La règle de conflit de lois de l’article 311-14 du Code civil ne s’oppose pas à la mise en œuvre de la théorie du renvoi

Publié le 24/04/2020

L’arrêt de la Cour de cassation rendu le 4 mars 2020 est promis à une large diffusion. Cela faisait plus de 40 ans que les juridictions du fond refusaient de mettre en œuvre le mécanisme du renvoi pour l’application de l’article 311-14 du Code civil qui désigne comme loi applicable à la filiation, la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant. Or pour la première fois, la Cour de cassation s’est prononcée sur cette question et, contre toute attente, elle a tranché en faveur de l’admission du renvoi. Elle justifie cette solution par le caractère neutre et abstrait de la règle de conflit de lois édictée par l’article 311-14 et approuve l’application du renvoi qui permettait, en l’espèce, une cohérence des solutions, quelles que soient les juridictions saisies.

Cass. 1re civ., 4 mars 2020, no 18-26661

Assurément, les États européens ont pris conscience de l’intérêt d’harmoniser leurs règles de conflits de lois afin d’assurer au justiciable une sécurité juridique. Ainsi, des règlements toujours plus nombreux se chargent d’uniformiser les règles de conflits de lois dans de multiples domaines, comme les contrats, les régimes matrimoniaux, les successions… De la sorte, quels que soient les tribunaux saisis au sein de l’Union pour trancher un litige à caractère international, ils appliqueront tous la même loi dans la mesure où, pour désigner le droit applicable, ils partagent un système de règles de conflits de lois commun. Toutefois, ce mouvement d’unification ne concerne pas toutes les branches du droit international privé et, en outre, les relations internationales entre les personnes privées dépassent largement le cadre de l’Europe. Dès lors, il se peut qu’en appliquant ses règles de conflits de lois, le juge désigne une loi étrangère qui, en l’espèce, ne se reconnaît pas compétente. Prenons l’hypothèse d’un problème lié à la capacité juridique d’un Suisse domicilié en France. Le juge français appliquera, conformément à l’article 3 du Code civil, la loi nationale de l’intéressé, soit la loi suisse alors que la règle de conflit de lois suisse (loi suisse de DIP, art. 35) désigne la loi du domicile, soit la loi française. La théorie du renvoi consiste alors à considérer que la règle de conflit de lois ne désigne pas la loi substantielle étrangère mais ses règles de conflits de lois, lesquelles peuvent renvoyer au droit français (renvoi au premier degré) ou à une loi tierce (renvoi au second degré). Nous ne reviendrons pas sur l’origine historique du renvoi1, on rappellera simplement qu’en France, la Cour de cassation a admis le renvoi au premier degré pour la première fois dans l’affaire Forgo2, en matière de succession mobilière.

Depuis, le renvoi ne s’est pas imposé en jurisprudence comme un principe de solution mais comme une solution d’exception3. En outre, il est parfois techniquement impossible. Effectivement pour que l’on puisse envisager un renvoi par la règle de conflit de lois étrangère, encore faut-il que notre propre règle de conflit désigne la loi étrangère. Ce n’est pas le cas si la règle de conflit est de facture unilatérale. Il faut ajouter que certaines règles de conflit excluent expressément le renvoi en indiquant que la loi applicable s’entend de la loi interne ou des dispositions matérielles du système étranger désigné. Ainsi, par exemple, l’article 515-7-1 issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 dispose que « les conditions de formation et les effets d’un partenariat enregistré ainsi que les causes et les effets de sa dissolution sont soumis aux dispositions matérielles de l’État de l’autorité qui a procédé à son enregistrement », de même, le règlement de Rome sur la loi applicable aux obligations non contractuelles comporte un article qui exclut expressément le renvoi4.

S’agissant de la jurisprudence, elle se prononce au gré des espèces qui lui sont soumises en fonction des matières. Toujours est-il qu’on enseigne habituellement que le renvoi est exclu lorsque les parties ont choisi la loi applicable au rapport juridique litigieux, car il convient de respecter l’autonomie de la volonté des parties5. Il serait également exclu dans le domaine de la forme des actes6 et en matière de filiation, pour la mise en œuvre de l’article 311-14 du Code civil. De fait, les juridictions du fond ont jusqu’à présent, presque à l’unanimité, rejeté le renvoi lorsqu’elles recherchent la loi applicable à la filiation, au motif qu’en prévoyant que la filiation est régie par la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant, et si la mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant, l’article 311-14 « contient une désignation directe et impérative de la loi applicable au fond »7.

