L’évolution limitée de la règle de proportionnalité du cautionnement
La récente réforme du droit des sûretés a sensiblement amélioré le régime du cautionnement. Parmi les évolutions attendues en la matière, la règle de proportionnalité tenait une place de choix. Il est dès lors intéressant de se questionner sur les aspects de cette règle ayant été réformés et ceux qui auraient pu l’être.
En tout domaine, la disproportion est perçue comme une injustice. L’expression selon laquelle la disproportion consiste à « tirer sur des moineaux avec un canon » invite à constater que le recours à des moyens disproportionnés se révèle dommageable voire dangereux1.
La disproportion révèle toute sa dangerosité en matière de cautionnement. La caution s’engage sans percevoir de contrepartie et prend ainsi le risque de voir son patrimoine déséquilibré par la réalisation de la sûreté. Ce risque existe en présence de tout cautionnement. Il est néanmoins supportable lorsque le cautionnement est proportionné par rapport aux facultés financières de la caution. Dans l’hypothèse inverse, le risque se transforme en véritable danger. L’appel de la caution engagée au-delà de ses facultés de paiement la placerait alors inévitablement dans une situation d’insolvabilité.
Conscient de ce danger, le législateur a instauré dès 1989 une règle de proportionnalité du cautionnement2. La règle initialement instaurée connaissait un champ d’application limité3. La jurisprudence s’en est inspirée pour découvrir une règle de proportionnalité plus générale fondée sur la bonne foi4. Le législateur a ensuite élargi le champ d’application de la règle légale en prévoyant à l’article L. 332-1 du Code de la consommation qu’« un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ». Cette règle a fait l’objet de nombreux commentaires doctrinaux justifiés par l’important contentieux qu’elle générait. L’article L. 332-1 du Code de la consommation a été abrogé le 1er janvier 2022 lors de l’entrée en vigueur de la réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.
La règle de proportionnalité a été réécrite à l’occasion de cette réforme. Le nouvel article dispose que « si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date ». Avant de commenter certains aspects de l’évolution de cette règle, il convient de remarquer que le nouvel article quitte le Code de la consommation pour rejoindre le Code civil5. Plusieurs règles de protection de la caution sont ainsi rapatriées au sein du Code civil6. Cette évolution se comprend aisément dès lors que ces règles sont applicables à l’ensemble des cautions ou à l’ensemble des cautions personnes physiques et ne sont dès lors pas limitées aux cautions assimilables à des consommateurs.
Sur le fond, le nouvel article prévoit pour l’essentiel une nouvelle sanction de la disproportion. Cette évolution aurait dû être accompagnée d’une modification du champ d’application de la règle mais ce dernier aspect a été avorté (I). Bien que la nouvelle rédaction de la règle de proportionnalité du cautionnement soit préférable à l’ancienne, on peut regretter que la grande réforme du droit des sûretés n’ait pas été l’occasion d’étendre cette règle de proportionnalité, d’une part, aux disproportions apparues en cours de cautionnement et, d’autre part, à l’ensemble des sûretés pour autrui (II).
I – L’évolution incomplète de la règle de proportionnalité
Deux évolutions majeures de la règle de proportionnalité auraient dû voir le jour. L’une concernant son champ d’application n’a finalement pas été consacrée (A). L’autre relative à sa sanction a été effectivement adoptée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 (B).
A – L’absence d’extension du champ d’application de la règle de proportionnalité
Rien n’a changé quant au champ d’application de la règle de proportionnalité7. Trois aspects du champ d’application de cette règle doivent être étudiés successivement : l’exclusion des personnes morales (1), l’application de la règle à toutes les personnes physiques (2) et la soumission à la règle des seuls créanciers professionnels (3).
1 – L’exclusion des personnes morales
La règle de proportionnalité prévue à l’article L. 332-1 du Code de la consommation permet d’ores et déjà de protéger toutes les cautions personnes physiques et exclut a contrario les personnes morales. Le nouvel article 2300 ne fait pas évoluer ce champ d’application.
Le maintien de l’exclusion des personnes morales doit être salué. La lutte contre l’insolvabilité des personnes physiques est singulière et primordiale. Le surendettement atteint les débiteurs jusqu’à leur dignité8. Les mêmes enjeux ne sont pas en cause lorsque le législateur adopte des lois visant à éviter la cessation des paiements des personnes morales.
En outre, certaines personnes morales sont déjà protégées contre les risques engendrés par l’octroi d’un cautionnement. Tel est le cas par exemple des établissements de crédit qui offrent leurs cautionnements comme crédits par signature9. Le patrimoine de ces cautions est protégé par les ratios qu’elles sont tenues de respecter10. Ces ratios les contraignent à disposer des fonds nécessaires pour couvrir les risques liés à l’octroi de crédit. Il n’est donc pas utile de protéger ces cautions de la cessation des paiements par une règle de proportionnalité du cautionnement11. Le respect de ratios similaires est imposé aux collectivités locales se portant cautions12. De la même façon, dès lors que ces collectivités sont tenues de respecter des ratios qui les protègent contre l’octroi de cautionnements qu’elles ne seraient pas en mesure d’honorer, il est inutile de protéger ces cautions par une règle de proportionnalité.
Il est vrai néanmoins que toutes les personnes morales ne sont pas protégées par les règles susvisées. Malgré cette lacune de protection, la force obligatoire des contrats, pilier du droit des obligations, justifie que les personnes morales doivent être exclues de la règle de proportionnalité. Le principe de la force obligatoire des contrats implique qu’un contractant puisse être contraint juridiquement de respecter les obligations auxquelles il s’est engagé. À l’inverse, en application de la règle de proportionnalité, la caution est libérée de son obligation contractuelle en raison de la volonté du législateur de la protéger spécifiquement contre le risque d’insolvabilité résultant de son engagement. La règle de proportionnalité des cautionnements apparaît donc comme une règle dérogatoire au principe fondamental de la force obligatoire des contrats. Or les exceptions à ce principe doivent être admises avec parcimonie. Ainsi, l’extension de la règle de proportionnalité aux personnes morales ne nous paraîtrait pas justifiée. Alors que les personnes morales sont fondamentalement adaptées à la vie des affaires, la participation des personnes physiques à ce milieu n’apparaît pas aussi naturelle. Cette différence explique que les personnes morales ne méritent pas la même protection que celle qui est offerte aux personnes physiques au prix d’une atteinte au principe de la force obligatoire des contrats.
