L’absence de protection conventionnelle du mariage fictif contracté dans un intérêt exclusivement financier
Selon la Cour de cassation, un mariage purement fictif ne relève pas de la sphère protégée par les articles 8 et 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, en l’absence de toute intention matrimoniale et de toute vie familiale effective. Ainsi, doit être annulé le mariage qui était motivé uniquement par des intérêts pécuniaires.
Cass. 1re civ., 1er juin 2017, no 16-13441
Selon la Cour de cassation, un mariage purement fictif ne relève pas de la sphère protégée par les articles 8 et 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, en l’absence de toute intention matrimoniale et de toute vie familiale effective. Ainsi, doit être annulé le mariage qui était motivé uniquement par des intérêts pécuniaires.
En l’espèce, le 21 décembre 2000, un homme se marie avec une femme qui avait eu un enfant d’une précédente union. Les enfants du père, nés eux-aussi d’une précédente union, soutenant que leur père vivait maritalement depuis de nombreuses années avec la mère de son épouse et que ce mariage n’avait été contracté qu’à des fins successorales, ont, après le décès de celui-ci survenu le 13 mars 2011, assigné l’épouse en annulation du mariage sur le fondement de l’article 146 du Code civil.
La cour d’appel de Versailles, le 28 janvier 2016, prononce la nullité du mariage. Elle relève d’une part, que l’homme avait vécu maritalement avec une autre femme « depuis les années 1990 jusqu’à son décès » sans qu’aucun autre élément n’établisse une autre communauté de vie que celle qu’il entretenait avec celle-ci. D’autre part, la cour d’appel note qu’il n’y avait pas eu, entre l’époux et l’épouse, lors de la célébration du mariage, un échange de consentements véritables en vue d’une union matrimoniale mais « un mariage de façade » destiné (…) à assurer l’avenir de la fille de celle-ci.
L’épouse se pourvoit en cassation car elle estime que, « précédée d’un contrat de mariage en date du 30 novembre 2000 », la célébration du 21 décembre 2000 a eu lieu en présence d’un tiers attestant de la volonté de l’intéressé d’épouser l’auteure du pourvoi. De plus, cette célébration « a été suivie d’actes révélant une communauté de vie », notamment des déclarations fiscales communes et l’intervention de l’auteure du pourvoi auprès de l’administration en tant qu’épouse lors de l’hospitalisation de son mari et à la suite du décès. Elle précise en outre que « l’union a duré onze ans ». Surtout, il est reproché à la cour d’appel de n’avoir pas « recherché si la demande en nullité de mariage ne constituait pas une ingérence injustifiée dans le droit de Mme (…) au respect de sa vie privée et familiale ». De ce fait, selon l’auteure du pourvoi, « les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ensemble au regard de l’article 9 du Code civil ».
La Cour de cassation devait donc déterminer si l’annulation, sur le fondement de l’article 146 du Code civil relatif à l’absence d’intention matrimoniale, d’une union ayant duré onze années mais ayant uniquement pour but des avantages financiers, porte atteinte au droit de l’épouse au respect de sa vie privée et familiale et à la liberté nuptiale.
Se fondant sur un attendu de principe, la Cour de cassation répond clairement à la question. Elle considère qu’« un mariage purement fictif ne relève pas de la sphère protégée par les articles 8 et 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, en l’absence de toute intention matrimoniale et de toute vie familiale effective ». Ainsi, la cour d’appel a pu valablement annuler le mariage en cause.
La Cour indique donc qu’un mariage fictif n’est pas protégé par la Convention européenne des droits de l’Homme. Cette protection nécessite en effet la preuve d’une intention matrimoniale et d’une vie familiale effective (I).
Pour la Cour, un mariage dépourvu d’une communauté de vie et contracté dans l’unique but d’assurer l’avenir d’un enfant est un mariage fictif (II) et dès lors nul d’une nullité absolue.
