Délai de prescription ou délai de forclusion ?

Le délai de deux ans prévu par l’article 1648 du Code civil concernant l’action en garantie des vices cachés est un délai de forclusion.
Cass. 3e civ., 5 janv. 2022, no 20-22670
En application des articles 1641 et suivants du Code civil, l’acquéreur d’un bien dispose d’une action en garantie contre son vendeur s’il existe des vices cachés affectant le bien acquis. Ces vices doivent rendre la chose qui en est atteinte impropre à l’utilisation qui devait en être faite ou réduire cette utilisation dans des proportions telles que l’acquéreur n’aurait pas acheté le bien ou à d’autres conditions s’il les avait connues (C. civ., art. 1641). Dans ces hypothèses et sur le fondement de l’article 1644 du Code civil, l’acquéreur a le choix entre une action en résolution de la vente (action rédhibitoire) ou en réduction de son prix (action estimatoire) avec, si le vendeur est de mauvaise foi, l’allocation de dommages et intérêts (C. civ., art. 1645). Selon le premier alinéa de l’article 1648 du Code civil, l’action en garantie « doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ». Ce délai est-il un délai de prescription ou de forclusion ? Cette question est importante car ces derniers délais ne sont pas soumis aux règles régissant les premiers sauf disposition contraire de la loi (C. civ., art. 2220), notamment concernant les causes de suspension de ce délai1. C’est à cette question de la nature du délai biennal qu’a trait un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 5 janvier 20222. En l’espèce, l’acquéreur d’un immeuble découvre, après la conclusion du contrat, que l’installation d’assainissement du bien immobilier est vétuste, incomplète et polluante. Après avoir assigné les vendeurs en nullité du contrat pour dol et erreur, le demandeur se fonde sur la garantie des vices cachés. La troisième chambre civile, relevant que le délai d’exercice de l’action en garantie, qui avait commencé à courir à l’issue d’un premier acte interruptif, s’était écoulé sans un nouvel acte de ce type, en déduit que le demandeur était forclos en son action. Pour cette formation, le délai biennal de l’exercice de l’action en garantie des vices cachés est donc un délai de forclusion insusceptible de suspension.
Cette analyse est en totale contradiction avec celle de la première chambre civile qui considère que ce délai est constitutif d’un délai de prescription3. Cette position peut s’expliquer si l’on constate que le texte du premier alinéa de l’article 1648 du Code civil, à la différence de son deuxième alinéa, ne donne aucune indication sur la nature du délai biennal, or le juge ne peut ajouter au texte un élément qu’il ne comprend pas en application de l’adage ubi lex non distiguit nec nos distinguere debemus. Par ailleurs, on peut considérer que les articles 2219 et suivants du Code civil constituent le droit commun en matière de délais d’exercice des actions en justice. Dans ces conditions, le délai de forclusion apparaît comme une exception qui doit être interprétée restrictivement et ne s’appliquer que lorsque les textes le prévoient (C. civ., art. 1105, al. 3). C’est le cas, en particulier, du délai d’un an de l’action en garantie des vices apparents en matière de vente d’un immeuble à construire (C. civ., art. 1648, al. 2) ou, encore, du délai de deux ans prévu pour exercer les actions résultant de la défaillance de l’emprunteur en matière de crédit à la consommation (C. consom., art. R. 312-35).
Finalement, cette divergence de jurisprudence entre deux chambres de la Cour de cassation ne pourrait-elle pas s’expliquer par les attributions respectives de ces formations comme le proposent Cyrille Auché et Nastasia de Andrade ? En effet, la troisième chambre civile est chargée des litiges en droit de la construction où les délais sont de forclusion car ils visent à sanctionner la négligence d’une partie à faire valoir ses droits. C’est le cas, en particulier, du délai de dix ans prévu par l’article 1792-4-3 du Code civil alors que le texte lui-même parle de prescription4. À l’inverse, la première chambre civile a plutôt compétence en matière de propriété mobilière où les délais sont de prescription car leur but est de consolider la situation d’un débiteur.
L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, rédigé par l’association Henri Capitant, n’apporte pas de réponse à la question de la nature du délai de l’action en garantie des vices cachés. De fait, le premier alinéa de l’article 33 de ce texte dispose que « la garantie des vices cachés prend fin deux ou cinq ans après que le bien a été réceptionné par l’acheteur, selon que le vendeur ignorait ou connaissait le vice ».
Notes de bas de pages
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1.
Cass. 3e civ., 3 juin 2015, n° 14-15796 : Dalloz actualité, 12 juin 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015, p. 1208 ; D. 2016, p. 449, obs. N. Fricero ; RDI 2015, p. 400, note S. Becqué-Ickowicz ; RDI 2015, p. 414, obs. O. Tournafond et J.-P. Tricoire ; RDI 2015, p. 422, obs P. Malinvaud. L’écoulement du délai de forclusion met fin à l’action mais aussi à l’exception : Cass. 3e civ., 4 nov. 2004, n° 03-12481.
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2.
Cass. 3e civ., 5 janv. 2022, n° 22-22670 : Dalloz actualité, 31 janv. 2022, obs. C. Auché et N. de Andrade.
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3.
Cass. 1re civ., 25 nov. 2020, n° 19-10824 : RTD com 2021, p. 177, obs. B. Bouloc – Cass. soc., 20 oct. 2021, n° 20-15070.
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4.
Cass. 3e civ., 10 juin 2021, n° 20-16837 : Dalloz actualité, 21 juin 2021, obs. G. Casu et S. Bonnet ; D. 2021, p. 1187 ; D. 2021, p. 2251, chron. A.-L. Collomb, B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda ; RDI 2021, p. 491, obs. C. Charbonneau.
Référence : AJU004l8