En outre, la protection des personnes morales par la règle de proportionnalité pourrait apparaître inutile. Les mesures de traitement des entreprises en difficulté sont d’ores et déjà orientées vers la prévention des difficultés des entreprises13. Il est vrai qu’au vu du nombre de liquidations judiciaires, il est possible de douter de l’efficacité des procédures de prévention. Néanmoins, il ne semble pas que l’instauration d’une règle de proportionnalité du cautionnement puisse constituer une réponse adaptée à cette difficulté. Une telle règle ne protégerait que les personnes morales dont les difficultés résultent de leur engagement en tant que caution. Ainsi, l’extension de la règle de proportionnalité aux personnes morales ne permettrait pas de pallier de manière générale l’inefficacité des procédures de prévention des difficultés des entreprises. L’intérêt d’une telle règle de proportionnalité applicable aux personnes morales n’apparaît pas suffisant pour que l’atteinte au principe de la force obligatoire des conventions soit justifiée. Par ailleurs, l’observation de la jurisprudence relative au régime de proportionnalité du cautionnement fondé sur les arrêts Macron et Nahoum invite à penser que les personnes morales n’ont pas besoin d’être protégées par la règle de proportionnalité. En effet, alors même qu’elles ne sont pas explicitement exclues de son champ d’application, aucun arrêt ne fait apparaître de caution personne morale invoquant la disproportion de son engagement. À l’inverse, le nombre important de cautionnements disproportionnés souscrits par des personnes physiques démontre que la règle de proportionnalité est utile pour assurer la protection de leur patrimoine. Ainsi, l’atteinte portée au principe de la force obligatoire des conventions doit être limitée à la protection des personnes physiques contre l’insolvabilité et l’exclusion sociale qui en résulte.
Ainsi, doit être approuvé le maintien de l’exclusion des personnes morales. Un autre aspect du champ d’application de la règle de proportionnalité reste inchangé : la protection de toutes les cautions personnes physiques. Contrairement à l’exclusion des personnes morales, ce choix peut donner lieu à certaines réserves.
2 – La protection de toutes les personnes physiques
Le nouvel article 2300 du Code civil, comme l’article L. 332-1 du Code de la consommation, permet à toutes les cautions personnes physiques de se prévaloir de la règle de proportionnalité. Cette large protection fait apparaître un défaut en ce qu’elle permet aux cautions ayant conscience de la disproportion de leur engagement de se prévaloir de la règle. Il aurait été possible de contrer ces comportements opportunistes en modifiant le champ d’application de la règle et, précisément, en interdisant aux cautions de mauvaise foi de s’en prévaloir. Une telle condition relative à la bonne foi des cautions aurait permis d’éviter que les cautions souscrivent volontairement des engagements disproportionnés dans le but de profiter de la règle de proportionnalité.
L’exclusion des cautions de mauvaise foi aurait fait écho au champ d’application retenu en matière de procédures de surendettement prévues au sein du Code de la consommation. Ces procédures sont réservées aux débiteurs de bonne foi. Il aurait été pertinent de retenir cette même condition pour la règle de proportionnalité des sûretés dès lors que, comme les procédures de surendettement, elle vise à enrayer l’insolvabilité des personnes physiques. La règle de proportionnalité intervient en amont pour éviter que les cautions personnes physiques se trouvent en situation de surendettement et les procédures de surendettement interviennent en aval pour remédier à la situation de surendettement des personnes physiques. Ces deux mécanismes partagent donc une finalité commune.
Ils ont également en commun de porter atteinte au principe de la force obligatoire du contrat. En effet, le sauvetage, anticipé ou non, des débiteurs ou des cautions des griffes du surendettement est réalisé au prix d’une atteinte aux droits de leurs créanciers. Ces deux points communs entre la règle de proportionnalité et les procédures de surendettement justifient qu’elles soient réservées aux personnes physiques de bonne foi.
De ce point de vue, on peut regretter que le champ d’application de la règle reste inchangé. En outre, mérite d’être critiqué le refus de soumettre tous les créanciers à la règle de proportionnalité.
3 – Le refus d’étendre la règle à tous les créanciers
L’évolution du champ d’application de la règle de proportionnalité aurait dû se cristalliser sur un point unique : l’extension de la règle à tous les créanciers. Cette extension était proposée tant par l’avant-projet soumis par l’association Henri Capitant en 2017 que par l’avant-projet publié par la Chancellerie en décembre 202014. Finalement, l’article 2300 reste cantonné aux contrats de cautionnements souscrits par des cautions personnes physiques engagées envers des créanciers professionnels. Le champ d’application de l’ancien article L. 332-1 du Code de la consommation reste donc inchangé. En pratique, pour appliquer la règle de proportionnalité il faudra toujours se demander : le créancier a-t-il octroyé un crédit « dans l’exercice de sa profession ou [le crédit] se trouve[-t-il] en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale »15 ?
L’avant-projet publié par la Chancellerie en décembre 2020 proposait que la distinction entre les créanciers professionnels ou non soit supprimée. Pour apprécier cette proposition, il convient de rappeler la finalité de la règle de proportionnalité : il s’agit de protéger les cautions personnes physiques contre l’insolvabilité16. Partant de cette finalité, il faut admettre que le sort patrimonial des cautions ne doit pas dépendre de la qualité de leur créancier. La situation d’insolvabilité de la caution n’est pas moins dramatique si le créancier bénéficiant du cautionnement ne peut être qualifié de créancier professionnel. S’il peut sembler logique de distinguer parmi les cautions celles qui méritent cette protection et celles qui ne la méritent pas, il est en revanche difficilement compréhensible que l’applicabilité de la règle dépende également de la qualité du créancier. Les risques pesant sur le patrimoine de ces cautions sont les mêmes que le créancier soit ou non un créancier professionnel. En outre, la lutte contre l’insolvabilité et l’exclusion sociale n’apparaît pas moins primordiale lorsque les cautions se sont engagées envers des créanciers non professionnels. Il en résulte que l’évolution proposée dans l’avant-projet méritait d’être approuvée. Réciproquement, le refus de consacrer cette proposition doit être critiqué.
