Extension de l’intermédiation financière des pensions alimentaires

Publié le 05/05/2021

Dispositif confié aux organismes débiteurs des prestations familiales pour faciliter le paiement des pensions alimentaires versées au titre de l’obligation parentale d’entretien et d’éducation, l’intermédiation financière est étendue depuis le 1er janvier 2021 à tous les parents séparés.

Les organismes débiteurs des prestations familiales ont toujours été les interlocuteurs privilégiés des familles et ont depuis longtemps mis en place des actions de soutien à la fonction parentale, notamment en cas de séparation des parents ; mais devant le nombre important de pensions alimentaires impayées1, se sont ajoutées depuis quelques années des missions d’aide au recouvrement et au versement des pensions alimentaires au profit des familles monoparentales ou recomposées.

Créé par la loi du 22 décembre 19842, le dispositif d’aide au recouvrement des créances alimentaires impayées par les organismes et services des prestations familiales a été renforcé par la loi du 21 décembre 20153 puis par celle du 23 décembre 20164 afin d’accroître les garanties de paiement des pensions alimentaires5 et d’améliorer tout particulièrement la situation des personnes élevant seules leurs enfants à la suite d’un divorce ou d’une séparation. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 est en particulier à l’origine de l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (ARIPA), rattachée à la Caisse nationale des allocations familiales depuis le 1er janvier 2017, afin de mieux faire connaître et de simplifier les démarches de recouvrement des pensions alimentaires impayées. Elle a aussi permis, depuis le 1er avril 2018, au directeur d’un organisme débiteur des prestations familiales de donner force exécutoire à l’accord par lequel des parents, mettant fin à leur vie en concubinage ou procédant à la dissolution de leur pacte civil de solidarité, fixent le montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation de leur enfant6. Mais c’est aussi cette loi qui a admis pour la première fois l’intermédiation financière des pensions alimentaires, sur décision du juge, dans les situations de violences conjugales ou parentales, complétée ensuite sur ce point par la loi du 14 décembre 20207 et le décret du 29 décembre 20208.

La loi du 24 décembre 20199 est allée plus loin en créant un véritable service public de versement des pensions alimentaires confié à l’ARIPA, étendant considérablement les possibilités de versement des pensions alimentaires par l’intermédiaire des organismes débiteurs des prestations familiales. Deux décrets du 30 septembre 2020 en ont précisé les modalités de mise en œuvre10. Une circulaire du ministre de la Justice en date du 24 décembre 202011 présente ces nouvelles mesures, avec en annexe deux fiches techniques distinguant l’intermédiation financière mentionnée dans une décision judiciaire et hors décision judiciaire12. En vigueur depuis le 1er octobre 202013, le dispositif a été étendu au 1er janvier 2021 et sera complété à partir du 1er juin 2021. Il simplifie les démarches de tous les parents séparés et renforce la protection des familles monoparentales et recomposées.

Luttant contre les incidents de paiement et les conflits parentaux, l’intermédiation financière des pensions alimentaires a toujours pour objectif de favoriser le respect de l’obligation parentale d’entretien et d’éducation des enfants malgré une séparation ou un divorce. Néanmoins, elle tend aujourd’hui non seulement à éviter les contacts entre parents dans des situations dangereuses mais aussi à prévenir les retards et impayés de pensions alimentaires, voire à en faciliter simplement le paiement. Son extension résulte à la fois d’un élargissement de son domaine (I) et d’une mise en œuvre facilitée (II).

I – Un domaine élargi

L’élargissement du domaine de l’intermédiation financière ressort d’un assouplissement des conditions relatives aux pensions alimentaires et aux personnes concernées.

L’intermédiation financière intéresse l’obligation parentale d’entretien et d’éducation au cas de séparation des parents, lorsqu’elle s’exécute en tout ou partie en numéraire14. Elle suppose qu’une pension alimentaire soit fixée au profit du parent qui assume principalement ou exclusivement la charge de l’enfant, en général celui chez lequel il réside habituellement. L’intermédiation n’est en revanche pas possible lorsque la pension alimentaire est versée par le parent débiteur à la personne à laquelle l’enfant a été confié ou lorsqu’elle ne s’exécute pas, au moins en partie, en numéraire.