I – L’absence de protection conventionnelle d’un mariage fictif dépourvu d’intention matrimoniale et de vie familiale effective
La Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales est un texte souvent invoqué devant les juridictions nationales du seul fait de son applicabilité directe. Les articles 8 et 12 de la Convention garantissent respectivement le droit au respect à la vie familiale et le droit au mariage (A). Mais pour la Cour de cassation, l’application de ces textes implique un mariage dans lequel les époux ont une réelle intention matrimoniale et une vie familiale effective, sans quoi il n’y a pas de protection (B).
A – Vie familiale et droit au mariage : une protection conventionnelle
La Convention prévoit la protection du droit à avoir une vie familiale normale. En effet, selon l’article 8, « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Le second alinéa donne des précisions quant aux restrictions qui peuvent être apportées à la garantie de ce droit. Il dispose qu’« il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Les juges strasbourgeois de la Cour européenne des droits de l’Homme contrôlent la bonne application de ces dispositions par les juridictions nationales et ont quelques fois condamné la France sur la base d’une violation de celles-ci. C’est ainsi que dans l’affaire Palau-Martinez contre France1, la Cour de cassation voit l’une de ses décisions remise en cause. La Cour concluait en effet à « une violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention », dans une affaire liée à l’exercice de l’autorité parentale2.
Dans une autre affaire3, une requérante alléguait avoir subi, à toutes les phases de la procédure de demande d’agrément en vue d’adopter, un traitement discriminatoire portant atteinte à son droit au respect de sa vie privée. Dans cette affaire, la Cour a conclu à la violation de l’article 14 de la Convention qui proscrit toute discrimination, combiné avec l’article 8.
La Cour de cassation a parfois elle-même censuré des décisions rendues par les juges du fond sur la base de l’article 8 de la Convention. Elle l’a notamment fait dans une espèce liée aux nullités du mariage4. La première chambre civile de la Cour de cassation censurait la décision d’une cour d’appel qui prononçait la nullité du mariage d’un beau-père avec sa belle-fille, divorcée d’avec son fils. Elle considérait que l’annulation revêt à l’égard de cette dernière, le caractère d’une « ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de 20 ans ».
En l’espèce, l’épouse agit donc sur des fondements conventionnels pour mettre en échec une demande de nullité de son mariage avec le père des héritiers. Elle estime que l’annulation de son mariage violerait son droit à avoir une vie privée et familiale, du fait notamment que cette union a duré plus de dix années. Mais la Cour de cassation confirme la décision des juges du fond qui considère que l’article 8 ne protège pas les couples fictifs.
De la même façon, l’article 12 de la Convention relatif au droit au mariage et qui dispose qu’à « partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit », ne peut être appliqué en l’espèce. La Cour estime que les juges du fond ne peuvent appliquer ces dispositions puisqu’un mariage purement fictif ne relève pas de la sphère protégée par l’article 12 de la Convention.
Tous les arguments avancés par l’épouse sont donc rejetés par la juridiction suprême pour la simple et bonne raison que selon elle, des conditions doivent être remplies pour qu’un couple puisse bénéficier de la protection conventionnelle relative à la vie privée et familiale et au droit au mariage. Ces deux conditions sont la réalité de l’intention matrimoniale et une vie familiale effective.
B – Conditions nécessaires à la protection : intention matrimoniale et vie familiale effective
La Cour rappelle ici un élément essentiel du droit du mariage : un mariage n’est valable que dès lors qu’il existe une réelle intention matrimoniale. Un mariage peut être annulé s’il n’existe pas entre les époux une réelle intention de partager une vie maritale. L’intention matrimoniale est un ensemble d’éléments qui attestent de la réalité de la volonté des époux de se soumettre aux conséquences légales du mariage. Parmi les éléments fondamentaux, la jurisprudence a mis en valeur la cohabitation, ou encore la volonté de légitimer un enfant.
En l’absence d’intention matrimoniale, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’appliquer les dispositions prévues dans la Convention européenne des droits de l’Homme et de prononcer la nullité du mariage.
Ce type d’union n’a pour but que d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale. A contrario, il n’y a pas de mariage simulé si « le but recherché, droit au séjour, changement de nationalité par exemple, n’est pas exclusif de la volonté des futurs époux de vivre une véritable union matrimoniale sans éluder les conséquences légales du mariage » selon un arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 15 juin 19905.