Il aurait pu sembler rigoureux d’imposer aux créanciers non professionnels de vérifier que les ressources de la caution au jour où elle s’engage lui permettent de satisfaire à son engagement. Une telle obligation soulève cependant plusieurs questions. Le créancier non professionnel aurait-il été suffisamment bien renseigné pour savoir qu’il est tenu de vérifier que la caution ne souscrit pas un engagement disproportionné ? Aurait-il été apte à évaluer la proportionnalité de l’engagement de la caution par rapport à ses facultés de paiement ? Les créanciers non professionnels auraient-ils eu les moyens de s’assurer de l’absence de disproportion ? Soumettre les créanciers non professionnels à la règle de proportionnalité aurait pu sembler sévère à certains égards. Toutefois, ces obstacles n’apparaissent pas dirimants. Pour obtenir les éléments nécessaires au calcul de la proportionnalité il aurait suffi à ces créanciers de demander à leurs cautions des déclarations relatives à leurs facultés de paiement. La jurisprudence affirme, en effet, qu’en l’absence « d’anomalie apparente », les créanciers n’ont pas à vérifier la réalité des informations fournies par les cautions relatives à leur patrimoine et leurs revenus17. En outre, les créanciers ne sont pas tenus de procéder à des calculs complexes pour refuser un cautionnement manifestement disproportionné aux facultés de paiement de la caution. L’adverbe « manifestement » indique que la disproportion doit être flagrante18. Le créancier, même non professionnel, ne serait pas passé à côté de cette évidence. En somme, ces différents aspects pratiques n’étaient pas suffisants pour justifier l’exclusion des créanciers non professionnels de la règle de proportionnalité.
Enfin, si le refus de soumettre tous les créanciers à la règle de proportionnalité du cautionnement ne peut trouver grâce à nos yeux, c’est parce que l’argument principal qui aurait pu être invoqué pour justifier cette solution n’est plus. En effet, une telle modification du champ d’application de la règle aurait été sévère si la sanction de la déchéance totale du cautionnement avait été maintenue mais, précisément, l’ordonnance portant réforme du droit des sûretés a adouci la sanction de la disproportion.
B – La modification de la sanction de la règle de proportionnalité
La récente réforme du droit des sûretés a modifié la sanction attachée à la disproportion du cautionnement. Il faut saluer le choix de la réduction du cautionnement qui apparaît comme une sanction naturelle de la disproportion (1). Pourtant, cette sanction présente un défaut : elle n’est pas dissuasive (2).
1 – La réduction du cautionnement : sanction naturelle de la disproportion
La réduction du cautionnement semble être la sanction naturelle face à la souscription d’un cautionnement disproportionné. Le problème étant l’importance du montant garanti, la solution doit simplement être la réduction de ce montant. Le professeur David Bakouche a qualifié la réduction du cautionnement disproportionné de « seule sanction logique »19. La réduction du cautionnement disproportionné permet que celui-ci soit réadapté aux facultés de paiement de la caution. Une fois réduit, l’engagement de la caution ne fait plus peser sur elle la menace de l’insolvabilité. Dès lors qu’elle permet d’atteindre le but fixé, cette sanction est efficace20. Cette sanction brille par sa mesure et apparaît comme la sanction idéale, en particulier lorsqu’elle est comparée à l’ancienne déchéance totale du cautionnement21.
Le choix de cette sanction implique que les juges se voient confier une mission d’évaluation de la disproportion. Il leur appartient de réduire le cautionnement à hauteur de la disproportion constatée au jour de l’engagement de la caution. Cette disproportion doit donc être chiffrée. Les juges sont-ils capables d’assurer cette mission ? La question peut être posée, mais la réponse ne fait aucun doute. Avant la réforme les juges se voyaient déjà confier, lorsque le principe jurisprudentiel de proportionnalité était invoqué, la mission de chiffrer le préjudice de la caution. Or le préjudice subi par la caution renvoie au fait d’avoir consenti un cautionnement disproportionné, de sorte que ce préjudice équivaut à la partie disproportionnée de son engagement22. Ainsi, à chaque fois qu’ils déterminaient le montant du préjudice subi par une caution dont l’engagement était disproportionné, les juges évaluaient le montant de la disproportion. En outre, il faut souligner que les juges du fond doivent également évaluer la solvabilité d’un débiteur dans d’autres domaines. Ils le font notamment lorsqu’ils accordent des délais de grâce à un débiteur rencontrant des difficultés. En cette matière, un pouvoir souverain d’appréciation est reconnu aux juges du fond qui doivent vérifier que le débiteur aidé sera en mesure d’honorer son engagement si un délai de paiement lui est accordé. En somme, il apparaît logique que l’accroissement prétendu de la mission des juges n’ait pas été un obstacle au choix de la réduction du cautionnement disproportionné comme sanction.
Enfin, la réduction de la disproportion présente un avantage pratique non négligeable. Elle permet de réduire l’impact des différences dans l’appréciation de la proportionnalité par les juges. Ces différences sont moins gênantes dès lors que la nouvelle sanction applicable aux cautionnements disproportionnés est moins sévère que ne l’était la déchéance totale du cautionnement.
En définitive, la réduction du cautionnement disproportionné, sanction cohérente de la disproportion du cautionnement, présente de nombreux avantages. Un seul défaut peut lui être reproché : son absence d’effet dissuasif.
2 – L’absence d’effet dissuasif de la réduction
La sanction retenue est si douce que l’on pourrait craindre qu’elle n’incite pas les créanciers à respecter la règle de proportionnalité. À ce sujet, le professeur Philippe Théry parlait en 2009 de « pari pascalien »23. Par cette expression, l’auteur met en évidence le fait que si l’article L. 332-1 du Code de la consommation avait sanctionné la disproportion par la réduction, le créancier aurait eu tout intérêt à se faire consentir un cautionnement disproportionné. En effet, dans le meilleur des cas, la caution se serait enrichie suffisamment pour que joue le mécanisme du retour à meilleure fortune et le créancier aurait pu la poursuivre pour le montant initialement prévu. Sinon, les juges auraient réduit le cautionnement à hauteur des facultés de paiement de la caution et le créancier aurait pu agir contre elle pour cette somme. De la sorte, le créancier aurait pu « gagner » sans prendre le risque de « perdre ».
Cette critique formulée en 2009 n’est toutefois pas pertinente en présence du texte retenu par le gouvernement. En effet, alors que l’hypothèse envisagée par l’auteur était celle d’une modification de la sanction sans abandon du retour à meilleure fortune, les rédacteurs de l’ordonnance portant réforme du droit des sûretés ont choisi de supprimer ce mécanisme. Les rédacteurs de la réforme ont considéré, comme le professeur Philippe Théry, que la sanction de la réduction combinée au mécanisme du retour à meilleure fortune aurait incité le créancier à prendre un cautionnement disproportionné dans l’espoir que la caution soit en mesure d’honorer son engagement au jour de son appel. Pour contourner cette difficulté, ils ont choisi de retenir la sanction de la réduction et de supprimer le retour à meilleure fortune24. De ce point de vue, le texte adopté s’éloigne de l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés présenté en décembre 2020 par le ministère de la Justice25.
