Négociations des réductions de prix : une liberté sous contrôle

Publié le 19/05/2017

Par cet arrêt attendu, la Cour de cassation confirme que le prix négocié dans le cadre de relations commerciales – ici entre un fournisseur et un distributeur – peut être constitutif d’un déséquilibre significatif. Mais qu’en est-il alors de la libre négociabilité du prix ? La Cour réaffirme cette liberté, mais indique implicitement qu’elle est susceptible d’abus. Cette décision ne clôt toutefois pas le sujet. En particulier, elle laisse subsister une certaine insécurité juridique quant à l’appréciation concrète du déséquilibre.

Cass. com., 25 janv. 2017, no 15-23547, PB

Par ses réformes successives dans la deuxième partie des années 2000, le législateur a ouvert la porte à la libre négociabilité des conditions de vente.

Ainsi, la loi Dutreil du 2 août 2005 a placé les conditions générales de vente au cœur des négociations en les qualifiant de « socle de la négociation commerciale ». Cela impliquait que les CGV étaient bien négociables, et avec elles, le tarif du fournisseur. La même loi avait toutefois requis que des services spécifiques justifient les conditions particulières de vente accordées. Mais c’est surtout la loi LME du 4 août 2008 qui a libéré les négociations en levant l’interdiction per se des pratiques discriminatoires, en supprimant l’exigence de justifications aux conditions particulières de vente, tout en introduisant une nouvelle pratique restrictive : le déséquilibre significatif.

Ont ainsi peu à peu fleuri les conditions particulières de vente accordant aux distributeurs des remises sur le tarif de base, sans contrepartie autre que l’intérêt, pour le fournisseur, de vendre ses produits dans telle ou telle enseigne.

Les arguments pour résister à ces demandes de réduction de prix apparaissaient peu nombreux, et si les services de coopération commerciale devaient toujours présenter une certaine effectivité, les remises semblaient, elles, pouvoir être négociées sans garde-fous et porter des noms aussi abscons que « remise de négociation », CPV suivi du nom de l’enseigne bénéficiaire, etc. Cette pratique nouvelle contrastait avec celle d’années passées à justifier toute remise non prévue par les CGV pour ne pas se voir taxer de discriminatoire. Néanmoins, elle paraissait conforme au nouveau principe de libre négociabilité dont l’objectif affiché était la baisse des prix aux consommateurs.

Le 1er juillet 2015, la cour d’appel de Paris a remis en cause ces pratiques sur le fondement du déséquilibre significatif, en martelant que libre négociabilité ne devait pas rimer avec absence de contreparties, et a condamné le Galec à la restitution, à 46 de ses fournisseurs, d’une somme totale de plus de 61 millions d’euros et au paiement d’une amende civile de 2 millions d’euros.

La principale clause incriminée prévoyait le versement d’une ristourne de fin d’année sans véritable contrepartie, le chiffre d’affaires ouvrant droit à la ristourne étant non chiffré ou très limité par rapport au chiffre d’affaires prévisionnel, la ristourne étant même parfois due sans la moindre contrepartie.

Plus d’un an et demi après, et quelques semaines avant le 1er mars, date butoir imposée par la loi pour conclure les accords commerciaux, la Cour de cassation a confirmé cette décision. Cet arrêt précise les contours de la liberté de négociation des prix, mais ne résout pas toutes les questions sur le sujet.

Il est désormais acquis que la négociation du prix et des réductions pourra être remise en cause sur le fondement du déséquilibre significatif pour les raisons suivantes :

  • Obtenir une réduction de prix de son cocontractant revient à le soumettre à une obligation. Les réductions de prix font d’ailleurs partie des conditions de vente que doit impérativement mentionner la convention annuelle unique. Elles sont donc susceptibles d’être contrôlées sous l’angle du déséquilibre significatif ;

  • Le prix n’est pas expressément exclu du contrôle du déséquilibre significatif dans les relations entre professionnels comme il l’est par le Code de la consommation1. Il peut donc faire l’objet d’un contrôle s’il n’est pas négocié librement et révèle un déséquilibre significatif.

Ainsi, dans le contexte des relations commerciales, le contrôle exercé par l’Administration et le juge au regard de l’article 442.6 I.2° du Code de commerce englobe le prix, quand le Code de la consommation et le Code civil (nouvel article 1171) excluent expressément cette hypothèse. La situation peut paraître paradoxale : là où la négociation du prix est déclarée comme libre et promet a priori d’être la plus intense, devrait en priorité être vérifiée l’absence d’abus.

