Détermination de la nature de l’obligation du promettant d’un pacte de préférence et élargissement de son champ d’action
Selon la haute juridiction judiciaire, le pacte de préférence portant sur une vente emporte l’obligation pour le promettant de donner préférence au bénéficiaire lorsqu’il décide de vendre le bien et contrevient à son engagement dès lors qu’il conclut une promesse unilatérale de vente ayant pour objet le bien visé par ledit pacte.
Cass. 3e civ., 6 déc. 2018, no 17-23321, FS-PB
En l’espèce, le propriétaire de deux lots de copropriété sur lesquels porte un pacte de préférence a consenti une promesse unilatérale de vente au profit d’un tiers. Le promettant n’a pas attendu le terme du pacte (10 ans) et quelques semaines avant le terme, il a consenti la promesse. Cependant, la levée d’option de cette promesse n’est intervenue qu’après le terme du pacte. Le bénéficiaire a considéré que la vente avait eu lieu en violation de son droit de préférence. Celui-ci a donc assigné le promettant et le tiers acquéreur en annulation de la vente, en substitution dans les droits de l’acquéreur, en expulsion de ce dernier et en paiement de dommages et intérêts.
Si le pacte de préférence, à l’instar de la promesse unilatérale de contrat, a acquis une notoriété certaine au point de faire une entrée remarquée dans le Code civil1, c’est bien la question de la violation de ces figures avant-contractuelles qui en constitue la source2. Le présent arrêt est d’autant plus intéressant qu’il ne répond pas seulement à une question relative à l’atteinte portée au droit du bénéficiaire, mais également à la nature de la préférence et plus particulièrement ici, à la nature de l’obligation dont serait tenu le promettant (I). Aussi, la qualification de l’obligation du promettant n’est pas le seul enseignement à retirer de la présente décision. Cette dernière donne également des informations quant à l’appréciation du champ d’application du pacte de préférence et de sa possible méconnaissance (II).
I – La nature positive de l’obligation du promettant
La nature de l’engagement du promettant fait l’objet de discordances manifestes au sein de la doctrine. Certains auteurs considèrent en effet que le promettant est tenu d’une obligation positive ; celle de proposer la conclusion du contrat projeté en priorité au bénéficiaire3. Pour d’autres, l’obligation principale du promettant réside dans l’abstention dont il doit faire preuve tout au long de l’existence du pacte, et qui se manifeste notamment par l’interdiction pour ce dernier de conclure, à conditions égales, le contrat définitif avec un tiers4. Enfin, un courant doctrinal plus subversif réfute la présence de toute obligation au sein du pacte de préférence5. Pour ces auteurs, lorsque le promettant conclut le pacte, il donne d’ores et déjà son consentement sur un élément futur du contrat, en l’occurrence la personne du bénéficiaire. Il est donc lié purement et simplement par cette volonté, et n’est donc débiteur d’aucune obligation. La Cour de cassation prend clairement position pour la première analyse. En effet, cette dernière précise que « le pacte de préférence implique l’obligation, pour le promettant, de donner préférence au bénéficiaire lorsqu’il décide de vendre le bien ». De cette formulation, il est possible de tirer deux conclusions.
En premier lieu, les hauts magistrats confortent le postulat selon lequel le pacte de préférence comprend un contenu obligationnel. Le promettant est bien débiteur d’une obligation et n’est donc pas tenu par le truchement d’une cristallisation de son consentement sur la personne du futur cocontractant. Il convient d’autant plus de louer le choix du terme « obligation » employé par la troisième chambre civile, que le nouvel article 1123 du Code civil définissant le pacte de préférence génère notamment par le choix des mots « s’engage » ou « traiter », un flou quant au contenu de l’engagement du promettant6.
En second lieu, l’obligation du promettant est une obligation positive puisqu’il doit « donner préférence au bénéficiaire ». En d’autres termes, il est obligé de proposer la conclusion du contrat de vente au bénéficiaire du pacte, et ce avant toute formulation de l’offre de vente à un tiers. S’il n’est pas exclu de penser que le promettant est également débiteur dès la conclusion du pacte d’une obligation négative qui consiste à ne pas conclure le contrat visé avec un tiers, et ce jusqu’à l’activation de la préférence opérée par la manifestation de contracter de ce dernier, la présente décision érige le « versant positif »7 du pacte comme étant l’obligation principale du promettant.
Si cet arrêt s’inscrit en définitive dans la droite ligne de la plupart des jurisprudences antérieures8, il a néanmoins le mérite de rappeler avec clarté le contenu de l’engagement du promettant et la nature de l’obligation cardinale dont il est débiteur.