C’est précisément sur ce principe que le pourvoi se fondait en l’espèce pour reprocher à la cour d’appel de Paris d’avoir appliqué à une action en contestation de paternité, la loi française, sur renvoi de la règle de conflit allemande.

À l’origine de cette affaire, une Allemande avait épousé un homme de double nationalité italienne et australienne. De cette union était née une fille en Allemagne, puis le couple s’était installé en France. Mais un autre homme se prétendant père de l’enfant avait assigné le couple devant le tribunal de grande instance de Paris où il résidait en contestation de la paternité du mari de la mère. Celui-ci avait déclaré recevable l’action en contestation de la paternité du mari et en établissement de paternité, et ordonné avant dire-droit une expertise biologique. Or les époux avaient refusé de se soumettre aux expertises et ont soutenu en application du droit allemand que la contestation de paternité était impossible faute de remise en cause de la relation socio-familiale entre le mari et l’enfant. La cour d’appel qui avait approuvé le jugement avait été censurée par la Cour de cassation qui reprochait aux juges du fond de ne pas avoir recherché le droit applicable à la filiation8. Sur renvoi, la cour d’appel de Paris a donc appliqué l’article 311-14 du Code civil pour déterminer la loi applicable à l’action en contestation de paternité. Cela est parfaitement logique puisque cette règle de conflit a une portée générale. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de l’appliquer à la recherche de paternité9 et à la contestation de paternité10.

Cependant, plutôt que de s’en tenir à la nationalité allemande de la mère pour appliquer le droit allemand à la question de la filiation, les juges du fond ont analysé les règles allemandes de conflits de lois et considéré que celles-ci renvoyaient à la loi de la résidence habituelle de l’enfant et à la loi régissant les effets du mariage qui, en l’absence de nationalité commune des époux, est la loi de l’État de leur domicile commun, soit la loi française.

Les demandeurs au pourvoi ont contesté la mise en œuvre du renvoi par la cour d’appel de Paris en rappelant la position précédemment adoptée par cette dernière à plusieurs reprises11, et notamment dans l’arrêt Kostia12 à savoir, « qu’en application de l’article 311-14 du Code civil, la filiation est régie, de manière impérative, par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; que le renvoi est donc exclu dans son domaine ».

C’était la première fois que la Cour de cassation avait à se prononcer sur cette question de l’accueil du renvoi dans le cadre de l’application de l’article 311-14 du Code civil. Or elle approuve les juges du fond. Elle considère que la règle de conflit de lois énoncée par l’article 311-14 du Code civil, en ce qu’elle est bilatérale et neutre, ne fait pas obstacle au renvoi (I) et que la mise en œuvre de ce mécanisme « permet d’assurer la cohérence entre les décisions quelles que soient les juridictions saisies », justifiant ainsi le renvoi par l’harmonisation des systèmes en présence (II).

I – L’application de la théorie du renvoi en matière de filiation

La loi du 3 janvier 1972 a considérablement réformé le droit de la filiation et a posé plusieurs règles de conflits de lois, dont l’article 311-14 du Code civil. Pour l’application de ce texte, au lendemain de la loi, les partisans de la mise en œuvre du renvoi s’opposaient aux tenants de la thèse contraire qui estimaient que ce mécanisme ne se justifiait pas.

Plusieurs arguments étaient avancés en ce sens, sans être véritablement décisifs.

Ainsi on a pu soutenir que l’emploi du terme « régir » (la filiation « est régie » par la loi personnelle de la mère (…)) implique un ordre impératif du législateur qui ne laisse pas à la loi personnelle de la mère la possibilité de déterminer la règle de conflit de lois applicable en matière de filiation mais lui commande de s’appliquer dans ses dispositions substantielles pour trancher au fond la question de la filiation13. C’était le motif de l’arrêt Kostia, repris par les demandeurs au pourvoi. Toutefois, d’autres règles de conflits de lois, à commencer par l’article 3 du Code civil, en matière d’état et de capacité, emploient aussi le verbe « régir », et pourtant, le renvoi est largement accueilli dans le cadre de la mise en œuvre de cet article14.

