Paris (75)

Mineurs délinquants, mineurs en danger

Publié le 01/06/2021

Protection des mineurs

En janvier dernier, Yuriy, un collégien de 15 ans, était agressé par un groupe d’adolescents à Paris. Il est ainsi devenu le visage des règlements de compte entre bandes de jeunes. Le 18 mars dernier, le groupe SOS, entreprise sociale et partenaire du ministère de la Justice – il déploie au sein de ses établissements et services, en métropole comme en outre-mer, des dispositifs pour les mineurs en conflit avec la loi – organisait une table ronde sur le sujet. Rixes, cybercriminalité, trafic de stupéfiants : les délits impliquant les jeunes sont protéiformes… Mais les mineurs qui deviennent délinquants, ne sont-ils pas, avant toute chose, des mineurs en danger ? Pour répondre à cette question, des intervenants du monde de la prise en charge sociale et de la justice ont pu partager leurs points de vue et réaffirmer, à la veille de la réforme du Code de la justice pénale des mineurs, cette conviction unanimement partagée : la priorité doit aller aux actions éducatives et non à l’incarcération.

« Le sujet des mineurs délinquants ressurgit souvent à l’approche des élections présidentielles », introduit Nicolas Froissard, porte-parole du groupe SOS et modérateur de la conférence. Pas faux. Cette année, c’est le cas même un peu avant, puisque depuis quelques mois les tensions entre jeunes, parfois graves, ont fait couler beaucoup d’encre. Mais, rappelle Nicolas Froissard, ces enfants sont « avant tout des enfants en danger, passant souvent par des difficultés sociales et familiales ». Et quand l’acte de délinquance existe, quelle réponse adopter ?

Josiane Bigot, magistrate honoraire et présidente de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE), le réaffirme, dans le droit chemin de l’angle choisi pour cette conférence. « Dans le préambule de l’ordonnance de 1945, il est stipulé que les enfants délinquants sont d’abord des enfants à protéger et il ne faut jamais l’oublier » ! Le principe est posé, définitivement.

Si le sujet est grave, on sent chez les intervenants, issus aussi bien du monde social que judiciaire, que l’espoir est de mise. Il faut en effet trouver du sens aux parcours chaotiques de ces jeunes. « Une fois le stade de l’adolescence passé, la plupart de ces adolescents retrouvent un cadre de vie tout à fait ordinaire et ‘’conforme’’ », assure Maxime Zennou, directeur général du groupe SOS Jeunesse qui prône pour des alternatives à l’incarcération. « Personne n’est au bout de son histoire », est le slogan du groupe SOS, qui croit à la réhabilitation possible de ces jeunes.

La preuve par le partage d’anecdotes positives. Jeanine Bigot se rappelle ainsi le cas d’un jeune qui avait tiré volontairement sur son proviseur-adjoint. Il avait été très « heurté par des brimades » mais assumait ses actes. « J’ai eu des pressions très fortes pour le mettre en détention. Pourtant, les quelques éléments que j’avais me montraient un ado impulsif, mais droit dans ses bottes, traumatisé par une séparation parentale, complètement à la recherche de repères. J’ai opté uniquement pour des mesures éducatives », se souvient-elle. De son propre aveu, cela a été très compliqué, avec, en toile de fond, le mythe de la « justice laxiste ». Résultat : le jeune a été suivi rigoureusement en milieu ouvert, a été scolarisé ailleurs, est devenu papa. Il n’a jamais récidivé. Un parcours sans faute. « Pour moi, le milieu ouvert est possible y compris pour un jeune qui a commis des actes très graves », a-t-elle conclu.

Se rappeler « des petits rayons de soleil »

Ludovic Lavanne est directeur du centre éducatif fermé (CEF) de Port-Louis, en Guadeloupe. Trouver une anecdote positive ? Pas toujours simple, mais parfois il faut se raccrocher aux « petits rayons de soleil ». Il évoque ainsi un jeune passé par le CEF de Port-Louis pendant un an, et sorti en février dernier, qui avait commis des actes très graves. Ce garçon était assez imbu de lui-même, il remettait facilement en doute l’autorité des adultes. « Pourtant, il m’a appelé il y a dix jours pour me dire merci », partage Ludovic Lavanne. Le jeune est rentré en apprentissage, alors que cela faisait plus de sept ans qu’il n’avait pas mis les pieds dans une salle de cours. Sa première note a été un 20/20, à l’occasion d’un exercice sur des compétences acquises au CEF, notamment sur la gestion des émotions.

