La production d’un certificat médical n’est pas une condition de recevabilité d’une demande de mainlevée de mesure de protection judiciaire

Publié le 19/01/2017

Dans une décision en date du 9 novembre 2016, la Cour de cassation considère qu’une cour d’appel ne peut pas se fonder sur l’absence de production d’un certificat médical pour déclarer irrecevable la requête en mainlevée d’une mesure de protection judiciaire. La production d’un tel certificat n’est pas une condition de recevabilité de la demande.

Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, no 14-17735, FP–BI

Dans une décision en date du 9 novembre 2016, la Cour de cassation considère qu’une cour d’appel ne peut pas se fonder sur l’absence de production d’un certificat médical pour déclarer irrecevable la requête en mainlevée d’une mesure de protection judiciaire. La production d’un tel certificat n’est pas une condition de recevabilité de la demande.

En l’espèce, une femme née le 7 septembre 1971 a été placée sous tutelle par un jugement du 24 février 1992. Sa mère demande la mainlevée de la mesure. La cour d’appel, pour déclarer irrecevable la requête en mainlevée présentée, énonce que cette dernière « ne produit aucun certificat médical à l’appui de sa demande ».

Un pourvoi en cassation est formé. La Cour de cassation relève un moyen d’office, après avoir avisé les parties dans les conditions de l’article 1015 du Code de procédure civile, selon lequel le « président de la formation ou le conseiller rapporteur doit aviser les parties des moyens susceptibles d’être relevés d’office et les inviter à présenter leurs observations dans le délai qu’il fixe ».

Le moyen est tiré des articles 442, alinéas 3 et 4, du Code civil, ensemble l’article 431 du même Code. Selon l’article 442, « le juge peut, à tout moment, mettre fin à la mesure, la modifier ou lui substituer une autre mesure prévue au présent titre, après avoir recueilli l’avis de la personne chargée de la mesure de protection. Il statue d’office ou à la requête d’une des personnes mentionnées à l’article 430, au vu d’un certificat médical et dans les conditions prévues à l’article 432. Il ne peut toutefois renforcer le régime de protection de l’intéressé que s’il est saisi d’une requête en ce sens satisfaisant aux articles 430 et 431 ».

L’article 431 du Code civil dispose que la demande d’ouverture d’une mesure judiciaire « est accompagnée, à peine d’irrecevabilité, d’un certificat circonstancié rédigé par un médecin choisi sur une liste établie par le procureur de la République. Ce médecin peut solliciter l’avis du médecin traitant de la personne qu’il y a lieu de protéger ».

La Cour de cassation devait ainsi se prononcer sur la nécessité de produire un certificat médical à l’appui d’une demande de mainlevée de mesure de protection judiciaire. Est-ce une condition de recevabilité de la demande ?

La Cour répond par la négative : « la production d’un certificat médical n’est pas une condition de recevabilité de la demande de mainlevée de la mesure ». Elle conclut que la cour d’appel a violé les textes visés.

Sur la question de l’obligation de produire un certificat médical pour juger de la recevabilité d’une action relative aux mesures de protection, la Cour opère une distinction entre la demande d’ouverture d’une mesure de protection (I) et la demande de mainlevée de celle-ci (II).

I – Certificat médical, recevabilité et demande d’ouverture d’une mesure de protection

Le certificat médical joue un rôle prépondérant lorsqu’une demande d’ouverture d’une mesure de protection (A) est faite au juge. Le Code civil et les juges en font une condition de recevabilité (B).

A – La demande d’ouverture d’une mesure de protection juridique

Le but d’une mesure de protection juridique est de garantir, comme son nom l’indique, une protection efficace de toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison soit d’une « altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté »1.

La Cour de cassation a précisé qu’une mesure de protection ne peut être prononcée en cas d’altération des facultés corporelles, que si cette altération empêche l’intéressé d’exprimer sa volonté2. Il faut donc que le trouble soit grave. Il ne suffit pas que cela soit simplement une gêne d’expression3.

De la même façon, les altérations mentales doivent être assez importantes pour justifier une telle mesure.

De plus, selon l’article 428, une mesure de protection ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de « nécessité » et lorsqu’il « ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation ». Ces règles sont celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux ou celles des régimes matrimoniaux. De plus, le juge doit privilégier la mesure de protection judiciaire la « moins contraignante », ou respecter « le mandat de protection future conclu par l’intéressé ». Enfin, la mesure est proportionnée et individualisée en fonction du degré d’altération des facultés personnelles de l’intéressé.