Il a également été avancé que le législateur de 1972 avait fixé le rattachement de la règle de conflit, non seulement dans l’espace (loi nationale de la mère), mais aussi dans le temps (au jour de la naissance). Par conséquent, il était impossible de tenir compte des règles de conflit du droit étranger15. Cependant, un auteur16 a remarqué que justement, la Cour de cassation tenait compte des règles de droit transitoire étranger, en matière de filiation17. Et donc si on tient compte de la règle étrangère de conflit de lois dans le temps, pourquoi s’opposerait-on à la prise en compte de la règle étrangère de conflit de lois dans l’espace ? Ce n’est sans doute pas un argument très pertinent car il faut considérer que c’est le rattachement à la loi nationale de la mère qui est figé dans le temps au jour de la naissance de manière à résoudre le problème lié à l’éventuel changement de nationalité de la mère. Il ne s’agit pas de figer le contenu substantiel de la loi étrangère à l’égard de laquelle il est normal de tenir compte des règles étrangères de conflit dans le temps. La prise en compte du conflit dans le temps n’a pas lieu au stade de l’application de la règle de conflit de lois mais de la loi étrangère. Ce sont là deux problèmes différents. On ne peut donc pas raisonner par analogie pour soutenir que le renvoi de rattachement devrait être admis. Cependant, il est incontestable que le fait que le rattachement utilisé par la règle de conflit de lois soit figé dans le temps, est sans incidence sur l’admission du renvoi. La preuve en est qu’en matière de succession mobilière, avant l’entrée en application du règlement Successions, la règle de conflit de lois désignait la loi du dernier domicile du défunt ; le rattachement était bien fixé dans le temps, et pourtant c’est à propos de cette règle que la Cour de cassation a consacré le renvoi pour la première fois dans l’affaire Forgo.

Par ailleurs, certains ont cherché à justifier le refus du renvoi dans le cadre de l’article 311-14 du Code civil en insistant sur le fait que cette règle formerait un tout avec les autres règles de conflit posées par la loi de 1972, or ces autres règles ont une finalité matérielle en ce qu’elles posent un objectif de faveur envers l’enfant, ce qui serait exclusif du renvoi18, lequel est au contraire source d’incertitude19. Toutefois, cet argument n’emporte pas non plus la conviction car la jurisprudence a admis le renvoi dans le cadre de l’article 311-17 du Code civil à propos d’une action en contestation de reconnaissance de paternité alors qu’en la matière, l’objectif du législateur est clairement d’éviter la remise en cause de la reconnaissance par l’utilisation de rattachements cumulatifs20.

Enfin, on a aussi fait remarquer que le législateur français avait voulu rompre avec les solutions antérieures et qu’il avait choisi le rattachement de la filiation à la loi nationale de la mère car c’est le facteur de rattachement le plus sûr dans la mesure où la plupart du temps la mère est connue21. Or en droit comparé, ce rattachement est très rarement choisi. Dans ces conditions, faire jouer le renvoi conduirait à nier la volonté du législateur français de voir appliquer la loi nationale de la mère.

À cela, on a justement rétorqué que ce rattachement était si insolite que le renvoi permettrait une meilleure harmonie sur le plan international22.

Autant dire que ce débat n’avait pas véritablement influencé la jurisprudence, exclusive du renvoi à propos de l’article 311-14, alors que force est de reconnaître qu’il pose une règle de conflit bilatérale et neutre qui désigne la loi applicable de manière abstraite sans poser à l’avance un résultat substantiel comme le faisait l’article 311-16 en matière de légitimation par mariage avant son abrogation par l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation.

Dès lors, on peinait à comprendre pourquoi le renvoi était exclu dans l’application de l’article 311-1423.

La Cour de cassation avait déjà rendu un arrêt remarqué en 201724 à propos d’une action en recherche de paternité. Dans cette affaire, la règle de conflit de lois désignait le droit américain et la Cour de cassation avait reproché à la cour d’appel de ne pas avoir appliqué les règles régissant les conflits de lois internes entre États fédérés pour déterminer précisément l’État fédéré dont la loi était applicable. On ne pouvait pas véritablement en déduire que la Cour de cassation consacrait la mise en œuvre du mécanisme du renvoi compte tenu du fait que le système américain est pluri-législatif et qu’il était donc indispensable de déterminer quelle règle précisément s’appliquait au sein du système américain.

En revanche, dans l’arrêt du 4 mars 2020, la Cour de cassation tranche clairement. Elle affirme en effet, que l’article 311-14 du Code civil « énonce une règle de conflit bilatérale et neutre », et partant « n’exclut pas le renvoi ». Ce faisant, la Cour de cassation renoue avec sa jurisprudence antérieure à la loi de 1972. En effet, l’arrêt Sommers avait admis le renvoi en matière de filiation naturelle25. Pour autant, elle ne fait pas du renvoi une règle de principe. Encore faut-il que sa mise en œuvre soit justifiée.