L’étendue de ce contrôle peut toutefois paraître incertaine tant ce paradoxe semble difficile à manier en pratique. En effet, il n’est pas question de contrôler le niveau de prix consenti et la négociation des tarifs reste libre. Toutefois, l’absence ou la faiblesse des contreparties consenties peuvent révéler un déséquilibre significatif. Évidemment, la ligne de partage des eaux risque d’être délicate à tracer et la décision reste bien fuyante sur ce point…

Les moyens du contrôle du déséquilibre sont néanmoins identifiés :

  • Il peut s’opérer a posteriori grâce au formalisme imposé par l’article L.441.7 du Code de commerce, et notamment par l’exigence de joindre le tarif, socle de la négociation commerciale, à la convention annuelle ;

  • L’examen du processus de négociation doit permettre de déterminer si l’absence ou la faiblesse des contreparties sont le résultat d’une soumission et induisent un déséquilibre significatif. On admettra ici que la distinction peut être difficile à opérer ;

  • La répétition des mêmes mécanismes et l’absence régulière de contreparties significatives permettent de conclure au déséquilibre significatif, de même que la présence de clauses pré-rédigées, quand bien même elles prévoiraient plusieurs options de niveau de remises.

Pour échapper à ce contrôle, certains opérateurs pourraient être tentés de négocier des prix nets. Toutefois, ceux-ci pourraient être comparés au tarif de base et donc révéler un déséquilibre.

Mais en réalité, pour sécuriser leurs négociations, les parties devront veiller à les individualiser. En particulier, il importera de supprimer les clauses de réductions standard ou pré-imprimées et de réfléchir à la nature des contreparties concrètes apportant un véritable bénéfice au fournisseur.

Enfin, il importera de documenter le déroulé de la négociation, en mettant en avant le bienfondé des demandes ou au contraire en réagissant au caractère abusif de certaines demandes.

Toutefois, ces solutions ne peuvent par nature qu’être imparfaites.

Tout d’abord, il reste difficile d’évaluer les contreparties consenties de part et d’autre, le principe demeurant la liberté de négociation des prix. Si une RFA consentie sans réelle contrepartie en termes de chiffre d’affaires peut paraître prima facie déséquilibrée, qu’en serait-il d’une remise logistique, par exemple ? Quels critères pertinents développer pour éviter que le contrôle exercé ne reflète l’appréciation, nécessairement subjective, du juge sur la valeur de ces contreparties ? Sans réponse sur ces points, une certaine insécurité juridique sur l’issue de la négociation subsistera nécessairement.

Au-delà, et dans la mesure où le droit français considère nécessaire ce contrôle minutieux, il ne peut admettre que des délocalisations des négociations hors de France y fassent si facilement échec. Ainsi, les solutions confirmées par la Cour de cassation dans cet arrêt ne pourront avoir de portée significative et à long terme que si l’administration française entreprend les démarches nécessaires pour revendiquer l’application de ces règles hors de son territoire ou si l’État œuvre avec conviction pour relancer le développement d’un droit européen des pratiques déloyales2. À suivre…

Notes de bas de pages

  • 1.
    Le Galec soutenait le contraire, se fondant sur la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel qui avait été saisi pour se prononcer sur la constitutionnalité de l’interdiction des déséquilibres significatifs. Le Conseil avait en effet notamment indiqué que cette interdiction était valable et ne créait pas d’incertitude juridique car elle reposait sur des mécanismes connus en droit de la consommation, les clauses abusives étant précisément définies comme celles créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations du consommateur et du professionnel (Cons. const., 13 janv. 2011, n° 2010-85 QPC). Ce parallélisme établi par le Conseil entre les deux textes aurait pu conduire les juges à écarter le prix du contrôle du déséquilibre significatif entre professionnels. La Cour de cassation a toutefois rejeté cette interprétation restrictive du texte.
  • 2.
    Le sujet n’est pas neuf, mais la volonté politique semble faire défaut : Livre vert sur les pratiques déloyales dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire et non-alimentaire interentreprise en Europe, 31 janvier 2013 ; Rapport du Parlement européen du 4 mai 2016 sur les pratiques commerciales déloyales dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire préconisant que les pratiques commerciales déloyales soient clairement définies et interdites sous peine de sanctions, l’effectivité de ces interdictions étant assurée par les pouvoirs d’enquête et de poursuite des autorités nationales compétentes.
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