La prise en charge financière des amendements Creton par l’aide sociale départementale : une démarche facilitée par le juge administratif

Publié le 23/01/2018

Dans cet arrêt, le Conseil d’État pose en principe l’automaticité de la continuité de la prise en charge financière des jeunes adultes handicapés atteignant l’âge de 20 ans : le dépôt d’un dossier d’aide sociale dans les délais légaux ne conditionne plus le début de la prise en charge financière par les départements.

CE, 29 juin 2016, no 385639

L’amendement Creton – dont le nom est emprunté à son défenseur, le comédien Michel Creton1 – est dû à la modification opérée en 19892 d’un des articles de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 19753. L’objectif était alors d’éviter une rupture de prise en charge des enfants handicapés accueillis en établissement pour enfants et jeunes majeurs4 qui, devenant adultes, devaient être théoriquement hébergés dans une structure adaptée à leur âge. En effet, l’établissement d’accueil pouvait les exclure une fois passé l’âge de 20 ans (ou au-delà de cet âge si l’âge limite pour lequel l’établissement est agréé est supérieur) sans que pour autant ne soit assuré le relais avec un établissement pour adultes, et ce, faute de places. Ce dysfonctionnement dans la continuité de la prise en charge aboutissait, dans le meilleur des cas, à un retour dans la famille de l’adulte handicapé avec les difficultés de soins que cela peut générer, lorsque la personne en situation de handicap n’était pas envoyée en hôpital psychiatrique5. Afin d’y remédier, la loi de 1975 a donc été modifiée pour permettre à ces jeunes de rester dans leur établissement d’accueil dans l’attente de l’intervention d’une solution adaptée6. Toutefois, force est de constater que ce qui devait être une solution temporaire destinée à la gestion des situations urgentes, s’est installé dans la durée puisque le nombre de places en établissements pour adultes en situation de handicap est encore loin d’être suffisant7. Cette solution « d’attente » a dû être aménagée quant à la prise en charge financière des frais d’hébergement. En effet, l’organisme payeur peut être différent selon qu’il s’agit d’un enfant ou jeune majeur ou d’un adulte en situation de handicap. Le rôle de chacun a été distribué par le législateur8 et a été entériné par la jurisprudence9 depuis déjà longtemps. Dans l’arrêt du 29 juin 2016, le Conseil d’État ne remet pas en cause cette répartition financière. En revanche, l’apport de cet arrêt réside dans la dispense des formalités administratives pour assurer la pérennité de la prise en charge financière même s’il ne s’agit pas du même organisme payeur. En effet, dans l’affaire soumise à la haute juridiction administrative, l’association tutélaire des majeurs protégés de Montbéliard, tuteur d’un jeune adulte, jusque-là hébergé dans un Institut médico-éducatif (IME) et muni d’une orientation délivrée par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées du Doubs vers un foyer d’accueil médicalisé, contestait la date de début de prise en charge des frais d’hébergement, au titre de l’aide sociale, définie par le président du conseil départemental du Doubs. Ce dernier avait fait démarrer la prise en charge financière en fonction des règles légales applicables au dépôt d’une première demande d’aide sociale à l’hébergement. Saisies du recours du mandataire judiciaire, la commission départementale d’aide sociale, juridiction administrative ad hoc compétente en matière d’aide sociale10, puis la commission centrale d’aide sociale, juridiction d’appel11, s’étaient rangées du côté de l’autorité départementale. Le Conseil d’État ne sera pas du même avis puisque les juges ont considéré que la continuité de la prise en charge financière des jeunes adultes handicapés atteignant l’âge de 20 ans prévalait sur l’accomplissement des formalités administratives imposées par la loi dans le respect d’un délai déterminé.

Cet arrêt est l’opportunité de rappeler les règles de prise en charge financière des jeunes Creton (I) et marque le souhait du juge administratif d’éviter toute rupture de parcours quant à cette prise en charge (II).