II – La justification du renvoi dans le cadre de l’article 311-14

L’admission du renvoi se justifie désormais habituellement par des considérations d’opportunité. On parle de renvoi fonctionnel26. Ainsi on peut accueillir le renvoi lorsqu’il permet de reconnaître la validité d’un acte. Dans l’affaire Zagha27, le renvoi au second degré avait permis de reconnaître la validité du mariage religieux de deux Syriens. En effet, la règle de conflit de lois française désignait la loi du lieu de célébration du mariage, à savoir le droit italien, dont la règle de conflit renvoyait au droit syrien qui validait le mariage.

L’admission du renvoi a parfois été justifiée au nom de la prévisibilité des solutions. La cour d’appel de Paris s’est ainsi fondée sur le respect des droits acquis pour justifier, dans l’affaire Banque Ottomane, l’application de la règle de conflits de lois du droit anglais désigné par la règle française de conflits de lois28.

Dans le cadre des successions internationales, s’agissant des successions ouvertes avant l’entrée en application du règlement Successions, la Cour de cassation a parfaitement cadré les considérations qui doivent conduire à la mise en œuvre du renvoi. Dans un arrêt Riley du 11 février 200929, la haute juridiction a conditionné l’admission du renvoi à propos d’une succession immobilière à ce que cela permette l’unité successorale et l’application d’une même loi aux meubles et immeubles.

On utilise également la notion de renvoi in favorem lorsque le renvoi est admis pour servir un objectif de faveur voulu par le législateur. À cet égard, lorsque la cour d’appel de Paris a fait jouer le renvoi dans le cadre de l’application de l’article 311-17 du Code civil30, cela a permis à l’enfant français de se libérer d’une filiation mensongère et les juges ont pu accueillir une action en recherche de paternité en France contre son père naturel31. En outre, dans le même ordre d’idées, on pourrait soutenir que tous les arrêts qui ont fait application de l’article 311-14 en excluant le renvoi ont tous favorisé l’adoption de solutions dans l’intérêt de l’enfant. Un auteur a d’ailleurs proposé que l’attitude des tribunaux à l’égard du renvoi soit modulée en fonction de l’objectif recherché par la règle de conflit. Le renvoi à une autre loi ne devrait être accueilli que dans la mesure où l’application de la loi étrangère de la mère désignée par la règle de l’article 311-14 ne permet pas d’assurer l’établissement de la filiation et la protection de l’enfant32.

Aussi, les demandeurs au pourvoi avançaient-ils un argument en ce sens. Ils soutenaient que « le renvoi ne peut intervenir qu’à la condition de favoriser l’établissement ou le maintien de la filiation », or en l’espèce, la loi nationale de la mère, à savoir la loi allemande s’opposait à la remise en cause du lien de filiation établi alors que, à supposer que la règle de conflit allemande renvoie au droit français, celui-ci permettait d’anéantir la filiation actuelle de l’enfant. À vrai dire, le couple estimait qu’il était dans l’intérêt de l’enfant de maintenir une filiation qui avait une réalité sociale, le mari de la mère se comportant comme le père de l’enfant, plutôt que de vouloir faire triompher une vérité biologique qui allait déstabiliser la vie familiale de l’enfant. Toutefois, cette argumentation ne reflète pas la véritable acception du renvoi in favorem. En effet, ce mécanisme sélectif du renvoi ne doit pas s’analyser en une méthode qui permette d’obtenir le résultat jugé le plus opportun au cas d’espèce. C’est ainsi que des auteurs ont estimé que la cour d’appel de Paris aurait dévoyé le mécanisme dans son arrêt de 200433. Bien au contraire, le renvoi in favorem doit concourir à obtenir un résultat voulu par le législateur. Or en droit de la filiation, le législateur français semble attaché à la vérité biologique.

Quoi qu’il en soit, la Cour de cassation ne s’est pas placée sur le terrain du renvoi in favorem. Elle adopte plutôt une motivation qui se réfère à la position selon laquelle le renvoi doit permettre l’harmonisation internationale et la coordination des systèmes34.

Effectivement, elle déclare que la cour d’appel « retient exactement que la résolution du conflit de lois par l’application des solutions issues du droit allemand, lesquelles désignent la loi française, permet d’assurer la cohérence entre les décisions quelles que soient les juridictions saisies par la mise en œuvre de la théorie du renvoi ».