L’article 430 du Code civil précise aussi quels sont les titulaires de l’action en demande d’ouverture de la mesure : la personne qu’il y a lieu de protéger ou, selon le cas, le conjoint, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux, ou un parent ou un allié, une personne entretenant avec le majeur des liens étroits et stables, ou la personne qui exerce à son égard une mesure de protection juridique. Enfin, elle peut être également présentée par le procureur de la République soit d’office, soit à la demande d’un tiers.

En l’espèce, toutes les conditions ont été réunies pour que soit ouverte une mesure de protection. C’est chose faite, puisque l’intéressée a été placée sous tutelle par un jugement du 24 février 1992. La tutelle est l’une des mesures de protection les plus importantes. Par ailleurs, c’est la mesure la plus utilisée4. Elle donne peu de latitude à la personne protégée. D’autres mesures sont moins contraignantes : la sauvegarde de justice, la curatelle ou encore l’habilitation familiale5.

Si le juge a placé l’intéressée sous tutelle, c’est qu’à l’évidence il n’avait pas le choix d’autres mesures. L’intéressée devait être représentée d’une manière continue dans les actes de sa vie civile.

Pour que le juge puisse prononcer une telle mesure, il convient que certains éléments de preuves soient apportés. En visant l’article 431 du Code civil, la Cour de cassation entend se référer explicitement aux obligations légales relatives à la demande d’ouverture de protection.

B – L’obligation, à peine d’irrecevabilité, d’accompagner la demande d’un certificat médical

La Cour de cassation vise l’article 431 du Code civil qui dispose, depuis la loi de 2015, que « la demande est accompagnée, à peine d’irrecevabilité, d’un certificat circonstancié rédigé par un médecin choisi sur une liste établie par le procureur de la République. Ce médecin peut solliciter l’avis du médecin traitant de la personne qu’il y a lieu de protéger ».

Les juges suprêmes ont eu l’occasion de préciser le cadre d’application de la loi et ont, à maintes reprises, veillé à ce que les juges du fond respectent la règle posée ici : la production d’un certificat médical est nécessaire et obligatoire. En cas de non-respect de cette obligation, l’action est irrecevable6.

L’article 1219 du Code de procédure civile précise que « le certificat médical circonstancié prévu par l’article 431 du Code civil : 1. Décrit avec précision l’altération des facultés du majeur à protéger ou protégé ; 2. Donne au juge tout élément d’information sur l’évolution prévisible de cette altération ; 3. Précise les conséquences de cette altération sur la nécessité d’une assistance ou d’une représentation du majeur dans les actes de la vie civile, tant patrimoniaux qu’à caractère personnel, ainsi que sur l’exercice de son droit de vote. Le certificat indique si l’audition du majeur est de nature à porter atteinte à sa santé ou si celui-ci est hors d’état d’exprimer sa volonté. Le certificat est remis par le médecin au requérant sous pli cacheté, à l’attention exclusive du procureur de la République ou du juge des tutelles ».

Cette procédure permet au juge de déterminer objectivement et dans de bonnes conditions la mesure à prendre. La Cour de cassation contrôle aussi le respect de ces obligations. Elle a ainsi considéré que le juge ne pouvant placer une personne sous le régime de la tutelle ou de la curatelle, pour altération de ses facultés mentales ou corporelles, que si cette altération a été médicalement constatée, la décision qui ouvre une curatelle alors que le médecin spécialiste désigné par le juge des tutelles avait estimé dans son rapport que l’intéressée ne présentait aucune altération de ses capacités psychiques et corporelles nécessitant une mesure de protection doit être cassée7.

Si l’avis du médecin quant à l’opportunité de l’ouverture d’une telle mesure est nécessaire, la Cour de cassation a néanmoins précisé que le juge n’est pas lié par l’avis du médecin quant à la mesure de protection à prendre8.

Enfin des juges du fond ont parfois écarté les conclusions du médecin, montrant ainsi que le certificat médical n’est qu’un élément permettant aux juges d’évaluer la nécessité d’ouvrir une mesure de protection9. Ainsi, la production d’un certificat médical est obligatoire et les juges ne peuvent pas prendre une décision sans celui-ci. La Cour de cassation l’a rappelé à titre d’exemple dans un arrêt du 29 juin 201110. Mais comme cela a été indiqué, les juges ne sont ni tenus par les mesures évoquées dans le certificat, ni sur le principe même de l’ouverture d’une telle mesure, même s’il faut préciser que dans la très grande majorité des cas, les juges suivront l’avis du médecin spécialiste.

