Fin de non-recevoir à la QPC relative aux prestations familiales des enfants étrangers

Publié le 08/07/2022
Enfants
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Le refus de l’octroi des prestations familiales aux parents d’enfants étrangers revient régulièrement sur le devant de la scène juridique mais ne trouve grâce aux yeux des magistrats. C’est donc sans grande surprise que la Cour de cassation a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) aux Sages, se fondant sur le fait que la question posée n’était pas nouvelle et ne présentait pas un caractère sérieux.

Cass. 2e civ., 17 févr. 2022, no 21-40030

Une mère avait sollicité la caisse d’allocations familiales (CAF) de la Manche pour percevoir des prestations familiales pour ses enfants. L’organisme débiteur avait refusé, se fondant sur l’article D. 512-2 du Code de la sécurité sociale qui prévoit que, pour attester de la régularité de l’entrée et du séjour des enfants étrangers, il convient d’être muni d’une attestation délivrée par l’autorité préfectorale précisant que l’enfant est entré en France au plus tard en même temps que l’un de ses parents admis au séjour sur le fondement de la « vie privée et familiale », ce qui semble-t-il n’était pas démontré par l’allocataire. Aussi, cette dernière saisit d’un recours le tribunal judiciaire et fait valoir l’inconstitutionnalité de l’article D. 512-2 du Code de la sécurité sociale au regard du principe d’égalité. Saisie de cette QPC, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 17 février 2022, clôt le débat en refusant de transmettre la question au Conseil constitutionnel, considérant que cette interrogation n’était pas nouvelle et ne présentait pas un caractère sérieux.

Cette décision est l’occasion de revenir sur les conditions d’octroi des prestations familiales au parent étranger du mineur né hors du territoire français (I), puis d’analyser la position des magistrats (II).

I – Les conditions d’octroi des prestations familiales au parent étranger du mineur né hors du territoire français

Si, à l’origine, un doute était permis quant à la condition de régularité du séjour visée par le Code de la sécurité sociale pour l’octroi des prestations familiales aux personnes étrangères – à savoir si cette condition devait être remplie par le parent et par l’enfant concerné ou s’il suffisait que le seul parent valide ce critère –, la loi du 19 décembre 20051, en modifiant l’article L. 512-2 du Code de la sécurité sociale, mit fin aux interrogations : désormais, pour ouvrir un droit au bénéfice des prestations familiales, sauf exceptions, les enfants devront relever d’une des sept situations visées par cet article comme être né en France, être membre de la famille d’un réfugié ou encore être entré en France via une procédure de regroupement familial, sachant qu’un décret fixe la nature des documents exigés pour en apporter la preuve. Désormais :

• soit la personne de nationalité étrangère est ressortissante d’un État membre de l’Union européenne, d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, auquel cas les conditions de régularité de séjour ne sont pas exigées ;

• soit la personne de nationalité étrangère est ressortissante d’un État avec qui la France est liée par une convention bilatérale de sécurité sociale, auquel cas il est fréquemment stipulé que le ressortissant étranger sera traité comme le ressortissant français2 ;

• soit la personne de nationalité étrangère est ressortissante d’un État ne relevant pas des critères précédemment évoqués, auquel cas ce sont les conditions spécifiques des articles L. 512-2 et D. 512-2 du Code de la sécurité sociale qui s’appliquent.

À l’époque des faits évoqués dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, la mère des enfants, admise au séjour sur le fondement du 7° de l’article L. 313-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et détenant ainsi une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », devait être munie d’une attestation délivrée par l’autorité préfectorale, précisant que ses enfants étaient entrés en France au plus tard en même temps que son parent, document qui manquait visiblement lors de l’instruction de son dossier par les services de la CAF et qui lui valut un refus d’octroi des prestations demandées. Arguant d’une violation du principe d’égalité contenu dans la Constitution, l’allocataire malheureuse tentera sa chance auprès des magistrats, sans résultat. La Cour de cassation, dans son arrêt du 17 février 2022, refusera de transmettre la QPC aux Sages de la rue de Montpensier : pour la Cour régulatrice, la question n’était pas nouvelle et ne présentait un caractère sérieux.

II – La position jurisprudentielle acquise concernant l’absence d’inégalité devant la loi

