L’action en nullité d’un contrat de prêt entre professionnels : la difficile mise en œuvre

Publié le 16/10/2017

L’action en annulation d’un prêt fondée sur une erreur ou un dol concernant la stipulation du taux effectif global se prescrit, dans les relations entre professionnels, par le délai de cinq ans à compter du jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître le vice affectant ce taux.

Cass. com., 4 mai 2017, no 15-19141, F–BPI

1. Respectueuse, à plus d’un titre, du droit des contrats, la décision rendue le 4 mai 2017 par la chambre commerciale de la Cour de cassation suscite tout autant des interrogations sur la cause de la nullité d’un prêt qui résulterait du caractère sciemment erroné du taux effectif global. En l’espèce1, en vertu d’un acte du 12 mai 2009, la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Paris et de l’Île-de-France a consenti à la société DH Invest un prêt, garanti par le cautionnement, donné dans le même acte, de Mme X. La société DH Invest ayant cessé de payer des échéances, la caisse a assigné la caution en paiement. La caution afin d’éviter d’exécuter son obligation estime dans ses conclusions d’appel que la banque s’était rendue coupable d’un dol à son égard en mentionnant sciemment dans l’acte de prêt un taux effectif global qu’elle avait minoré en omettant d’y inclure divers frais et en appliquant une formule de calcul du taux actuariel erroné. Les juges du fait estiment que cette demande est prescrite. Mécontente de cette décision, la caution forme un pourvoi en cassation qui est rejeté par le juge de la chambre commerciale qui précise que « l’action en annulation d’un prêt fondée sur une erreur ou un dol concernant la stipulation du taux effectif global se prescrit, dans les relations entre professionnels, par le délai de cinq ans à compter du jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître le vice affectant ce taux ». Si le raisonnement soutenu par la chambre commerciale de la Cour de cassation paraît fondé, on pourrait tout de même lui reprocher d’éclipser la délicate question de la cause de la nullité du contrat de prêt (I). En invoquant la théorie des vices du consentement, la chambre commerciale de la Cour de cassation a désiré soumettre dans ce cas l’action en nullité au régime de la prescription quinquennale. De plus, pour la haute juridiction l’indemnité demandée par le prêteur de deniers pour inexécution de la convention a bien la nature d’une clause pénale (II).

I – Fondement de l’action en nullité d’un contrat de prêt entre professionnel

2. L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 mai 2017 a précisément trait à la question de la prohibition de l’usure (A), qui ne connaît pas la sanction de la nullité pour vice du consentement (B).

A – Le régime de la prohibition de l’usure écarté

3. Dans le droit-fil de la réflexion précédente, il y a lieu de se demander si la cause de la nullité invoquée dans l’arrêt rapporté est bien la théorie des vices du consentement ou bien la prohibition de l’usure. À cet égard, le professeur Laurent Aynès considère justement que : « La nullité a pour cause un vice de forme de la stipulation de l’intérêt conventionnel (C. civ., art. 1907, al. 2 : le taux qui doit être écrit est évidemment un TEG exact), sans aucun égard pour sa répercussion sur le consentement. On peut d’ailleurs se demander si la nullité est bien appropriée, alors qu’une règle de fond qu’elle sert – la prohibition de l’usure – ne connaît pas cette sanction (…) »2.

4. On sait que pour protéger les consommateurs souhaitant emprunter de l’argent, le législateur a prévu des sanctions à l’article L. 314-6 du Code de la consommation qui dispose que : « Constitue un prêt usuraire tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des opérations de même nature comportant des risques analogues, telles que définies par l’autorité administrative après avis du Comité consultatif du secteur financier. Les catégories d’opérations pour les prêts aux particuliers n’entrant pas dans le champ d’application du 1° de l’article L. 313-1 ou ne constituant pas une opération de crédit d’un montant supérieur à 75 000 € destiné à financer, pour les immeubles à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, les dépenses relatives à leur réparation, leur amélioration ou leur entretien sont définies à raison du montant des prêts. Les crédits accordés à l’occasion de ventes à tempérament sont, pour l’application de la présente section, assimilés à des prêts conventionnels et considérés comme usuraires dans les mêmes conditions que les prêts d’argent ayant le même objet ».

5. Il fallait assurément des motifs sérieux pour soumettre les faits d’espèce au régime de la prohibition de l’usure. Même si le domaine du régime de la prohibition de l’usure a été restreint il n’en demeure pas moins que l’exigence de mention écrite du taux effectif global préalablement à tout contrat de prêt demeure de portée générale3. Au cas d’espèce, la Cour de cassation rappelle qu’ « aucune demande relative au taux effectif global et à la nullité du taux contractuel stipulé n’a été formée devant le tribunal. Comme le relève la banque, la demande d’annulation du taux stipulé fondée sur l’allégation d’un taux effectif global erroné a été faite, pour la première fois, par les conclusions des appelantes signifiées au cours de l’instance d’appel le 19 novembre 2014 ».

