La liberté de communication dans le « projet de loi confortant le respect des principes de la République »

Publié le 22/12/2020

De nombreuses dispositions du « projet de loi confortant le respect des principes de la République » sont relatives, parmi beaucoup d’autres éléments, à la question particulière de liberté de communication. Elles visent à compléter et modifier de nombreuses règles préexistantes. Elles apparaissent dispersées et complexes. Cela conduit à tenter de les identifier et de les soumettre ici à une première et brève analyse. Revue de détail par Emmanuel Derieux,  Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), auteur notamment de Droit des médias. Droit français, européen et international (1)

Devise de la République française
Photo : ©AdobeStock/R.Severac

Comme son intitulé l’indique, le « projet de loi confortant le respect des principes de la République », adopté, en Conseil des ministres, le 9 décembre 2020 (jour du 115e anniversaire de la promulgation de la « loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat »), entend contribuer à assurer et à renforcer ces « principes » constitutifs et caractéristiques d’un Etat de droit. Il avait initialement été évoqué, d’une manière d’apparence plus négative, comme devant être un « projet de loi contre le séparatisme », notamment « islamiste ». Une telle référence n’apparaît plus que dans l’« exposé des motifs » du présent texte. Pour parvenir à ses fins, celui-ci prévoit d’apporter, à divers droits et libertés -concourants autant que concurrents- en cause, des restrictions et des limitations, en tout cas susceptibles d’être perçues et dénoncées comme telles par certains. Il en serait ainsi à moins qu’elles ne s’avèrent finalement assez inefficaces ou inutiles. Comme en tout autre domaine du droit, un délicat équilibre doit être établi à cet égard. Cela doit être fait, aujourd’hui, tant sous le contrôle du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), que sous réserve de la compréhension et de l’acceptation globale d’au moins une partie de la population et notamment de ses représentants.

La « libre communication des pensées et des opinions » constitue un des principes fondamentaux de la République. Aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de 1789, il s’agit d’« un des droits les plus précieux de l’homme ». Au nom du respect d’autres droits et de libertés tout aussi essentiels, y sont nécessairement apportées des limites à l’égard de ce qui est considéré comme constitutif d’« abus de cette liberté ». C’est ainsi qu’il convient d’examiner et d’apprécier les restrictions apportées, par la loi, à cette liberté et l’application qu’en font ou que pourront tenter d’en faire les juges.

Parmi de multiples dispositions du projet de loi (qui, en l’état actuel du texte, comporte 51 articles), celles qui visent, telles qu’elles sont déjà régies par différents textes, les libertés d’association, d’enseignement ou de culte, pourraient être considérées comme concernant également la liberté d’opinion et d’expression. Ne seront cependant considérées ici que les dispositions qui sont plus directement et spécifiquement relatives à la liberté de communication. A la détermination nouvelle de quelques « abus de cette liberté », le projet de loi ajoute surtout des modalités complémentaires, d’une sévérité renforcée, du contrôle et de la sanction des dispositions préexistantes. En effet, il n’y pas de véritables règles de droit sans sanctions de leurs violations.

Les nouveaux abus de la liberté de communication

Différents abus de la liberté de communication sont nouvellement envisagés et définis, pour être sanctionnés, par ledit projet de loi.

. Infraction de publication d’informations entraînant un risque pour les personnes

Une des dispositions les plus remarquées de ce projet de loi est celle qui peut paraître reprendre, de façon à la fois plus générale (au-delà de la protection des seuls membres des forces de l’ordre, et en dépit de nombreux autres textes applicables à cet égard), un peu mieux écrite, plus précise et plus claire, l’article 24, très controversé, de la précédente proposition de loi « sécurité globale » (« Encadrement de la diffusion de l’image de policiers », Actu-Juridique.fr, 13 novembre 2020). Il s’agit de son article 18 (initialement article 25) par lequel serait introduit un article 223-1-1 du Code pénal. Celui-ci interdirait « de révéler, diffuser ou transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens ».

. Atteinte à la laïcité et à la neutralité des services publics

Au nom du principe « de laïcité et de neutralité du service public », l’article 1er du projet de loi rappelle l’obligation, qui s’impose à tous ceux qui participent à une telle mission de service public, de s’abstenir « de manifester leurs opinions, notamment religieuses ». Un tel principe de laïcité est l’objet de bien des interprétations plus ou moins contraignantes, rigoureuses et restrictives.