Dans l’arrêt commenté, le visa comportait la référence à cet article 431 du Code civil, mais dans le but vraisemblable d’opérer une distinction avec la question de l’obligation de produire un certificat médical lors de la demande de mainlevée d’une mesure de protection.

II – Certificat médical, recevabilité et demande de mainlevée d’une mesure de protection

La Cour de cassation censure la décision de la cour d’appel de Douai. Alors que cette dernière constatait l’irrégularité de la demande de mainlevée fondée sur l’absence de certificat médical, la plus haute juridiction française tranche dans le sens inverse : la production d’un certificat médical n’est pas une condition de recevabilité (B) de la demande de mainlevée de la mesure (A).

A – La demande de mainlevée de la mesure

La mesure de protection des majeurs est une mesure provisoire. Le juge peut déterminer une durée initiale, d’un maximum de cinq années, puis prévoir la prolongation de la mesure.

Il est aussi des cas de sorties de la mesure. Principalement, la sortie de la mesure de protection intervient pour deux raisons : le décès et la mainlevée, cette dernière dans une proportion moins significative11.

La demande de mainlevée est régie par l’article 442 du Code civil. Ainsi, le juge peut, à tout moment, non seulement mettre fin à la mesure mais aussi la modifier. Il peut aussi lui substituer une autre mesure moins contraignante. Il convient que le juge recueille l’avis de la personne chargée de la mesure de protection.

Le juge statue d’office ou à la requête d’une des personnes mentionnées à l’article 43012 au vu d’un certificat médical, et en principe, l’intéressé doit être entendu. Le juge doit avoir la preuve qu’il existe une évolution notable de la situation depuis l’ouverture de la mesure.

En l’espèce, la mère de l’intéressée a fait la demande de mainlevée. Elle estime que la mesure n’est plus adaptée. Mais les juges du fond ont considéré que l’article 442 rend nécessaire la production d’un certificat médical. Ils concluent ainsi à l’irrecevabilité de la demande.

Lorsque le juge est sollicité pour une demande de mainlevée, il doit justifier sa décision. Il ne peut donc rejeter une demande en constatant que l’intéressé n’est pas en mesure de produire des justifications médicales qui indiquent que la mesure de protection dont il bénéficie n’est plus adaptée, ceci sans constater la persistance d’une altération des facultés mentales de l’intéressé13.

Ainsi, lors de la demande de mainlevée, le juge doit de nouveau évaluer l’ensemble de la situation et qualifier l’état mental ou corporel de l’intéressé justifiant la mesure.

Mais pour mettre fin à la mesure, il faut une décision expresse du juge, qui respecterait ce que le professeur Hauser a appelé le « parallélisme des formes »14.

B – L’absence de caractère obligatoire de la production d’un certificat médical à la demande de mainlevée d’une mesure de protection

La Cour de cassation opère donc une distinction entre la valeur des certificats médicaux en fonction du moment de leur production : obligatoire pour une demande d’ouverture d’une mesure, facultative lors d’une demande de mainlevée.

Bien entendu, un certificat médical est pertinent pour que le juge puisse évaluer la situation, mais la Cour de cassation montre qu’en cas d’absence de certificat au moment de la demande, il n’y a pas pour autant une cause d’irrecevabilité. Cette décision peut sembler contraire au principe du « parallélisme des formes », mais elle s’inscrit dans la logique des régimes de protection : la mesure de protection est l’exception et l’absence de mesure le principe. Ainsi, la levée d’une mesure peut légitimement être prononcée plus facilement que la mise en place de cette mesure elle-même.

C’est ce qu’avait indiqué indirectement la Cour de cassation dans une décision du 15 avril 201515. Dans cette décision, la Cour avait indiqué que doit être cassé, au visa des articles 425, alinéa 1er, et 440, alinéa 1er, du Code civil, pour manque de base légale, l’arrêt qui rejette la demande de mainlevée d’une mesure de curatelle renforcée formée par le majeur protégé, sans constater la persistance de l’altération des facultés mentales de l’intéressé et la nécessité pour lui d’être assisté ou contrôlé d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile. Des commentateurs rappelaient à cette occasion qu’une mesure de protection judiciaire « répond à un impératif de protection, mais elle n’en est pas moins privative de droits, et ne saurait donc être maintenue sans qu’il soit démontré qu’elle est toujours nécessaire et adaptée à la situation de l’intéressé » (ibid.).

