Paris (75)

Les notaires du Grand Paris se mobilisent pour le logement (2/2)

Publié le 20/12/2021
Notaire
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Apportant le fruit de leur réflexion et de leur expérience, les notaires franciliens formulent 30 propositions de réforme pour répondre à la crise du logement en Île-de-France. Focus sur les mesures visant à adapter et transformer le parc existant, accroître l’offre résidentielle et fluidifier les processus immobiliers.

Observateurs de premier plan, praticiens des opérations immobilières, les 3 000 notaires du Grand Paris se mobilisent sur la crise du logement en Île-de-France. Après un long travail de concertation et de réflexion avec des promoteurs, architectes, fonds institutionnels, etc. ils ont formulé 30 propositions pour un habitat accessible et de qualité, présentées le 12 octobre dernier espérant « susciter le débat à quelques mois de l’élection présidentielle sur un sujet que nous considérons au cœur du pacte national ».

Les 30 propositions sont articulées en cinq axes : repenser l’accès à la propriété, rénover les logements anciens, adapter et transformer le parc existant, accroître l’offre résidentielle et fluidifier les processus immobiliers grâce à la numérisation.

Les usages des bâtis correspondent-ils toujours aux besoins des habitants et des entreprises ? Bureaux vides, locaux commerciaux inutilisés, n’est-il pas possible de distinguer des gisements de logements disponibles ? Comment adapter les règles afin que le tissu urbain soit plus facilement réversible ?

Adapter le bâti aux nouveaux usages

Destination, usage, activité, affectation : le porteur de projet doit faire face à un imbroglio juridique lorsqu’il sollicite une autorisation d’urbanisme. Les notaires franciliens s’accordent sur un constat : les normes légales et réglementaires n’encouragent pas la transformation des usages. Alors que les règles des changements d’usage des locaux figurent dans le Code de la construction et de l’habitat (CCH, art. L. 631-7 et s.), celles relatives aux destinations des locaux sont organisées par le Code de l’urbanisme (C. urb., art. R. 151-27 et s.) et les plans locaux d’urbanisme (PLU).

Par souci de cohérence et d’efficacité, les notaires proposent notamment de refondre le régime des destinations au sein du Code de l’urbanisme en fusionnant les règles relatives à la destination et celles relatives à l’usage.

Aussi, ils proposent de généraliser, le « permis à double détente », ou « permis à double état » créé par la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des Jeux olympiques et Paralympiques de 2024 (L. n° 2018-202, 26 mars 2018). Aujourd’hui limité au J.O., ce permis autorise l’évolution future du bien dès sa conception initiale du bien, en prévoyant la délivrance d’une autorisation d’urbanisme unique pour une construction ayant deux objets distincts dans le temps.

Transformer les bureaux en logements

L’une des mesures phares avancées par les notaires franciliens est de favoriser la transformation de bureaux en logements, encore très marginale en Île-de-France. Parmi les obstacles identifiés : le blocage politique de la part de la commune, la localisation, les caractéristiques techniques du bâtiment qui peuvent rendre difficile toute transformation, les difficultés juridiques, liées notamment à la multipropriété des actifs vacants et l’application des normes identiques à la construction neuve et les freins financiers.

Plusieurs pistes à cette fin : permettre temporairement la transformation de bureaux en logements (TBL) par simple déclaration préalable accélérée et simplifier le changement d’usage dans le cas d’immeubles de bureaux se trouvant en copropriété, lequel est aujourd’hui soumis à l’unanimité des copropriétaires. Ils proposent également de faciliter la cession de la commercialité en autorisant les compensations hors de l’arrondissement concerné, de valoriser la vertu écologique de la transformation de bureaux en logement par un label dédié, ouvrant éventuellement droit à des avantages fiscaux et enfin de permettre l’amortissement accéléré de ces opérations.

Tendance Airbnb

Aujourd’hui, la transformation de locaux d’habitation ou de commerce en Airbnb ne suppose pas d’accomplir de formalités particulières au regard du droit de l’urbanisme, ce qui prive les collectivités d’un véritable pouvoir de contrôle et de régulation des transformations de locaux en meublés de tourisme.

En effet, l’activité de meublé de tourisme reçoit une qualification fluctuante au regard de la nomenclature des destinations : l’utilisation d’un bien immobilier dont la destination était le logement pour une location Airbnb n’emporte de changement de destination que si des services hôteliers sont proposés, quand bien même le local concerné ne constituerait pas la résidence principale du loueur. Au contraire, si la destination initiale du bien était commerciale, son utilisation pour la location Airbnb est susceptible d’emporter soit un changement de destination vers le logement (si la location ne s’accompagne pas de prestations hôtelières), soit un changement de sous-destination vers la catégorie « hôtels et autres hébergements touristiques » (si, au contraire, des services sont proposés aux occupants). C’est pourquoi, les notaires proposent d’introduire une nouvelle destination, au sein du Code de l’urbanisme, au titre des « hôtels et autres hébergements touristiques ».