. Violation des obligations des associations

L’article 6 du projet de loi envisage d’introduire dans la « loi n° 2000-321, du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations », un article 10-1. Aux termes de celui-ci, « toute association qui sollicite l’octroi d’une subvention […] s’engage, par un contrat d’engagement républicain, à respecter les principes de liberté, d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine et de sauvegarde de l’ordre public ». Ce sont sans doute là, en réalité, des obligations qui s’imposent à l’ensemble des associations, et pas seulement à celles auxquelles sont accordées des subventions, et même à tous, individus et groupements, de façon bien plus générale. Convient-il donc de l’énoncer à cet égard ?

. Violation des restrictions à la liberté de communication dans les lieux de culte

Par l’article 40 dudit projet de loi, serait modifié et complété l’ancien article 26, appelé à devenir l’article 35-1, de la loi du 9 décembre 1905, pour y poser qu’« il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte ou dans leurs dépendances », ainsi que « d’y afficher, d’y distribuer ou d’y diffuser de la propagande électorale ».

Par l’article 31 du projet de loi, il est envisagé d’introduire la même disposition à l’article 167-2 du Code pénal applicable aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

L’énoncé d’infractions s’accompagne nécessairement de la détermination des peines encourues en cas de violation. A défaut, les dispositions paraîtraient privées de force contraignante.

Renforcement des sanctions des abus de la liberté de communication

S’agissant de la sanction des différents abus de la liberté de communication, le projet de loi prévoit de nouvelles règles de procédure particulières ainsi que de nouvelles peines susceptibles d’être prononcées en cas de manquement aux obligations.

. Comparution immédiate

Par l’article 20 du projet de loi, il est prévu de compléter l’article 397-6 du Code de procédure pénale, aux termes duquel « les dispositions des articles 393 à 397-5 » (concernant la comparution immédiate et la détention provisoire) « ne sont pas applicables […] en matière de délits de presse » (tels que définis par la loi du 29 juillet 1881), par un alinéa selon lequel, « par dérogation », ces dispositions seraient « applicables aux délits prévus par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 » (provocations : aux « atteintes volontaires à la vie », « à l’intégrité des personnes », à des « atteintes sexuelles » ; aux vols, extorsions, « destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes » ; « à l’un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » ; « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ou « à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap » ; et apologie « des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi »), sauf « lorsque sont applicables les dispositions concernant la détermination des personnes responsables de l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 », pour la presse écrite, « ou de l’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ». Relatifs au régime de responsabilité dite « en cascade », ceux-ci permettent notamment d’engager la responsabilité du « directeur de la publication », à titre d’auteur principal. Pour plus de clarté, ne conviendrait-il pas de faire figurer une telle disposition dans la loi du 29 juillet 1881 elle-même puisqu’il s’agirait d’une dérogation aux dispositions procédurales largement dérogatoires (et notamment de ses articles 52 et 54 excluant -sauf exceptions visant certaines de ces infractions !- le placement « en détention provisoire » et déterminant « le délai entre la citation et la comparution ») que cette loi détermine ? Avec d’autres, elles sont elles-mêmes bien contestables. Il ne convient pas nécessairement de les maintenir. 

Comment, à cet égard, interpréter l’expression -était-ce un aveu, peut-être involontaire ?- du Garde des sceaux selon lequel « la loi de 1881 a été faite pour les journalistes » (lors de la matinale de France Inter, le 9 décembre 2020). Cette loi n’a évidemment pas vocation à s’appliquer aux seuls journalistes, qu’il conviendrait alors de mieux définir (« Et si le temps était venu de définir enfin ce qu’est un journaliste », Actu-Juridique.fr, 24 novembre 2020) et de distinguer de tous ceux qui s’expriment et communiquent. Par ses particularités de procédure, elle est effectivement très largement favorable aux journalistes et à ceux qui abusent de la liberté d’expression, au détriment des droits des personnes ainsi mises en cause par eux. En réalité, la distinction serait ainsi faite, non pas entre les journalistes et les autres, mais entre les publications et services comportant un « directeur de la publication » et ceux qui n’en ont pas. Cela suffit-il à justifier une telle différence de régime ?

