Financement du logement des concubins : la prévalence du lien de couple sur la qualité de tiers

Publié le 07/01/2021

Le concubin ayant participé au financement du logement du couple appartenant à sa concubine au titre de sa contribution aux dépenses de la vie courante, et non en qualité de tiers possesseur des travaux, ne peut obtenir le remboursement des sommes exposées.

Cass. 1re civ., 2 sept. 2020, no 19-10477

Le concubin n’est pas un tiers comme un autre ! En témoigne l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 2 septembre 2020 à propos du financement du logement d’un couple de concubins.

Après séparation, l’ex-concubin réclamait le remboursement des sommes qu’il avait supportées pour le financement de la construction de la maison d’habitation du couple sur un terrain appartement à sa concubine.

Débouté de sa demande par la cour d’appel de Toulouse le 16 octobre 2018 au motif qu’il n’a fait qu’exécuter sa contribution normale aux charges de la vie commune, l’ex-concubin forme un pourvoi en cassation faisant valoir sa qualité de tiers possesseur des travaux au sens de l’article 555 du Code civil pour obtenir une indemnisation.

La question se posait donc de savoir quel était le fondement de sa participation au financement du logement du couple, qualification déterminante pour l’existence d’une créance éventuelle contre l’ex-concubine propriétaire du bien.

S’appuyant sur la volonté commune des parties constatée par les juges du fond, la Cour de cassation rejette le pourvoi et écarte la qualité de tiers possesseur du concubin au profit de sa contribution aux dépenses de la vie courante, excluant ainsi tout remboursement à son profit.

La participation au financement du logement du couple appartenant à l’un d’eux fait l’objet d’un contentieux récurrent au moment de la séparation et les concubins n’échappent pas à la question de la cause des dépenses engagées pendant la vie de couple. La difficulté tient à la diversité des réponses possibles selon les circonstances : paiement, libéralité, devoir de conscience… C’est entre la contribution aux charges de la vie courante et la qualité de tiers possesseur de travaux que l’hésitation était en l’espèce permise.

Elle révèle une application limitée du droit des biens au financement par le concubin du logement du couple appartenant à sa concubine (I), au profit d’une application désormais plus classique du droit des couples aux concubins (II).

I – Application limitée du droit des biens au financement par le concubin du logement du couple appartenant à sa concubine

L’arrêt commenté applique la théorie de l’accession au profit de la concubine (A) mais exclut la qualité de tiers possesseur des travaux au profit du concubin (B).

A – La propriété par accession du logement du couple au profit de la concubine

En l’espèce, il ne faisait pas de doute que le logement des concubins appartenait exclusivement à la concubine. La maison d’habitation avait été construite sur un terrain dont elle était seule propriétaire, entrainant ainsi automatiquement la qualification de bien personnel pour la construction édifiée sur ce fonds par application du droit commun de l’accession1.

Il n’était toutefois pas contesté que ces travaux avaient été financés par des emprunts souscrits et remboursés par les deux concubins, écartant ainsi la présomption légale selon laquelle les constructions sont présumées faites par le propriétaire du terrain à ses frais2. Cependant, la présomption d’appartenance des constructions au propriétaire du terrain jouait pleinement ; le financement des travaux par les deux concubins était de ce point de vue indifférent et ne remettait pas en cause la propriété personnelle de la concubine sur cet ensemble immobilier. C’est ce qui explique qu’à la séparation du couple, le concubin n’avait aucun droit sur le bien lui-même. La solution constitue de ce point de vue une application classique du droit commun des biens.

Néanmoins, le concubin entendait se prévaloir de sa participation à la construction sur le terrain d’autrui pour bénéficier de l’article 555 du Code civil. Cette disposition permet notamment au tiers qui a fait des constructions sur un fonds appartenant à autrui de réclamer à son propriétaire le remboursement des sommes engagées ou une somme égale à la plus-value réalisée.

L’argument est toutefois écarté par la cour d’appel de Toulouse et la Cour de cassation en raison du lien de couple unissant les parties au moment des faits.