I – La prise en charge financière des amendements Creton

Le prix de journée (ou tarif journalier) d’un établissement d’hébergement pour mineurs ou jeunes adultes correspond à une prise en charge globale de la personne. Il peut être assorti d’un forfait soins, qui correspond aux frais liés à la médicalisation, et, s’il s’agit d’un établissement hospitalier ou médico-social, d’un forfait hospitalier, sorte de participation aux frais d’hôtellerie qui est fixe. Le reste du prix de journée correspond aux frais d’hébergement proprement dit. Les règles légales prévoient que ce sont les régimes d’assurance maladie qui supportent la charge financière des frais de soins et d’hébergement12, dans la limite des tarifs servant de base au calcul de ces prestations et qu’à défaut de prise en charge par l’assurance maladie, ces frais seront couverts au titre de l’aide sociale13. De plus, contrairement à la règle de principe qui prévoit que le forfait hospitalier reste à la charge de la personne admise dans l’établissement hospitalier ou médico-social, ce forfait incombe également aux organismes de sécurité sociale lorsqu’il s’agit d’enfants ou jeunes adultes handicapés hébergés dans des établissements d’éducation spéciale ou professionnelle14. Enfin, les frais éducatifs relatifs à l’enseignement scolaire ou à la formation professionnelle (accueil des enfants handicapés en milieu scolaire ordinaire ou intervention de professionnels au sein de l’établissement d’accueil) reviennent à l’État15.

Toutefois, faire perdurer ce système de financement lorsque l’adolescent devenu adulte demeure dans son établissement alors qu’il devrait être admis dans un établissement pour adultes aurait été injuste pour les organismes de sécurité sociale puisque, théoriquement, une fois devenu adulte, la personne en situation de handicap aurait dû intégrer un établissement correspondant à son statut et donc, potentiellement, faire intervenir de nouveaux leviers de financement. Il a donc été décidé par le législateur l’application du régime juridique et financier qui aurait eu vocation à jouer si la personne en situation de handicap avait eu accès à l’établissement pour adultes. Cependant, il conviendra d’appliquer le régime financier au coût réel de la prise en charge de l’adulte maintenu en établissement pour enfants et jeunes adultes comme l’a rappelé le Conseil d’État16, sachant que, dans la plupart des situations, le prix de journée de l’établissement pour enfants et jeunes adultes est plus élevé que celui de l’établissement pour adultes.

Pour connaître l’organisme financeur compétent pour s’acquitter du prix de journée, il conviendra de se référer à l’orientation préconisée par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées17. Lorsque l’établissement d’orientation relève de la compétence départementale (exemple : foyer de vie), le tarif journalier sera supporté par le département dans lequel le jeune a son domicile de secours18, au titre de l’aide sociale. Si l’orientation du résident correspond à un foyer d’accueil médicalisé ou un service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés19, le prix de journée sera également pris en charge par la collectivité départementale, toujours au titre de l’aide sociale, sauf pour le forfait soins qui incombe, quant à lui, aux organismes de sécurité sociale. Dans une telle situation, puisque l’aide sociale départementale est actionnée, la personne adulte en situation de handicap devra contribuer à ses frais d’hébergement et d’entretien20. Néanmoins, un minimum de ressources doit lui être garanti21. Par ailleurs, cette contribution l’exonère d’office du forfait hospitalier : il ne peut y avoir de cumul possible puisque l’article L. 242-4, alinéa 4 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que la contribution de la personne ne peut être fixée à un niveau supérieur à celui qui aurait été atteint si elle avait été effectivement placée dans un établissement pour adultes. Pour toutes les autres orientations (exemple : maison d’accueil spécialisé), le prix de journée sera payé par les organismes d’assurance maladie22 sauf le forfait hospitalier qui est supporté par la personne elle-même (à moins de faire partie des exceptions)23.

L’arrêt du Conseil d’État ne remet pas en cause les règles fixées quant à l’organisme payeur dans le cadre des amendements Creton. En revanche, c’est l’enchaînement des deux modes de prise en charge financière qui vient d’être facilité par les juges administratifs.

II – L’automaticité de la continuité de la prise en charge financière des amendements Creton