. Blocage ou déréférencement de services de communication au public en ligne 

L’article 19 du projet de loi envisage d’introduire, après l’article 6.2 (qui n’existe pas !) de la « loi n° 2004-575, du 21 juin 2004, pour la confiance dans l’économie numérique », des articles 6-3 et 6-4 aux termes desquels, « lorsqu’une décision judiciaire exécutoire a ordonné toute mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne dont le contenu relève des infractions prévues au 7 du I de l’article 6 » (« apologie des crimes contre l’humanité […] provocation à la commission d’actes de terrorisme et […] leur apologie […] incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard des personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur handicap […] pornographie enfantine […] incitation à la violence […] notamment […] aux violences sexuelles et sexistes […] atteintes à la dignité humaine ») de cette même loi, « toute partie à la procédure judiciaire ou l’autorité administrative peut demander » aux fournisseurs d’accès « d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant le contenu du service visé par ladite décision ». Il serait ajouté que, s’il n’y est pas procédé, l’autorité judiciaire pourrait « être saisie, en référé ou sur requête, pour ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès aux contenus de ces services ». Un même pouvoir serait, dans les mêmes conditions, confié, à l’autorité administrative, à l’égard des fournisseurs d’accès, mais également de « tout exploitant de moteur de recherche, annuaire ou autre service de référencement ».

. Sanction de la publication d’informations entraînant un risque pour les personnes

S’agissant de l’infraction de publication d’informations entrainant un risque pour les personnes, l’article 18 du projet de loi prévoit que, aux termes de l’article 223-1-1 du Code pénal qu’il introduirait, elle serait passible de « trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende ». Il ajouterait que, « lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ».

. Sanction des abus de la liberté de communication dans les lieux de culte

Par l’article 39 du projet de loi, serait remplacé l’article 35 de la loi du 9 décembre 1905. Il y serait posé, de manière plus sévère qu’en d’autres circonstances, que, « lorsque les délits prévus aux cinq premiers alinéas de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 » (provocations, non suivies d’effet, des « atteintes volontaires à la vie », des « atteintes volontaires à l’intégrité de la personne », des « agressions sexuelles », des « vols », des « extorsions » et « destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes » ; provocations « à l’un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » ; apologie de crimes, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, ou de « crimes et délits de collaboration avec l’ennemi ») « sont commis dans des lieux où s’exerce le culte ou aux abords de ces lieux » (pas davantage précisés !), « les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ». Il serait également prévu que, « lorsque la contravention prévue au sixième alinéa du même article » (« cris ou chants séditieux ») est commise dans ces mêmes lieux, la peine serait « portée à 3 750 euros d’amende ». Il y serait enfin précisé que, « lorsque les délits prévus aux septième et huitième alinéas du même article » 24 de la loi de 1881 (provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion » ou « à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap ») sont commis dans ces mêmes lieux, « les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ». Pour plus de clarté, ne conviendrait-il pas de faire figurer (également) ces dispositions dans la loi de 1881 ?

Par l’article 41 du projet de loi, serait modifié l’article 36 de la loi de 1905. Il y serait posé que, en cas de condamnation pour infraction aux articles 35 (« provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique », ou message tendant « à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres ») et 35-1 (tenue de réunions politiques et affichage, distribution et diffusion de la propagande électorale dans les lieux de culte) de ladite loi, « l’association constituée pour l’exercice du culte dans l’immeuble où l’infraction a été commise sera civilement responsable, sauf si l’infraction a été commise par une personne non membre de l’association ou n’agissant pas à l’invitation de celle-ci et dans des conditions dont l’association ne pouvait avoir connaissance ».

Par l’article 42 du projet de loi, il est envisagé d’introduire, dans la loi de 1905, un article 36-1. Il y serait posé que « la peine prévue au 12° de l’article 131-6 du Code pénal » (portant « interdiction, pour une durée de trois ans au plus de paraître dans certains lieux […] dans lesquels l’infraction a été commise ») pourrait être prononcée pour ces différents délits « ainsi que pour les délits prévus à l’article 421-2-5 du Code pénal » (provocation et apologie du terrorisme) « et aux septième et huitième alinéas de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 » (provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion » ou « à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap »).