Par ailleurs, la sanction retenue consiste à réduire le cautionnement à hauteur de la disproportion constatée au jour de l’engagement de la caution et non au jour de son appel. Cette précision qui peut sembler relever du détail présente une importance non négligeable. Elle constitue un rempart face à l’intérêt des créanciers à se faire consentir des cautionnements disproportionnés. Précisément, si la réduction était opérée en considération des facultés de paiement de la caution au jour de son appel, le créancier aurait pu choisir de se faire consentir un cautionnement disproportionné. Il aurait espéré que la situation financière de la caution s’améliore de sorte que, même en cas de réduction, le cautionnement serait resté supérieur aux facultés de paiement de la caution au jour de la souscription du cautionnement. À l’inverse, dès lors qu’est retenue une réduction en considération de l’importance de la disproportion au jour de la souscription du cautionnement, l’évolution des facultés de paiement de la caution est sans incidence sur l’étendue de la réduction.
En somme, le choix de l’abandon du mécanisme du retour à meilleure fortune et celui de la réduction à hauteur des facultés de paiement de la caution au jour de son engagement ont pour finalité commune de limiter l’attrait pour les créanciers de la prise de cautionnements disproportionnés. Ces choix sont néanmoins insuffisants pour conférer à la réduction un effet dissuasif s’approchant de celui de la déchéance totale du cautionnement. L’affaiblissement de l’effet dissuasif de la sanction de la disproportion peut faire craindre que les créanciers ne prennent pas soin de s’assurer de la proportionnalité des cautionnements qui leur sont consentis. Cette approche théorique renvoie néanmoins à une vision simplifiée de la réalité. En pratique, le créancier aura intérêt à s’assurer du caractère proportionné de l’engagement de la caution afin d’éviter qu’elle se prévale de la disproportion de son engagement ce qui retarderait l’exécution de son obligation.
En définitive, la version retenue de la règle de proportionnalité du cautionnement propose donc une inversion par rapport à l’ancienne règle de l’article L. 332-1 du Code de la consommation. Là où l’ancien texte retenait une sanction sévère compensée par le retour à meilleure fortune, la nouvelle règle propose une sanction souple amputée de ce mécanisme. L’équilibre entre les intérêts de la caution et ceux du créancier n’en ressort donc ni affaibli ni amélioré. On aurait pu espérer que cet équilibre soit renforcé par la modification de la sanction accompagnée du maintien du retour à meilleure fortune. Il aurait alors fallu contrer autrement les comportements prévisibles des créanciers qui auraient pu profiter de l’évolution de la règle pour se faire consentir des cautionnements disproportionnés sans prendre de véritables risques. Il aurait été possible par exemple de rendre plus contraignante la procédure menant au prononcé de la réduction du cautionnement. De la sorte, les créanciers auraient pris soin de s’assurer de la proportionnalité de leur cautionnement afin d’éviter que leur caution invoque ce moyen de défense.
En somme, l’évolution relative à la sanction de la disproportion est louable même si elle aurait pu être différente. En revanche, il est possible de regretter que la réforme du droit des sûretés n’ait pas été plus loin dans l’évolution de la règle de proportionnalité. Outre le refus de modifier le champ d’application de la règle, il aurait été possible d’étendre la protection offerte par la règle de proportionnalité au sein du cautionnement mais également au-delà de cette sûreté.
II – L’évolution insuffisante de la règle de proportionnalité
Malgré l’amélioration de la sanction de la disproportion, l’évolution de la règle de proportionnalité peut être qualifiée d’insuffisante. Deux pistes d’extension de la règle auraient pu être suivies par le gouvernement habilité à réformer le droit des sûretés. D’une part, la règle de proportionnalité du cautionnement aurait pu être étendue aux situations dans lesquelles le cautionnement est devenu disproportionné aux facultés de paiement de la caution au cours de son existence (A). D’autre part, la règle de proportionnalité du cautionnement aurait pu être étendue aux autres sûretés consenties pour autrui dès lors que tous les garants se trouvent dans des situations similaires à celle de la caution (B).
A – L’absence d’exigence du maintien de la proportionnalité
La règle de proportionnalité du cautionnement a pour finalité de protéger la caution de l’insolvabilité qui pourrait résulter de cette sûreté pour autrui. Si cette finalité est louable, la règle présente une lacune importante. La caution n’est protégée que dans l’hypothèse où son engagement était disproportionné au jour de sa conclusion. Ne sont donc pas protégées les cautions dont l’engagement était initialement proportionné et qui ont vu leur situation financière se dégrader par la suite, de sorte que leur cautionnement apparaît disproportionné au jour où elles sont appelées. Cette hypothèse se concrétise pourtant fréquemment26.
Il est vrai que l’absence de disproportion au jour de l’engagement de la caution implique que le créancier n’a pas pu anticiper une éventuelle sanction sur le fondement de la règle de proportionnalité. La protection de la caution ne doit pas être assurée au prix du sacrifice des intérêts des créanciers. Si la règle évolue en ce sens, il sera alors nécessaire de concilier les intérêts respectifs des créanciers et des cautions. Cette conciliation semble réaliste car le cautionnement disproportionné au jour de l’appel de la caution n’est pas une sûreté efficace. En effet, si le créancier agissait contre la caution pour une somme devenue disproportionnée à ses capacités financières, il n’obtiendrait pas un paiement complet du cautionnement. C’est pourquoi l’instauration d’une règle de maintien de la proportionnalité pourrait être utile tant à la caution qu’au créancier.
Pour que la règle présente un intérêt tant pour le créancier que pour la caution, il conviendrait de proposer une substitution de sûreté au créancier qui libérerait partiellement ou entièrement la caution. Ce faisant, la caution pourrait échapper à l’insolvabilité sans que le créancier se trouve démuni de toute sûreté.
Une fois la disproportion constatée judiciairement, le créancier et le débiteur seraient invités à négocier afin qu’une nouvelle sûreté puisse être offerte au créancier en contrepartie de la libération totale ou partielle de la caution. Nous pensons que ces négociations auraient des chances d’aboutir dans la mesure où le créancier comme le débiteur y trouveraient un intérêt. Le créancier pourrait se voir offrir une sûreté plus efficace que le cautionnement devenu disproportionné et le débiteur pourrait être satisfait de libérer la caution du risque d’insolvabilité qui pesait sur elle.
Un tel mécanisme de maintien de la proportionnalité permettrait d’assurer une protection complète de la caution contre l’insolvabilité. Cette dernière serait protégée, que la disproportion du cautionnement ait existé dès le jour de sa constitution ou qu’elle soit apparue par la suite.
