« En philanthropie, favoriser le legs ne doit pas créer de tensions avec les héritiers naturels »

Publié le 25/03/2020

Alors que les travaux parlementaires commencés par Gabriel Attal sur la réserve héréditaire créent le débat depuis 2019 et qu’Édouard Philippe a confié une mission parlementaire sur les évolutions du cadre de la philanthropie aux députées Sarah El Haïry et Naïma Moutchou, Nathalie Blum, directrice générale du Don en Confiance fait le point sur les évolutions du secteur, les grandes tendances qui se dégagent et réitère l’importance des dons et legs pour les organisations philanthropiques.

Les Petites Affiches : Pourriez-vous nous rappeler les missions du Don en confiance ?

Nathalie Blum : Notre organisme de contrôle a été créé il y a un peu plus de trente ans. À l’époque, les grands acteurs de la philanthropie qui faisaient appel aux dons se sont mis ensemble en partant du principe que leur bien le plus précieux était la confiance des donateurs, véritable actif immatériel pour les associations et les fondations. C’était une période à risque, certes avant que le scandale Jacques Crozemarie (ancien président de l’ARC, qui a été à l’origine de graves dysfonctionnements dans la gestion interne et d’une faible proportion des dons réellement consacrés à la recherche contre le cancer) n’éclate, mais pour autant, le secteur savait que quelque chose se préparait. Le danger était que si l’un d’eux était atteint, c’était toute la confiance qui était rompue. Donc ils se sont réunis afin d’adopter une charte de déontologie, basée sur quatre principes que sont le respect du donateur, la transparence, la recherche d’efficacité et la probité des intéressements. C’était un acte fondateur fort, dont les sujets sont toujours aussi pertinents aujourd’hui. Mais il y avait aussi un autre élément de contexte à l’époque : c’était le développement du mailing de masse et des nouvelles techniques de collecte qui ont fait naître la nécessité de réguler ces techniques de collecte de fonds car il apparaissait de nombreux prestataires nouveaux sur la place qui se rémunéraient très largement au détriment des causes.

Mais au-delà de mettre en place notre charte, il fallait aussi s’assurer qu’elle soit respectée, d’où notre mission de contrôle. Nous pouvons dire que nous avons joué notre rôle, puisque aujourd’hui, le Don en confiance contrôle environ un tiers de la générosité en France, ce qui est assez conséquent.

LPA :  Pourquoi les organisations cherchent-elles à obtenir votre label ?

N.B. : C’est une démarche volontaire de la part des organisations. Pour rappel, elles doivent respecter la loi, les démarches légales, mais le contrôle de la déontologie, c’est seulement pour celles qui souhaitent rentrer dans la démarche. Par exemple, la loi n’impose pas la recherche d’efficacité, mais la déontologie peut y aider. Sur la transparence, la loi a imposé et a rattrapé les exigences du Don en confiance, et dans certains cas, nous continuons d’être largement en avance. Pour adhérer, il existe des critères d’adhésion. Il faut atteindre un certain niveau de collecte, avoir une certaine taille et être forcément d’intérêt général.

LPA : Comment se porte le don aujourd’hui en France ?

N.B. : Notre observatoire évalue l’état de la confiance chaque année : ce n’est pas un scoop de dire que la confiance des Français envers les politiques ou les médias s’est effondrée. Mais à l’opposé, la confiance envers les associations et les fondations, elle, est remarquablement stable année après année.

LPA : Ce qui a d’autant plus de sens alors que la confiance est ailleurs durablement affectée…

N.B. : Oui, et cette démarche engagée par le secteur a porté ses fruits, puisqu’il a énormément évolué, progressé, changé. Notre action rayonne au-delà des organisations labellisées, car nos règles, nos exigences sont devenues une référence. Même des organisations non labellisées les appliquent. Et nous en sommes contents. Notre but est d’impulser une dynamique et que les organisations, progressant, maintiennent cette confiance globale, au bénéfice des causes. Il est même étonnant de constater que d’après notre Baromètre de la confiance, les jeunes sont encore plus confiants que leurs aînés face aux associations qui font appel aux dons.

LPA : Peut-être parce que justement ils n’ont pas été témoins de scandales comme celui de l’ARC ?

N.B. : C’est l’une de nos hypothèses. Ils n’ont pas ces références au passé, qui, on le voit bien, ont marqué l’inconscient collectif de façon durable et forte. Par ailleurs, il y a une grande quête de sens chez les jeunes, dans leur engagement professionnel ou pour ceux qui se tournent vers le secteur associatif, avec des masters qui se développent dans ce domaine-là, des reconversions…

LPA : 70 % des Français sont des donateurs, occasionnels ou réguliers. Quels sont les freins à la générosité ?