Le fait d’imposer la prise en charge financière des amendements Creton à l’organisme payeur normalement compétent une fois la personne en situation de handicap devenue adulte ne semblait pas dispenser, jusqu’à maintenant, le résident des démarches administratives prévues par le Code de l’action sociale et des familles pour rendre la prise en charge financière effective. Ainsi, si la prise en charge financière incombait au département, au titre de l’aide sociale, l’adulte handicapé maintenu dans l’établissement pour enfants ou jeunes adultes devait néanmoins constituer une demande d’aide sociale, avant son vingtième anniversaire, auprès du centre communal d’action sociale, comme le prévoit l’article 131-1 du Code de l’action sociale et des familles pour ne pas risquer de rupture financière dans sa prise en charge. En effet, le Code de l’action sociale et des familles prévoit qu’en principe, le droit à l’aide sociale s’ouvre au premier jour de la quinzaine suivant la date de présentation de la demande, sauf en cas d’hébergement où le droit peut commencer à courir dès l’entrée en établissement dès lors que le dossier est déposé dans un délai de 2 mois, éventuellement prolongé de 2 mois, à compter du jour d’entrée en établissement24. Un dépôt tardif entraînait donc le mécanisme suivant : les organismes de sécurité sociale stoppaient la prise en charge financière du jeune à la date d’anniversaire de 20 ans et la collectivité départementale ne débutait celle-ci qu’à compter du premier jour de la quinzaine suivant la date de dépôt du dossier au centre communal d’action sociale. D’ailleurs, la commission centrale d’aide sociale avait déjà pu aller dans ce sens en considérant que les personnes concernées par l’amendement Creton n’étaient pas dispensées du dépôt d’un dossier d’aide sociale au centre communal d’action sociale, une fois l’âge de 20 ans atteint afin d’assurer la continuité de leur prise en charge financière25. Une telle position se justifiait d’autant plus que la personne en situation de handicap, ou son représentant légal, a droit à une information sur les garanties octroyées par l’amendement Creton au moins 6 mois avant la limite d’âge qui la fait basculer dans le dispositif financier réservé aux adultes en situation de handicap26. Cette information, délivrée par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées27, semblait être l’occasion d’expliquer au jeune majeur les démarches administratives dont il lui faudrait s’acquitter. Ce n’est pourtant pas ce qu’a décidé le Conseil d’État dans son arrêt du 29 juin 201628 puisque selon les conseillers du Palais-Royal, l’article L. 242-4 du Code de l’action sociale et des familles prévoit non seulement la continuité de l’accueil du jeune handicapé adulte sur le plan physique mais aussi la continuité de la prise en charge de ses frais d’hébergement et de soins. Aussi, les délais prévus par le Code de l’action sociale et des familles concernant le dépôt de la demande d’aide sociale ne sont pas applicables lorsque la personne est maintenue en tant qu’amendement Creton dans un établissement pour enfants. Il s’en suit que la prise en charge des frais relevant de l’aide sociale prendra effet à compter de la date d’expiration de la prise en charge précédente. Trois arguments avaient été soulevés par le rapporteur public. Le premier consiste à indiquer que jusqu’à l’obtention de la décision délivrée par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, le jeune adulte ne connaît pas la ou les structure(s) dans laquelle il sera orienté. C’est pourquoi, si l’on s’en tient aux délais imposés par la loi, cela reviendrait à exiger du jeune adulte qu’il établisse des dossiers de manière préventive auprès de tous les organismes financeurs qui seront potentiellement appelés à intervenir. Le deuxième est que la lettre et l’esprit de l’article L. 242-4 du Code de l’action sociale et des familles impose une continuité de prise en charge, sans distinguer la continuité physique et celle financière. Le troisième est que face à une situation de demande de renouvellement de prise en charge effectuées après l’expiration du délai imparti, le Conseil d’État avait déjà fait prévaloir la continuité, considérant que l’article R. 131-2 du Code de l’action sociale et des familles s’appliquait aux primo-demandes d’admission et non à une demande de renouvellement29 et que dans une telle situation, la nouvelle prise en charge débutait à compter de la date d’entrée dans le nouvel établissement ou de la date d’expiration de la prise en charge précédente.

S’il est vrai que la réflexion générale émanant du rapporteur public de ne pas faire peser sur l’usager la complexité des rouages administratifs ne peut qu’emporter l’adhésion, il ne paraît pas pour autant approprié de faire peser rétroactivement sur la collectivité départementale la charge financière d’un jeune adulte maintenu en amendement Creton. En effet, absorber un coût correspondant aux frais d’hébergement d’un an voire de plusieurs années pour le département lors du dépôt du dossier de demande d’aide sociale n’est pas chose aisée et met à mal le budget équilibré que se doit de tenir la collectivité territoriale30, d’autant plus qu’il n’est indiqué aucun délai pour effectuer ce dépôt, pas même une référence à un « délai raisonnable ». De plus, lorsque la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées propose plusieurs orientations au jeune devenu majeur, qu’est-ce qui justifie que ce soit le département qui devienne organisme payeur plutôt que l’organisme de sécurité sociale par exemple pour la période où la personne maintenue en amendement Creton n’avait pas encore déposé de dossier ? Dans des situations où il existe plusieurs orientations, c’est bien le dépôt de dossier qui génère la compétence de l’organisme payeur ; la logique serait donc que la prise en charge financière coïncide avec le dépôt du dossier. Dans tous les cas, il convient de rappeler que la personne admise à l’aide sociale doit affecter 90 % de ses ressources à ses frais d’hébergement31. Un savant calcul devra donc être effectué pour savoir ce qui est dû par la personne en situation de handicap depuis son maintien en établissement pour mineurs ou jeunes majeurs passé l’âge de 20 ans et ce qui est dû par la collectivité départementale à l’établissement d’accueil.