Par l’article 43 du projet de loi, serait introduit un article 36-2 de la loi de 1905. Celui-ci disposerait que « toute personne condamnée pour l’une des infractions prévues aux articles 421-1 à 421-8 du Code pénal » (relatifs aux « actes de terrorisme », incluant notamment la provocation ou l’apologie de tels actes) « ne peut diriger ou administrer une association cultuelle pendant une durée de dix ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive ».

Appelé à être introduit par l’article 44 du projet de loi, un nouvel article 36-3 de la loi de 1905 devrait poser que « le représentant de l’Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut prononcer la fermeture temporaire des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes ou tendent à justifier ou encourager cette haine ou cette violence ».

Cependant, de manière spécifique aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, par l’article 31 du projet de loi, il est envisagé d’introduire, dans le Code pénal local, un article 167-3 réprimant, de peines distinctes (d’amende et de prison), les différents délits de provocation et d’apologie d’infractions définis par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 « commis dans des lieux où s’exerce le culte ou aux abords de ces lieux ».

Par un article 167-4 du même Code local, il serait posé que, « dans le cas de condamnation en application » des précédents articles, « l’établissement public du culte ou l’association constituée pour l’exercice du culte dans l’immeuble où l’infraction a été commise sera civilement responsable sauf si l’infraction a été commise par une personne non membre de l’établissement public du culte ou de l’association ou n’agissant pas à l’invitation de ces derniers et dans des conditions dont ils ne pouvaient pas avoir connaissance ».

Par ce qui pourrait devenir un article 167-5 dudit Code local, il serait établi que « la peine prévue au 12° de l’article 131-6 du Code pénal » (il s’agit de « l’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, de paraître dans certains lieux ou catégories de lieux déterminés par la juridiction et dans lesquels l’infraction a été commise ») pourrait « être prononcée à la place de ou en même temps que la peine d’amende ou la peine d’emprisonnement prévue » pour ces différents délits « ainsi que les pour les délits prévus par l’article 421-2-5 du Code pénal » (provocation et apologie du terrorisme) « et aux septième et huitième alinéas de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 » (provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ou « à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap »).

A l’article 167-6 du même Code local pour l’Alsace et la Moselle, il pourrait enfin être posé que « toute personne condamnée pour l’une des infractions prévues aux articles 421-1 à 421-8 du Code pénal » (relatifs aux « actes de terrorisme » et incluant notamment l’article 421-2-5 visant la provocation et l’apologie du terrorisme) ne pourrait pas « diriger ou administrer un établissement public du culte ou une association à objet cultuel pendant une durée de dix ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive ».

. Inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infraction terroriste

L’article 3 du projet de loi vise à supprimer, de l’article 706-25-4 du Code de procédure pénale relatif au « fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infraction terroriste », la disposition qui, jusqu’ici, exclut les auteurs d’infractions mentionnées aux articles 421-2-5 (provocation et apologie du terrorisme) et 421-2-5-2 (relatif, selon deux lois successivement adoptées, à la consultation habituelle d’un service de communication au public en ligne comportant des messages de provocation ou d’apologie du terrorisme… disposition pourtant abrogée, à deux reprises, par le Conseil constitutionnel, par les décisions n° 2016-611 QPC, du 1er février 2017, et n° 2017-662-QPC, du 15 décembre 2017 !). Il est donc envisagé que au moins les auteurs de provocation et d’apologie du terrorisme puissent y être inscrits dès lors qu’ils auront été l’objet : « d’une condamnation, même non encore définitive », y compris prononcée par une autorité judiciaire étrangère ; d’« une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » ; ou d’« une mise en examen ».

En conséquence de cette inscription, le même article 3 du projet de loi envisage de déterminer, à l’article 706-25-6 du Code de procédure pénale, les conditions -à raison du « décès de l’intéressé », ou à l’expiration d’un délai, de « cinq ans s’il s’agit d’un majeur » ou de « trois ans s’il s’agit d’un mineur », à compter du prononcé de la décision- dans lesquelles de telles informations seront retirées dudit fichier. Il est à noter que la disposition en cause se réfère alors, non pas à l’article 421-2-5-2 du Code pénal, mais, comme cela devrait être fait par l’article 706-25-4, à l’article 421-2-5-1 qui vise l’acte consistant à « entraver, en connaissance de cause », les mesures, prévues par l’article 6-1 de la loi n° 2004-575, du 21 juin 2004, par lesquelles il serait mis obstacle à la communication au public en ligne de messages constitutifs de provocation ou d’apologie du terrorisme.