B – L’exclusion de la qualité de tiers possesseur des travaux du concubin non propriétaire

L’argumentation du concubin se prévalant de la qualité de tiers possesseur des travaux pour obtenir un remboursement s’appuyait sur la qualification traditionnelle de tiers des concubins dans leurs rapports patrimoniaux. Néanmoins, ni la cour d’appel de Toulouse, ni la Cour de cassation ne retiennent en l’espèce la qualité de tiers du concubin.

Cette solution pourrait laisser entendre que le concubin n’est pas un tiers au sens de l’article 555 du Code civil en raison du lien de concubinage qui existe entre le propriétaire du fonds et le financeur des travaux ; mais une telle interprétation irait à l’encontre de la conception légale du concubinage et de la position jurisprudentielle antérieure affirmant que les concubins demeurent des tiers dans leurs rapports patrimoniaux3.

La Cour de cassation a déjà admis à plusieurs reprises que l’article 555 du Code civil a vocation à régir les rapports entre concubins s’il n’existe pas entre eux une convention réglant le sort de la construction4, tout en précisant que la seule situation de concubinage n’induit pas l’existence d’une convention entre les concubins5. La Cour de cassation admet même qu’il n’est pas nécessaire que la participation d’un concubin soit exclusive6.

L’existence d’un concubinage n’exclut donc pas la possibilité de retenir la qualité de tiers possesseur des travaux du concubin finançant une construction sur le terrain de l’autre. Néanmoins, la solution retenue dans l’arrêt commenté montre que le concubin n’est pas un tiers comme un autre et que l’existence du concubinage peut exclure l’application du droit commun des biens au profit du droit des couples.

Loyer, immobilier

II – Application classique du droit des couples au financement par le concubin du logement appartenant à la concubine

Qualifier le financement du logement du couple appartenant à l’un d’eux par l’autre de contribution aux charges de la vie courante est classique en droit des couples (A) et permet d’exclure toute indemnisation au moment de la séparation (B).

A – Le financement du logement du couple, contribution du concubin aux dépenses de la vie courante

La question de savoir si le financement, par un seul membre du couple, du logement de la famille peut constituer sa contribution aux charges de la vie commune n’est pas nouvelle en droit des couples, mais elle se pose avec d’autant plus d’acuité à la rupture du concubinage que la loi ne prévoit pas d’obligation réciproque des concubins de contribution aux charges de la vie courante et ne pose par conséquent pas de règle supplétive fixant une contribution proportionnelle à leurs facultés respectives, comme elle le fait pour les époux7 ou les partenaires d’un pacte civil de solidarité8.

La jurisprudence reconnaît toutefois l’existence de ces charges générées par la vie commune stable et continue des concubins qu’implique cette union de fait9. Néanmoins, la Cour de cassation refuse d’étendre les règles posées pour les couples mariés et pacsés aux couples de concubins et affirme régulièrement que, sauf convention contraire, chacun d’eux doit supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées10.

En l’espèce, la cour d’appel de Toulouse refuse la demande en remboursement du concubin sur le fondement de l’article 555 du Code civil en retenant que les versements effectués constituaient sa participation normale aux charges de la vie commune. Ce motif est repris par la Cour de cassation, qui rappelle dans un premier temps la règle générale désormais classique selon laquelle « aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit, en l’absence de convention contraire, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a engagées ». Elle relève ensuite le constat par les juges du fond de la volonté commune des concubins. Cette exigence est constante dans la jurisprudence de la Cour de cassation, qui casse régulièrement les arrêts de cour d’appel n’ayant pas constaté l’existence d’un accord entre les parties sur la répartition des charges de la vie commune11.

Plusieurs éléments sont mis en avant pour démontrer la volonté des concubins de contribuer ainsi aux dépenses de la vie courante : la qualité de logement de la famille de la construction, la contribution réciproque des concubins au financement des travaux et au remboursement des emprunts et l’économie de dépense réalisée par le concubin pour se loger ou loger la famille. Le cumul des éléments repris par la Cour de cassation montre bien que la seule situation de concubinage ne suffit pas à admettre l’existence d’une convention entre les concubins. Il semble en l’espèce que le fait que la construction en question constitue le logement du couple soit déterminante12.