B – L’action fondée sur un vice du consentement

6. C’est en vain que la caution a cherché à faire juger que la banque s’était rendue coupable d’un dol à son égard en mentionnant sciemment dans l’acte de prêt un taux effectif global qu’elle avait minoré en omettant d’y inclure divers frais et en appliquant une formule de calcul du taux actuariel erroné, la trompant de la sorte sur l’étendue de la dette du débiteur cautionné, ce qu’elle n’avait découvert que le 15 octobre 2014. Concernant l’erreur on peut légitiment se demander si les conditions de l’erreur substantielle étaient réunies4 ? En effet comme l’observe l’éminent professeur Laurent Aynès : « le TEG est une indication, un instrument de mesure, bien plus que l’objet de l’obligation »5. Cet argument était spécieux et l’on comprend que la chambre commerciale de la Cour de cassation n’ait pas souhaité s’engager dans ce débat, en jugeant dans l’espèce rapportée que : « (…) l’action en annulation d’un prêt fondée sur une erreur ou un dol concernant la stipulation du taux effectif global se prescrit, dans les relations entre professionnels, par le délai de cinq ans à compter du jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître le vice affectant ce taux ; que le point de départ de cette prescription est la date de la convention de prêt mentionnant le taux prétendument erroné ».

7. Cependant, il arrive que le moyen du pourvoi en cassation prospère. C’est ainsi que la chambre commerciale de la Cour de cassation6 confirme que le dol est bien constitué tant et si bien que les engagements de cautionnement doivent être reconnus nuls7. Aux termes de cette décision rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 22 mai 2013 : « Le banquier prêteur de deniers qui délibérément dissimule aux cautions des informations, indépendantes des seuls risques et aléas du montage, sans lesquelles elles n’auraient pas contracté, commet un dol à leur égard, entraînant la nullité de leurs engagements de caution »8. Le régime juridique qui s’en déduit est radicalement différent, comme l’arrêt rapporté permet de le constater tant sur le plan de la prescription de l’action en nullité de la convention de prêt que celui de l’indemnité due au prêteur en cas d’inexécution de la convention de prêt par l’emprunteur.

II – Régime de l’action en nullité d’un contrat de prêt entre professionnel

8. En rejetant le pourvoi en cassation, la haute juridiction estime que l’action en annulation d’un prêt fondée sur une erreur ou un dol concernant la stipulation du taux effectif global se prescrit, dans les relations entre professionnels, par le délai de cinq ans à compter du jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître le vice affectant ce taux (A). Il en résulte ainsi que l’indemnité due au prêteur de deniers en cas inexécution de la convention de prêt s’analyse en une clause pénale (B).

A – La prescription de l’action en nullité en cas d’erreur du taux effectif global

9. Au-delà des incertitudes techniques affectant le taux effectif global, le mécanisme de ce dernier inquiète essentiellement sur le point de départ de la prescription de l’action en nullité. En effet, dans un contexte de très grande attente nourrie par une controverse entre la chambre civile et commerciale de la Cour de cassation9 au cas d’espèce cette dernière était saisie de la question récurrente du point de départ de la prescription de l’action en nullité de la convention de prêt.

10. La première chambre civile a adopté une vision protectrice de l’emprunteur fixant le point de départ de la prescription à la date de la convention lorsque l’examen de sa teneur permet de constater l’erreur, ou, lorsque tel n’est pas le cas, à la date de la révélation de celle-ci à l’emprunteur10. La chambre commerciale ne paraît partager cette analyse car elle estime que ce délai devait courir à compter du jour où l’emprunteur avait connu ou aurait dû connaître le vice affectant le TEG et, s’agissant d’un prêt, c’était nécessairement la date de la convention11. D’ailleurs, si l’on pouvait douter de cette analyse de la chambre commerciale de la Cour de cassation, un arrêt récent, la haute juridiction est venue préciser : « (…) Qu’en statuant ainsi, alors que le point de départ de la prescription de l’action en nullité du taux effectif global se situe au jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître l’erreur affectant celui-ci, la cour d’appel, qui a retenu comme point de départ de cette prescription la date d’un document ne constatant aucun taux effectif global, a violé les textes susvisés ; Par ces motifs casse et annule (…) »12. L’arrêt rapporté s’inscrit précisément dans ce dernier courant en ayant recours à la notion de professionnel.

11. Force est de souligner que la suppression de l’article 1304 du Code civil, par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, instaure le nouvel article 1144 du Code civil qui dispose que : « Le délai de l’action en nullité ne court, en cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé ». De plus, l’article 2224 du Code civil propre aux actions mobilières et personnelles instaure une prescription quinquennale en disposant : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Cet article 2224 du Code civil instauré par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 est d’un grand secours pour les plaideurs qui soulèvent le délai de prescription de l’action en nullité13.

