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Les notaires du Grand Paris se mobilisent pour le logement (1/2)

Publié le 03/12/2021
Loyer, immobilier
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Apportant le fruit de leur réflexion et de leur expérience, les notaires franciliens formulent 30 propositions de réformes pour répondre à la crise du logement en Île-de-France. Focus sur les mesures proposées visant à repenser l’accès à la propriété et à rénover les logements anciens.

La crise du logement est particulièrement aiguë en Ile-de-France où elle persiste et s’accroît. Représentant en moyenne un tiers du budget des ménages franciliens, le loyer y est l’un des plus élevés du pays. Le taux d’effort des ménages a augmenté de neuf points au cours des 20 dernières années et les logements ont vu leur prix croître deux fois et demi plus vite que le pouvoir d’achat entre 2000 et 2010.

La contribution des notaires franciliens

Observateurs de premier plan de ce phénomène, praticiens des opérations immobilières, les 3 000 notaires du Grand Paris se sont emparés du problème et après un long travail de concertation et de réflexion avec des promoteurs, architectes, fonds institutionnels, etc. ils ont formulé des pistes de solutions présentées le 12 octobre dernier.

Amélioration de dispositifs existants, simplification, uniformisation réglementaire, incitation fiscale, « pour être efficace, il faut « faire feu de tout bois » et agir sur tous les fronts », pose en préambule le rapport qui s’adresse à l’État, aux collectivités, architectes, agents immobiliers, promoteurs, investisseurs et qui entend « susciter le débat à quelques mois de l’élection présidentielle sur un sujet que nous considérons au cœur du pacte national ».

Les propositions franciliennes s’articulent en cinq axes : repenser l’accès à la propriété, rénover les logements anciens, adapter et transformer le parc existant, accroître l’offre résidentielle et fluidifier les processus immobiliers grâce à la numérisation. Les mesures fiscales feront l’objet d’un développement à part. Les deux premiers thèmes – accès à la propriété et rénovation –, sont ici exposés ; les suivants feront l’objet de développements ultérieurs.

Encourager l’accession progressive ou partielle : le bail réel solidaire

Pour rendre la propriété plus accessible, les notaires misent sur deux dispositifs qui visent à tenir compte de la valeur d’usage du logement autant, voire davantage, que de sa valeur patrimoniale : le bail réel solidaire et l’usufruit locatif social. Ces droits réels, moins étendus que le droit de propriété classique, affichent en contrepartie un prix beaucoup plus abordable. Prévus dans le secteur du logement social, ils gagneraient à être étendus aux secteurs libre et intermédiaire.

Améliorer le bail réel solidaire

Le bail réel solidaire (BRS) a été créé par une ordonnance du 20 juillet 2016 relative au bail réel solidaire (Ord. n° 2016-985, 20 juillet 2016). Il repose sur une dissociation entre le sol et le bâti, le particulier acquérant principalement des droits sur ce dernier élément. Dans ce schéma, le foncier, qui peut représenter jusqu’à 40 % du prix d’un logement neuf, est détenu par un Organisme de foncier solidaire (OFS) qui a construit ou réhabilité le logement. Cet OFS conclut avec le ménage un bail de longue durée pour l’occupation du terrain. En cours de bail, le ménage peut céder ou donner ses droits immobiliers. À l’expiration du bail, ces droits reviennent à l’OFS.

Aujourd’hui, de nombreuses problématiques dans la mise en œuvre de ce régime en freine le développement. Plusieurs améliorations sont prévues par le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS en cours d’adoption. Mais les notaires franciliens veulent aller plus loin en proposant son extension au parc privé et intermédiaire, par la création d’Offices fonciers libres, ouverts aux financements tant publics que privés.

L’usufruit locatif social

L’usufruit locatif social (ULS) a été créé par la loi ENL du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (L. n° 2006-872, 13 juill. 2006). Il repose sur un démembrement entre les prérogatives attachées au droit de propriété : un particulier investisseur acquérant la nue-propriété du bien pour une durée de 15 à 20 ans, pour un prix décoté de 30 à 40 % par rapport à celui d’un bien acquis en pleine propriété. L’usufruit revient à un bailleur social qui peut, sur cette période, louer le logement à d’autres particuliers. Au terme du démembrement le droit de propriété se reconstituera à son profit.