C’est sur le fondement de l’article 146 du Code civil selon lequel « il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement » que vont se placer les magistrats pour vérifier la réalité de l’intention matrimoniale. Ainsi si le seul but de l’union est d’obtenir un simple effet secondaire du mariage, la réalité de l’intention matrimoniale est remise en cause et la nullité pourra être prononcée6. Il faut noter aussi qu’il existe une certaine ambiguïté sur le fondement juridique choisi par les juges du fond pour invalider un mariage pour défaut d’intention matrimoniale7.
Les juridictions ont depuis longtemps accepté de contrôler les mariages suspectés d’être dépourvus d’intention matrimoniale sur cette base. Les juges du fond annulent donc les mariages dit blancs ou mariages simulés. L’article 184 du Code civil instaure une nullité absolue dans ces cas précis. En effet, selon cet article « tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public ». La prescription trentenaire est donc applicable dans le cas des mariages fictifs.
La preuve du défaut d’intention matrimoniale doit être apportée par le demandeur. C’est ce qu’a confirmé la cour d’appel de Caen, dans un arrêt rendu le 23 février 20178. Elle précise que « le mariage est nul, faute d’intention matrimoniale, lorsque les époux se sont prêtés à la cérémonie dans le but exclusif d’obtenir un titre de séjour, sans intention de fonder une famille et d’assumer les devoirs et obligations du mariage » et elle ajoute que « la preuve de l’absence de consentement ou du défaut d’intention matrimoniale incombe à [la] (…) demanderesse à l’action en nullité ». Ainsi, elle validait la décision des premiers juges qui considéraient que la demanderesse n’avait pas apporté la preuve de ses prétentions.
En l’espèce, l’action est intentée plus de dix années après la célébration du mariage par les enfants qui se voyaient privés, par le mariage litigieux, d’un certain nombre de droits successoraux. Ils avaient donc intérêts à agir, s’agissant d’une nullité absolue9. Les demandeurs ont apporté la preuve du défaut d’intention matrimoniale par la production de photos et d’attestations diverses, éléments retenus par les juges du fond.
Rappelons que la nullité est absolue car il n’est pas question de vice du consentement qui protège l’une de parties, mais d’une absence de consentement qui touche à l’existence même du mariage et qui remet en cause l’institution qu’est l’union matrimoniale.
Pour la Cour de cassation, le fait que l’auteure du pourvoi n’ait pas pu prouver l’existence d’une vie familiale effective en réponse aux éléments de preuves apportés par les demandeurs exclut aussi l’application de l’article 8 de la Convention. Pas de respect de la vie familiale sans vie familiale conclut-elle logiquement.
II – La nullité du mariage fictif dépourvu d’une communauté de vie et contracté dans l’unique but d’assurer l’avenir d’un enfant
Les juges suprêmes considèrent que le mariage contracté uniquement dans le but d’assurer l’avenir financier d’un enfant est nul car fictif, dès lors qu’il est dépourvu de toute communauté de vie (A). Cette nullité n’est pas sans effets (B).
A – Le caractère fictif du mariage contracté dans l’unique but d’assurer l’avenir d’un enfant
Les mariages fictifs ou simulés ou encore les mariages blancs, ont pour objectif d’atteindre uniquement l’un des effets secondaires du mariage. Une jurisprudence abondante est apparue sur cette question avec une montée en puissance du nombre des mariages contractés dans le but d’obtenir la naturalisation ou le droit de séjour d’étrangers.
Le caractère fictif de ce type d’union peut être décelé en amont. En effet, l’article 175-1 du Code civil et les articles suivants, précisent que le ministère public peut former opposition pour les cas où il pourrait demander la nullité du mariage et notamment lorsqu’il y a défaut d’intention matrimoniale. Le Code civil prévoit par ailleurs que les enfants peuvent aussi former une telle opposition.
L’article 175-2 du même code précise que, lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer, le cas échéant au vu d’une audition prévue par l’article 63 du Code civil, « que le mariage envisagé est susceptible d’être annulé au titre de l’article 146 ou de l’article 180, l’officier de l’état civil peut saisir sans délai le procureur de la République. Il en informe les intéressés ».