N.B. : Le principal frein, avant le manque d’argent, c’est la confiance, avec cette question qui revient toujours : « Qu’est-ce qui va être fait de mon argent ? » Le deuxième frein est bien de nature économique. Concernant les piliers de la confiance, on retrouve toujours la transparence et le fait de savoir que les organisations sont contrôlées. D’où le sentiment que la mission que l’on mène, connue ou pas connue du grand public, rayonne, car quand on a des exigences sur la transparence des organisations, cela favorise la confiance.

LPA : Comment s’exerce ce contrôle ?

N.B. : Les organisations sont volontaires. Notre credo est donc d’être exigeants mais bienveillants. Notre suivi doit aussi permettre aux organisations d’aller vers le progrès. Quand une organisation est candidate, c’est qu’elle a vu la charte, et qu’elle cherche à se mettre au niveau – ou à le maintenir – pour être au service de ses causes et rassurer le donateur. De notre côté, nous vérifions d’abord qu’elle est bien d’intérêt général, qu’elle fait bien appel à la générosité du public (dont les legs et le mécénat), qu’elle est motivée, et qu’elle ne fait pas partie de nos exclusions statutaires (religieuses, syndicales et politiques, dans la mission sociale)… Une fois que nous avons vérifié la recevabilité de sa candidature, nous nommons deux instructeurs, des experts bénévoles, qui vérifient l’intégralité des points de notre charte. Notre charte comporte quatre principes, trois domaines et une cinquantaine de règles. Ils rédigent un rapport pour voir comment ces règles sont appliquées dans le contexte de l’organisation, en fonction de son modèle de fonctionnement, de son contexte socio-économique, de ces spécificités.

LPA : Le label peut-il être retiré ?

N.B. : Oui, mais c’est très rare. Comme les organisations sont volontaires, elles ne nous sollicitent pas si elles ont plein de choses à cacher ! De façon générale, les instructeurs font un rapport pendant un an ou deux, puis ils le présentent devant une commission d’agrément, indépendante, qui décide si les éléments de la confiance sont constitués. C’est elle qui décide de l’attribution du label pour trois ans, qui s’accompagne souvent de demandes. Certes, la confiance est constituée, l’argent va bien à la cause, les dirigeants sont bien désintéressés, les principes sont globalement respectés, mais parfois il subsiste des points de progrès. Le label est donné pour trois ans, avec un rapport intermédiaire qui est rendu tous les ans (le contrôleur assiste ainsi au conseil d’administration, à l’assemblée générale, rencontre des dirigeants…) et le label peut être retiré à tout moment, si aucun progrès n’est effectué ou que telle ou telle règle n’est pas suivie.

« En philanthropie, favoriser le legs ne doit pas créer de tensions avec les héritiers naturels »
Andrei Korzhyts / AdobeStock

LPA : Quelles sont les motivations des organisations à candidater alors que cela engendre des contraintes ?

N.B. : Elles peuvent avoir plusieurs motivations, dont certaines qui peuvent se transformer au cours de l’instruction. Pour certaines, c’est en lien avec l’appel aux dons, elles ont besoin de ce label pour renforcer la confiance du donateur. Certaines veulent avoir les meilleures pratiques du secteur et découvrent, étonnées, que parallèlement à toutes les démarches qu’elles ont faites, il apparaît des progrès inattendus qui permettent d’être encore plus efficaces au service de leurs missions sociales, parce que c’est une contrainte dans le sens de l’aiguillon positif, celui qui permet de progresser. En effet, nous ne nous contentons pas de contrôler les factures, nous les obligeons à réfléchir. Un exemple concret de ce qui est perçu comme une contrainte et finalement positif : nous avons une règle qui stipule que les organisations doivent se doter d’un dispositif de contrôle interne, qui leur permette de piloter leur action, en faisant, par exemple, une cartographie des risques. Au début, elles se demandent l’utilité de cette cartographie, mais une fois que c’est fait, cela permet de faire progresser leur action, de piloter des points et finalement de mettre en place des choses nécessaires au service de leurs missions sociales. Enfin, c’est une assurance pour la gouvernance, de se dire qu’elle bénéficie d’un regard externe qui valide le bon fonctionnement de l’organisation. Dernier point : candidater c’est aussi rejoindre le collectif derrière, où se jouent des échanges entre les associations et les fondations labellisées sur leurs bonnes pratiques. Nous ne sommes pas comme dans le secteur privé, en concurrence.

LPA : Comment se positionner face aux évolutions législatives ?

N.B. : Nous sommes attentifs aux évolutions réglementaires, législatives, fiscales, mais nous ne prenons pas position. Notre but est d’assurer la confiance du donateur et donc de permettre la générosité. Mais nous ne portons pas d’avis politique sur les évolutions, même si nous avons été auditionnés par Sarah El Haïri et Naïma Moutchou dans le cadre du rapport qu’elles doivent rendre sur la philanthropie.