Ainsi complétée, la protection de la caution semblerait très satisfaisante. Néanmoins, le fait que cette protection soit réservée aux seules cautions peut également être critiqué. Il est vrai que les autres constituants de sûretés pour autrui se trouvent dans des situations similaires et ne bénéficient d’aucune protection contre l’insolvabilité qui pourrait résulter de leur engagement.
B – L’absence d’extension de la règle à l’ensemble des sûretés pour autrui
La règle de proportionnalité du cautionnement a pour but d’empêcher que la caution se trouve en situation d’insolvabilité en raison de son engagement. Cette règle est justifiée par le fait que l’engagement de la caution pour un montant disproportionné pourrait la placer en situation d’insolvabilité, alors même qu’elle n’aura tiré aucune contrepartie de son cautionnement. C’est donc l’absence de contrepartie pour la caution qui justifie qu’une règle de proportionnalité soit mise en place pour protéger la caution. Ce déséquilibre intrinsèque au contrat de cautionnement se retrouve à l’identique pour l’ensemble des sûretés consenties pour autrui. Il convient dès lors de se demander si la règle de proportionnalité du cautionnement pourrait être étendue à ces autres sûretés.
1 – Extension de la règle de proportionnalité à la garantie autonome
L’extension de la règle de proportionnalité paraît particulièrement justifiée en matière de garantie autonome. En effet, le danger représenté par la garantie autonome est, on le sait, plus important encore que celui qui résulte du cautionnement.
En dehors de cette dangerosité particulière, le cautionnement et la garantie autonome sont très proches. Dans les deux cas, le garant risque d’être appelé à payer une somme d’argent. Ainsi, comme pour le cautionnement, la proportionnalité pourra être évaluée par rapport aux facultés de paiement du garant et au montant de son engagement.
Il convient de préciser immédiatement que la règle de proportionnalité n’a aucun lien avec le caractère accessoire du cautionnement. Elle ne porterait donc pas atteinte à l’autonomie de la garantie autonome.
Cependant, cette proposition d’extension de la règle de proportionnalité du cautionnement aux garanties autonomes pourrait faire craindre que l’efficacité de ces sûretés soit atteinte. Cette crainte est légitime tant l’efficacité de la garantie autonome est présentée comme infaillible. Pourtant, l’impact de l’extension de la règle de proportionnalité sur l’efficacité de la garantie autonome ne doit pas être exagéré. Comme en matière de cautionnement, la règle ne protégerait que les garants personnes physiques27. Or les garanties autonomes souscrites par des personnes physiques sont moins efficaces que celles consenties par des personnes morales et en particulier par des établissements de crédit. Ainsi, la perte d’efficacité redoutée des garanties autonomes serait relative dès lors que ces sûretés présentent d’ores et déjà une efficacité aléatoire lorsqu’elles sont souscrites par des personnes physiques. En outre, l’atteinte à l’efficacité des garanties autonomes souscrites par des personnes physiques pourrait freiner la tendance des créanciers à recourir à des garanties autonomes plutôt qu’à des cautionnements lorsque leurs débiteurs leur proposent des garants personnes physiques. Cette conséquence ne serait pas à déplorer dès lors que le recours aux garanties autonomes des personnes physiques ne doit pas être encouragé.
La même démonstration pourrait être faite en matière de lettre d’intention. Leur efficacité serait très peu atteinte par la règle de proportionnalité dès lors que cette règle ne concernerait que les émetteurs personnes physiques. Néanmoins, la question de l’efficacité de ces garanties n’est pas le seul frein à l’extension de la règle de proportionnalité aux lettres d’intention.
2 – Extension de la règle de proportionnalité aux lettres d’intention
L’extension de la règle de proportionnalité aux lettres d’intention ne présente pas la même simplicité qu’en matière de garantie autonome. En effet, l’émetteur d’une lettre d’intention ne s’engage pas, comme la caution ou le garant autonome, à verser une somme d’argent au créancier. L’obligation de l’émetteur présente une nature différente dès lors qu’il souscrit une obligation de faire ou ne pas faire. C’est seulement en cas d’inexécution de cette obligation et de non-paiement du créancier par le débiteur que la responsabilité de l’émetteur peut être recherchée. Dans cette hypothèse, le juge fixe le montant des dommages et intérêts qui devront être versés par l’émetteur pour réparer le préjudice subi par le créancier. In fine, l’émetteur peut donc être appelé à verser une somme d’argent. Toutefois, l’instauration d’une règle de proportionnalité entre les facultés de paiement de l’émetteur et le montant des dommages et intérêts n’apparaîtrait pas pertinente dès lors que c’est le juge qui fixe le montant de cette réparation. La règle de proportionnalité ainsi conçue briderait le pouvoir du juge dans la fixation des dommages et intérêts. Une telle règle de proportionnalité ne semble pas pertinente. En effet, les différentes règles de proportionnalité envisagées en matière de sûretés ont en commun de limiter la liberté du créancier. Il faudrait donc concevoir une utilisation différente de la proportionnalité en matière de lettres d’intention.
La proportionnalité des lettres d’intention peut encore être conçue comme la proportionnalité de l’obligation souscrite par l’émetteur par rapport à ses facultés à exécuter cette obligation. De la sorte, c’est bien la liberté du créancier de se faire consentir les sûretés de son choix qui serait bridée et non le pouvoir du juge d’évaluer le préjudice subi par le créancier.
Il est vrai qu’il ne serait pas toujours évident d’évaluer la proportionnalité de l’obligation de faire ou de ne pas faire souscrite par l’émetteur par rapport à ses facultés à exécuter cette obligation. Rappelons que les obligations souscrites par l’émetteur ne sont pas nécessairement chiffrées. L’émetteur peut s’engager à renflouer les caisses de sa filiale débitrice à hauteur d’une certaine somme afin qu’elle soit en mesure d’honorer son engagement, mais il peut aussi s’engager plus vaguement à faire le nécessaire pour que sa filiale exécute son obligation envers le créancier. Dans cette hypothèse, l’évaluation de la proportionnalité des lettres d’intention ne prendrait pas la forme d’une comparaison de données chiffrées.
En présence d’une lettre d’intention, la tâche du juge serait donc différente de celle qu’il remplit lorsqu’il apprécie la proportionnalité d’un cautionnement. Ainsi, l’extension de la règle de proportionnalité aux lettres d’intention semble techniquement possible, mais elle apparaît plus complexe que l’extension de cette même règle aux garanties autonomes.