II – Une interprétation extensive du champ d’application du pacte de préférence
Outre la précision sur la nature de l’obligation du promettant, l’arrêt comporte également des indications intéressantes quant à l’appréciation de l’atteinte au droit du bénéficiaire. De manière générale, pour déterminer si elle fait face à une violation pure et simple du droit de préférence ou bien à une situation licite respectant les termes du pacte, la Cour de cassation se base sur deux éléments. D’une part, le contrat conclu avec le tiers en contravention du pacte doit avoir pour objet le ou les biens frappés de la préférence9. D’autre part, l’opération contractuelle envisagée dans ledit contrat doit être similaire à la situation contractuelle anticipée par le pacte. Il faut donc que le conflit porte exactement sur le contrat préparé par le pacte de préférence10. En d’autres termes, il faut une identité d’objet et une identité de l’opération contractuelle envisagée pour que le contrat litigieux passé avec le tiers puisse être considéré comme portant atteinte au droit de préférence du bénéficiaire.
La condition d’identité d’objet est en l’espèce aisément satisfaite. En effet, la promesse unilatérale de vente conclue par le promettant porte strictement sur les deux lots de copropriété objets du pacte.
Concernant la condition d’identité de l’opération contractuelle envisagée, il serait pour le moins réducteur d’affirmer que celle-ci est pleinement remplie. Il est même possible de douter de la pertinence du raisonnement des hauts magistrats qui condamnent le débiteur sur le fondement de l’inexécution de son obligation positive de proposer la vente au bénéficiaire. En effet, dans le cas d’espèce, le pacte de préférence porte sur un contrat de vente. Pourtant, le contrat conclu par le promettant pendant la période d’effectivité du pacte est une promesse unilatérale de contrat. La promesse ne se mue en vente que lorsque le bénéficiaire lève l’option, évènement marquant la rencontre des consentements. Or, celle-ci a été levée 17 jours après l’extinction du pacte. Autrement dit, le contrat de promesse passé au mépris du pacte n’a pas une nature juridique identique au contrat de vente projeté. C’est d’ailleurs le motif de la cour d’appel qui précise que « la lettre du pacte ne permettait pas de conclure qu’en cas d’intention de vendre l’obligation de laisser la préférence au bénéficiaire grève le pré-contrat ». Les juges du fond n’avaient en réalité, fait qu’une application traditionnelle de l’appréciation stricto sensu de la violation du pacte. Dès lors, pour comprendre la décision prise par la troisième chambre civile, il convient d’éprouver les deux analyses possibles conduisant à une telle solution.
La première analyse consisterait à raisonner de la manière suivante : la promesse unilatérale de vente constituerait une simple étape du contrat de vente en cours de formation et non un contrat autonome et distinct. Cette analyse de la promesse trouve un soutien manifeste depuis l’avènement de l’article 1124 du Code civil qui entérine la cristallisation du consentement du promettant sur tous les éléments essentiels du contrat futur11. Toutefois, une telle approche de la promesse unilatérale méconnaît son rôle fondamental et plus généralement celui des avant-contrats. En effet, ces derniers ne constituent pas le contrat définitif assorti d’une condition, mais bien des contrats autonomes et distincts produisant leurs propres effets. Au surplus, la jurisprudence a récemment précisé le caractère autonome des figures avant-contractuelles en rappelant notamment que le contrat préliminaire des ventes d’immeubles à construire demeurait un contrat distinct du contrat de vente12. Il convient donc d’écarter le recours à cette analyse.
Le seconde analyse consisterait à percevoir dans le comportement du promettant une manœuvre frauduleuse visant à mettre en péril le pacte de préférence. En effet, en contractant une promesse unilatérale assortie d’un délai relativement long, pour que la levée d’option et donc la formation du contrat de vente puissent intervenir postérieurement à l’extinction du pacte, le débiteur de la préférence s’était assuré de ne pas contrevenir à son engagement en respectant la lettre du pacte tout en bénéficiant de la célérité de la vente des lots de copropriété. Ce type d’agissements fait écho à certains arrêts de la Cour de cassation qui, dans le cadre d’un pacte de préférence portant sur une vente, avait prononcé sur le fondement de la fraude paulienne, la nullité d’une donation au motif que l’opération avait été effectuée dans le dessein de mettre la chose objet du pacte hors de portée du bénéficiaire et ainsi de priver le pacte de tous ses effets13 ou bien encore condamné l’action illicite du promettant qui, en consentant un bail rural à un tiers qui en retirait automatiquement un droit légal de préemption, avait créé une « situation juridique propre à annihiler les effets du pacte »14. En vertu d’un procédé analogue, il est possible d’en déduire que par le truchement de la promesse, le promettant avait volontairement soustrait les lots de copropriété à l’emprise de la préférence. Le bénéficiaire étant hors d’état de nuire, il pouvait sereinement envisager la vente. Par ce comportement frauduleux, le promettant s’était donc rendu coupable d’une mise en échec intentionnelle du pacte de préférence en se mettant volontairement dans l’impossibilité de satisfaire à son engagement.
En définitive, l’arrêt montre que la Cour de cassation peut dans certains cas opter pour une appréciation lato sensu de la violation du pacte de préférence, dès lors qu’il existe une fraude avérée de la part du promettant et ce même si l’identité du contrat préparé par le pacte de préférence et du contrat litigieux fait défaut. Toutefois, afin d’éviter de soumettre les bénéficiaires aux oscillations de la jurisprudence sur la question du champ d’application de la préférence, il demeure préférable que les rédacteurs de pactes leur octroient un spectre relativement large en brassant l’ensemble des opérations contractuelles où ces derniers auront vocation à être mis en œuvre.
