La réforme projetée du divorce pour altération définitive du lien conjugal : ultime étape avant la rupture purement discrétionnaire ?

Publié le 10/10/2018

Alors que le divorce par consentement mutuel vient d’être transformé, le gouvernement envisage à présent de modifier les dispositions applicables aux procédures contentieuses. Il entend notamment redéfinir l’altération définitive du lien conjugal et faciliter de la sorte les dissolutions par volonté unilatérale. Il prépare ainsi l’avènement de la rupture purement discrétionnaire.

Au cours des dernières décennies, la liberté de mettre fin au mariage s’est révélée particulièrement conquérante : progressivement renforcée par des lois promulguées le 11 juillet 1975, le 26 mai 2004 et le 18 novembre 2016, elle a même acquis une valeur constitutionnelle par la grâce des sages de la rue de Montpensier1. Elle n’est pas pour autant devenue absolue : elle se heurte encore heureusement à quelques limites, surtout quand les époux ne parviennent pas à s’entendre à la fois sur le principe et les conséquences de leur rupture. Lorsque la dissolution du mariage est contentieuse, cette liberté fait en effet encore l’objet de deux importantes restrictions : le divorce doit alors être prononcé par un juge, au terme d’une procédure qui est souvent fort longue2, et être justifié par l’une des causes limitativement énumérées par le législateur3.

Ces deux limites essentielles ne paraissent pas encore menacées : nul ne propose pour l’heure ouvertement de les supprimer. Elles pourraient toutefois prochainement s’estomper. Le législateur, qui ne se lasse jamais de transformer le droit de la famille, envisage en effet de modifier certaines des dispositions relatives à la dissolution du mariage : moins de deux ans après avoir malmené le divorce par consentement mutuel, il manifeste désormais l’intention de s’en prendre aux ruptures contentieuses.

Le 20 avril dernier, la garde des Sceaux a présenté un projet de loi relatif à la justice, qui est examiné par la commission des lois du Sénat depuis la fin du mois de septembre4 ; ce texte pourrait être assez rapidement adopté puisque le gouvernement a une nouvelle fois cru bon d’engager la procédure accélérée5. Or s’il était voté, les articles du Code civil applicables aux divorces contentieux seraient profondément remaniés.

Cette réforme pourrait d’abord atténuer la première grande limite à la liberté de rompre, celle qui tient à l’obligation de passer devant un juge. En l’absence de consentement mutuel, l’intervention d’un magistrat demeurerait certes indispensable. Elle ne retarderait en revanche plus autant qu’aujourd’hui la disparition du mariage. Si les vœux du gouvernement étaient exaucés, la procédure précédant le divorce serait en effet radicalement transformée : conformément aux recommandations du groupe de travail présidé par Frédérique Agostini et Nicolas Molfessis6, sa première phase, au cours de laquelle le juge s’efforce de concilier les époux, serait purement et simplement supprimée7.

Quant à la seconde des restrictions fondamentales à la liberté de mettre fin au mariage, elle serait elle aussi écornée. Il est vrai qu’en cas de contentieux, les époux désireux de rompre resteraient tenus d’invoquer l’un des trois motifs de divorce actuellement prévus par l’article 229 du Code civil, c’est-à-dire la faute, l’acceptation du principe de la rupture ou l’altération définitive du lien conjugal. Si la réforme aboutit, cette dernière sera toutefois redéfinie et ses contours seront substantiellement élargis. Or cette évolution facilitera beaucoup le divorce par volonté unilatérale.

C’est par la loi du 26 mai 2004 que le législateur a substitué à l’ancien divorce pour rupture de la vie commune la dissolution pour altération définitive du lien conjugal, qui est régie par les articles 237 et 238 du Code civil. Nombreux sont les auteurs qui ont souligné qu’en apportant cette modification, le Parlement avait instauré un véritable droit au divorce8. En invoquant l’altération définitive, l’époux qui entend mettre fin au mariage peut en effet atteindre ce but même si son conjoint s’oppose à la rupture et s’est toujours conduit de façon exemplaire. Il peut en outre parvenir à ses fins sans se conduire de façon répréhensible9 et échappe généralement à toute sanction10.

Sa volonté unilatérale de divorcer, qui constitue alors la cause médiate de la dissolution, n’est toutefois pas intrinsèquement suffisante pour justifier la disparition de l’union matrimoniale. Pour qu’il obtienne gain de cause, il faut en effet que le lien conjugal soit définitivement altéré. Or celui-ci n’est tenu pour tel que si les époux se trouvent dans l’une ou l’autre des deux situations définies à l’article 238 du Code civil11. Il est ainsi nécessaire que la faillite du mariage soit révélée par des circonstances objectives.

Les conditions qui doivent être remplies pour que l’altération définitive puisse être caractérisée seront toutefois assouplies si le projet de loi récemment déposé est adopté. Puisqu’elles sont loin d’être draconiennes, elles n’entraveront plus guère la volonté de rompre si elles sont encore allégées. C’est la raison pour laquelle on peut légitimement se demander si le législateur ne finira pas par instaurer un divorce purement discrétionnaire, dont le prononcé ne dépendra plus que de la volonté unilatérale exprimée par l’époux décidé à rompre ; celui-ci n’aurait plus alors besoin d’invoquer le moindre motif pour s’affranchir du mariage. Il y a ainsi de bonnes raisons de craindre que l’altération définitive du lien, qui sera sans doute bientôt redéfinie (I), devienne un jour tout à fait superflue (II).