Il faut en outre que le montant de cette pension soit indiqué dans un titre exécutoire. Cette condition nécessitait initialement une décision de justice ; néanmoins, depuis le 1er octobre 2020, l’intermédiation financière peut s’appuyer sur d’autres titres exécutoires, qu’il s’agisse d’une convention parentale homologuée par le juge, d’une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel extrajudiciaire, d’un acte reçu en la forme authentique par un notaire ou d’une convention à laquelle l’organisme débiteur des prestations familiales a donné force exécutoire.

L’intermédiation financière supposait en outre un impayé de pension alimentaire dans le dispositif applicable au 1er octobre 2020, mais cette condition est supprimée depuis le 1er janvier 2021. Elle peut donc désormais intervenir non seulement lorsque la créance n’est pas réglée ou n’est que partiellement réglée mais aussi en dehors de tout incident de paiement. Cette évolution renforce le caractère préventif du dispositif, qui ne nécessite plus d’attendre un retard dans le règlement pour en bénéficier, et le transforme en modalité de versement de la pension alimentaire dans toutes les séparations parentales, y compris par simple commodité en l’absence de tension ou de risque.

Cette évolution est directement liée à l’augmentation des situations dans lesquelles elle peut être envisagée.

Le choix de l’intermédiation financière des pensions alimentaires peut désormais venir du juge mais aussi des parents ou de l’un d’eux. L’élargissement de son domaine se manifeste de ce point de vue à un double niveau.

Au niveau du juge, les possibilités sont plus nombreuses. Il peut la prévoir non seulement lorsque le parent débiteur a fait l’objet d’une plainte ou d’une condamnation pour des faits de menaces ou de violences volontaires sur le parent créancier ou l’enfant ou lorsque de telles menaces ou violences sont mentionnées dans une décision de justice le concernant, mais aussi, depuis le 1er octobre 2020, lorsque les parents ou l’un d’eux lui en fait la demande en dehors de toute situation de danger. Au but initial exclusif de protection du parent ou de l’enfant victime, s’est ainsi ajoutée la prise en compte de la volonté des parents ou de l’un d’eux, qu’il soit créancier ou débiteur de la pension. Cette évolution étend par conséquent le champ de l’intermédiation financière en dehors des hypothèses de violences familiales et élargit corrélativement les pouvoirs du juge aux affaires familiales, compétent pour l’admettre même en dehors de toute situation de crise, soit en l’ordonnant dans un jugement de divorce, de séparation de corps, de fixation ou de révision de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, soit en homologuant la convention parentale fixant cette contribution.

Néanmoins, depuis le 1er octobre 2020, il n’est plus nécessaire de recourir au juge pour en bénéficier. L’intermédiation financière peut également résulter d’un accord des parents en dehors de toute décision judiciaire, qu’il se manifeste dans une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel extrajudiciaire, un acte reçu en la forme authentique par un notaire ou une convention à laquelle l’organisme débiteur des prestations familiales a donné force exécutoire.

À défaut d’accord entre les parents, elle peut même être demandée par l’un des parents directement à l’organisme débiteur des prestations familiales dès lors qu’une convention homologuée par le juge, une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel extrajudiciaire, un acte reçu en la forme authentique par un notaire ou une convention à laquelle l’organisme débiteur des prestations familiales a donné force exécutoire, fixe la pension alimentaire en tout ou partie en numéraire.

Dans tous les cas, le parent créancier doit remplir une condition de stabilité de résidence et de régularité de séjour en France15. Le parent débiteur doit remplir la même condition de stabilité de résidence en France. En outre, en dehors des cas où l’intermédiation résulte d’une décision judicaire prise en raison d’une situation de violence ou de menace, il ne doit pas être considéré comme hors d’état de faire face au versement de la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant16.

L’élargissement du domaine de l’intermédiation financière s’accompagne de mesures facilitant sa mise en œuvre.

Divorce, pension alimentaire
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II – Une mise en œuvre facilitée

La mise en œuvre de l’intermédiation financière est facilitée par la collecte des informations nécessaires et les modalités de versement de la pension alimentaire.

Afin de rendre la mesure effective dans des délais assez brefs, plusieurs personnes se voient imposer la transmission d’éléments essentiels à l’organisme débiteur des prestations familiales qui va la mettre en œuvre17.