Mais on pourrait citer aussi ce jeune mineur afghan, au parcours d’exilé très lourd, « tombé dans des réseaux » et suivi par une unité d’accueil de jour. Il a récemment présenté à Charlotte Caubel, directrice de la protection judiciaire jeunesse (PJJ), un film qu’il a réalisé à partir d’images d’archives de l’INA, évoquant le chemin qui a été le sien. Il termine actuellement sa formation d’éducateur spécialisé pour de jeunes autistes. « Un parcours épatant », a souligné Caroline Caubel.

Michaël Pascal, juge des enfants auprès du tribunal judiciaire de Lyon, a en tête un autre type de souvenir. « J’ai pensé à un mineur appartenant à une fratrie qui posait un certain nombre de difficultés. Les facteurs d’inquiétude étaient multiples. Ce jeune a eu l’opportunité de partir dans un centre éducatif renforcé (CER) mais sur un voilier, avec un départ de plusieurs mois avec des skippers. Cela a été une expérimentation complète », entre l’eau, l’extérieur, l’impossibilité de l’ailleurs, la présence d’autres adolescents. Le soutien éducatif lui a permis de rester plusieurs mois. « Ce défi, il ne pensait pas le tenir et cela a été finalement le cas », relate-t-il, impressionné par la détermination du jeune homme.

Les mots de Natacha Berges, psychologue au CEF de Saverne, dans le Bas-Rhin, ont exprimé la gratitude d’un jeune homme qui avait commis des violences aggravées en 2017. Il est aujourd’hui en première année de classe préparatoire littéraire. « Vous avez été sincèrement une source de progrès, et je vous en remercie encore », écrit-il dans un courrier adressé à l’équipe éducative.

Maxime Zennou conclut avec le souvenir d’une action collective. « Lors de mon premier poste de direction à la protection judiciaire de la jeunesse, je trouve un groupe difficile. Deux éducatrices viennent me voir pour proposer un projet exceptionnel mais nécessaire pour casser les dynamiques dans lesquelles sont englués les jeunes : une ascension du Kilimandjaro ! La préparation a duré deux ans, mais on l’a fait ». Ce métier, rappelle-t-il, est aussi fait « d’exceptionnalité ».

Éviter l’incarcération à tout prix

Tous les parcours ne sont pas roses, loin de là. Mais la meilleure façon de réintégrer ces jeunes n’est-elle pas d’éviter la prison ? Déjà dans le préambule de l’ordonnance de 1945, « la primauté de la réponse éducative » est bien rappelée, précise Maxime Zennou. Son souhait ? Que lorsque l’on « déploie une action éducative, on ferme une prison ». Car la prison est un univers « criminogène ». Elle interrompt la continuité des liens familiaux alors que « 80 % des enfants accueillis en CEF rejoignent finalement leur famille et leur milieu naturel de vie ». Par ailleurs, « le CEF est déjà une sanction, et scientifiquement, la réponse éducative est plus efficace que l’incarcération ». Il a rappelé trois idées importantes : limiter l’incarcération, proposer des alternatives, ainsi que renforcer l’attractivité des métiers de suivi éducatif. « Pour moi, les CEF sont la meilleure réponse donnée aux mineurs depuis l’ordonnance de 1945, réalisée par une équipe soudée et pluridisciplinaire. Pour beaucoup de jeunes, le moment le plus important de leur prise en charge a précisément été le CEF. Mais il ne faut pas oublier les CER (centres éducatifs renforcés) et les mesures d’activités de jour », a rappelé Josiane Bigot, pour illustrer la diversité des options.

