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« Enfants en Justice » : un centre d’exposition dédié à l’histoire de la justice pour mineurs

Publié le 29/09/2022

C’est à l’initiative de l’Association pour l’Histoire de la protection judiciaire des mineurs (AHPJM) que le centre d’exposition « Enfants en Justice XIXe-XXe siècles » a été financé. Inauguré en 2001 par la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), l’espace a été conçu pour « permettre à ceux qui vivent ou sont appelés à vivre dans ces établissements et services de s’approprier et de mieux comprendre leur histoire en faisant la part des héritages et des nouveautés, mais aussi pour interpeller ceux qui n’y sont jamais venus, bousculer les images toutes faites et redonner à cette histoire toute sa place ». Éclairage.

Affiches, illustrations de l’exposition

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Le centre d’exposition se situe à Savigny-sur-Orge, à 30 minutes à pied de la gare de RER. Il faut passer des quartiers de maisons individuelles, pour enfin voir se dresser l’ancienne ferme de Champagne. Là, dans ce lieu toujours en activité, une partie des bâtiments est désormais transformée en centre d’exposition.

Depuis la cour centrale, un escalier nous mène à l’étage consacré aux ressources pédagogiques. Des panneaux affichés au mur, avec textes et photographies, résument des moments charnières de la justice des enfants. On commence par la prison de la Petite Roquette, qui marque la première réflexion d’une prison pour enfants séparés des adultes, avec des quartiers pour mineurs à partir de six ans. La colonie agricole et pénitentiaire de Mettray, établissement créé en 1839 pour réhabiliter les délinquants les plus jeunes, est considérée comme la première maison de correction.

Danièle Brière, éducatrice à la PJJ, a la charge du jeune public. Dès le début, elle nous fait remarquer la dimension genrée de la justice : « Ces maisons de correction sont destinées aux jeunes garçons. Pour les filles, elles sont envoyées dans les asiles » ! Elle parle même d’une « justice patriarcale ». « Aujourd’hui, on tend, je dis bien on tend, à une justice qui serait la même pour tout le monde. Je l’explique aux enfants qui viennent ici : la justice n’a pas de sexe. La délinquance non plus. Les filles se sont toujours battues mais à la différence des garçons, elles ont disparu des statistiques puisqu’elles étaient rarement jugées. Quand deux jeunes garçons se battent, on appelle la police. Pour deux filles, on appelle les parents ».

En montrant les photographies en noir et blanc retrouvées dans des archives des maisons de correction, Danièle Brière nous demande de nous arrêter sur les images et de réfléchir à ce qu’elles révèlent : tous les enfants sont habillés pareil, tout est réglementé, rien n’échappe à la surveillance. À l’oral, elle détaille aussi les sévices – aujourd’hui inconcevables – subis par les jeunes. « Les réactions sont très variées. On peut avoir un jeune qui n’y croit pas, jusqu’à celui qui y adhère complètement. Certains me demandent : mais alors ils n’aimaient pas leurs enfants ? Pourquoi tant de maltraitance ? ». Alors Danièle Brière explique le pourquoi, le contexte, pour mieux comprendre d’où l’on vient.

« C’est un outil pédagogique »

Durant le confinement de 2020, Danièle Brière a pu profiter de la fermeture pour réaliser de nouveaux éléments pour l’exposition. D’où une nouvelle mouture proposée en septembre 2020 au public. Lieu unique, le centre ne se visite que sur rendez-vous et en groupe.

Les mineurs qui s’y rendent sont soit en stage de citoyenneté, soit dans le cadre d’une mesure de réparation ou de travaux civiques. Le lieu accueille également des scolaires et un public qu’elle appelle « autre secteur » : des jeunes en hôpital de jour, du service jeunesse, des membres d’associations, etc. « J’ai reçu des jeunes aveugles et malvoyants. C’est extrêmement varié. On reçoit du public aussi hors PJJ ou Éducation nationale. On développe parfois seulement un aspect particulier de l’exposition. Par exemple, les différences entre les filles et les garçons par rapport à la justice ».

Trois autres personnes ont la charge de la réception du public adulte : deux conférencières et Véronique Blanchard, responsable du centre d’exposition. Les adultes en visite sont des professionnels de justice, comme un groupe de juges pour enfants, ou des gens qui n’y connaissent rien, mais aussi des personnes en formation ou des éducateurs qui souhaitent étendre leurs connaissances. « Le contenu varie et est adapté en fonction du public », nous explique Danièle Brière. Elle insiste sur le fait que le centre « n’est pas un musée, c’est un outil pédagogique ».