Là aussi, les notaires du Grand Paris proposent d’en étendre le champ d’application au parc libre. Il convient aussi de l’encourager au moyen d’un financement aidé, en contrepartie de l’obligation, pour le bénéficiaire, de louer durant 15 ans au moins le bien acquis, dans le respect des plafonds de loyer du parc intermédiaire. Enfin, ils proposent d’introduire une obligation de relogement à la charge de l’usufruitier.

Co-acquisition, flexi-propriété et habitat participatif

D’autres modes alternatifs d’accès au logement existent. Trop peu pratiqués, le rapport préconise de les faire connaître auprès du public. Il en va ainsi de la co-acquisition du logement par un particulier avec un investisseur institutionnel, qui finance environ 93 % du logement, à travers une société, propriétaire du bien.

Pendant la durée de l’opération, le ménage verse à l’institutionnel une indemnité d’occupation pour la partie non encore acquise, tout en rachetant progressivement à l’institutionnel, à son propre rythme, la part que celui-ci détient sur le logement.

Ainsi également la flexi-propriété (ou « propriété à vie ») formule intermédiaire entre propriété et location. Ce mécanisme permet à un ménage d’obtenir l’usage d’un logement pour une durée de 50 ans, moyennant la conclusion d’un bail avec un investisseur institutionnel, propriétaire et bailleur du bien. Pendant la durée du contrat, le ménage « flexi-propriétaire » dispose sur le bien de droits réels proches de ceux d’un propriétaire : il peut mettre le bien en location, faire des travaux etc. Enfin, si le ménage ne veut plus demeurer dans le logement, l’investisseur doit le lui racheter à un prix convenu à l’avance, variant selon la date de rachat.

Dernier mode alternatif : l’habitat participatif, qui répond à une tendance émergente, l’envie des futurs occupants de participer activement à la construction d’un immeuble de logements (plans, matériaux, etc.), puis de mettre en commun certains espaces (laverie, atelier, espace de coworking, jardin, etc.). Cette formule permet de diminuer les coûts de l’accession à la propriété en raison du partage de nombreux espaces.

Rénover les logements anciens

Le rapport propose d’assouplir les règles qui encadrent la décision de rénover par, tout d’abord, la création d’une servitude d’utilité publique d’isolation thermique par l’extérieur, fondée sur un motif d’intérêt général d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments. Celle-ci viendrait remplacer le droit de surplomb créé par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets dite loi Climat et résilience (L. n° 2021-1104, 22 août 2021). Pour qu’elle soit réellement incitative, la servitude ne serait pas conditionnée par l’absence de solution alternative et le propriétaire du fonds surplombé ne disposerait pas de droit d’opposition.

Ensuite, les notaires franciliens proposent la création d’un « permis déclaratif » pour les rénovations, en lieu et place d’un permis de construire lorsque celui-ci est requis. Enfin, ils suggèrent que des travaux de rénovation exigeant la libération des lieux constituent un « motif légitime et sérieux » justifiant le congé donné au locataire. Cette mesure était prévue par l’article 161 de la loi Climat et résilience mais a été censurée par le Conseil constitutionnel comme cavalier législatif (Cons. const., 13 août 2021, n° 2021-825).

Par ailleurs, pour susciter un changement d’échelle, il est proposé d’encourager les copropriétés à rénover, notamment en mutualisant le coût des travaux de rénovation au sein des copropriétés, et en encourager les copropriétaires à utiliser le fonds de travaux mis en place par la loi ALUR, fonds qui serait rattaché au copropriétaire plutôt qu’au lot.

Toujours en matière de rénovation, les notaires du Grand Paris proposent de faire financer la rénovation par un opérateur, en rémunérant ce dernier au travers d’une participation aux économies réalisées, ainsi que de mieux diffuser l’information sur les baux à réhabilitation – contrat par lequel le preneur personne morale s’engage à réaliser des travaux d’amélioration sur l’immeuble du propriétaire et à le conserver en bon état d’entretien, en vue de le louer pendant la durée du bail, au minimum de 12 ans.

