Accroître l’efficacité du versement des pensions alimentaires avec la réforme de l’intermédiation financière

Publié le 22/04/2022
Accroître l’efficacité du versement des pensions alimentaires avec la réforme de l’intermédiation financière
©andyller

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 généralise et renforce l’intermédiation financière des pensions alimentaires versées par des parents séparés ou divorcés au titre de l’obligation parentale d’entretien.

L. n° 2021-1754, 23 déc. 2021, de financement de la sécurité sociale pour 2022, NOR : ECOX2126627L

Accroître l’efficacité du service public de versement des pensions alimentaires, tel est l’objectif de la réforme de l’intermédiation financière opérée par la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021.

Devant les difficultés rencontrées pour obtenir le paiement effectif ou régulier des pensions alimentaires dues au titre de l’obligation parentale d’entretien lorsque les parents sont séparés ou divorcés, le législateur privilégie depuis quelques années l’intermédiation financière par les organismes débiteurs des prestations familiales des pensions fixées en tout ou partie en numéraire dans un titre exécutoire. D’abord admise sur décision du juge en cas de violences familiales par la loi du 23 décembre 20161, elle a été étendue à tous les parents séparés ou divorcés, d’un commun accord ou à la demande de l’un d’eux, par la loi du 24 décembre 20192, en dehors même de tout incident de paiement depuis le 1er janvier 2021. Sa mise en place impose au parent débiteur de verser le montant dû à la caisse d’allocation familiale ou de mutualité sociale agricole du lieu de résidence du parent créancier3 et oblige cet organisme à le reverser ensuite directement à ce dernier au plus tard le lendemain de sa réception ou le jour ouvré suivant s’il s’agit d’un jour férié ou non ouvré4. Ce dispositif tend à en sécuriser ou en faciliter le paiement afin de favoriser l’entretien et l’éducation des enfants de parents séparés ou divorcés.

Cependant, 30 % des pensions alimentaires ne sont toujours pas payées ou le sont de manière irrégulière5, et le recours à l’intermédiation financière reste assez faible6. Ce double constat justifie que ce mécanisme soit à nouveau réformé par l’article 100 de la loi du 23 décembre 2021, complété par son décret d’application du 25 février 20227. Néanmoins, le législateur ne se contente pas de l’élargir une nouvelle fois mais l’érige en principe dans tous les cas de séparation ou divorce des parents. Ce changement d’approche se concrétise par la généralisation de l’intermédiation financière des pensions alimentaires par les organismes débiteurs des prestations familiales (I) mais aussi par le renforcement des sanctions des entraves à sa mise en œuvre ou du non-respect de ses effets (II).

I – Généralisation de l’intermédiation financière des pensions alimentaires

Le versement d’une pension alimentaire par l’intermédiaire d’un organisme débiteur des prestations familiales constitue désormais le principe (A) et ne reçoit exception que dans des cas restreints (B).

A – Une intermédiation financière de principe

Dans le système antérieur à la loi du 23 décembre 2021, l’intermédiation financière était facultative, tant pour le juge que pour les parties, et ne pouvait être choisie que dans certains cas8. La loi du 23 décembre 2021 inverse la règle en lui conférant un caractère systématique, sauf dans des cas d’exclusion limitativement précisés. D’une simple possibilité, ce mécanisme devient ainsi la règle de versement des pensions alimentaires fixées en numéraire au titre de l’obligation parentale d’entretien par les parents séparés ou divorcés. La liste des titres qui peuvent la prévoir est en outre complétée depuis le 1er mars 2022 par l’ajout, à l’article 373-2-2, I, 6°, du Code civil, de la transaction et de l’acte constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative lorsqu’ils sont contresignés par les avocats des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente9.

En outre, lorsque l’intermédiation financière n’a pas été mise en place ou s’il y a été mis fin, la loi du 23 décembre 2021 favorise son instauration ou son rétablissement en permettant aux parents ou à l’un d’eux de demander sa mise en œuvre directement à l’organisme débiteur des prestations familiales. Cette possibilité est valable pour toute demande effectuée depuis le 1er janvier 2022.

