s’ajoutent les impératifs climatiques, ce qui doit nous pousser, est-il écrit en introduction, à « élargir notre conception du logement : plus seulement patrimoniale, mais aussi sociale et sociétale ». Les notaires ont un rôle à jouer au cœur de la chaîne de l’immobilier.

Repenser la propriété pour la rendre plus accessible

Le premier axe développé est celui de l’accès à la propriété. L’une des pistes évoquées serait celle de la « propriété partielle ou progressive, privilégiant une vision utilitaire du logement plutôt qu’une conception patrimoniale ». Il s’agirait de proposer des « modalités suffisamment fluides et réversibles, adaptées aux besoins contemporains » et « tenant compte de la valeur d’usage du logement ». Certains dispositifs du secteur du logement social pourraient être étendus aux secteurs libre et intermédiaire : « Ces droits reposent soit sur une dissociation entre le sol et le bâti, le particulier acquérant principalement des droits sur ce dernier élément (dans le cas du bail réel solidaire) ; soit sur un démembrement entre les prérogatives attachées au droit de propriété, un particulier investisseur acquérant la nue-propriété du bien pour une certaine durée, au terme de laquelle le droit de propriété se reconstituera à son profit, l’usufruit étant détenu par un bailleur social qui peut, sur cette période, louer le logement à d’autres particuliers (dans le cas de l’usufruit locatif social) ».

De là découle la première proposition qui est d’« améliorer et étendre au parc privé et intermédiaire les mécanismes permettant de réduire le coût d’acquisition de la valeur du bien ». Comment ? En étendant l’utilisation du bail réel solidaire (BRS) et en améliorant son fonctionnement ou en ouvrant le champ d’application de l’usufruit locatif social (ULS). La deuxième proposition suggère de communiquer autour des modes alternatifs d’accès au logement : mieux faire connaître la co-acquisition d’un logement par un particulier et un investisseur institutionnel ; mieux faire connaître la flexi-propriété (ou « propriété à vie ») ; et mieux faire connaître l’habitat participatif.

Rénover les logements anciens et optimiser le parc existant

Le deuxième et le troisième axe s’arrêtent sur l’état des logements et leur utilisation. « Force est de constater que tous les biens d’habitation ne sont pas occupés : selon les données de l’INSEE, le nombre de logements vacants était en 2018 de plus de 3 millions et ce chiffre va croissant », écrivent les auteurs des propositions. Le bilan n’est pas encourageant : « dans le même temps, un logement sur six pouvait être qualifié de « passoire thermique » (soit 4,8 millions sur un parc de 29,7 millions de résidences principales) ce qui correspond aux étiquettes F et G du DPE ». Les notaires du Grand Paris proposent de « massifier » la rénovation des bâtiments anciens : « Si moins de 1 % du parc immobilier est actuellement rénové chaque année, l’objectif de performance énergétique est sans doute en passe de devenir une priorité ».

L’objectif est bien de lever les obstacles réglementaires à la décision de mettre en œuvre des travaux de rénovation, notamment en simplifiant certaines règles. Les propositions sont nombreuses pour cet axe : créer une servitude d’utilité publique d’isolation thermique par l’extérieur ; créer un « permis déclaratif » pour les rénovations ; prévoir que des travaux de rénovation exigeant la libération des lieux constituent un « motif légitime et sérieux » justifiant le congé donné au locataire ; faire financer la rénovation par un opérateur, en rémunérant ce dernier au travers d’une participation aux économies réalisées ; mieux diffuser l’information sur les baux à réhabilitation ; ou encore réformer la fiscalité des particuliers pour faciliter et encourager les travaux de rénovation et réformer la fiscalité des bailleurs privés afin de les aider à répondre à leur obligation de louer des logements décents. On pourrait alors « relancer le prêt hypothécaire rechargeable pour permettre aux particuliers d’étendre leur prêt immobilier à des travaux de rénovation ».