Les outils de financement des particuliers

Pour que les particuliers soient incités à rénover, il convient d’adopter des mesures susceptibles d’alléger le coût des travaux de rénovation. En effet, « parmi les ménages résidant dans des passoires thermiques, près de la moitié (soit un peu plus de 2 millions) disposent en effet de revenus modestes, voire très modestes, et 62 % ont plus de 60 ans », indique le rapport.

Première piste : autoriser le prêt viager hypothécaire entre particuliers. Cette solution permettrait de sécuriser, notamment, les prêts réalisés entre proches puisque l’emprunt serait en effet garanti par une hypothèque sur le bien immobilier.

Deuxième piste : relancer le prêt hypothécaire rechargeable pour permettre aux particuliers d’étendre leur prêt immobilier à des travaux de rénovation énergétiques du logement.

Enfin, la rénovation par les particuliers pourrait être boostée par l’extension du bénéfice de certains financements bancaires, comme l’éco-PTZ (éco-prêt à taux zéro) aux travaux de rénovation. Les auteurs rappellent à cet égard que la loi Climat et résilience relance le « prêt avance mutation », créé par la loi dite de transition énergétique de 2015 (L. n° 2015-992, 17 août 2015).

La fiscalité au service de la rénovation

Plusieurs leviers fiscaux ont été identifiés pour inciter les particuliers à rénover les passoires thermiques. La première consiste à restituer à l’acquéreur d’un logement tout ou partie des droits de mutation applicables à la transmission du bien, sous condition de la réalisation des travaux de rénovation dans les 18 mois suivant l’acquisition.

Reprenant une proposition défendue par le rapport pour une réhabilitation énergétique massive, simple et inclusive des logements privés, dit Rapport Sichel du nom du président de la mission qui a conduit à sa rédaction, rendu en mars 2021, les notaires franciliens préconisent de rendre en compte le niveau d’ambition des travaux et moduler le montant des aides publiques à la rénovation, tout en conservant une modulation en fonction du revenu du ménage.

En outre, ils proposent de prolonger le dispositif de l’éco-PTZ individuel ainsi que son application aux copropriétés, jusqu’en 2030, et de multiplier le plafond par quatre et augmenter la durée maximale de remboursement à 30 ans.

Incitations fiscales en faveur des bailleurs : un Dutreil du logement

La performance énergétique entre bientôt dans les critères du logement décent. L’article 160 de la loi Climat et résilience prévoit qu’à compter de 2025, le niveau de performance d’un logement décent doit être compris entre la classe A et la classe F, cette exigence se renforçant progressivement jusqu’au 1er janvier 2034 où le niveau de performance devra être compris entre la classe A et la classe D pour qu’un logement soit considéré comme décent.

Afin que les propriétaires bailleurs disposent des fonds nécessaires aux travaux, les notaires franciliens proposent une sorte de « Dutreil du logement » : exonérer de droits de mutation à titre gratuit les logements du parc locatif de classe F et G à concurrence de 50 % de leur valeur vénale. Plusieurs engagements conditionneraient l’exonération : un engagement de réaliser les travaux par des entreprises agréées, un engagement de location du bien dans un délai de deux ans à compter de la transmission et pendant six ans après achèvement des travaux, moyennant un loyer encadré selon les mêmes plafonds que le dispositif Denormandie. En cas de vente du bien, l’impôt sur la plus-value-immobilière serait exonéré si la cession est réalisée par des personnes physiques ou sociétés civiles familiales constituées exclusivement entre parents et alliés jusqu’au quatrième degré inclus, prenant les mêmes engagements. Ces cessions seraient soumises aux droits réduits de mutation à titre onéreux.

Une meilleure prise en compte du déficit foncier des bailleurs privés

Reprenant là aussi une proposition émise par le rapport « Renouveau urbain et rénovation environnementale des bâtiments », les notaires franciliens souhaitent que soit encouragée la restauration complète d’immeubles ne bénéficiant pas aujourd’hui des dispositifs Pinel et Denormandie. Le plafond du déficit foncier imputable sur le revenu global, actuellement de 10 700 euros, pourrait être doublé si le propriétaire s’engage à procéder à des travaux de rénovation globale du bâtiment, selon les mêmes standards de performances énergétiques qu’en matière de Pinel et Denormandie.

Ce plafond relevé ne serait pas cumulable avec MaPrimeRénov’.