En revanche, les autres règles nouvellement posées sont en vigueur depuis le 1er mars 2022 pour les pensions alimentaires fixées par décision de justice dans le cadre d’un divorce judiciaire mais ne seront applicables qu’au 1er janvier 2023 pour les autres décisions judiciaires et titres exécutoires fixant une pension alimentaire à la charge d’un parent séparé ou divorcé. Ce décalage implique par conséquent que les règles issues des lois du 23 décembre 2016 et du 24 décembre 2019 continuent à s’appliquer en parallèle du nouveau principe d’intermédiation systématique en attendant sa généralisation complète. Il permettra ainsi aux organismes débiteurs des prestations familiales de s’adapter progressivement à l’augmentation considérable des dossiers à gérer.

Cette entrée en vigueur en deux temps concerne également les cas d’exclusion de l’intermédiation financière.

B – Des exclusions limitées

L’article 373-2-2, II, du Code civil, modifié par la loi du 23 décembre 2021, limite les cas de suppression ou d’exclusion de l’intermédiation financière par les parents ou le juge.

S’agissant des parents, si l’intermédiation financière a été mise en place, l’un d’eux ne peut demander à l’organisme débiteur des prestations familiales d’y mettre fin qu’avec le consentement de l’autre. De même, le refus initial de mettre en œuvre l’intermédiation suppose leur accord, mais il faut en outre que leur refus conjoint soit mentionné dans le titre fixant la pension alimentaire ou exprimé à tout moment de la procédure lorsque la pension est fixée par décision judiciaire. Cette solution permet ainsi de laisser, aux parents qui s’entendent, le choix sur les modalités de versement de la pension alimentaire. Néanmoins, elle ne leur interdit pas ensuite de solliciter la mise en œuvre d’une intermédiation financière auprès de l’organisme débiteur des prestations familiales s’ils le souhaitent ; l’un d’eux peut même agir seul pour la demander.

Cependant, la suppression ou l’exclusion de l’intermédiation financière à l’initiative des parents n’est pas toujours possible. Ce mécanisme ne peut en effet pas être supprimé ou exclu lorsqu’une partie fait état d’une plainte ou d’une condamnation pour des faits de menaces ou de violences volontaires sur le parent créancier ou sur l’enfant dans le cadre de la procédure donnant lieu à l’émission du titre fixant la pension alimentaire, ou lorsqu’une partie produit une décision de justice concernant le parent débiteur mentionnant de tels faits. L’existence ou la suspicion de violences familiales émanant du débiteur alimentaire renforce ainsi le caractère systématique de l’intermédiation financière. La règle permet d’éviter les pressions ou menaces du parent violent pour écarter sa mise en œuvre.

S’agissant du juge, l’exclusion de l’intermédiation financière n’est possible qu’à titre exceptionnel. Sa décision doit être spécialement motivée par l’incompatibilité de sa mise en œuvre avec la situation des parties ou les modalités d’exécution de la contribution à l’entretien et à l’éducation. Ces conditions permettent ainsi au juge d’adapter les modalités de versement de la pension alimentaire aux spécificités d’espèce, tout en limitant les atteintes au principe de l’intermédiation financière. En outre, s’il a été écarté, le juge peut le rétablir en cas de survenance d’un nouvel élément à la demande d’une partie.

La faveur du législateur pour l’intermédiation financière des pensions alimentaires se manifeste aussi par le renforcement des sanctions applicables aux parents débiteurs défaillants.

II – Renforcement des sanctions des entraves et non-respect de l’intermédiation financière

Afin de renforcer l’efficacité de l’intermédiation financière, la loi du 23 décembre 2021 accentue les sanctions du non-respect de l’obligation d’information de l’organisme débiteur des prestations familiales (A) et les conséquences du non-paiement des pensions alimentaires (B).