Il est enfin prévu d’introduire, à l’article 726-25-7 du même Code de procédure pénale, un alinéa excluant, de l’obligation de justification de son adresse et de présentation à la police ou à la gendarmerie, « les personnes inscrites dans le fichier » pour les infractions susmentionnées des articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du Code pénal.

. Mesures susceptibles d’être prises à l’encontre d’associations

L’article 10-1 de la loi du 12 avril 2000, dont l’introduction est envisagée par l’article 6 du présent projet de loi, prévoit de poser, à titre de sanction du manquement aux obligations, qu’une association dont l’objet est illicite ou qui, dans son statut et l’action et les déclarations de ses membres, ne respecte pas les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de respect de la dignité de la personne humaine, ne pourrait pas se voir accorder de subvention. Si l’association en a bénéficié, elle devrait en restituer le montant.

Par l’article 8 du projet de loi, il est prévu d’introduire, à l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure, des mesures nouvelles concernant la « dissolution de certains groupements et associations ». Il pourrait ainsi être posé que puissent être « dissous, par décret en Conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » […] 3° ou dont l’objet ou l’action tend à porter atteinte à l’intégrité du territoire national ». Aux 6° du même article visant la provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personne à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ou la propagation « des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence », devrait être ajoutée la mention de l’appartenance ou non appartenance « vraie ou supposée ». Pour aller plus loin encore, on pourrait notamment y préférer la référence qui serait faite à une « prétendue race », car il n’y a qu’une seule race humaine. De telles précisions seraient utilement introduites également dans la loi du 29 juillet 1881.

Par le même article du projet de loi, il est encore envisagé d’introduire un nouvel article L. 212-1-2 du Code de la sécurité intérieure selon lequel, « en cas d’urgence, la suspension de tout ou partie des activités des associations ou groupements de fait qui font l’objet d’une procédure de dissolution sur le fondement de l’article L. 212-1 peut être prononcée, à titre conservatoire et pour une durée maximale de trois mois, par le ministre de l’intérieur ». Il y serait ajouté que « la violation d’une mesure conservatoire de suspension » ainsi prononcée « est punie d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

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Le respect des valeurs ou des principes républicains, démocratiques ou d’un Etat de droit, menacés par diverses formes de « séparatisme », par la voie notamment, mais non exclusivement, d’abus de la liberté de communication, nécessite-t-il l’adoption, par le présent projet de loi, de toutes ces dispositions nouvelles ?

Celles-ci ne sont-elles pas susceptibles d’être perçues, si ce n’est même d’être dénoncées, comme attentatoires à certains droits et libertés ? Un juste équilibre est-il à cet égard établi ? Ne se trouvent-elles pas noyées parmi beaucoup d’autres, elles aussi contenues dans le même projet de loi, à l’intitulé voulu comme plus positif que celui qui avait été initialement envisagé, et dont l’objet est bien plus large que la seule question de la laïcité, très diversement et plus ou moins rigoureusement interprétée ? Convient-il de s’encombrer de tant de mesures de détail et particulières, et d’introduire des exceptions à des dérogations ?

La dispersion de ces dispositions et le caractère partiel des modifications apportées à des textes préexistants, spécifiques à la liberté de communication ou non, dont la nécessaire stabilité se trouve à nouveau remise en cause, n’en facilitent pas la lisibilité ou l’accessibilité, la compréhension et l’appréciation, et donc, comme il est à craindre, l’application. Des formulations moins nombreuses, de portée plus générale, et ainsi plus permanentes et durables, seraient assurément préférables.

Compte tenu de tout cela, comment ledit projet de loi (qui, tel quel, a reçu un avis favorable du Conseil d’Etat) ressortira-t-il du débat parlementaire et, avant même sa promulgation, d’un très probable contrôle du Conseil constitutionnel ?

 

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