Une exposition permanente plus traditionnelle permet néanmoins de se plonger dans l’histoire de la justice des enfants, du XIXsiècle à nos jours. Ce support, qui n’a pas vraiment de début ni de fin, fournit la matière pour ouvrir les discussions. Des expositions temporaires sont également installées tous les deux ans et demi environ, pour une durée de six à huit mois. La prochaine débutera en juin 2023 et devrait s’intituler : « La justice des enfants fait son cinéma ». « Ce sera l’occasion de revenir sur la façon dont est montrée la justice des enfants au cinéma ou encore la délinquance, tout cela traversé par les questions de genre », poursuit-elle.

Couverture du Petit Journal du 17 novembre 1907

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« Le criminel-né n’existe pas » !

Une partie de l’exposition s’arrête sur la fin du XIXe siècle, époque où les faits divers dans la presse sont en plein essor en même temps qu’émergent les études en criminologie. À cette époque, Cesare Lombroso (1835-1909) développe la notion de « criminel-né » en psychologie, soit l’idée qu’un sujet serait prédisposé au crime par sa constitution dès sa naissance. « C’est une période où on commence à avoir peur de sa jeunesse et à stigmatiser les jeunes étrangers de la classe populaire ». Danièle Brière nous montre la couverture du 17 novembre 1907 du Petit Journal. On peut y lire : « Trop de jeunes paresseux… Trop de jeunes criminels ! La criminalité juvénile a presque triplé en cinquante ans ! ».

Naît-on criminel ? A-t-on une tête de criminel ? L’éducatrice a imaginé une activité ludique pour essayer d’y répondre, en affichant plusieurs portraits de filles et de garçons en noir et blanc. Le public doit dire si, selon une photo portrait, une fille ou un garçon a une tête de criminel. Instinctivement, on veut trouver un ou une coupable. Mais peut-être n’y a-t-il aucun délinquant parmi le panel ?

L’exposition bouleverse nos idées reçues et nous fait découvrir des portraits de jeunes délinquants et délinquantes pour chaque période de l’histoire. L’histoire de Robert Poret est développée dans un espace dédié plus conséquent, accompagné d’un court-métrage intitulé : « Je vais te dire ce que jamais je ne pourrais te dire ». Condamné à 20 ans de prison alors qu’il n’avait que 16 ans, Robert Poret (1898-1985) a passé quatorze ans à Eysses, « la pire des maisons de correction », d’après Danièle Brière. Pour réduire sa peine, il accepte de rejoindre le Bataillon d’Afrique. À 36 ans, il revient en France et devient chauffeur de bus. Il se marie, a une fille, qui ignore tout du passé de son père, jusqu’à être contactée au moment du tournage du film. « Cette histoire montre aux jeunes que le droit à l’oubli existe, ajoute-t-elle. Elle montre que le criminel-né n’existe pas » !

« Les bagnes d’enfants »

La presse jouera plusieurs rôles dans la construction de l’imaginaire collectif de la délinquance et des « bandes de jeunes ». Elle sera cependant essentielle pour la dénonciation des « bagnes d’enfants », ces lieux où l’on atteignait « le maximum des mauvais traitements ». La multiplication des lois allant dans le sens d’une meilleure protection de l’enfance, comme l’abolition de la puissance paternelle, fait diminuer le nombre d’enfants en maison de correction, passant de 11 000 à 3 000 en très peu de temps. Mais les traitements y sont de plus en plus durs.

« Nous sommes dans l’après Première Guerre mondiale, l’enfant prend de la valeur et ça touche tout le monde. Les filles sont chez les sœurs et subissent aussi des mauvais traitements. Certaines sont placées parce qu’indigentes ou parce qu’on ne peut plus s’en occuper, contrairement aux garçons qui sont condamnés sur leurs actes. Certains parents sont même convaincus que leurs filles y seront mieux protégées de toute mauvaise conduite et de leur potentiel sexuel ».

Alexis Danan, journaliste, a dédié une partie de sa carrière à la défense des droits des enfants. Auteur de Mauvaise Graine (1931) sur les enfants délinquants psychotiques enfermés en prison, il s’implique en 1934, lorsque l’évasion des enfants de la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer fait les gros titres. Alexis Danan couvre la révolte et n’hésite pas à prendre l’opinion publique à témoin. Comme Albert Londres pour le bagne de Cayenne, Alexis Danan participe à la fermeture des bagnes d’enfants.

Ouverture de Savigny-sur-Orge

Après la Deuxième Guerre mondiale, avec l’ordonnance de 1945 arrivent les premiers juges pour enfant et le métier d’éducateur, dans une démarche pluridisciplinaire. « On crée l’éducation surveillée, ce qui est magnifique dans les textes, mais qui est un fiasco total dans la réalité. On a encore un goût du passé. La pratique du mitard ne disparaît pas pour autant : même si la camisole de force ou la privation de nourriture n’est plus d’actualité, l’isolement reste utilisé ».