La préférence carcérale a d’autant moins de sens au vu des chiffres actuels. « La délinquance a chuté de 30 % depuis 1930, et majoritairement, les auteurs sont âgés de 16 ans – les moins de 16 ans sont exceptionnels – et pourtant l’incarcération des mineurs a augmenté de 28 % depuis 2016, dont 75 % de ces mineurs qui sont en détention provisoire », a précisé Nicolas Froissard. Un véritable paradoxe que cherche à éclairer Charlotte Caubel. Elle estime qu’apparaissent là les « symptômes de l’essoufflement de la procédure telle qu’elle est encore en place, avec des modifications successives de l’ordonnance de 1945 qui ont conduit à cet excès d’incarcération, essentiellement en détention provisoire ». Ce taux en détention provisoire est « évidemment un statut extrêmement problématique », car il se trouve avant le jugement et donc la culpabilité, et est provisoire, donc dans une temporalité et une durée indéterminées. Le tout « conduit à des parcours hachés, car on y rentre et on en sort de façon généralement brutale », détaille-t-elle. Alors pourquoi un tel recours à la détention provisoire ? Selon elle, la séquence avant la culpabilité et la sanction étant trop longue pour le parquet, la détention provisoire est apparue comme une bonne réponse afin de limiter la réitération d’infractions ». Mais on en arrive bien à de la « détention provisoire sanction », soit un détournement du mécanisme, déplore la directrice de la PJJ. Par ailleurs, pour « accélérer les procédures, le parquet a de plus en plus recours au défèrement », c’est-à-dire à la présentation du mineur juste après sa garde à vue. Résultat : dans l’immédiateté, les juges ont « tendance à requérir des mesures plus coercitives que si la décision était prise dans un temps plus lointain ». Enfin, les mineurs non accompagnés arrivent en détention (à la place de soins et de parcours éducatifs) car ils ont du mal, en l’absence de représentation, « à rentrer dans les mécanismes de protection de la jeunesse ». Le résultat est catastrophique, estime, là encore, Charlotte Caubel.

Le juge des enfants Michaël Pascal, est revenu sur le parcours pénal des mineurs. Parfois, pour des délits équivalents, les mineurs sont en effet davantage incarcérés que des majeurs. Dans le cas d’une infraction commise dans la rue et qui est suffisamment caractérisée, « Le procureur décide de remettre une convocation aux fins éventuelles de mise en examen, devant le juge des enfants, qui recevra ce mineur dans les mois à venir. Si les faits ou la personnalité sont inquiétants, c’est le défèrement immédiatement après la garde à vue devant le juge des enfants ». Dans tous les cas, la question de la caractérisation de l’infraction se pose, et si le mineur est mis en examen, celle de son devenir jusqu’à son jugement. « Il peut y avoir des mesures de soutien, de réparation, et de contrôle judiciaire, et parfois de détention. La question de la détention et de son évolution se posera à nouveau le jour du jugement pour le mineur, et c’est pour cela que la (longue) procédure actuelle permet d’évaluer la personnalité du mineur, son projet personnel et scolaire, et comment il a respecté les mesures jusqu’à son jugement. Oui, il y a un recours plus systématique à la détention pour les mineurs ». Car, déplore-t-il, les « dispositions pour les mineurs viennent de plus en plus de celles appliquées pour les majeurs » (longueur des procédures, peu de moyens d’aménagement de peines pour les mineurs, peu de solutions de placements…) ». Dans ce contexte, « l’alternative à l’incarcération est une danse à trois, il faut que le mineur, l’éducateur et le juge des enfants soient prêts, volontaires… ». Mais avec ces trois conditions réunies, « cela peut fonctionner ». Pour rappel, 80 % des jeunes suivis par la justice sont suivis en milieu ouvert.

Des débats autour de la réforme du Code de justice pénale des mineurs

L’objectif de la réforme du Code de justice pénale des mineurs, espère Charlotte Caubel, est « de réduire la détention provisoire et l’incarcération et éviter son recours comme sanction ».

Mais Josiane Bigot ne partage pas le même optimisme. Sans mettre en doute la volonté de la PJJ de faire diminuer la détention, elle craint que « le nouveau code ne le permette pas », se rapprochant de plus en plus de la « comparution immédiate », qui reste pourtant interdite dans les textes. Car avec le nouveau code, « on continuera d’avoir des défèrements de mineurs, sauf qu’il sera tout à fait possible de ne pas recourir aux deux phases de jugement (d’abord sur la culpabilité, puis sur la peine). On pourra désormais juger immédiatement les mineurs. Et lesquels seront jugés ? Précisément ceux pour lesquels on aura recours à l’incarcération ».