Zones pavillonnaires : densification, micro-construction

Comment faciliter un usage optimal des surfaces bâties ? Comment accroître la densité urbaine, limiter l’artificialisation des sols sans bétonner à outrance ni déprécier la qualité de vie des habitants. « Depuis 1981, 60 000 hectares – soit un peu plus d’un millième du territoire – sont en moyenne artificialisés chaque année », indique le rapport. Pour limiter ce phénomène, les notaires avancent comme solution une densification « douce » des zones pavillonnaires : l’insertion de nouveaux logements (division parcellaire, appartements accessoires, division interne, surélévation, extension, restructuration, etc.) sans modification significative des formes urbaines du quartier en mutation, ni destruction du parc existant. Ainsi, le Code de l’urbanisme pourrait s’enrichir d’un objectif de préservation et d’évolution respectueuse du tissu pavillonnaire et voir ses règles adaptées à la mise en œuvre de cet objectif.

Envisagée comme un « gisement considérable de nouveaux logements », la micro-construction consiste à construire un ou plusieurs logements supplémentaires sur son foncier par une surélévation, une construction à l’arrière de son terrain, une extension, la restructuration et la division d’un logement existant, etc. Pour l’encourager, les notaires franciliens entendent actionner plusieurs leviers : sensibiliser les professionnels de la construction immobilière à ces nouveaux débouchés, promouvoir la micro-construction auprès des particuliers et surtout, créer un statut du micro-constructeur du type « loi Loucheur inversée ». Ce statut entrainerait une TVA à 5,5 %, un allégement ou exonération de droits de mutation pour les transmissions à titre onéreux ou à titre gratuit de maisons individuelles, sous condition que le nouveau propriétaire s’engage à réaliser un ou plusieurs logements en micro-construction sur sa parcelle dans un délai de deux ans et la création d’une exonération ou d’un abattement sur les plus-values en cas de vente d’un terrain divisé en vue de réaliser une micro-construction.

Tenir compte des nouveaux modes de vie

L’essor des nouvelles mobilités, de la mutualisation des parkings en ouvrages ou encore le développement d’outils numériques permettant d’améliorer la connaissance et la gestion de l’offre de transports amènent les notaires franciliens à proposer de limiter l’obligation de construire des places de stationnements dans les zones caractérisées par une offre importante de transports en communs et de créer un bail spécifique permettant aux copropriétés de mettre à disposition de l’ensemble du quartier des locaux inutilisés.

Accroître l’offre résidentielle

Comment créer les conditions pour que les investisseurs institutionnels reviennent sur le marché résidentiel et pour que ce réinvestissement soit un facteur d’accélération de la production de logements neufs et d’amélioration de la qualité des logements produits ? La première piste vise à assouplir les contraintes pesant sur le bail d’habitation en limitant le droit au maintien dans les lieux du locataire au sens de la loi n°48-1360 du 1er septembre 1948, qui concerne encore 131 400 logements. Les notaires proposent de revenir sur le principe dégagé par la Cour de cassation selon lequel les héritiers, même majeurs et quelle que soit la génération, pouvaient se fonder sur le droit commun (C. civ., art. 1742) pour continuer à jouir des baux de la loi de 1948, sans distinction d’âge ni de ressources (Cass. 3e civ., 24 sept. 2020, n° 19-17068). Il pourrait également être mis fin au droit à la prorogation du bail en cas de mise en copropriété du logement, mesure prise pour pallier les conséquences dommageables de la pratique de la vente à la découpe, assurée par d’autres textes de loi.

Pour inciter les acteurs institutionnels à offrir des logements accessibles, cinq réformes sont proposées. Parmi celles-ci : la transformation de l’exonération de taxe foncière en crédit d’impôt pour encourager les communes à développer l’offre de logements intermédiaires et la rationalisation de l’exercice du droit de préemption urbain lorsque le nouveau propriétaire du logement s’engage à transformer des bâtiments à usage autre que d’habitation en des logements répondant à certains critères.

Par ailleurs, la rénovation de l’ancien en vue de développer l’offre locative intermédiaire pourrait être encouragée en lui faisant bénéficier de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pendant une durée de vingt ans applicable aujourd’hui aux logements intermédiaires neufs.

Enfin, plusieurs les freins juridiques à la constitution de sociétés dédiées au logement intermédiaire ont été identifiés, ce qui ne facilite pas l’accroissement de l’activité des bailleurs sociaux sur le marché du logement intermédiaire. Les notaires suggèrent donc de permettre aux investisseurs privés de réaliser un apport majoritaire de fonds au capital de filiales créées par un OLS, et d’autoriser celui-ci à être le gestionnaire des logements.

Des processus immobiliers numérisés

Les notaires proposent d’intégrer à la révolution digitale les derniers bastions de la chaîne immobilière qui résistent encore. Ainsi, ils proposent de généraliser à l’ensemble de l’Île-de-France le prototype mis en place à Paris, une fois l’expérimentation achevée de plateforme commune aux fins d’instruction des demandes de déclarations d’intention d’aliéner (DIA), de mettre en œuvre la plateforme commune d’instruction des demandes de permis de construire (PLAT’AU) pour son échéance légale du 1er janvier 2022 et d’organiser la transparence des informations relatives aux copropriétés en prévoyant le recours systématique à un portail numérique des copropriétés. Ils proposent de rendre obligatoire à compter de 2023 le dépôt des actes relatifs à une copropriété francilienne, ou à l’un de ses lots, sur un portail dédié, et de mettre en open data les données contenues sur ce portail afin de permettre à tous les usagers de pouvoir y accéder librement.

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