A – Élargissement des sanctions de l’obligation d’information de l’organisme débiteur des prestations familiales

La loi du 23 décembre 2016 n’avait pas prévu de sanction particulière si le parent débiteur n’informait pas l’organisme débiteur des prestations familiales de son changement de domicile. Seule l’absence de notification dans le délai d’un mois au créancier d’aliments lui-même était sanctionnée par l’article 227-4 du Code pénal de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. C’est la loi du 24 décembre 2019 qui a étendu ces peines au fait pour le parent débiteur de s’abstenir de notifier son changement de domicile à l’organisme débiteur des prestations familiales qui sert d’intermédiaire. Sur ce point, la loi du 23 décembre 2021 n’avait rien à ajouter. Néanmoins, l’information dont est tenu le parent débiteur ne se limite pas au changement de domicile. En effet, la loi du 24 décembre 2019 lui a imposé, comme au parent créancier, de transmettre à l’organisme débiteur des prestations familiales toutes les informations nécessaires à l’instruction et à la mise en œuvre de l’intermédiation financière et de l’informer ensuite de tout changement de situation ayant des conséquences sur cette mise en œuvre10. Toutefois, elle ne sanctionnait pas pénalement le refus ou le silence du parent débiteur, permettant simplement au directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales de prononcer une pénalité à son encontre faute de transmission des informations demandées dans les délais successivement impartis et autorisant l’organisme débiteur des prestations familiales à procéder au recouvrement de la pension alimentaire11. Ces possibilités demeurent, l’article L. 582-1 du Code de la sécurité sociale n’ayant pas été modifié sur ce point, mais est désormais sanctionné pénalement le fait de s’abstenir de transmettre les informations nécessaires ou d’informer d’un changement déterminant l’organisme débiteur des prestations familiales qui sert d’intermédiaire. Les peines encourues depuis le 1er mars 2022 sont identiques à celles prévues pour l’absence de notification du changement de domicile, soit 6 mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende12. Le décret du 25 février 2022 ajoute en outre la mention de ces peines à la liste des informations que l’organisme débiteur des prestations familiales doit notifier à chacun des parents une fois l’instruction de l’intermédiation financière réalisée13.

D’autres sanctions ou mesures peuvent en outre s’appliquer en cas de non-versement par le parent débiteur de la pension alimentaire à l’organisme débiteur des prestations familiales.

B – Extension des conséquences du non-paiement des pensions alimentaires

La loi du 23 décembre 2021 étend expressément les peines du délit d’abandon de famille au fait, pour le parent débiteur, de rester plus de deux mois sans s’acquitter intégralement des sommes dues entre les mains de l’organisme débiteur des prestations familiales assurant l’intermédiation. L’article 227-3 du Code pénal ne visait jusqu’alors que le non-paiement de la pension alimentaire au créancier alimentaire lui-même. Ni la loi du 23 décembre 2016, ni celle du 24 décembre 2019 ne l’avaient modifié, ce qui pouvait créer un doute sur l’application du délit d’abandon de famille au parent qui ne versait pas la pension alimentaire à l’organisme débiteur des prestations familiales. Néanmoins, le décret du 30 septembre 202014 pris pour application de la loi de 2019 y faisait référence. En effet, depuis le 1er octobre 2020, l’article R. 582-5 du Code de la sécurité sociale impose à l’organisme débiteur des prestations familiales de notifier à chacun des parents certaines informations relatives à l’intermédiation financière, dont les conséquences du non-paiement de la pension alimentaire et notamment les peines encourues prévues par l’article 227-3 du Code pénal. La référence à cette disposition ne se comprend que si les peines du délit d’abandon de famille s’appliquent lorsqu’une intermédiation financière est mise en œuvre. La loi du 23 décembre 2021 vient opportunément de modifier l’article 227-3 du Code pénal dans ce sens, le mettant ainsi en conformité avec les dispositions du Code de la sécurité sociale depuis le 1er mars 2022. Il paraît logique que le parent débiteur qui n’exécute pas son obligation parentale d’entretien puisse être pénalement sanctionné dans tous les cas et aux mêmes conditions, qu’une intermédiation financière soit mise en œuvre ou pas. Les peines encourues sont de 2 ans d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. L’application de cette sanction entraîne corrélativement la possibilité pour le parent débiteur coupable des faits sanctionnés d’être condamné à accomplir un stage de responsabilité parentale dans les six mois de la condamnation définitive15 et de se voir éventuellement appliquer des peines complémentaires, notamment la condamnation à une interdiction totale ou partielle de ses droits civiques, civils et de famille16.