Assouplir les règles permettrait d’encourager la transformation des locaux mal utilisés ou inutilisés comme les bureaux ou les locaux commerciaux, en habitations. L’idée est de pouvoir mieux s’adapter à la nécessité de réversibilité des bâtiments en zones urbaines. Les surfaces bâties doivent aussi être optimisées pour répondre à plusieurs enjeux : accroître la densité urbaine tout en limitant l’artificialisation et prendre en compte les usages différenciés de l’espace, tout cela « sans bétonner à outrance ni déprécier la qualité de vie des habitants ». Neuf propositions vont dans ce sens : unifier les polices des changements d’usage et de destination au sein du Code de l’urbanisme ; généraliser le « permis à double détente » ; favoriser la transformation de bureaux en logements ; introduire une nouvelle destination, au sein du Code de l’urbanisme, au titre des « hôtels et autres hébergements touristiques » ; transformer le tissu pavillonnaire existant dans le respect de ses caractéristiques urbaines, architecturales et paysagères ; adapter les règles des PLU à la mise en œuvre de l’objectif de préservation et d’évolution respectueuse du tissu pavillonnaire ; créer un régime de la micro-construction ; limiter l’obligation de construire des places de stationnements dans les zones caractérisées par une offre importante de transports et créer un bail spécifique permettant aux co-propriétés de mettre à disposition de l’ensemble du quartier des locaux inutilisés.

Accroître l’offre résidentielle

Face à la baisse de construction de logements neufs en France, les notaires s’interrogent : « Comment créer les conditions pour que les investisseurs institutionnels concrétisent leurs souhaits et interviennent de manière forte et durable sur le marché résidentiel ? Comment créer les conditions pour que ce réinvestissement soit un facteur d’accélération de la production de logements neufs et d’amélioration de la qualité des logements produits ? ». Deux pistes sont encouragées : assouplir les contraintes pesant sur le bail d’habitation et inciter les acteurs institutionnels à accroître leur offre de logements accessibles. Pour ce faire, les propositions sont les suivantes : limiter le droit au maintien dans les lieux du locataire au sens de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 (L. n° 48-1360, 1er sept. 1948) ; supprimer le droit à la prorogation du bail en cas de mise en copropriété du logement ; transformer l’exonération de taxe foncière en crédit d’impôt pour encourager les communes à développer l’offre de logements intermédiaires ; concentrer des moyens supplémentaires sur l’offre de logements intermédiaires dans les communes non carencées en logements sociaux ; encourager la rénovation de l’ancien pour développer l’offre de logements locatifs intermédiaires et lever les freins juridiques à la constitution de sociétés dédiées au logement intermédiaire.

Fluidifier les processus immobiliers grâce à la numérisation

Les trois dernières propositions ont pour but de faire bouger les « nombreux maillons de la chaîne immobilière » qui résistent encore à la numérisation. C’est pourquoi les notaires du Grand Paris veulent créer une plateforme commune aux fins d’instruction des déclarations d’intention d’aliéner (DIA) ; mettre en œuvre la plateforme commune d’instruction des demandes de permis de construire et organiser la transparence des informations relatives aux co-propriétés.

« Nous souhaitons diffuser le plus largement possible ce travail », nous confie Marc Cagniart. « Ces propositions ont été remises aux élus d’Île-de-France, mais aussi à Valérie Pécresse, présidente de la Région et vers toutes les écuries présidentielles. Le logement est au cœur des préoccupations sur notre territoire mais il n’est pas beaucoup mentionné dans les arguments de campagne ».

Créé au printemps 2020, le groupe de travail a produit ces 30 propositions à partir du terrain. « Nous sommes en tant que notaires, applicateurs de la norme et contrôleurs de la légalité des actes », ajoute-t-il. « Nous voyons défiler dans nos études des gens qui achètent, louent, des promoteurs, des syndics, etc. Nous constatons que l’immobilier ne répond plus à la sociologie d’aujourd’hui. Nous sommes les témoins de ce qui marche et de ce qui ne marche pas. Nous sommes des observateurs privilégiés. Il fallait faire remonter nos constats ».

À la disposition de ceux et celles qui veulent « approfondir et mettre en œuvre certaines propositions », les notaires du Grand Paris appellent à une action politique : « Les notaires sont aux avant-postes pour savoir ce qu’il se passe dans les familles et le logement en fait partie. Nous espérons que nos propositions seront entendues ».

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