Afin d’éviter de telles difficultés, il faut surtout espérer que les personnes maintenues en amendement Creton puissent intégrer au plus vite un établissement adapté à leur statut d’adulte, ce qui serait la solution la plus satisfaisante.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Ce dernier a d’ailleurs contesté, en référé, l’utilisation de son nom de famille pour désigner cette modification mais sans succès (CE, 10 juill. 2002, n° 248252).
  • 2.
    L. n° 89-18, 13 janv. 1989, portant diverses mesures d’ordre social : JO, 14 janv. 1989, p. 542.
  • 3.
    L. n° 75-534, 30 juin 1975, d’orientation en faveur des personnes handicapées : JO, 1er juill. 1975, p. 6596.
  • 4.
    CASF, art. L. 312-1, I, 2°. La plupart du temps, il s’agit d’un institut médico-éducatif mais la liste complète des structures est indiquée dans le CASF, art. D. 312-0-1.
  • 5.
    Sédrati-Dinet C., « Amendement Creton : un goulot d’étranglement », ASH 14 déc. 2012, n° 2787, p. 28.
  • 6.
    CASF, art. L. 242-4.
  • 7.
    Pachnik P., L’application de l’amendement Creton dans un IME : incidences et perspectives, mémoire, 2002, École nationale de la santé publique, p. 24 et s.
  • 8.
    CASF, art. L. 242-10.
  • 9.
    V. CE, 11 juin 1993, n° 143377, Dpt de la Saône-et-Loire : Lebon, p. 169 (sur le fait que l’État ne soit pas compétent concernant la prise en charge) ; CE, 30 juill. 1997, nos 174744 et 178497, Dpt Vosges et Dpt Val-de-Marne : Lebon T., p. 681 (prise en charge financière sur la base des frais effectivement supportés par l’établissement d’accueil par la personne morale normalement compétente pour la prise en charge des frais de placement de l’handicapé adulte).
  • 10.
    CASF, art. L. 134-1.
  • 11.
    CASF, art. L. 134-2.
  • 12.
    CASF, art. L. 242-10, al. 1er.
  • 13.
    Cette situation s’est raréfiée depuis la création de la couverture maladie universelle (L. n° 99-641, 27 juill. 1999, portant création d’une couverture maladie universelle : JO, 28 juill. 1999, p. 11229). Si elle se présentait, ce serait au département qu’incomberaient les frais d’hébergement et de soins.
  • 14.
    CSS, art. L. 174-4.
  • 15.
    CASF, art. L. 242-1.
  • 16.
    CE, 30 juill. 1997, nos 174744 et 178497, Dpt Vosges et Dpt Val-de-Marne : Lebon T., p. 681.
  • 17.
    CASF, art. L. 146-9 ; CASF, art. L. 241-6, 1°.
  • 18.
    CASF, art. L. 242-4, al. 8.
  • 19.
    CASF, art. L. 314-1, V.
  • 20.
    CASF, art. L. 132-3 ; CASF, art. R. 344-29.
  • 21.
    CASF, art. L. 344-5 ; CASF, art. D. 344-34 et s.
  • 22.
    CASF, art. L. 242-4, al. 10.
  • 23.
    CSS, art. L. 174-4. Attention, un minimum de ressources est également garanti (CASF, art. D. 344-41).
  • 24.
    CASF, art. L. 131-4 ; CASF, art. R. 131-2.
  • 25.
    Comm. centr. aide soc., 22 nov. 2012, dossier n° 120153 ; Comm. centr. aide soc., 26 juin 2014, dossier n° 130465.
  • 26.
    CASF, art. L. 242-4, al. 6.
  • 27.
    CASF, art. L. 146-9.
  • 28.
    CE, 29 juin 2016, n° 385639, Association tutélaire des majeurs protégés de Montbéliard : RDSS 2016, p. 767-772, concl. Lessi J.
  • 29.
    CE, 23 mars 2009, n° 303888, UDAF de la Dordogne : Lebon T. ; AJDA 2009, p. 626, obs. Pastor J.-M. ; RDSS 2009, p. 532-536, concl. Courrèges A.
  • 30.
    CGCT, art. L. 1612-4.
  • 31.
    CASF, art. L. 132-3 ; CASF, art. R. 344-29. Un minimum est néanmoins garanti à la personne en situation de handicap (CASF, art. L. 344-5 ; CASF, art. D. 344-34 et s.).
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