I – L’altération définitive du lien conjugal, une cause sans doute bientôt redéfinie

L’altération définitive constitue l’une des trois causes propres à justifier le prononcé d’un divorce contentieux. Son existence ne peut toutefois être admise que dans deux situations, qui sont respectivement évoquées aux alinéas 1 et 2 de l’article 238 du Code civil. Or si le projet de loi déposé par la ministre de la Justice est voté, chacun de ces deux paragraphes sera retouché.

A – La probable modification de l’article 238, alinéa 1er

La première des deux hypothèses d’altération définitive est susceptible d’être caractérisée quand la communauté de vie entre les époux a cessé depuis au moins deux ans. Or même si le projet de loi récemment déposé est adopté, elle continuera à supposer l’existence de cette séparation biennale. Si la réforme aboutit, sera en revanche modifiée la date butoir à laquelle cette condition devra être remplie. Or l’importance de cette évolution ne saurait être sous-estimée.

En l’état actuel de notre droit, la procédure contentieuse précédant la dissolution du mariage se décompose en deux phases successives. Une fois que l’un des membres du couple a déposé une requête initiale, se déroule nécessairement une tentative de conciliation12 ; ce n’est qu’ensuite que peut débuter la seconde étape, c’est-à-dire l’instance en divorce. Celle-ci est généralement introduite au moyen d’une assignation. Or en cas de demande fondée sur l’altération définitive, c’est au jour où cet acte d’huissier est délivré que le juge doit se placer pour apprécier si la dislocation du couple est suffisamment ancienne. L’article 238, alinéa 1er du Code civil prévoit en effet que « [l’altération] définitive du lien conjugal » est caractérisée pour peu que les époux « vivent séparés depuis deux ans lors de l’assignation ». Si celui qui entend se prévaloir de cette cause de divorce peut ainsi déposer sa requête initiale dès qu’il le souhaite, il doit donc attendre que la communauté de vie ait cessé depuis au moins 24 mois pour introduire l’instance et ainsi permettre à la seconde phase de la procédure de commencer. Puisqu’il s’écoule ensuite environ un an avant que le juge ne statue13, la décision de ce dernier est presque toujours rendue alors que la séparation a commencé depuis au moins trois ans.

Or le gouvernement envisage de modifier les modalités de computation du délai biennal : si le projet de loi est adopté, il sera précisé à l’article 238, alinéa 1er que le lien conjugal est définitivement altéré si les époux « vivent séparés depuis deux ans lors de la demande en divorce ou, le cas échéant, lors du prononcé du divorce ». Il ne sera donc plus indispensable que les vingt-quatre mois soient déjà écoulés au moment de la délivrance de l’assignation ; il suffira qu’ils soient achevés lorsque la juridiction statuera sur la demande de dissolution.

Cette modification s’explique sans doute principalement par la transformation à venir de la procédure contentieuse de divorce. Il est en effet souhaitable que la séparation biennale permettant la dissolution pour altération définitive puisse être judiciairement organisée : il serait regrettable que les époux soient condamnés à vivre chacun de leur côté pendant 24 mois sans qu’un magistrat ne puisse trancher les conflits susceptibles de les opposer. En l’état actuel de notre droit, l’époux qui entend invoquer l’altération définitive obtient généralement cette organisation judiciaire de la séparation à la fin de la première phase de la procédure de divorce, c’est-à-dire au terme de la tentative de conciliation. Il peut en effet déposer sa requête initiale dès qu’il le souhaite. Or, après s’être efforcé de rapprocher les points de vue respectifs, le juge saisi rend une ordonnance par laquelle il prescrit des mesures provisoires, « nécessaires pour assurer [l’]existence [des membres du couple] et celle des enfants jusqu’à la date à laquelle le jugement [de divorce] passe en force de chose jugée »14. Ensuite, l’époux qui entend se prévaloir des articles 237 et 238 du Code civil peut attendre sereinement que la séparation ait duré 2 ans pour engager l’instance : il dispose de 30 mois pour faire délivrer son assignation15.

Si la réforme envisagée est réalisée, la phase de conciliation sera toutefois supprimée. Le juge du divorce ne pourra donc définir les mesures provisoires qu’après la délivrance de l’assignation. Il ne lui serait donc plus loisible d’organiser la séparation biennale imposée par l’article 238, alinéa 1er du Code civil s’il demeurait nécessaire que celle-ci soit antérieure à l’introduction de l’instance. C’est la raison pour laquelle le gouvernement entend remettre en cause cette exigence : si son projet est voté, l’époux souhaitant invoquer l’altération définitive pourra faire délivrer son assignation sans attendre que les deux années de séparation requises soient écoulées. Il n’aura donc pas besoin de patienter 24 mois avant de demander au juge du divorce d’organiser provisoirement la séparation du couple16.

Intrinsèquement regrettable, la suppression de la phase de conciliation produirait ainsi un dommage collatéral : elle provoquerait la modification de l’article 238, alinéa 1er. Diverses critiques peuvent en effet être formulées à l’encontre de la réécriture de ce texte. On observera d’abord que la rédaction qui a, pour l’heure, les faveurs du gouvernement est un peu alambiquée. Si le texte qu’il propose convainc les parlementaires, la séparation biennale devra exister « lors de la demande en divorce ou, le cas échéant, lors du prononcé du divorce ». Est-il bien nécessaire de prévoir une telle alternative ? S’il existe deux dates butoir distinctes pour la réalisation de la même condition, il suffira en définitive de respecter la seconde d’entre elles. Dans ces conditions, il serait plus simple et plus clair d’énoncer que la communauté de vie devra avoir cessé depuis au moins deux ans « lors du prononcé du divorce »17.