À mi-chemin entre la simplicité de l’extension de la règle aux garanties autonomes et la complexité de son extension aux lettres d’intention, se trouve la question de l’extension de la règle aux sûretés réelles pour autrui. Cette dernière ne présente pas de difficulté particulière de mise en œuvre, mais serait pourtant difficile à faire accepter à tous ceux qui, comme la Cour de cassation, affirment qu’une sûreté réelle pour autrui ne peut jamais être disproportionnée aux facultés de paiement du constituant.
3 – Extension de la règle de proportionnalité aux sûretés réelles pour autrui
La réforme du droit des sûretés récemment adoptée rapproche les sûretés réelles pour autrui du cautionnement28. En décembre 2020, les auteurs de l’avant-projet de réforme soulignaient que les différentes règles qui seraient étendues aux sûretés réelles pour autrui étaient « justifiées par le fait que c’est un tiers qui s’engage en garantie de la dette du débiteur et qui a donc besoin de protection [et que] cette raison d’être se retrouve en présence d’une sûreté réelle pour autrui »29.
Pourtant, la règle de proportionnalité du cautionnement ne figure pas parmi les règles étendues aux constituants de sûretés réelles pour autrui30. Les rédacteurs de l’ordonnance semblent convaincus par la jurisprudence qui refuse d’admettre qu’une sûreté réelle pour autrui puisse être disproportionnée aux facultés de paiement du constituant31. Cette solution jurisprudentielle ne nous semble pourtant pas pleinement convaincante.
Le refus jurisprudentiel d’étendre la règle de proportionnalité aux sûretés réelles pour autrui repose sur le double constat que le constituant a dans son patrimoine le bien qu’il offre en sûreté et que le créancier n’a pas de droit sur son patrimoine en dehors de ce bien32. La Cour de cassation en déduit que la sûreté ne peut être disproportionnée par rapport aux « biens et revenus » du constituant. Ce constat est indéniable. Dès lors que le constituant a dans son patrimoine le bien remis en sûreté, son engagement à remettre ce bien au créancier en cas de non-paiement par le débiteur ne peut pas être disproportionné par rapport à ses biens.
Néanmoins, la méthode retenue par la Cour de cassation pour affirmer que la sûreté réelle pour autrui ne peut jamais faire apparaître de disproportion peut être critiquée. En effet, les magistrats comparent l’engagement du constituant à ses biens et revenus. Pourtant, en matière de cautionnement, lorsqu’ils appliquent la règle de proportionnalité, les magistrats observent non seulement les actifs de la caution, mais également son passif. En cela, les magistrats s’éloignaient de la lettre de l’article L. 332-1 du Code de la consommation qui les invitait à apprécier la proportionnalité du cautionnement par rapport aux « biens et revenus » de la caution. Si dans les tribunaux l’ensemble des éléments du patrimoine de la caution sont pris en considération pour apprécier la proportionnalité de son engagement, il devrait en être de même à la faveur du constituant d’une sûreté réelle pour autrui lorsque l’on envisage de lui appliquer la règle de proportionnalité.
Dans ces conditions, il serait faux d’affirmer que la règle de proportionnalité ne se justifie pas en présence d’une sûreté réelle pour autrui. En effet, si le bien remis en sûreté présente une valeur considérable au sein du patrimoine du constituant et que ce patrimoine est par ailleurs grevé d’un passif important, la perte du bien grevé placera le constituant dans une situation d’insolvabilité. Rappelons que c’est justement pour éviter que la caution se trouve en situation d’insolvabilité que la règle de proportionnalité a été adoptée. Le constituant d’une sûreté réelle pour autrui ne mérite-t-il pas la même protection ? Selon les termes mêmes des auteurs de l’avant-projet présenté en décembre 2020, ont été étendues aux sûretés réelles pour autrui les règles du cautionnement qui étaient « justifiées par le fait que c’est un tiers qui s’engage en garantie de la dette du débiteur et qui a donc besoin de protection ». La règle de proportionnalité qui permet d’éviter l’insolvabilité de la caution ne fait-elle pas partie de ces règles de protection qui auraient mérité d’être étendues aux sûretés réelles pour autrui ?
En outre, il convient de remarquer que la nouvelle version de la règle de proportionnalité du cautionnement invite à évaluer la proportionnalité du cautionnement par rapport « aux revenus et au patrimoine » de la caution et non plus seulement par rapport à ses « biens et revenus ». En restaurant la cohérence entre le texte et la jurisprudence, cette évolution aurait pu ouvrir la voie à la sanction de la disproportion des sûretés réelles pour autrui.
Pour conclure, il est possible de regretter que la réforme du droit des sûretés n’ait pas été l’occasion d’étendre la règle de proportionnalité. Cette règle aurait pu être étendue, au sein du cautionnement, aux situations dans lesquelles la disproportion est apparue au cours de l’existence du cautionnement, mais aussi, au-delà du cautionnement, à toutes les sûretés pour autrui. Il n’est pas interdit de souhaiter que ces évolutions voient le jour à l’occasion d’une prochaine réforme de la matière… Pour l’heure, il convient de saluer l’évolution de la sanction de la règle de proportionnalité bien qu’elle n’ait pas été accompagnée d’une évolution de son champ d’application. En outre, à la marge, doit être accueillie favorablement la reformulation des éléments à prendre en considération dans l’appréciation de la proportionnalité. Cette dernière permet de consacrer la jurisprudence qui s’était éloignée du texte en prenant en considération les actifs, mais aussi le passif de la caution.
Notes de bas de pages
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1.
Expression citée par G. Braibant, « Le principe de proportionnalité », in Mélanges offerts à Marcel Waline, 1974, p. 298.
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2.
L. n° 89-1010, 31 déc. 1989, relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles. C. consom., art. L. 313-10 anc.
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3.
Les créanciers concernés par cette règle sont les établissements de crédit, les sociétés de financement, les établissements de monnaie électronique, les établissements de paiement ou les organismes mentionnés au 5 de l’article L. 511-6 du Code monétaire et financier.
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4.