Josiane Bigot soutient la nécessité de l’approfondissement pluridisciplinaire des éléments de personnalité. « Si on a un rapport complet et pluridisciplinaire, on pourra réduire ce recours, et aussi développer le milieu ouvert. Même si son milieu est carencé, la réponse n’est pas toujours la rupture, mais de faire changer le jeune, dans son milieu actuel. Avec des équipes bien outillées, on peut arriver à changer des parcours qui ont l’air de s’ancrer dans la délinquance ». Son credo, à nouveau : l’éducation en priorité. « La césure pourra toujours être ordonnée », a nuancé Charlotte Caubel, précisant qu’ « il appartiendra toujours à l’éducateur, à l’avocat et au juge de décider s’il faut une audience unique ou deux audiences ».

Mineurs délinquants, mineurs en danger

Aux CEF, le profil des jeunes est majoritairement constitué de garçons âgés de plus de 16 ans [il existe un CEF pour les filles, NDLR]. Primo-délinquants ou multirécidivistes, ils ont un point commun : ils sont sur « une bascule » qui les fait passer de « l’enfance en danger à l’enfance dangereuse. Mais les mineurs font un tout : ils sont en situation de danger, au regard de leurs parcours de vie, et sont aussi des mineurs, qui à un moment donné, contreviennent aux lois, faits pour lesquels il faut une intervention pénale », explique Ludovic Lalanne. Les CEF sont arrivés à un moment, dans les années 70, où l’on parlait de « modèle thérapeutique » (c’est-à-dire considérer que la commission d’une infraction est le symptôme d’une souffrance plus ancienne), à tel point qu’on finissait par voir les mineurs essentiellement comme des mineurs en dangers. « Ce que ramènent les CEF, c’est une forme de responsabilité individuelle qui permet de travailler sur les situations individuelles », estime-t-il. Pour le juge des enfants Michaël Pascal, « dès lors qu’un mineur met le pied dans la délinquance, il a tendance à ne plus être vu comme un mineur en danger par l’aide sociale à l’enfance. Ce qui est paradoxal, car c’est plutôt la démonstration qu’il est un mineur en danger » !

Natacha Berges rappelle de son côté qu’il s’agit « surtout d’adolescents perdus ». En CEF, le rapport au temps compte, car l’équipe est là quotidiennement, rappelle la psychologue. « La contenance se fait beaucoup par la présence des adultes. Et ils ont envie de comprendre qui ils sont, ne savent plus comment faire pour s’en sortir mais veulent tout de même s’imaginer un avenir possible ».

L’avenir… C’est justement en pensant à d’autres horizons possibles pour ces jeunes que les acteurs du système judiciaire ou éducatif trouvent la force de continuer leur travail d’accompagnement. Ludovic Lalanne aimerait voir se développer davantage le recours à la science, notamment la criminologie et les interventions cognitives et comportementales, qui permettent selon lui, « d’identifier des mineurs qui présenteraient davantage de risques, pour mieux adapter et doser l’intervention, mieux identifier les facteurs criminogènes, intervenir de façon plus ciblée », et in fine, réduire la récidive. Une vision que ne partage pas entièrement la psychologue Natacha Berges : « Ce sont aussi des enfants qui ont besoin d’être outillés. Ce qui leur manque, c’est la question du sens. Mais il ne faut pas oublier qu’ils ont besoin de rencontres, d’éducation. Ce sont des enfants qui ont besoin d’être fiers, créateurs, qu’on soit ambitieux pour eux », a-t-elle complété. Ce « regard positif et plein de respect », c’est aussi celui que veut poser Josiane Bigot, forte de ses 45 ans d’expérience, sur ces jeunes, qui « trouvent dans les actes de délinquance une façon d’exister ». Pour eux, la clé se trouve parfois dans « la rencontre avec un adulte qui les respectera et les ramènera dans leur dignité d’être en construction ».

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