Mais si la forme n’est pas irréprochable, c’est le fond qui nous semble le plus critiquable. Pour l’heure, celui qui entend imposer la dissolution du mariage à un conjoint qui n’a pas manqué à ses obligations et qui s’oppose à la rupture doit attendre que la séparation ait duré deux ans avant d’introduire l’instance, si bien que le divorce n’est généralement prononcé que plus de trois ans après la dislocation du couple. Or si la réforme est adoptée, le juge pourra mettre fin au mariage 24 mois à peine après la cessation de la vie commune. L’engagement nuptial, déjà considérablement fragilisé par les réformes de 2004 et 2016, deviendra donc un peu plus précaire encore. On pourrait nous rétorquer que lorsque deux époux ne s’entendent plus, il est vain de les laisser mariner. Quand l’un des membres du couple invoque l’altération définitive, l’autre conjoint n’est toutefois pas nécessairement pressé d’en finir : il a souvent besoin de temps pour accepter la rupture qui lui est imposée et tient parfois à profiter le plus longtemps possible de certains avantages découlant du mariage, notamment de la pension qui a pu lui être allouée sur le fondement du devoir de secours. Or ses aspirations ne nous paraissent pas moins dignes de considération que celles de l’époux désireux de rompre.

L’altération définitive du lien conjugal, qui n’a jamais eu beaucoup de consistance, risque ainsi à l’avenir de se caractériser par son évanescence. Si la réforme est votée, deux circonstances témoigneront d’ailleurs de sa relative insignifiance : ce motif de dissolution sera susceptible d’être invoqué avant même d’exister et sera de moins en moins indépendant de l’exigence tenant à l’intervention d’un juge.

Il importe d’abord d’observer que si l’article 238, alinéa 1er du Code civil est modifié, l’époux aspirant au célibat pourra se prévaloir d’une cause de divorce en l’état futur d’achèvement : il lui sera loisible d’invoquer l’altération définitive avant même qu’elle ne puisse être caractérisée. Il ne sera en effet plus nécessaire que les deux années de séparation soient écoulées au jour où il présentera sa demande mais seulement au moment où le juge se prononcera sur celle-ci. Or en offrant aux conjoints la possibilité de fonder leurs prétentions sur une circonstance qui n’est pas encore advenue, le gouvernement révèle qu’il ne fait pas grand cas de la cause de divorce : il invite les époux à saisir le juge sans trop se soucier de ce qui justifie leur demande et en leur susurrant que l’on finira bien par trouver une raison de dissoudre le mariage18.

Il importe par ailleurs d’observer que si le texte du gouvernement est voté, les deux grandes restrictions à la liberté de divorcer se recouperont plus encore qu’aujourd’hui. On sait qu’elles tiennent d’une part au caractère juridictionnel de la rupture et d’autre part à l’obligation d’invoquer l’une des causes de dissolution prévues par la loi. Si la réforme envisagée aboutit, cette seconde exigence n’ajoutera toutefois plus grand-chose à la première. Les deux années de séparation qui pourront être invoquées comme motif de dissolution seront en effet susceptibles de s’écouler partiellement ou même entièrement tandis que l’instance sera pendante. L’époux ayant l’intention de rompre pourra donc faire d’une pierre deux coups : tout en laissant s’écouler les vingt-quatre mois nécessaires à sa libération, il aura la faculté d’accomplir toutes les démarches procédurales indispensables à l’obtention du jugement de dissolution. La disparition de l’union matrimoniale ne sera donc guère plus retardée que si la rupture était purement discrétionnaire et demeurait simplement subordonnée à une intervention judiciaire. Le délai biennal ne deviendra certes pas complètement inutile : il repoussera parfois de quelques mois le prononcé du divorce19. Il se confondra toutefois beaucoup plus qu’autrefois avec le temps indispensable au déroulement de la procédure, si bien qu’il deviendra plus difficile de distinguer les deux grandes limites à la liberté de divorcer.

B – La probable modification de l’article 238, alinéa 2

Si l’altération définitive du lien conjugal suppose en principe que la communauté de vie ait cessé depuis au moins deux ans, il existe toutefois une situation dans laquelle elle n’est même pas subordonnée à cette condition. Il résulte en effet de l’article 238, alinéa 2 du Code civil que dans les cas où l’un des membres du couple a présenté une demande principale pour faute qui n’est pas fondée et que l’altération définitive a été invoquée à titre reconventionnel par le défendeur, la dissolution doit être prononcée sur ce dernier fondement même en l’absence de séparation biennale20. Le législateur estime en effet que dans un tel contexte procédural, on peut déduire la faillite de l’union matrimoniale de la coexistence des deux demandes de rupture et qu’il n’est pas alors nécessaire d’exiger quoi que ce soit de plus. Cette solution s’explique toutefois aussi par des considérations d’opportunité. Applicable lorsque l’un des époux s’est fondé à mauvais escient sur la faute, elle est destinée à inciter le second à ne pas emprunter la même voie et à plutôt se prévaloir des articles 237 et 238 du Code civil. Si ce dernier souhaite lui aussi s’affranchir du lien matrimonial mais qu’il n’est pas certain de pouvoir ou de vouloir établir que son conjoint s’est rendu coupable d’une faute, il a en effet tout intérêt à avancer que le lien conjugal est définitivement altéré : il est alors certain que son vœu sera exaucé si sont rejetées les prétentions que son conjoint a fondées sur l’article 242 du Code civil.