Toutefois, cette motivation appelle quelques commentaires. En effet, pour qu’il y ait harmonie internationale, il faut que la solution soit la même dans les deux pays. C’est-à-dire qu’un juge allemand appliquerait dans les mêmes circonstances la loi française. Mais encore faut-il s’assurer de deux choses.

La première est que la règle de conflit de lois allemande renvoie bien au droit français. Or, en l’espèce, la règle allemande n’était pas aussi claire que cela. Cette règle comprend en effet plusieurs rattachements en cascade et les demandeurs au pourvoi estimaient que la cour d’appel ne s’était pas suffisamment expliquée sur son interprétation du droit allemand. Mais la Cour de cassation, juge du droit français, se refuse à exercer un réel contrôle de l’interprétation du droit étranger par les juges du fond et s’en remet à leur interprétation souveraine.

La seconde est que le juge allemand ne ferait pas jouer le renvoi de la règle de conflit de lois française au droit allemand. En effet, l’harmonie ne peut se réaliser que si l’un des deux systèmes de droit en présence admet le renvoi, alors que l’autre le rejette. À défaut, si le juge allemand accueille le renvoi opéré par l’article 311-14 du Code civil à la loi allemande, il n’y aurait plus harmonie internationale des solutions mais simplement un chassé-croisé des solutions35. Partant, affirmer que la solution adoptée par la cour d’appel permet d’assurer la cohérence des décisions quelles que soient les juridictions saisies, semble péremptoire.

Cela dit, le renvoi ici était un renvoi au premier degré, c’est-à-dire un renvoi à la loi du for. Mais on pourrait s’interroger sur l’éventuelle admission d’un renvoi au second degré dans le cadre de l’article 311-14. Or si la Cour de cassation fonde l’accueil du renvoi sur l’harmonie des solutions, rien ne paraît s’opposer à ce que l’on mette en œuvre un renvoi au second degré, au contraire, car dans le cadre d’un renvoi au second degré, il n’y a plus de risque de chassé-croisé des solutions. De fait, dans une telle hypothèse, l’article 311-14 désignerait la loi nationale de la mère qui désignerait une loi tierce, laquelle accepte sa compétence. Il y aurait donc une véritable cohérence, quelle que soit la juridiction saisie.