La règle jurisprudentielle de proportionnalité a été découverte dans l’arrêt dit Macron : Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14105 : Bull. civ. IV, n° 188 ; D. 1998, Jur., p. 208, note J. Casey ; JCP E 1997, II 1007, note D. Legeais ; Defrénois 15 déc. 1997, n° 36703, p. 1424, obs. L. Aynès ; RTD civ. 1998, p. 100, obs. J. Mestre ; RTD civ. 1998, p. 157, obs. P. Crocq ; RTD com. 1997, p. 662, obs. M. Cabrillac. Le champ d’application de cette règle a été modifié cinq ans plus tard à l’occasion de l’arrêt Nahoum : Cass. com., 8 oct. 2002, n° 99-18619 : Bull. civ. IV, n° 136 ; D. 2003, p. 414, note C. Koering ; JCP G 2003, II 10017, note Y. Picod, et JCP G 2003, I 124, n° 6, obs. P. Simler ; Defrénois 15 avr. 2003, n° 37698, p. 456, note S. Piédelièvre ; Defrénois 30 mars 2003, n° 37691, p. 411, obs. P. Théry ; RTD civ. 2003, p. 125, obs. P. Crocq ; RTD com. 2003, p. 151, obs. D. Legeais ; LPA 18 juill. 2003, p. 12, note C. Brenner ; Contrats conc. consomm. 2003, comm. 20, obs. L. Leveneur ; LPA 8 juill. 2003, p. 18, note B. Roman.
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5.
La règle est insérée à l’article 2300 du Code civil. L’article L. 332-1 du Code de la consommation a été corrélativement supprimé. A également été supprimé l’article L. 314-18 du Code de la consommation qui n’avait pas été abrogé en 2003 à l’occasion de l’adoption de l’article L. 332-1 du Code de la consommation.
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6.
La mention devant être recopiée par la caution prévue à l’ancien article L. 331-1 du Code de la consommation fait l’objet du nouvel article 2297 du Code civil. La mention spécifique en présence d’un cautionnement solidaire, prévue à l’ancien article L. 331-2, est également insérée à l’article 2297. Les obligations d’information prévues dans divers textes et notamment par les anciens articles L. 333-1 et L. 333-2 du Code de la consommation sont reprises dans les articles 2302 et 2303 du Code civil.
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7.
Le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance du 15 septembre 2021 précise : « Comme hier, ce texte est applicable aux cautionnements souscrits par une personne physique envers un créancier professionnel ».
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8.
Sur la protection de la dignité humaine par le droit du surendettement v. C. Cardini, V. Vigneau et G.-X. Bourin, « Procédures de désendettement », JCl. Concurrence – Consommation, fasc. 10, 2013 : « La législation sur le surendettement des particuliers puise sa justification dans la sauvegarde des individus de l’exclusion sociale à laquelle la ruine, parfois irréversible, est de nature à les conduire, eux et leur famille. Il s’agit donc d’un droit d’ordre public de protection, qui dérive d’une valeur sociale indisponible, la dignité de la personne » ; C.-A. Michel, La concurrence entre les sûretés, t. 580, 2018, LGDJ, bibliothèque de droit privé, préf. P. Dupichot, p. 67, n° 64 : l’auteur affirme que la règle de proportionnalité est l’« expression des principes de dignité humaine et de liberté patrimoniale ».
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9.
Le crédit peut prendre la forme d’un engagement par signature. Il s’agit alors de crédit indirect. Cette forme de crédit est prévue à l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier, alinéa 1 : « Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie ». Pour une description de cette forme de crédit : R. Bonhomme, Instruments de crédit et de paiement, 12e éd., 2017, LGDJ, p. 26 et s., n° 15.
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10.
C. mon. fin., art. L. 511-41, al. 1 et 2 : « I. – Les établissements de crédit et les sociétés de financement sont tenus de respecter des normes de gestion destinées à garantir leur liquidité et leur solvabilité à l’égard des déposants et, plus généralement, des tiers, ainsi que l’équilibre de leur structure financière. Ils doivent en particulier respecter des ratios de couverture et de division de risques ».
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11.
P. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, 2005, Panthéon-Assas, Thèses, préf. M. Grimaldi, p. 189, n° 223. L’auteur affirme en ce sens que « si l’octroi d’un cautionnement a bien été intégré dans le calcul des ratios de liquidité et de solvabilité qui ont été respectés, il ne saurait par hypothèse jamais être disproportionné ».
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12.
P. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, 2005, Panthéon-Assas, Thèses. L’auteur explique que les cautionnements fournis par des collectivités locales sont devenus fréquents de sorte que ces personnes morales ont été soumises à des ratios prudentiels stricts.
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13.
La procédure de sauvegarde et la procédure de conciliation peuvent être ouvertes avant même que le débiteur se trouve en situation de cessation des paiements. Sur ces procédures v. not. B. G. Bekale Ndoutoume, La procédure de sauvegarde ou l’anticipation judiciaire du risque de défaillance des entreprises, thèse, 2018, Toulon.
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14.
V. l’article 2301 de l’avant-projet publié par l’association Henri Capitant en 2017 et l’article 2299 de l’avant-projet publié par le ministère de la Justice en décembre 2020.
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15.
Cette définition large du créancier professionnel avait été retenue par la Cour de cassation en premier lieu pour l’application des anciens articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation : Cass. 1re civ., 9 juill. 2009, n° 08-15910 : Bull. civ. I, n° 825 ; Contrats, conc. consom. 2009, comm. 255, note G. Raymond ; JCP G 2009, 286, note D. Legeais ; Dr. sociétés 2009, prat. 9, obs. A. Cerles ; RTD civ. 2009, p. 758, note P. Crocq.
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16.
Cette finalité est exprimée très clairement dans le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance portant réforme du droit des sûretés qui précise que « l’exigence de proportionnalité permet de lutter contre le surendettement de la caution ».
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17.
Cass. com., 14 déc. 2010, n° 09-69807 : Bull. civ. IV, n° 198 : « L’engagement de caution conclu par une personne physique au profit d’un créancier professionnel ne doit pas être manifestement disproportionné aux biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l’absence d’anomalies apparentes, n’a pas à vérifier l’exactitude » ; RD bancaire et fin. 2011, comm. 2, obs. A. Cerles ; RLDC 2011/79, n° 4129, obs. J.-J. Ansault ; Gaz. Pal. 31 mars 2011, n° I5299, p. 15, obs. C. Albigès et M.-P. Dumont-Lefrand. Cette solution est constamment réaffirmée depuis. V. not. Cass. com., 10 mars 2015, n° 13-15867, D ; Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-19516, D : la Cour de cassation rappelle sa solution classique au détour d’une formulation nouvelle : « La fiche de solvabilité signée par la caution (…) à laquelle la banque était en droit de se fier » – précisant la notion d’anomalie apparente, Cass. com., 24 janv. 2018, n° 16-15118, D : la Cour de cassation considère que le fait que « les revenus et le patrimoine de [la caution] [proviennent] d’une société dont [la banque] ne pouvait méconnaitre les difficultés financières puisqu’elle était amenée à la financer » constituent des « motifs, impropres à caractériser une anomalie apparente imposant à la banque de vérifier l’exactitude des déclarations de la caution sur ses biens et revenus » ; D. 2018, p. 1884, obs. P. Crocq ; RD bancaire et fin. 2018, comm. 30, note D. Legeais : l’auteur affirme que « l’anomalie apparente doit ainsi “sauter aux yeux” sans que le banquier ait à procéder à des recherches complémentaires ».