Or si le projet de loi que le Parlement doit examiner est adopté, les cas dans lesquels l’altération définitive pourra être déduite de la conjonction de deux demandes de dissolution se diversifieront. Il découlera en effet de l’article 238, alinéa 2 que malgré l’absence de deux années de séparation, le juge devra retenir cette cause chaque fois que celle-ci aura été invoquée par l’un des époux et que le second conjoint aura présenté une demande infondée en se prévalant à tort d’un autre motif de divorce21. Cette disposition pourra ainsi être mise en œuvre non seulement dans l’hypothèse pour laquelle elle a été initialement conçue mais aussi dans la situation exactement inverse : elle sera dorénavant susceptible d’être appliquée dans les cas où la demande principale reposera sur l’altération définitive et où c’est le défendeur qui présentera des prétentions injustifiées fondées sur la faute22. Elle pourra aussi permettre la dissolution lorsque l’un des membres du couple se prévaudra de l’acceptation du principe de la rupture et que le second invoquera les articles 237 et 238 du Code civil 23.

Cette évolution paraît a priori bienvenue : l’échec du mariage semble effectivement patent dans les cas où chacun des époux a sollicité le divorce24. Elle pourrait néanmoins produire un effet pervers et appauvrirait encore la consistance de l’altération définitive.

Commençons par l’effet pervers : alors que l’article 238, alinéa 2 du Code civil a été imaginé pour détourner le défendeur du divorce pour faute25, il pourrait à l’avenir parfois l’inciter à y recourir. Imaginons en effet que le demandeur ait invoqué l’altération définitive avant que les deux années de séparation soient écoulées, que l’autre membre du couple ait lui aussi envie d’obtenir la dissolution et qu’il hésite à articuler des griefs : avec le nouvel article 238, alinéa 2, ce second époux aurait indubitablement avantage à se prévaloir de l’article 242 du Code civil à titre reconventionnel. Il pourrait alors en effet obtenir une rupture aux torts de son conjoint et sa demande serait utile même si elle était rejetée : elle permettrait au juge de prononcer le divorce pour altération définitive même si la vie commune a cessé depuis moins de deux ans.

La modification de l’article 238, alinéa 2 du Code civil manifesterait par ailleurs elle aussi la décadence de la nécessité pour les époux désireux de rompre d’invoquer une cause de divorce. Pour s’en convaincre, il suffit de reprendre une hypothèse semblable à celle que nous venons d’évoquer : le demandeur a assigné pour altération définitive avant la cessation de la vie commune, ou juste après le début de la séparation, et le défendeur s’est prévalu de l’article 242 à titre reconventionnel sans parvenir à établir la réalité des griefs dont il se prévalait. Dans un tel contexte procédural, le juge se prononcerait probablement un an environ après l’introduction de l’instance. Or en l’absence de l’article 238, alinéa 2 du Code civil, il serait condamné à débouter les deux conjoints de leurs prétentions respectives : les 24 mois de séparation ne sont pas écoulés et les torts invoqués ne sont pas prouvés. En pareille hypothèse, le magistrat pourra toutefois prononcer le divorce pour altération définitive une fois que la disposition analysée aura été retouchée. Celle-ci produira ainsi un effet assez miraculeux : elle transformera deux demandes de rupture intrinsèquement injustifiées en un motif de dissolution26. Il suffira donc à l’avenir de deux fois rien pour faire une cause de divorce ! Dans ces conditions, il deviendra assez difficile de prétendre que le législateur attache encore une quelconque importance aux raisons qui fondent l’anéantissement du mariage. La voie vers la rupture purement discrétionnaire sera ainsi grande ouverte.

II – L’altération définitive du lien conjugal, une cause peut-être un jour superflue

Si le législateur envisage d’appauvrir encore la consistance de l’altération définitive du lien conjugal, il ne paraît pas disposé à dispenser l’époux souhaitant divorcer de l’invocation d’une cause légale de dissolution : l’heure n’est pas encore à la rupture purement discrétionnaire. Si le texte du gouvernement est voté, celle-ci finira malheureusement probablement par s’imposer. Il y a en effet fort à parier que les solutions mises en place apparaîtront assez vite inappropriées et que la nécessité d’invoquer un motif de divorce sera alors purement et simplement supprimée.

A – La rupture purement discrétionnaire, une solution pour l’heure repoussée

Il suffit de lire l’exposé des motifs et l’étude d’impact qui accompagnent le projet de loi pour se persuader qu’aux yeux du gouvernement, toute volonté d’entraver la dissolution souhaitée par l’un des époux est devenue désuète. Sont ainsi présentées comme des exigences tout à fait surannées la conciliation sur le principe du divorce27 et la nécessité pour l’époux désireux de rompre d’obtenir une autorisation judiciaire avant d’assigner son conjoint28. Dans ces conditions, il aurait pu paraître assez logique d’épargner également à celui qui aspire au célibat l’invocation d’une quelconque cause de dissolution. Le gouvernement semble d’ailleurs y avoir songé puisqu’il est précisé dans l’étude d’impact qu’« [il] pourrait (…) être imaginé la disparition totale de la notion de motifs du divorce comme c’est déjà le cas dans plusieurs pays européens »29.

Pour l’heure, il a toutefois renoncé à instaurer une rupture purement discrétionnaire. Il souligne en effet que « [cette] perspective de modification majeure de notre législation suppose (…) d’avoir une appréciation de l’état de l’opinion sur cette éventuelle suppression des différents fondements du divorce » et qu’« aucune enquête récente ne porte sur cette question » ; il ajoute qu’« avant de s’engager le cas échéant dans cette voie, une évaluation du niveau de maturité de cette réforme dans l’opinion publique s’avère nécessaire »30.