LPA : Gabriel Attal a commencé des travaux parlementaires sur la réserve héréditaire. Certains voudraient même la supprimer…

N.B. : Les évolutions réglementaires ont évidemment un impact sur les dons et les legs. En 2018, elles ont eu un impact sur le don, c’est très clair, notamment avec la réforme de l’ISF qui s’est transformé en IFI et qui a eu un impact sur les organisations auparavant bénéficiaires de l’ISF. Mais également le prélèvement à la source, qui ne modifie pas la fiscalité sur les dons, mais a induit beaucoup de perplexité et d’inquiétudes, car les gens ne savaient comment les règles relatives aux dons allaient s’appliquer (année blanche ou pas ?) d’où un certain attentisme, enfin la CSG sur les retraites, car les retraités font partie de ceux qui donnent beaucoup… En 2018, la baisse des dons a ainsi été évaluée à 4,5 %. C’est quand même important, alors qu’en plus il y a des nouveaux entrants. Globalement, cela a été compliqué pour certaines organisations.

LPA : Qui sont ces nouveaux entrants ?

N.B. : Face à la baisse des financements publics, il est naturel de chercher une hausse des financements privés. On a ainsi vu des acteurs publics qui faisaient appel aux dons, des mairies, il existe des nouveaux champs de l’action de l’intérêt général qui se développent… Le montant des dons n’est pas un montant stable qu’on se partage, il peut vraiment augmenter si les gens ont confiance, si les gens comprennent l’utilité des actions, si les gens se sentent concernés, si l’on favorise la culture du don. Pour autant toutes les mesures ont un peu déstabilisé le secteur ces dernières années.

Sur le legs, concernant la réserve héréditaire, quelles que soient les dispositions qui seront prises, cela peut avoir un impact positif ou négatif. Mais c’est un moyen de donner davantage, donc cela peut être un bon dispositif. Attention cependant, l’idée n’est surtout pas d’opposer des associations à des héritiers naturels. Alors que j’exerçais dans une organisation qui bénéficiait de beaucoup de legs, parfois extrêmement importants (de l’ordre de 10 millions d’euros), j’ai vu des héritiers naturels réellement satisfaits de la situation. Cela ne crée pas forcément une tension, mais cela doit relever d’une vraie volonté et ne pas opposer. Du point de vue de l’éthique, nous n’avons pas à nous prononcer sur la façon dont les gens veulent faire leurs legs, mais notre but est d’assurer le respect de la volonté du donateur, donc du légataire. Cela fait partie de nos principes, c’est même notre mission première. D’une certaine façon, on considère le don comme un quasi-contrat entre le donateur et l’association, mais le legs c’est un engagement encore plus fort, car quand on lègue, on transmet plus que de l’argent, derrière il y a une idée de fidélité à une cause, une idée de « charge ». De plus la personne n’est plus là pour vérifier qu’il sera bien réalisé selon sa volonté : nous avons donc mis en place des dispositifs spécifiques aux legs. Tout l’enjeu d’un dispositif, c’est qu’il puisse permettre à ceux qui le souhaitent davantage de générosité, mais cela ne peut surtout pas être en opposition à l’idée que l’on se fait du droit de la famille en France.

LPA : Récemment, la réforme du mécénat d’entreprise a impliqué des évolutions dans votre secteur…

N.B. : En effet, la réforme du mécénat d’entreprise a pas mal ému le secteur. Jusqu’à présent, l’entreprise pouvait déduire 60 % du montant qu’elle mécénait jusqu’à une limite de 0,5 % de son chiffre d’affaires. Une chose positive a été introduite pour les toutes petites entreprises, pour qui finalement 0,5 % de leur chiffre d’affaires, ne représentait quasiment rien, ce qui ne les encourageait pas à faire du mécénat. Finalement, c’est 0,5 % mais avec un plancher de 10 000 €. Mais le point négatif s’explique parce que le montant est passé de 60 à 40 % au-delà de 2 M€ de mécénat. Le gouvernement pense que cela n’aura pas un gros impact, mais les organisations le voient, à chaque réforme fiscale, cela fait bouger les acteurs économiques et leurs comportements, exactement ce que l’on a vu avec l’exemple ISF-IFI. Je pensais que les dispositifs ISF avaient amené des gens qui n’avaient pas l’habitude de donner à donner, et qu’ayant trouvé un attachement à la cause, ils continueraient de donner… Cela a sans doute joué, mais nous avons néanmoins assisté à des réarbitrages. Il y a eu quand même de la déperdition, car l’incitation économique reste encore un levier important.

Dommage, car le mécénat doit servir l’intérêt général, c’est ça l’objectif. Le but de la défiscalisation, ce n’est pas de « gagner de l’argent », comme on l’a entendu avec les polémiques liées à Notre-Dame, mais c’est d’inciter au don. Car in fine quand vous donnez, vous donnez, avec ou sans défiscalisation. Derrière, vous servez l’intérêt général. Pour nous, le don n’est pas une niche fiscale. Quand vous êtes un contribuable et que vous faites une déduction fiscale, c’est quelque chose qui vous bénéficie, personnellement (exemple, pour une aide à domicile…). Mais quand vous faites un don, cela bénéficie à l’intérêt général.

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