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18.
Sur le caractère manifeste de la disproportion du cautionnement, v. D. Houtcieff, « La disproportion du cautionnement : le manifeste de la Cour de cassation », RDC 2018, n° RDC115b3 : « Il est nécessaire que l’engagement soit sans rapport avec le patrimoine et que la disproportion crève les yeux » ; S. Piédelièvre, « Cautionnement et disproportion », GPL 3 avr. 2018, n° GPL316t5 : « La simple disproportion est insuffisante en elle-même ; il est nécessaire qu’elle soit également manifeste » ; F. Jacomino, « Cautionnement disproportionné du dirigeant : à l’impossible nul n’est tenu », BJS mai 2018, n° BJS118m6 : « l’adverbe “manifestement” semble induire une évidence dans la disproportion ».
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19.
D. Bakouche, « La proportionnalité dans le cautionnement après la loi du 1er août 2003 relative à l’initiative économique », Lexbase Hebdo avr. 2004, n° 118, éd. Affaires.
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20.
L’efficacité est définie par M. Bourassin dans sa thèse : « L’efficacité du droit se caractérise par l’adéquation entre l’objectif poursuivi, d’une part, et les effets que les normes produisent, d’autre part », p. 17, n° 35, in M. Bourassin, L’efficacité des garanties personnelles, 2006, LGDJ.
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21.
La commission présidée par le professeur Grimaldi ayant rédigé l’avant-projet de réforme du droit des sûretés de 2017 retenait également la sanction de la réduction : v. c. civ., proj. art. 2301. Pour justifier leur proposition, les auteurs de cet avant-projet avancent que « la sanction actuelle se traduit par des conséquences étonnantes et difficilement justifiables, des cautions ayant un patrimoine important se voyant déchargées purement et simplement parce que leur engagement était encore plus élevé que ce patrimoine ». Par cette critique, les auteurs de l’avant-projet condamnent la déchéance retenue par le législateur de 2003 puisqu’elle atteint le cautionnement dans son intégralité. Ils s’opposent à ce que la caution qui est en mesure d’honorer au moins partiellement son engagement sans se trouver en danger d’insolvabilité, soit entièrement déchargée de son obligation.
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22.
Cass. 1re civ., 20 déc. 2007, n° 06-19313 : Bull. civ. I, n° 393 ; D. 2008, p. 287, obs. V. Avena-Robardet ; RLDA 2008/2, n° 24.
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23.
P. Théry, « Droit des sûretés et voies d’exécution », Defrénois 15 nov. 2009, n° 39025, p. 2080 : « Pari pascalien, car le créancier pouvait gagner – si la caution s’enrichit à mesure de son obligation, elle pourra être poursuivie –, mais non perdre, car, à défaut d’enrichissement de la caution, le créancier aura, de toute manière, tout ce qu’il peut avoir, c’est-à-dire l’actif de la caution au jour des poursuites ». Pour l’auteur, seule la déchéance peut sanctionner efficacement le créancier. Dans le même sens, S. Cabrillac, « L’exigence légale de proportionnalité du cautionnement : plaidoyer pour le maintien d’une comparaison utilisée par la loi et sa sanction… disproportionnée », in Études en l’honneur du professeur Marie-Laure Mathieu : comprendre : des mathématiques au droit, 2019, Bruylant, p. 132 et s. L’auteur précise que la réduction « ne constituera pas une véritable sanction pour le créancier, car il est, comme nous tous, soumis aux contingences matérielles : quoi qu’il arrive, il ne pourra obtenir plus de la caution que ses biens et revenus ».
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24.
Le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés précise « afin de maintenir le caractère dissuasif du texte, l’exception prévue en cas de retour à meilleure fortune n’est pas reprise ».
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25.
En vertu de cet avant-projet, l’article 2299 prévoyait que « si le cautionnement souscrit par une personne physique était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager. Toutefois, la caution demeure tenue de la totalité de son engagement lorsqu’elle est en mesure d’y faire face au moment où elle est appelée ».
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26.
Les cautions qui perdent leur emploi auraient notamment de grandes chances de se trouver en situation de surendettement. V. l’enquête menée par la Banque de France en 2016, Enquête typologique 2016 sur le surendettement des ménages, 28 févr. 2017. À la lecture de cette enquête : 28,7 % des surendettés sont au chômage ; 12,4 % des surendettés n’ont pas de profession et 10,1 % des surendettés se trouvent sans activité en raison notamment d’invalidités, de congés maladie de longue durée, ou encore de congés parentaux. Cette dernière catégorie met particulièrement en évidence le fait qu’un changement dans la vie d’une personne endettée est fréquemment à l’origine d’une situation de surendettement.
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27.
Ainsi, par exemple, les situations où les établissements de crédit consentent des garanties autonomes ne seraient pas concernées par la règle de proportionnalité.
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28.
Ce rapprochement est l’objet de l’article 2325 du Code civil qui dispose que « la sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. Lorsqu’elle est constituée par un tiers, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie. Les dispositions des articles 2299, 2302 à 2305-1, 2308 à 2312 et 2314 sont alors applicables ».
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29.
V. l’article 2325 de l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés présenté en décembre 2020 par le ministère de la Justice et en particulier le commentaire situé dans la troisième colonne relative à cet article.
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30.
Sont étendus en application de l’alinéa 2 de l’article 2325 du Code civil : le devoir de mise en garde, les obligations d’information, le bénéfice de discussion, le bénéfice de division, les recours de la caution contre le débiteur principal et contre les cofidéjusseurs ainsi que le bénéfice de subrogation.
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31.
Cass. 1re civ., 7 mai 2008, n° 07-11692 : Bull civ. I, n° 125 ; RTD civ. 2008, p. 700, note P. Crocq ; D. 2008, p. 2036, note S. Piedelièvre ; JCP G 2008, IV 2020.
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32.
Dans l’arrêt précité du 7 mai 2008, la Cour de cassation affirme que « cette sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire l’obligation d’autrui n’est pas un cautionnement et que, limitée au bien hypothéqué, elle est nécessairement proportionnée aux facultés contributives de son souscripteur ».
Référence : AJU003h0