À vrai dire, ces explications sont un brin troublantes. Le gouvernement reconnaît en effet expressément qu’il ne sait pas exactement quelle est la réforme du divorce dont notre société a besoin ; il aurait peut-être pu en déduire que quelques recherches s’imposaient avant le dépôt d’un quelconque projet de loi. Telle n’est malheureusement pas du tout sa conclusion. Bien que la destination soit incertaine, il invite en effet le Parlement à faire dès à présent quelques pas ; il lui suggère simplement de ne pas s’aventurer trop loin. Il laisse ainsi entendre qu’il sera toujours temps de se demander ensuite ce qui est vraiment nécessaire ; un autre texte pourra être voté dans quelques années si les études jusqu’à présent négligées révèlent qu’il est à nouveau nécessaire de légiférer. Tout le monde feint de s’offusquer de l’instabilité législative. Il sera toutefois difficile de combattre ce fléau tant que le gouvernement présentera des projets qu’il n’a pas assez mûris, en remettant à demain la réflexion qu’il n’est pas disposé à mener aujourd’hui !

Ceux qui sont attachés à la vigueur du lien matrimonial, ou du moins à ce qu’il en reste, pourraient certes être tentés de se réjouir et se dire qu’ils ont finalement échappé au pire : si les aspirations de la société avaient été plus sérieusement sondées, la nécessité d’invoquer un motif de divorce aurait pu être immédiatement menacée. Il n’est toutefois pas interdit de penser que si le gouvernement s’était davantage interrogé, il aurait peut-être tout bonnement renoncé à réformer les dispositions régissant les dissolutions contentieuses. Il convient surtout de souligner que loin de condamner définitivement l’avènement du divorce purement discrétionnaire, la réforme envisagée pourrait en réalité précipiter la consécration de ce dernier.

B – La rupture purement discrétionnaire, une solution déjà presque annoncée ?

Parmi ceux qui redoutent que l’engagement nuptial soit encore appauvri et qu’il devienne librement révocable, les plus optimistes parviendront peut-être à se persuader que la réforme envisagée constitue un mal pour un bien : ils tenteront probablement de se convaincre que si les nouvelles dispositions fragilisent encore l’union matrimoniale, elles auront pour mérite d’éloigner durablement le triomphe de la rupture discrétionnaire. Il y a cependant tout lieu de craindre qu’ils soient rapidement déçus. Deux raisons nous incitent en effet à penser que le texte proposé par le gouvernement est susceptible de hâter l’apparition d’un divorce reposant exclusivement sur la volonté unilatérale de l’un des époux.

Nous n’aurons pas besoin de longuement insister sur la première d’entre elles, que nous avons déjà évoquée : la réforme tend à vider de toute substance l’altération définitive du lien conjugal31. Si la nécessité d’invoquer une cause légale de dissolution n’est pas formellement remise en cause, le texte du gouvernement accentue donc la relative vacuité de cette condition. Plusieurs des nouvelles dispositions, notamment la prochaine mouture de l’article 238 du Code civil, sont empreintes de l’idée fondamentale que chaque époux doit être libre de mettre fin à l’union matrimoniale dès lors qu’il s’est lassé de son conjoint. Or si ce sentiment se renforce, il deviendra difficile de maintenir l’exigence d’un motif légal de divorce : parce que celle-ci semblera en contradiction avec l’esprit de la nouvelle législation, elle apparaîtra tôt ou tard comme une survivance injustifiable d’une époque désormais révolue.

Il existe en outre une seconde raison de redouter que le texte du gouvernement ne favorise l’avènement du divorce discrétionnaire : d’un point de vue purement technique, le nouvel article 238 du Code civil est mal conçu. S’il entre un jour en vigueur, il est donc assez probable que de nombreuses voix s’élèveront rapidement pour exiger qu’il soit remanié et que soit supprimée la condition tenant à l’existence d’une séparation biennale.

Dès l’origine, le divorce pour altération définitive nous avait semblé intrinsèquement critiquable : nous avions regretté qu’il favorise de façon excessive les aspirations de l’époux désireux de rompre32. Il convient toutefois de reconnaître que les dispositions qui lui étaient consacrées avaient été habilement rédigées, si bien que le dispositif mis en place était parfaitement cohérent ; c’est d’ailleurs probablement ce qui explique le succès qu’a rencontré cette cause de dissolution33. En l’état actuel de notre droit, l’époux ayant l’intention de se prévaloir des articles 237 et 238 du Code civil peut en effet déposer sa requête en divorce dès qu’il le souhaite et ainsi obtenir que la séparation des deux membres du couple soit organisée par le juge conciliateur ; il lui est ensuite loisible d’attendre tranquillement que la vie commune ait cessé depuis au moins deux ans pour faire délivrer son assignation34. Or une fois que l’instance a été introduite, elle peut se dérouler tout à fait normalement puisque la cause de divorce est d’ores et déjà acquise.

Si la réforme proposée par le gouvernement séduit le Parlement, la condition posée par l’article 238 du Code civil sera incontestablement assouplie35. Pourtant, et de façon paradoxale, l’époux souhaitant invoquer l’altération définitive et son avocat se trouveront souvent dans une situation plus inconfortable et éprouveront probablement un certain embarras à l’heure d’élaborer leur stratégie procédurale. S’ils veulent que la situation du couple soit judiciairement organisée, ils seront en effet tentés d’introduire l’instance avant même que la vie commune ait cessé ou peu de temps après la dislocation du couple : à l’avenir, ce n’est qu’après la délivrance de l’assignation que des mesures provisoires seront susceptibles d’être prescrites par le juge du divorce36. Mais les deux années de séparation n’étant pas encore écoulées, ils devront ensuite tout mettre en œuvre pour ralentir le cours de l’instance et ainsi éviter que le juge ne se prononce avant la fin des 24 mois37. Il convient d’ajouter que si le magistrat statue trop tôt, qu’il constate que la condition prévue par le premier alinéa de l’article 238 du Code civil n’est pas encore remplie et qu’il déboute par conséquent le demandeur de ses prétentions, celui-ci aura encore un moyen d’obtenir satisfaction : il lui suffira d’interjeter appel puisqu’au moment où la cour rendra son arrêt, la disparition de la vie commune sera suffisamment ancienne pour que l’altération définitive du lien conjugal soit caractérisée38.