Les conséquences du non-paiement de la pension alimentaire à l’organisme débiteur des prestations familiales sont en outre accentuées par le renforcement des effets de l’intermédiation financière. Ce mécanisme emporte désormais dans tous les cas mandat du parent créancier au profit de l’organisme débiteur des prestations familiales de procéder pour son compte au recouvrement de la créance alimentaire17. Cette solution n’existait précédemment que lorsque l’intermédiation était demandée par l’un au moins des parents à défaut de titre exécutoire la prévoyant. Son extension permet aux organismes débiteurs des prestations familiales de recouvrer immédiatement les créances alimentaires dans tous les cas d’impayés et d’engager ainsi rapidement une procédure adaptée pour récupérer les sommes dues et les verser aux parents créanciers. Cette solution permet en particulier de pallier leur éventuelle inertie ou les retards d’action. L’objectif est ici aussi d’assurer le versement effectif et régulier des pensions alimentaires en évitant les répercussions des conflits parentaux ou des inégalités parentales sur leur paiement.

Le nouveau principe d’intermédiation financière issu de la loi du 23 décembre 2021 s’inscrit ainsi dans la volonté du législateur de proposer aux parents séparés ou divorcés un véritable service public de versement des pensions alimentaires dues au titre de l’obligation parentale d’entretien.

Notes de bas de pages

  • 1.
    LFSS 2017 n° 2016-1827, 23 déc. 2016.
  • 2.
    LFSS 2020 n° 2019-1446, 24 déc. 2019.
  • 3.
    CSS, art. L. 582-1, VIII.
  • 4.
    CSS, art. R. 582-7, al. 3.
  • 5.
    PLFSS 2022, dossier de presse, p. 33.
  • 6.
    AN, rapp. n° 4568, fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
  • 7.
    D. n° 2022-259, 25 févr. 2022, relatif à la généralisation de l’intermédiation financière du versement des pensions alimentaires.
  • 8.
    A. Benattar, « Regard critique sur le nouveau service public de versement des pensions alimentaires : une évolution saluable mais perfectible ? », GPL 6 juill. 2021, n° GPL423s8 ; F. Maisonnasse, « Circulaire de présentation de l’intermédiation financière des pensions alimentaires aux auxiliaires de justice », Dr. fam. 2021, comm. 35 ; C. Rieubernet, « Extension de l’intermédiation financière des pensions alimentaires », LPA 5 mai 2021, n° LPA160s2.
  • 9.
    C. civ., art. 373-2-2, I, 6°.
  • 10.
    CSS, art. L. 582-1, II.
  • 11.
    CSS, art. L. 582-1, II et D. 582-2.
  • 12.
    C. pén., art. 227-4.
  • 13.
    CSS, art. R. 582-5, al. 4, 7°.
  • 14.
    D. n° 2020-1201, 30 sept. 2020, relatif à l’intermédiation financière des pensions alimentaires prévue à l’article L. 582-1 du Code de la sécurité sociale.
  • 15.
    C. pén., art. 131-5-1, 6°.
  • 16.
    C. pén., art. 227-29, 1°.
  • 17.
    CSS, art. L. 582-1, IV.