La décision commentée ici s’inscrit donc dans la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation qui entend rappeler que le juge doit évaluer une situation d’ensemble et vérifier, au stade de la demande de mainlevée, que les conditions exigées pour la mise en place de la mesure sont toujours actuelles. Son rôle est ainsi prépondérant et il doit tirer ses conclusions d’un ensemble d’éléments probants, sans qu’un certificat médical de sortie de mesure soit à l’origine obligatoire. Le juge pourra néanmoins demander une expertise médicale afin d’évaluer la situation mentale et psychologique de l’intéressée. Des certificats médicaux pourront être produits, sans qu’il soit nécessaire par ailleurs qu’ils émanent d’un médecin inscrit sur la liste prévue à l’article 431 du Code civil16.

Les termes de la loi sont respectés par la Cour de cassation : en aucun cas la production d’un certificat médical n’est expressément considérée comme étant une condition préalable et obligatoire dans les textes. Ceci à l’inverse de ce que prévoit l’article 431 du Code civil17.

Si le travail des juges se trouve alourdi par la décision de la Cour de cassation, il n’en demeure pas moins que celle-ci met en avant les libertés individuelles et permet d’éviter au maximum que soient mises en place ou prolongées des mesures restrictives de libertés qui ne seraient pas strictement nécessaires. C’est peut-être aussi l’occasion de rappeler que le droit d’accès aux juges est un droit fondamental18.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. civ., art. 425.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 9 mars 1994, n° 92-12232 : Bull. civ. I, n° 93 ; v. aussi Cass. 1re civ., 30 sept. 2009, n° 09-10127 : AJ fam. 2009, p. 457 note Pécaut-Rivolier L. ; v. aussi AJ fam., nos 1/2009 et 2/2009, qui consacrent un dossier à la « Réforme des tutelles : les décrets ».
  • 3.
    Cass. 1re civ., 15 juill. 1999, n° 97-17530, où la Cour de cassation annule un jugement pour violation de l’article 490, alinéa 2, du Code civil, car le texte exige « que l’altération des facultés corporelles soit telle qu’elle empêche l’expression de la volonté, alors que le tribunal avait seulement retenu qu’elle était de nature à la gêner » : Defrénois 30 janv. 2000, n° 2, note Massip J.
  • 4.
    Au 31 décembre 2014, 54 % des personnes placées sous un régime de protection sont placées sous tutelle : v. « Majeurs sous protection judiciaire : analyse à fin 2014 », Defrénois 15 sept. 2016, n° 124g7, p. 902.
  • 5.
    C. civ., art. 494-1 ; sur ce point v. « L’ordonnance du 15 octobre 2015 portant simplification en matière de divorce et de protection juridique », Defrénois Flash 26 oct. 2015, n° 130u4, p. 1.
  • 6.
    V., pour une explication du rôle du médecin sur ces questions, Fresnel F., « Le médecin et le droit des majeurs », Gaz. Pal. 15 oct. 2009, n° H5054, p. 3 ; v. aussi du même auteur, « Le certificat médical, une pièce maîtresse de la mesure de protection des majeurs », D. 2010, p. 2656.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 15 juin 1994, n° 92-19680 : Bull. civ. I, n° 213 ; R., p. 274 ; D. 1995, p. 37, note Massip J.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 6 déc. 2005, n° 03-20502 : RTD civ. 2006. 536, obs. Hauser J.
  • 9.
    V. par ex. CA Douai, 24 mars 2010 : AJ fam. 2010, p. 236, obs. Pécaut-Rivolier L.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-21879 : « Être vulnérable et ne pas être protégé, une application de l’adage idem est non esse et non probari », LPA 31 août 2011, p. 14.
  • 11.
    V. les chiffres analysés dans l’article « Majeurs sous protection judiciaire : analyse à fin 2014 », op. cit.
  • 12.
    V. supra.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 5 nov. 2008, n° 07-17907 : Bull. civ. I, n° 249 ; D. 2009, p. 2183, obs. Lemouland J.-J.
  • 14.
    Obs. sous Cass. 1re civ., 16 mars 1999, n° 97-15833 : Bull. civ. I, n° 100 : RTD civ. 2000, p. 87.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 15 avr. 2015, n° 14-16666 : Gaz. Pal. 4 oct. 2015, n° 242h2, p. 46, note Robbe C. et Schlemmer-Bégué C.
  • 16.
    V. « Le médecin et le droit des majeurs », op. cit.
  • 17.
    V. supra.
  • 18.
    V. quelques développements sur cette notion : Marguenaud J.-P., « Les aspects procéduraux de la protection des majeurs vulnérables au regard de la CEDH », LPA 4 nov. 2010, p. 10.
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