Compte tenu des nouvelles règles, l’époux sollicitant un divorce sur ce fondement aura donc assez fréquemment besoin d’user de moyens dilatoires et parfois même d’exercer une voie de recours. Cet effet pervers de la réforme risque d’être d’autant plus vivement dénoncé que le texte du gouvernement est principalement destiné à raccourcir la procédure contentieuse précédant la rupture39. Or il est à craindre que le législateur considère alors que le meilleur remède est de supprimer l’exigence d’une séparation biennale et d’instaurer une rupture purement discrétionnaire. Sans même prendre la peine de réaliser les études et autres enquêtes destinées à connaître l’état de l’opinion, il affirmera alors probablement sans ambages que la société a évolué, que l’énumération légale de motifs de divorce est obsolète et qu’il est grand temps de dispenser l’époux qui demande la dissolution de l’invocation d’un quelconque motif. L’histoire n’est toutefois pas encore tout à fait écrite : il ne tient qu’aux parlementaires de déjouer ces sombres présages et d’épargner ainsi au mariage de nouveaux outrages.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const. 29 juill. 2016, n° 2016-557 QPC : AJ Fam. 2016, p. 542, obs. David S. ; Dr Famille 2016, comm 194, note Binet J.-R. ; N3C 2017, n° 54, p. 129, obs. Piazzon T. ; RTD civ. 2016, p. 826, obs. Hauser J. ; v. aussi Gouëzel A. , « Réflexions sur la "liberté de mettre fin aux liens du mariage" », Dr Famille 2017, étude 19.
  • 2.
    Les procédures contentieuses de divorce durent en moyenne 27,6 mois devant la juridiction de première instance : v. ministère de la Justice, Références statistiques justice 2016, p. 11.
  • 3.
    Garrigue J., Droit de la famille, 2e éd., 2018, Dalloz, Hypercours, nos 319 et s.
  • 4.
    Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, NOR : JUST1806695L/Bleue-2.
  • 5.
    La commission des lois du Sénat vient de supprimer l’article qui tend à réformer les procédures contentieuses de divorce. Même si cette disposition ne trouve pas grâce aux yeux des parlementaires siégeant au Palais du Luxembourg, elle risque toutefois d’être réintroduite par l’Assemblée nationale, où le Gouvernement dispose du soutien de la majorité des députés.
  • 6.
    Agostini F. et Molfessis N., Amélioration et simplification de la procédure civile, 2018, Ministère de la Justice, p. 24.
  • 7.
    V. Avena-Robardet V., « Réforme mouvementée de la justice », AJ Fam. 2018, p. 195 ; Binet J.-R., « PLPRJ 2018-2022 : une simplification du divorce, encore une ! », Dalloz actualité, 11 mai 2018 ; Fricero N., « Contentieux familial et chantiers de la justice : quels bouleversements ? », Dr Famille 2018, étude 11 ; Mulon E. et Weiss-Gout B., « Réforme de la procédure de divorce : quand la modernité cache un retour en arrière », Gaz. Pal. 10 avr. 2018, n° 321e4, p. 38 ; v. égal. entretien avec Agostini F., Dr Famille 2018.
  • 8.
    V. par ex. Bénabent A., « La réforme du divorce article par article », Defrénois 2004, p. 44  ; Dekeuwer-Défossez F., « Nouveaux cas de divorce », RLDC 2005, n° 565, p. 66 ; Fulchiron H., « Les métamorphoses des cas de divorce », Defrénois 15 sept. 2004, n° 37999, p. 1103 ; Garrigue J., Les devoirs conjugaux, Réflexion sur la consistance du lien matrimonial, 2012, Éditions Panthéon-Assas, n° 428 et s. ; Lemouland J.-J., « La loi du 26 mai 2004 relative au divorce », D. 2004, p. 1825 ; Lienhard C., « Divorce et fautes : paradoxes, incertitudes et stratégies », AJ Famille 2004, p. 215 ; v. égal. Fenouillet D., « Le lien conjugal », LPA 1er juill. 2004, p. 58, qui préfère quant à elle parler de « liberté de divorcer » ; v. Pichard M., Le droit à : Étude de législation française, 2006, Economica, Recherches juridiques, p. 107 et s.
  • 9.
    Garrigue J., Les devoirs conjugaux, Réflexion sur la consistance du lien matrimonial, 2012, Éditions Panthéon-Assas, n° 435 et s.
  • 10.
    Il peut certes parfois être condamné à verser des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 266 du Code civil mais la mise en œuvre de cette disposition est subordonnée à la réunion de conditions très strictes, si bien qu’elle est assez exceptionnelle. Garrigue J., Les devoirs conjugaux, Réflexion sur la consistance du lien matrimonial, 2012, Éditions Panthéon-Assas, n° 443 et s.
  • 11.
    Sur ces deux situations, v. 1re partie.
  • 12.
    C. civ., art. 252.
  • 13.
    Après la délivrance de l’assignation, l’instance aboutissant au prononcé d’un divorce pour altération définitive dure en moyenne 12,1 mois : v. ministère de la Justice, Références statistiques justice 2016, p. 11.
  • 14.
    C. civ., art. 254.
  • 15.
    CPC, art. 1113.
  • 16.
    En réalité, même si l’article 238 alinéa 1er n’avait pas été modifié, les membres du couple n’auraient pas eu besoin d’attendre vingt-quatre mois pour obtenir une organisation judiciaire de leur séparation. Dès la cessation de leur communauté de vie, ils auraient en effet pu saisir le juge aux affaires familiales et lui présenter des demandes fondées sur la contribution aux charges du mariage ou relatives à l’autorité parentale (C. civ., art. 214, C. civ., art. 373-2-6 et C. civ., art. 373-2-8 ; CPC, art. 1070 et s., CPC, art. 1137 et s., CPC, art. 1179 et s. ; COJ, art. L. 213-3). Mais le gouvernement n’a sans doute pas souhaité les inciter à saisir une juridiction avant le début de la procédure de divorce. Il tient en effet beaucoup à ce que le temps des magistrats soit préservé et redoute par conséquent la multiplication des instances.