La cause du financement par un concubin de travaux sur un bien appartenant à l’autre est décisive puisqu’elle permet ici d’écarter toute indemnisation.

B – L’absence d’indemnisation du financement par le concubin du logement appartenant à la concubine

Ayant retenu que les dépenses engagées par le concubin correspondaient à sa contribution aux charges de la vie courante, les juges du fond et la Cour de cassation en déduisent logiquement qu’elles devaient rester à sa charge, rejetant respectivement sa demande de remboursement sur le fondement de l’article 555 du Code civil et son pourvoi en cassation. La solution est logique dès lors que l’on considère que le concubin n’a fait qu’exécuter sa contribution selon la volonté commune des parties ; il n’est donc pas créancier de son ex-concubine pour le financement de la construction sur le terrain appartenant à cette dernière.

La solution présente l’avantage de protéger la propriété de l’ex-concubine, qui aurait pu être contrainte de vendre son bien pour rembourser son ex-concubin. Elle évite aussi des mouvements de fonds entre ex-concubins, l’un se prévalant d’une créance en qualité de possesseur des travaux, l’autre réclamant une indemnité d’occupation du logement lui appartenant.

Néanmoins, cette solution ne peut pas être généralisée à tout financement de constructions par un concubin sur un fonds appartenant à l’autre. La réponse de la Cour de cassation incite à l’exclure si la preuve n’est pas rapportée de la volonté commune des concubins de contribuer ainsi aux charges de la vie courante.

En outre, l’arrêt commenté n’envisage pas l’hypothèse où les dépenses supportées par le concubin excèderaient sa part contributive définie par la volonté du couple. Il semble qu’il puisse alors se prévaloir d’une créance pour l’excédent, mais son fondement reste incertain. La question peut en effet se poser de savoir s’il pourrait alors revendiquer sa qualité de tiers possesseur des travaux sur le fondement de l’article 555 du Code civil ou se prévaloir de l’enrichissement injustifié du propriétaire de l’ensemble immobilier13.

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 2 septembre 2020 met néanmoins un frein à l’application de l’article 555 du Code civil au concubin qui a participé au financement du bien de l’autre et montre qu’il n’est pas toujours possible de traiter les concubins comme de simples tiers en faisant abstraction du lien de couple.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. civ., art. 552.
  • 2.
    C. civ., art. 553.
  • 3.
    V. not. Cass. 1re civ., 15 juin 2017, n° 16-14039.
  • 4.
    V. not. Cass. 3e civ., 29 avr. 2009, n° 08-11431 ; Cass. 1re civ., 15 juin 2017, n° 16-14039. ; Cass. 3e civ., 29 mai 2019, n° 18-16834 ; Cass. 3e civ., 2 oct. 2020, n° 01-00002.
  • 5.
    Cass. 3e civ., 2 oct. 2002, n° 01-00002 ; Cass. 3e civ., 16 mars 2017, n° 15-12384.
  • 6.
    V. not. Cass. 3e civ., 16 mars 2017, n° 15-12384 ; Cass. 3e civ., 5 oct. 2017, n° 16-20946.
  • 7.
    C. civ., art. 214.
  • 8.
    C. civ., art. 515-4.
  • 9.
    C. civ., art. 515-8.
  • 10.
    V. not. Cass. 1re civ., 7 févr. 2018, n° 17-13979 ; Cass. 1re civ., 19 déc. 2018, n° 18-12311 ; Cass. 1re civ., 8 juill. 2020, n° 19-12250.
  • 11.
    V. not. Cass. 1re civ., 19 déc. 2018, n° 18-12311 ; Cass. 1re civ., 8 juill. 2020, n° 19-12250.
  • 12.
    En ce sens, v. Lonné-Clément A.-L., « Participation d’un concubin au financement de travaux sur un immeuble appartenant à sa concubine : quand l’intérêt personnel exclut le remboursement des dépenses… », La lettre juridique 2020, n° 835 ; Jaoul M., « Le concubinage chasse le statut de tiers possesseur de travaux », Dalloz actualité, 22 sept. 2020.
  • 13.
    V. not. en ce sens : Cass. 1re civ., 11 mars 2014, n° 12-28224.
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