B – L’indemnité due au prêteur en cas d’inexécution de la convention de prêt

12. Sur le moyen unique du pourvoi incident, la haute juridiction précise que : « (..) la cour d’appel en a exactement déduit que la clause prévoyant cette indemnité devait être qualifiée de clause pénale ; que le moyen n’est pas fondé ». À cet égard, l’ancien article 1152 du Code civil disposait que « Lorsque la convention porte que celui qui manquera de l’exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte, ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite ». Dans l’arrêt annoté, la banque soutenait que l’indemnité due ne résulte pas d’une clause pénale, et, partant, n’est pas sujette à une modération en application des dispositions de l’article 1152, alinéa 2 du Code civil.

13. La question posée aux juges du fond met en évidence la qualification de la clause litigieuse comme clause pénale14. Les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation de la clause pénale sous le contrôle de la qualification opéré par la haute juridiction. L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, prévoit le nouvel article 1231-5 du Code civil qui dispose : « Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d’office, à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent. Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite. Sauf inexécution définitive, la pénalité n’est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure ». On sait que la clause pénale a un effet comminatoire qui la distingue nettement de la faculté de résiliation qui a un effet libératoire15. Au cas d’espèce la cour d’appel pouvait donc librement en réduire le montant pour réduire à la somme de 5 000 € le montant de l’indemnité de recouvrement en vertu de l’ancien article 1152, alinéa 2, du Code civil.

14. L’arrêt rapporté, en se prononçant nettement en faveur de la notion de contrat de prêt conclu par un professionnel, s’inscrit de toute évidence dans le courant jurisprudentiel de la chambre commerciale de la Cour de cassation. Qu’il soit donc permis d’observer que ce faisant, il faut se garder de tout dogmatisme notionnel, et régler les choses au coup par coup, avec pragmatisme sous la souveraine appréciation du juge judiciaire.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Delpech X., « Triptyque en droit des contrats : dol, principe de proportionnalité et clause pénale », Dalloz actualité, 31 mai 2017 ; El Moujahid K., « L’incidence de la qualité de professionnel sur la détermination du point de départ de l’action en nullité d’un contrat de prêt », Actualités du droit, 23 mai 2017, éd Lamy.
  • 2.
    Aynès L. et Stoffel-Munck P., « Octobre 2013 à mars 2014 : clarifications », Dr. & Patr. 1er juill. 2014, n° 238, p. 88.
  • 3.
    Périn-Dureau A., « Mention du taux effectif global – Étude d’une mesure à l’efficacité et à la cohérence discutables – 1re partie : étendue de la mesure », RD bancaire et fin. 2016, étude 28.
  • 4.
    Aynès L. et Stoffel-Munck P., « Octobre 2013 à mars 2014 : clarifications », art. préc.
  • 5.
    Ibid.
  • 6.
    En l’espèce, l’action était fondée sur les anciens articles 1116 et 1304 du Code civil abrogés par l’ordonnance n° 2016-131, du 10 février 2016 (JO, 11 févr 2016). La nouvelle codification du Code civil de ces deux articles se retrouve aux nouveaux articles 1137 et 1144.
  • 7.
    Marraud des Grottes G., « Caution et dol du créancier : de la distinction entre aléa financier et dissimulation d’information » RLDC juill.-août 2013, n° 106, spéc. p. 30.
  • 8.
    Ibid. Cass. com., 22 mai 2013, n° 11-20398.
  • 9.
    Lasserre Capdeville J., « Taux effectif global et délai de prescription : revirement de jurisprudence ! », JCP G 2017, n° 6, 142.
  • 10.
    Lasserre Capdeville J., « Taux effectif global et délai de prescription : revirement de jurisprudence ! », art. préc.
  • 11.
    Ibid.
  • 12.
    Cass. com., 31 janv. 2017, n° 14-26360.
  • 13.
    Lasserre Capdeville J., « Taux effectif global et délai de prescription : revirement de jurisprudence ! », art. préc. Pour des applications de l’article 2224 du Code civil, v. Morin M. et Niel P.-L., « Des précisions sur la prescription de la créance d’indemnité d’occupation due par un ex-époux », LPA 19 sept. 2016, n° 120k2, p. 9.
  • 14.
    Pouliquen E., « Contrôle de la qualification d’une clause pénale », RLDC févr. 2012, n° 90, spéc. p. 14.
  • 15.
    Chabas C., L’inexécution licite du contrat, 2002, LGDJ, n° 1124, p. 122. Vaissière A., « À propos de la résiliation unilatérale des contrats à durée déterminée », RLDC 1er juill. 2006, n° 29, spéc. p. 70.
X