D’une part, le greffe, l’avocat du parent créancier ou le notaire, selon que le titre exécutoire fixant la pension est judiciaire, conventionnel ou notarié, est tenu de lui transmettre des informations nécessaires à l’instruction et à la mise en œuvre de l’intermédiation financière. Une liste détaillée a été fixée par le décret n° 2020-1201 du 30 septembre 2020, qui prévoit en outre une transmission par voie dématérialisée dans un délai de 7 jours à compter du prononcé de la décision pour le greffe18 ou à compter de la réception de l’attestation de dépôt par le notaire de la convention des époux pour l’avocat du créancier19.

D’autre part, les parents eux-mêmes sont tenus de transmettre à l’organisme débiteur des prestations familiales les informations nécessaires à l’instruction et à la mise en œuvre de l’intermédiation financière, puis de l’informer de tout changement de situation ayant des conséquences sur cette mise en œuvre, sous peine de pénalité20. Un premier délai de transmission de 15 jours court à compter de la notification qui leur est faite de l’instruction de l’intermédiation par l’organisme débiteur des prestations familiales. À défaut, le parent débiteur dispose d’un nouveau délai de 10 jours avant d’être sanctionné par une pénalité, qu’il doit payer dans les 8 jours, sous peine de recouvrement par l’organisme débiteur des prestations familiales de la pénalité et de la pension alimentaire21. Ces mesures de sollicitation impliquant directement le parent débiteur tendent à le responsabiliser et à l’inciter à coopérer afin de garantir la mise en œuvre de l’intermédiation financière, d’autant plus que ces effets présentent également des avantages pour ce dernier.

L’intermédiation financière a pour effet de décharger le parent débiteur de l’obligation de verser la pension alimentaire entre les mains du parent créancier à compter de la date de sa mise en œuvre effective jusqu’à sa cessation ; il doit en verser le montant à la caisse d’allocation familiale ou de mutualité sociale agricole du lieu de résidence du parent créancier22. Sur ce point, la mise en œuvre de l’intermédiation financière est également facilitée par la modalité retenue par le décret n° 2020-1201 du 30 septembre 2020 pour le versement de la pension à cet organisme. Il est en effet effectué par prélèvement sur le compte bancaire, postal ou d’épargne du parent débiteur, à défaut de choix contraire de sa part23. Il peut en outre en principe24 choisir sa date entre le 1er, le 10 ou le 15 du mois25, ce qui permet de l’adapter au mieux à sa situation et favorise ainsi l’effectivité du prélèvement. Ces modalités encouragent ainsi le paiement régulier de la pension alimentaire, mais il suppose toutefois que le parent débiteur approvisionne régulièrement son compte, en y versant notamment ses salaires. Afin d’en assurer la pérennité, l’organisme bancaire est tenu d’informer l’organisme débiteur des prestations familiales de la clôture du compte du débiteur ou de l’insuffisance de provision dans les 8 jours26. Cette obligation permet à l’organisme débiteur des prestations familiales de réagir rapidement en cas d’impossibilité totale ou partielle de prélèvement. Quel que soit le mode de collecte retenu, l’intermédiaire doit ensuite reverser le montant de la pension directement et immédiatement au parent créancier, au plus tard le lendemain de sa réception ou le jour ouvré suivant27.

En cas d’incident de paiement, l’organisme débiteur des prestations familiales peut poursuivre le recouvrement de la créance dès la première échéance impayée. La procédure ne nécessite pas de démarche particulière lorsque l’intermédiation financière est mise en œuvre à la demande d’au moins l’un des parents car elle emporte mandat du parent créancier au profit de l’organisme débiteur des prestations familiales de procéder pour son compte au recouvrement de la créance alimentaire28. Une procédure amiable préalable à la procédure de recouvrement forcé est toutefois engagée. De nouvelles règles issues du décret n° 2020-1202 du 30 septembre 2020, tendant à accélérer ce recouvrement, entreront en vigueur le 1er juin 2021. L’organisme devra, dans les 15 jours qui suivent l’incident de paiement, aviser le parent débiteur de la nécessité de régulariser la situation dans les 15 jours après réception de cette notification ; ce n’est qu’à défaut de régularisation que l’organisme pourra procéder au recouvrement forcé de la pension alimentaire29.