  • 17.
    Il est vrai qu’il existe une hypothèse dans laquelle il ne serait pas nécessairement inutile de préciser que les époux doivent vivre séparément depuis deux ans « lors de la demande en divorce ou, le cas échéant, lors du prononcé du divorce » : c’est celle dans laquelle les membres du couple, qui avaient cessé de partager le même logis depuis au moins deux ans au moment où l’instance a été introduite, se sont ultérieurement réconciliés. Dans de telles circonstances, le divorce pour altération définitive serait envisageable avec la rédaction proposée par le gouvernement alors qu’il serait exclu si le Parlement préférait la version que nous venons de suggérer. Mais la reprise d’une véritable vie commune pendant l’instance ne doit-elle pas conduire à douter du caractère définitif de l’altération du lien conjugal ?
  • 18.
    Ce sentiment est renforcé par d’autres innovations inscrites dans le projet de loi, qui permettraient à l’un des membres du couple d’assigner sans motiver immédiatement sa demande ou d’invoquer une cause de divorce qui n’existe pas encore. Si le texte du gouvernement est voté, il sera ainsi précisé à l’article 251 qu’« [un] époux peut également introduire l’instance en divorce (…) sans préciser le cas sur lequel il fonde sa demande » ; « [dans] cette hypothèse, ce fondement [devra] être exposé dans les premières conclusions au fond ». Il convient d’ajouter qu’un époux pourra invoquer l’article 233 du Code civil avant même que son conjoint n’ait consenti à ce que le divorce soit prononcé par application de cette disposition. Si la réforme aboutit, ce texte précisera en effet que « [l’un] des époux peut demander le divorce sans considération des faits à l’origine de la rupture du mariage » et que « [l’autre] époux peut [alors] accepter en cours de procédure le principe de la rupture du mariage ». Dans une telle hypothèse, si le défendeur ne finit pas par exprimer son acquiescement, le demandeur pourra modifier le fondement de sa demande : il « [lui sera alors loisible de] demander le divorce pour faute ou pour altération définitive du lien conjugal » (rédaction proposée pour un nouvel article 247-3). Bien que ces dispositions aient été imaginées pour favoriser le recours au divorce accepté, elles traduisent le caractère accessoire du motif de dissolution. Ce qui importe désormais avant tout, c’est de pourvoir organiser les conséquences de la rupture dans un climat serein ; les raisons qui fondent la disparition du mariage sont de plus en plus secondaires.
  • 19.
    V. dans cet article : II, B.
  • 20.
    Cass. 1re civ., 5 janv. 2012, n° 10-16359 : Bull. civ. I, n° 1 ; Dr Famille 2012, comm. 41, note Larribau-Terneyre V. ; RTD civ. 2012, p. 99, obs. Hauser J.
  • 21.
    Rédaction retenue par le gouvernement pour le second alinéa de l’article 238 : « Toutefois, sans préjudice des dispositions de l’article 246, dès lors qu’une demande [pour altération définitive] et une autre demande en divorce sont concurremment présentées, le divorce est prononcé pour altération définitive du lien conjugal sans que le délai de deux ans ne soit exigé ».
  • 22.
    Mme Larribau-Terneyre (v. note 19) avait certes soutenu que la version actuelle de l’article 238, alinéa 2 devait s’appliquer en pareille hypothèse. Mais cette opinion est tout à fait contraire à la lettre de cette disposition et n’a jamais été consacrée par la Cour de cassation. Dans son arrêt du 5 janvier 2012, cette dernière a souligné que la séparation biennale était superflue « en cas de présentation d’une demande principale (…) pour faute et d’une demande reconventionnelle (…) pour altération définitive ». Dans la situation inverse, celle où les articles 237 et 238 sont invoqués par le demandeur et où c’est le défendeur qui présente des prétentions injustifiées fondées sur l’article 242, elle paraît en revanche exiger que la vie commune ait cessé depuis au moins deux ans (Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 12-13315 ; Cass. 1re civ., 5 mars 2014, n° 12-29739).
  • 23.
    Ex. : si la réforme est votée, le demandeur pourra invoquer l’acceptation du principe de la rupture même si l’autre époux n’a pas encore consenti à ce que le divorce soit prononcé sur ce fondement. Si le défendeur refuse ensuite d’exprimer cet acquiescement, le mariage ne pourra pas être dissous par application de l’article 233. Mais si ce second conjoint invoque l’altération définitive à titre reconventionnel, l’article 238 alinéa 2 sera susceptible d’être mis en œuvre.
  • 24.
    On pourrait même se demander s’il ne serait pas judicieux de permettre à la juridiction saisie de prononcer le divorce pour altération définitive lorsque les époux ont présenté l’un et l’autre une demande injustifiée pour faute. Pour l’heure, dans une telle situation, le juge doit en effet débouter les conjoints de leurs prétentions respectives. Il ne lui est donc pas loisible de mettre fin au mariage et il doit se contenter d’organiser la séparation des époux sur le fondement de l’article 258 du Code civil. Chacun des membres du couple ayant sollicité la dissolution, ne serait-il pas alors plus logique de considérer que l’altération définitive est caractérisée et d’anéantir l’union pour ce motif ? Deux sérieux arguments paraissent toutefois s’y opposer. Il serait d’abord singulier d’autoriser le juge à prononcer le divorce sur une cause qui n’a été invoquée par aucun des époux. Si une telle solution était consacrée, elle pourrait par ailleurs inciter ces derniers à fonder leurs demandes respectives sur la faute : ils sauraient qu’en cas de rejet de celles-ci, le divorce pourrait néanmoins être prononcé pour altération définitive et qu’ils ne seraient donc pas condamnés à rester mariés.