Le contentieux concernant l’octroi des prestations familiales aux personnes de nationalité étrangère est récurrent et les juges français appliquent à la lettre, depuis la loi de 20053, les textes du Code de la sécurité sociale4. S’il est vrai que la nouvelle législation a été vivement critiquée5, il n’en demeure pas moins que, même devant la Cour européenne des droits de l’Homme6, le dispositif français a été validé. Pour les juges européens, s’il existe effectivement une différence de traitement fondée sur un critère lié à la nationalité et au respect des règles légales concernant le regroupement familial entre les requérants et les parents percevant les prestations familiales, elle n’est pas exclusivement fondée sur la nationalité et intervient dans le domaine économique et social, justifiant la large marge d’appréciation laissée à l’État français. En outre, la précision opérée par la loi de 2005 avait été validée par le Conseil constitutionnel dès le début7. Aussi n’est-il pas étonnant que, dans cette affaire, la Cour régulatrice refuse de transmettre la question aux Sages. Pour elle, cette disposition est justifiée par la nécessité d’exercer un contrôle des conditions de l’accueil des enfants. Il n’en demeure pas moins que, les prestations familiales ayant vocation à garantir de meilleures conditions de vie aux mineurs, la position des magistrats français s’inscrit quelque peu en marge de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant8, visant à toujours faire de l’intérêt supérieur de l’enfant la considération primordiale.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2005-1579, 19 déc. 2005, de financement de la sécurité sociale pour 2006 : JO, 20 déc. 2005, p. 19531.
  • 2.
    V. par ex. l’accord euro-méditerranéen du 22 avr. 2002. À ce sujet, Cass. ass. plén., 5 avr. 2013, n° 11-17520 ; Cass. ass. plén., 5 avr. 2013, n° 11-18947 : Bull. civ. ass. plén., nos 2 et 3 ; D. 2013, p. 1298-1303, note O.-L. Bouvier ; JCP S 2013, comm. 1366, p. 33-35, note A. Devers ; RCDIP 2014, p. 370-379, note N. Joubert ; RJPF 2013/6, n° 15, p. 19-20, note E. Putman – Cass. ass. plén., 12 juill. 2013, n° 11-17520 : Bull. civ. ass. plén., n° 4 ; JCP G 2013, act. 911, p. 1576, obs. N. Dedessus-Le-Moustier – Cass. 2e civ., 6 nov. 2014, n° 13-22687 : Bull. civ. II, n° 226 ; JCP S 2015, comm. 1140, p. 38-40, note T. Tauran – Cass. 2e civ., 12 févr. 2015, n° 13-26821.
  • 3.
    Auparavant, la Cour de cassation était plutôt favorable à l’allocataire. V. Cass. ass. plén., 16 avr. 2004, n° 02-30157 : Bull. civ. ass. plén., n° 8 ; Dr. famille 2004, comm. 135, p. 38, note A. Devers ; RCDIP 2005, p. 47, note P. Klötgen ; RDSS 2004, p. 964, note I. Daugareilh ; RJPF 2004/6, n° 37, p. 24, note B. Bossu – Cass. 2e civ., 6 déc. 2006, n° 05-12666 : Bull. civ. II, n° 342 ; D. 2007, p. 2198, obs. L. Brunet ; Dr. famille 2007, comm. 74, p. 51, note A. Devers.
  • 4.
    V. par ex. Cass. 2e civ., 26 nov. 2015, n° 14-27973, inédit ; Cass. 2e civ., 11 févr. 2016, n° 15-12598, P : JCP S 2016, comm. 1112, p. 37, note E. Jeansen ; LPA 1er août 2017, n° LPA128r0, « Droits de l’enfant : chronique d’actualité législative et jurisprudentielle n° 14 (2e partie) », note A. Niemiec ; RDSS 2016, p. 555, note L. Isidro.
  • 5.
    V. à ce sujet délib. n° 2006-288, 11 déc. 2006, la Halde (remplacée depuis par le Défenseur des droits) ou la position de certains auteurs : A. Bugada, « Droit de la protection sociale », JCP E 2011, chron. 1710, p. 48 ; A. Devers, « Requiem pour les enfants étrangers entrés en France en dehors de la procédure de regroupement familial », Dr. famille 2011, comm. 140, p. 40 ; A. Gouttenoire, « Le bénéfice des prestations familiales réservé à certains enfants étrangers », AJ fam. 2012, p. 185.
  • 6.
    CEDH, 1er oct. 2015, n° 76860/11, Okitaloshima Okonda Osungu c/ France ; CEDH, 1er oct. 2015, n° 51354/13, Selpa Lokongo c/ France : AJDA 2015, p. 1833 ; AJ fam. 2015, p. 689, obs. C. Siffrein-Blanc ; Dr. soc. 2015, p. 847, obs. J.-P. Lhernould ; JCP A 2015, n° 41, act. 835 ; LPA 11 août 2016, n° LPA120a8, « Droits de l’enfant : chronique d’actualité législative et jurisprudentielle n° 12 (3e partie) », note A. Niemiec ; RDSS 2016, p. 555-562, note L. Isidro.
  • 7.
    Cons. const., 15 déc. 2005, n° 2005-528 DC : Rec. Cons. const., p. 157 ; RFDA 2006, p. 126-138, note J.-É. Schoettl.
  • 8.
    D. n° 90-917, 12 oct. 1990, portant publication de la convention relative aux droits de l’enfant, signée à New-York le 26 janv. 1990 : JO, 12 oct. 1990, p. 12363.
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