Bien après que l’on ait chanté le requiem du renvoi36, il faut se rendre à l’évidence, le renvoi est encore d’actualité et sa mise en œuvre reste toujours aussi délicate.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Sur cette question, v. Niboyet J.-P., « Froland, Les conflits de qualifications et la question du renvoi » : Rev. crit. DIP 1926, p. 1 ; Lewald H., « La théorie du renvoi », RCADI 1929, t. 29, p. 515 et s.
  • 2.
    Cass. civ., 24 juin 1878 : S. 1878, 1, p. 429 ; D. 1879, 1, p. 56 ; JDI 1879, p. 285 ; Les grands arrêts de la jurisprudence française du droit international privé, nos 7-8 – Cass. req., 22 févr. 1882 : S. 1882, 1, p. 393, note Labbé ; D. 1882, 1, p. 301 ; Les grands arrêts de la jurisprudence française du droit international privé, nos 7-8.
  • 3.
    Courbe P., « Retour sur le renvoi », in Le monde du droit, Écrits rédigés en l’honneur de Jacques Foyer, 2008, Economica, p. 241 et s.
  • 4.
    Règl. (CE) n° 864/2007, 11 juill. 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, art. 24 : JOUE L 199, 31 juill. 2007, p. 40.
  • 5.
    Audit B., Le droit international privé français à la fin du XXe siècle : Clés pour le siècle, 2000, Dalloz, p. 583, spéc. p. 590.
  • 6.
    Selon Batiffol H. et Lagarde P., la règle locus regit actum s’opposerait au renvoi, Batiffol H. et Lagarde P., Traité de Droit international privé, t. 1, 8e éd., 1993, LGDJ, p. 499 et s.
  • 7.
    CA Paris, 11 mai 1976, Kostia de D. : D. 1976, p. 636, note Massip J. ; JDI 1977, p. 656, note Foyer J. ; Rev. crit. DIP 1977, p. 109, note Fadlallah I.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 12 juill. 2017, n° 16-21000, D.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 4 janv. 2017, n° 16-10754 : Dr. famille 2017, étude 2, Monéger F.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 24 mai 2018, n° 16-21163.
  • 11.
    CA Paris, 8 mars 1983, Hublin : Rev. crit. DIP 1985, p. 290, 2e esp., note Foyer J. – CA Paris, 20 janv. 1986 : Gaz. Pal. Rec. 1986, 1, som., p 217.
  • 12.
    Batiffol H. et Lagarde P., Traité de droit international privé, t. 1, 8e éd., 1993, LGDJ, p. 499 et s.
  • 13.
  • 14.
    En ce sens, CA Paris, 11 mai 1976 : D. 1976, p. 634, spéc. p. 636, note Massip J.
  • 15.
    En ce sens, CA Paris, 11 mai 1976 : Rev. crit. DIP 1977, p. 116, note Fadlallah I.
  • 16.
    En ce sens, CA Paris, 11 mai 1976 : JDI 1977, p. 656, note Foyer J.
  • 17.
    Hage-Chahine F., « L’article 311-14 et la règle étrangère de conflit dans le temps et dans l’espace », JDI 1990, p. 73 et s.
  • 18.
    Cass. 1rer civ., 3 mars 1987, Leppert : Rev. crit. DIP 1988, p. 695, note Simon-Depitre M.
  • 19.
    En ce sens, CA Paris, 11 mai 1976 : JDI 1977, p. 656, note Foyer J
  • 20.
    En ce sens Sfeir R., Aspects contemporains du renvoi en droit international privé, 2009, Bruxelles Bruylant, p. 117, spéc. § 95.
  • 21.
    CA Paris, 18 mars 2004 : Dr. famille 2005, comm. 45, Farge M.
  • 22.
    Simon-Depitre M. et Foyer J., « Le nouveau droit international privé de la filiation », JCP G 1973, I, 2566.
  • 23.
    Batiffol H. et Lagarde P., « L’improvisation de nouvelles règles de conflits de lois en matière de filiation », Rev. crit. DIP 1972, p. 1 et s., spéc. p. 7.
  • 24.
    En ce sens, Farge M., « Le quarante-sixième anniversaire des articles 311-14 et suivants du Code civil », Dr. famille 2018, dossier 4.
  • 25.
    Cass. 1re civ., 20 avr. 2017, n° 16-14349 : Dr. famille 2017, comm. 194, Farge M. ; AJ fam 2017, p. 416, note Boiché A.
  • 26.
    Cass. 1re civ., 8 déc. 1953, Sommer : JCP G 1954, II, 8080, note Savatier R. ; D. 1954, p. 167 ; Rev. crit. DIP 1955, p. 133, note Motulsky H.
  • 27.
    Thèse défendue par Francescakis P., La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, 1958, Sirey.
  • 28.
    Cass. 1re civ., 15 juin 1982, Zagha : D. 1982, p. 151, obs. Audit B. ; D. 1983, p. 431, note Agostini É. ; JDI 1983, p. 595, note Lehmann R. ; Rev. crit. DIP 1983, p. 300, note Bischoff J-M.
  • 29.
    CA Paris, 19 mars 1965 : Rev. crit. DIP 1967, p. 85, note Lagarde P. ; JDI 1966, p. 118, note Goldman B.
  • 30.
    Cass. 1re civ., 11 févr. 2009, n° 06-12140 : Defrénois 15 juill. 2009, n° 38971, p. 1380, note Revillard M. ; JCP G 2009, 10068, note Boulanger F. ; JDI 2009, comm. 8, Peroz H.
  • 31.
    CA Paris, 18 mars 2004 : Dr. famille 2005, comm. 45, Farge M.
  • 32.
    CA Paris, 18 mars 2004 : Dr. famille 2005, comm. 45, Farge M.
  • 33.
    Rev. crit. DIP 1984, p. 303, note Foyer J.
  • 34.
    Bourel P. et Muir Watt H., « Établissement de la filiation », JCl. Droit international, fasc. 548-20, spéc. n° 90.
  • 35.
    Pour un exposé de la théorie du renvoi coordination de systèmes, v. Batiffol H. et Lagarde P., Traité de Droit international privé, t. 1, 8e éd., 1993, LGDJ, p. 499 et s. ; V. aussi, Rép. internat. Dalloz, v° Renvoi, 2002, n° 32, Lequette Y.
  • 36.
    Agostini É., « Le mécanisme du renvoi », Rev. crit. DIP 2013, p. 545.
  • 37.
    Foyer J., « Requiem pour le renvoi », Travaux du Comité français de droit international privé, 1979-1981, p. 105 et s.
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