  • 25.
    V. supra.
  • 26.
    Il est vrai qu’aujourd’hui déjà, lorsque le demandeur s’est prévalu à tort de l’article 242 et que le second époux a invoqué l’altération définitive à titre reconventionnel, le divorce doit être prononcé sur ce fondement même en l’absence de séparation biennale. Mais dans une telle situation, le défendeur qui se prévaut des articles 237 et 238 sait déjà qu’il obtiendra nécessairement gain de cause si les prétentions de son conjoint sont rejetées. De ce point de vue, l’hypothèse que nous avons envisagée est radicalement différente. Cette fois, l’altération définitive est en effet invoquée par l’époux qui introduit l’instance et au moment où il présente sa demande, celle-ci n’est pas fondée puisque les deux années de séparation ne sont pas passées. Or si le texte du gouvernement est voté, elle deviendra justifiée pour peu que le second conjoint invoque à mauvais escient une autre cause de dissolution…
  • 27.
    Le gouvernement feint d’ailleurs d’ignorer que la conciliation sur le principe du divorce n’est plus réellement destinée à dissuader les époux de mettre fin à leur mariage et qu’elle tend aujourd’hui essentiellement à inciter les membres du couple à choisir une dissolution par consentement mutuel ou pour acceptation du principe de la rupture.
  • 28.
    Il est ainsi précisé dans l’exposé des motifs et l’étude d’impact que la réforme a pour « objet (…) d’éviter des phases de la procédure qui ne sont plus en adéquation avec les évolutions de la société et le rôle du juge (en particulier la conciliation sur le principe même du divorce, l’autorisation d’assigner en divorce, (…)) ». V. égal. Agostini F., entretien précité.
  • 29.
    Étude d’impact, p. 100.
  • 30.
    Étude d’impact, p. 100-101.
  • 31.
    V. la 1re partie.
  • 32.
    Garrigue J., Les devoirs conjugaux, Réflexion sur la consistance du lien matrimonial, 2012, Éditions Panthéon-Assas, n° 428 et s.
  • 33.
    Alors que les désunions fondées sur la rupture de la vie commune représentaient à peine plus d’1 % des divorces, la proportion des dissolutions reposant sur l’altération définitive a progressé de façon quasiment constante depuis l’entrée en vigueur de la loi du 26 mai 2004. Elle s’élevait déjà à 5,5 % en 2006 et est supérieure à 13 % depuis 2013 (Annuaires statistiques de la Justice, années 2008 et 2011 ; Références statistiques Justice, années 2015 et 2016).
  • 34.
    La durée moyenne s’écoulant entre l’ordonnance de non-conciliation et l’introduction de l’instance est de 15,1 mois en cas de demande fondée sur l’altération définitive, alors qu’elle n’est que de 7,3 mois lorsque la cause invoquée est l’acceptation du principe de la rupture et de 10,2 mois lorsque le motif de dissolution est la faute (Références statistiques Justice, année 2016, p. 11).
  • 35.
    V. dans cet article : I.A.
  • 36.
    Il est vrai qu’avant même d’assigner en divorce, l’époux qui envisage de solliciter la dissolution pour altération définitive pourrait saisir le juge aux affaires familiales et lui demander de prendre diverses mesures concourant à l’organisation judiciaire de la séparation (v. note 15). En pratique, il est toutefois fort probable qu’il préférera généralement introduire directement l’instance en divorce.
  • 37.
    On observera aussi que si la réforme proposée est votée, le demandeur n’invoquera parfois l’altération définitive qu’en cours de procédure. Il lui sera en effet loisible de ne pas mentionner de motif de dissolution dans son assignation et de ne se prévaloir des articles 237 et 238 que dans ses premières conclusions (futur article 251 : V. supra note 17). Il arrivera également qu’il se fonde à l’origine sur l’article 233 mais que son conjoint n’accepte finalement pas le principe de la rupture et qu’il se rabatte sur l’altération définitive en usant de la passerelle qu’instaurera le nouvel article 247-3 (sur cette hypothèse, v. note 17). Dans ces différentes situations, le demandeur ne se préoccupera pas nécessairement beaucoup du délai biennal au moment où il introduira l’instance. Or puisqu’il finira par recourir aux articles 237 et 238, il aura besoin des vingt-quatre mois de séparation. Il lui faudra donc faire traîner l’instance pour que le juge ne se prononce pas avant que ces derniers ne soient écoulés.
  • 38.
    Si le texte du gouvernement est voté, il suffira que la séparation biennale existe « lors du prononcé du divorce ». Dans les cas où un appel sera interjeté, la cour devra donc se placer au jour où elle statuera pour apprécier si cette condition est remplie.
  • 39.
    V. exposé des motifs du projet de loi, qui précise que le texte proposé « modifie le régime procédural du divorce afin de répondre au double objectif de simplification du parcours processuel des époux en instance de divorce et de réduction des délais de traitement notamment dans les situations simples où il n’y a pas d’enfants mineurs ou d’enjeux financiers majeurs ».
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