Savigny-sur-Orge est créé à ce moment-là. « L’État français cherchait à ouvrir des centres sans trop dépenser. Mais la justice des mineurs était réformée et les anciens bâtis transformés en golf, en ITEP ou encore en haras. L’ordonnance de 1945 lance une idée philosophique dans un pays ruiné. On doit donc faire avec l’existant et le dortoir de Savigny était déjà en place ».

Au départ, Savigny est une ferme, dont certaines traces remontent au XIVe siècle. Le lieu périclite durant la Première Guerre mondiale. Beaucoup de tentatives de reprise sont élaborées mais rien n’aboutit. En 1942, la ferme est rachetée par le ministère de la Justice alors que la délinquance juvénile explose, en conséquence de la guerre : « La guerre et les bouleversements d’ordre matériel et moral qu’elle a provoqués ont accru dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile. La question de l’enfance coupable est une des plus urgentes de l’époque présente », est-il écrit dans le préambule de l’ordonnance du 2 février 1945.

L’idée à Savigny est d’observer les jeunes avant une décision définitive du juge des enfants : durant les quinze premiers jours, les observations sont pour le juge.

L’année 1968 change tout. Les éducateurs veulent travailler avec des individus et non plus avec des groupes. C’est une nouvelle génération qui intègre le métier, différente des premiers éducateurs issus de l’administration pénitentiaire. Les années 1970 marquent aussi l’arrivée de femmes. « Ça aussi ça va changer les choses, explique Danièle Brière. À Juvisy par exemple, dans un centre complètement fermé, les femmes ont exigé une nappe et des serviettes en tissu. Ça a changé le comportement des jeunes à table » !

En tout, 22 000 jeunes sont passés par Savigny-sur-Orge, en y restant en moyenne trois mois. Centre d’observation public, il ferme en 1972. En 1976, le centre devient un service d’hébergement plus classique pour une prise en charge plus longue (ISES).

Déconstruire « les idées préconçues »

En passant une porte au fond de l’exposition, on arrive dans l’ancien dortoir d’accueil de l’observatoire. Danièle Brière nous fait remarquer que le parquet est d’époque, « ciré par les jeunes ». À l’emplacement de quatre anciennes chambrettes, un hall en arc de cercle a été créé pour pouvoir y faire de projections. Puis un long couloir permet de visiter les chambres qui sont encore debout. « On est à la pénitentiaire, avec un système de fermeture généralisé. Pas de poignées aux portes et des barreaux aux fenêtres. Chaque chambre compte un lit et un tabouret. » Pendant quinze jours, les jeunes sont testés (dessin, texte, niveau scolaire, etc.), puis en fonction des résultats ils sont transférés dans l’un des pavillons, où ils dormaient en dortoirs collectifs, très vite débordés par le nombre de pensionnaires.

Avant de conclure la visite, Danièle Brière revient sur son parcours, témoignant lui aussi d’une part essentielle de la justice des enfants. Entrée dans la profession en 1991, avec ses premiers stages, on lui disait alors que le métier « devenait féminin et que ce n’était donc plus valorisé ».

Danièle Brière rejoint le centre en 2010 après la fermeture de son service. À l’époque, elle est impliquée dans la commission départementale histoire, dont Véronique Blanchard a la charge. Lorsqu’un poste est créé, elle saute sur l’occasion. En plus de son travail d’éducatrice, Danièle Brière réalise donc un énorme travail de recherches pour la conception des expositions, pour lequel elle n’est pas seule. Elle est entourée de ses collègues, mais aussi d’une équipe pour la réalisation du décor, et d’un comité scientifique. Ces nouvelles missions sont enrichissantes mais n’ont en rien changé sa perception du métier d’éducatrice.

Elle qui travaillait en unité d’hébergement diversifié (UHD), elle avait la charge de jeunes de 17-21 ans. « Cela a été fermé et tout s’est concentré sur le pénal. Or, je suis persuadée que le changement s’opère entre 17 et 21 ans. Dans les UHD, ils vivaient en appartement et ils apprenaient les notions de responsabilité, de tout ce qu’on a à payer, les impôts, etc. On a des jeunes qui nous quittaient, c’était plus les mêmes. Là notre travail était indispensable. Nous proposions des séjours de distanciation avec quinze jours pour déconnecter, c’était de la prévention. Tout cela n’existe plus. C’est ça ma conception du métier, c’était tout ce que je faisais là-bas ».

Aujourd’hui, Danièle Brière continue sa mission d’éducation, elle transmet jour après jour l’histoire de la justice des enfants, et déconstruit, une à une, les idées préconçues. « Je ne suis pas historienne, je reste éducatrice, racontait-elle dans le numéro de printemps 2021 de la Lettre de l’association pour l’histoire de la protection judiciaire des mineurs. Plus que transmettre l’histoire, je m’attache à laisser une trace, un impact ».