L’extension de l’intermédiation financière permet ainsi de décharger le juge aux affaires familiales d’une partie du contentieux relatif à l’exécution de l’obligation parentale d’entretien et d’éducation et s’inscrit de ce point de vue dans le mouvement de déjudiciarisation du contentieux familial30. Valorisant les accords des couples séparés, elle se situe également dans la continuité du mouvement de contractualisation du contentieux familial. Elle présente toutefois l’originalité de renforcer le rôle des organismes débiteurs des prestations familiales auprès des familles séparées ou recomposées, tout en favorisant l’exécution de la solidarité familiale imposée par la loi. Souhaitons que l’extension de l’intermédiation financière améliore enfin le versement des pensions alimentaires destinées à l’entretien des enfants de parents désunis.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. not. DREES, 12 janv. 2021, étude n° 1179.
  • 2.
    L. n° 84-1171, 22 déc. 1984, relative à l’intervention des organismes débiteurs des prestations familiales pour le recouvrement des créances alimentaires impayées.
  • 3.
    L. n° 2015-1702, 21 déc. 2015, de financement de la sécurité sociale pour 2016.
  • 4.
    L. n° 2016-1827, 23 déc. 2016, de financement de la sécurité sociale pour 2017.
  • 5.
    Généralisation des mesures de garantie des impayés des pension alimentaire issues de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, expérimentées pendant 18 mois dans 20 départements.
  • 6.
    CSS, art. L582-2.
  • 7.
    L. n° 2020-1576, 14 déc. 2020, de financement de la sécurité sociale pour 2021, art. 74.
  • 8.
    D. n° 2020-1797, 29 déc. 2020, relatif à la transmission d’information concernant les cas de violence dans le cadre de l’intermédiation financière des pensions alimentaires.
  • 9.
    L. n° 2019-1446, 24 déc. 2019, de financement de la sécurité sociale pour 2020.
  • 10.
    D. n° 2020-1201, 30 sept. 2020, relatif à l’intermédiation financière des pensions alimentaires prévue à l’article L. 582-1 du Code de la sécurité sociale.
  • 11.
    Cir. n° JUSC2034474C, BOMJ 2021, n° 1.
  • 12.
    V. not. F. Maisonnasse, « Circulaire de présentation de l’intermédiation financière des pensions alimentaires aux auxiliaires de justice », Dr. famille 2021, comm. 35.
  • 13.
    Initialement prévue au 1er juin 2020, l’entrée en vigueur a été reportée au 1er octobre 2020 en raison de la crise sanitaire.
  • 14.
    C. civ., art. 373-2-2 ; CSS, art. L582-1.
  • 15.
    Prévue à l’article L. 512-1 du Code de la sécurité sociale.
  • 16.
    Au sens de l’article L. 523-1, I, 3° du Code de la sécurité sociale.
  • 17.
    L’administration des impôts est également tenue de communiquer aux organismes débiteurs de prestations familiales toutes les informations nécessaires à l’exercice de leur mission d’intermédiation financière : LPF, art. L. 152-A, 2°.
  • 18.
    Si l’intermédiation est prévue sur décision du juge ou homologation judiciaire d’une convention, le greffe doit également en transmettre un extrait ou une copie exécutoire à l’organisme débiteur des prestations familiales dans un délai de 6 semaines à compter de sa notification aux parents.
  • 19.
    CPC, art. 1074-4 ; CPC, art. 1146-1. Adde D. n° 2020-1201, 30 sept. 2020, art. 4.
  • 20.
    CSS, art. L. 582-1, II.
  • 21.
    CSS, art. D. 582-2.
  • 22.
    CSS, art. L. 582-1, VIII.
  • 23.
    CSS, art. R. 582-6.
  • 24.
    Sauf si une date est fixée dans la décision judiciaire ou la convention judiciairement homologuée.
  • 25.
    CSS, art. R. 582-7, al. 2.
  • 26.
    CSS, art. R. 582-10.
  • 27.
    CSS, art. R. 582-7, al.3.
  • 28.
    CSS, art. L. 582-1, IV.
  • 29.
    CSS, art. R. 582-8.
  • 30.
    V. not. J. Houssier, « L’affaire était-elle trop sérieuse pour la laisser à des juristes ? », AJ fam. 2020, p. 552.
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