Notes de bas de pages
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1.
C. civ., art. 1123.
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2.
Notamment depuis l’arrêt de la chambre mixte du 26 mai 2006, Cass. ch. mixte, 26 mai 2006, nos 03-19376 et 03-19495 : Bull. ch. mixte., n° 4 ; D. 2006, p. 1861, note Gautier P.-Y., note Mainguy D. ; D. 2006, p. 2638, obs. Amrani-Mekki S. et Fauvarque-Cosson B ; AJDI 2006, p. 667 ; Rev. sociétés 2006, p. 808, note Barbieri J.-F. ; RTD civ. 2006, p. 550, obs. Mestre J. et Fages B. ; JCP E 2006, II, 10142, note Leveneur L. ; JCP E 2006, I, 176, nos 1 et s., obs. Labarthe F. ; JCP N 2006, p. 1256, note Thullier B. ; JCP N 2006,1278, n° 2, obs. Piedelievre S. ; JCP E 2006, p. 2378, note Delebecque P. ; Gaz. Pal. rec. 2006, p. 2525, note Dagorne-Labbe Y. ; Gaz. Pal. rec. 2006, p. 3203, note Berenger F. ; Defrénois 30 août 2006, n° CJ2006DEF1206N1, p. 1206, obs. Savaux E. ; Contrats, conc. consom. 2006, n° 153, note Leveneur L. ; RLDC 2006/30, n° 2173, note Kenfack H. ; LPA 18 sept. 2006, note Houbron I ; LPA 11 janv. 2007, note Paulin A. ; RDC 2006, p. 1080, obs. Mazeaud D. ; RDC 2006, p. 1131, obs. Collart-Dutilleul F.
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3.
Dagot M., Le pacte de préférence, 1988, Litec, nos 877 et s. ; Voirin P., « Le pacte de préférence », JCP G 1954, I, 1192 ; Collart-Dutilleul F., Les contrats préparatoires à la vente d’immeuble, Aubert J.-L. (préf.), 1988, Sirey, n° 233.
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4.
Durry G., Les restrictions conventionnelles au libre choix de la personne du cocontractant, 1957, thèse Paris, n° 164 ; Saint-Alary-Houin C., Le droit de préemption, Raynaud P. (préf.), 1979, LGDJ, n° 251 ; Piazzon T., « Retour sur la violation des pactes de préférence », RTD civ. 2009, p. 433, n° 7 ; Benabent A., Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, 12e éd., 2017, LGDJ, n° 65.
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5.
Martin DR., « Des promesses précontractuelles », in Droit et Actualité, Études offertes à Jacques Béguin, 2005, Litec, p. 487. V. également en ce sens, Theron J., « Nullité et substitution en cas de violation d’un pacte de préférence », D. 2007, p. 2444.
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6.
Sur ce point, V. Deshayes O., Genicon T., Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2018, LexisNexis, 2e éd., spéc. p. 163.
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7.
Sur l’emploi de cette expression, V. Lequette S., « Réflexions sur la durée du pacte de préférence », RTD civ. 2013, p. 491.
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8.
V. not. Cass. 1re civ., 10 juill. 2002, n° 00-13669 : Bull. civ. I, n° 192 ; RTD civ. 2003, p. 107, obs. Gautier P.-Y.
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9.
La Cour de cassation avait notamment jugé que le pacte de préférence portant sur la vente d’un immeuble dans son ensemble n’avait pas vocation à jouer si l’opération translative portait sur un local loué au sein dudit immeuble, Cass. 3e civ., 9 avr. 2014, n° 13-13949 : Bull. civ. III, n° 52 ; RDC 2014, p. 336, obs. Genicon T.
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10.
À titre d’exemple, le pacte de préférence ne joue pas lors d’un apport en société lorsqu’il a été consenti pour une cession de titres, Cass. com., 15 déc. 2009, n° 08-21037 : Bull. civ. IV, n° 173 ; RTD com. 2010, p. 140, obs. Champaud C. et Danet D. ; LPA 19 avr. 2010, p. 17 ; D. 2010, p. 148, obs. Lienhard A. ; Rev. sociétés 2010, p. 291 note Le Nabasque H.
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11.
Art. 1124, al. 1 : « La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ».
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12.
Cass. 3e civ., 12 avr. 2018, n° 17-13118.
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13.
Cass. 3e civ., 6 oct. 2004, n° 03-15392 : Bull. civ. III, n° 163 ; D. 2004, p. 3098, note Kessler F. ; AJDI 2005, p. 508, obs. Cohet-Cordey F. ; RTD civ. 2005, p. 121, obs. Mestre J. et Fages B.
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14.
Cass. 3e civ., 10 mai 1984, n° 82-17079 – Cass. 3e civ., 1er avr. 1992, n° 90-16985 : Bull. civ. III, n° 116 ; Defrénois 15 déc. 1992, n° DEF1543N1, p. 1543, obs. Vermelle G.