Le procureur de la République est ensuite tenu, « dans les quinze jours de sa saisine, soit de laisser procéder au mariage, soit de faire opposition à celui-ci, soit de décider qu’il sera sursis à sa célébration, dans l’attente des résultats de l’enquête à laquelle il fait procéder. Il fait connaître sa décision motivée à l’officier de l’état civil, aux intéressés ». La durée du sursis « ne peut excéder un mois renouvelable une fois par décision spécialement motivée ». À l’expiration du sursis, il fait connaître « par une décision motivée à l’officier de l’état civil s’il laisse procéder au mariage ou s’il s’oppose à sa célébration ».
Les futurs époux peuvent alors « contester la décision de sursis ou son renouvellement devant le président du tribunal de grande instance, qui statue dans les dix jours ». Le tribunal de grande instance doit ensuite se prononcer dans les dix jours sur la demande en mainlevée formée par les futurs époux.
Mais si aucune opposition n’est faite au moment du mariage, le Code civil prévoit la procédure d’annulation du mariage pour défaut de consentement, procédure dont il est question en l’espèce. Les enfants pouvaient légitimement agir en nullité, même après le décès de leur père. Ils avaient bien entendu un intérêt à agir, cet intérêt étant d’ordre financier.
Comme cela a déjà été précisé, ce sont les juges du fond qui apprécient souverainement l’absence d’intention matrimoniale10. Pour fonder leurs convictions, les juges tiennent compte des faits qui entourent la célébration mais aussi le comportement des époux après le jour des noces. Tous ces éléments permettent aux juges de déterminer le caractère réel et sérieux de l’union.
Dans l’arrêt rendu par la cour d’appel et repris dans le pourvoi, la cour retient un arsenal d’éléments qui plaident en la défaveur de l’épouse. Notamment, la cour relève que pendant un temps, le père avait pensé adopter l’enfant devenu fictivement sa femme plutôt que l’épouser. Cet élément met la lumière sur la réalité de l’objectif poursuivi : assurer l’avenir financier de l’épouse. La cour d’appel relève en outre que le père avait vécu maritalement avec une autre femme, en l’occurrence la mère de son épouse, ayant une communauté de vie avec cette dernière.
Les éléments sur lesquels se fonde la cour d’appel sont probants et permettent à la Cour de cassation de valider la décision et de conclure que l’intention matrimoniale ne peut pas se résoudre au seul intérêt financier.
La Cour de cassation avait déjà cassé un arrêt d’une cour d’appel qui avait refusé d’annuler un mariage argué de nullité pour finalité exclusivement successorale, au seul motif que ce mariage avait eu au moins pour effet de permettre aux époux de mettre en œuvre, quant à leurs biens, leur contrat de mariage11. Elle montrait déjà par cet arrêt que la finalité ne peut pas être exclusivement d’ordre financier.
Mais le mariage d’argent n’est pas condamnable, en lui-même. C’est ce qu’avait en effet précisé une cour d’appel12 dans une affaire dans laquelle une jeune femme avait épousé un « vieux et riche mari ». Par la suite, elle est suspectée de l’avoir empoisonné, puis elle est relaxée par le tribunal. Le mariage n’est pas annulé, car pour les juges, l’épouse s’était rendue au chevet de son mari malade. De ce fait les juges considèrent qu’elle a accompli au moins une des obligations du mariage, le défaut d’intention matrimoniale n’est donc pas caractérisé.
Mais la Cour de cassation a confirmé le principe selon lequel le mariage uniquement motivé par les conséquences financières ne peut être validé, dans une décision rendue le 19 décembre 2012. Dans cette affaire, les juges du fond, avaient considéré qu’au moment du mariage, l’épouse « était animée par une intention de lucre et de cupidité, n’ayant pour but que d’appréhender le patrimoine » du mari. Le but étant, selon la cour d’appel « d’assurer son avenir et celui du fils qu’elle avait eu avec un tiers ». La cour d’appel notait aussi que l’épouse « s’était refusée à son époux après le mariage, n’ayant consenti à une relation sexuelle que le jour du mariage ». Elle relevait en outre que le mari avait alors éprouvé « des doutes sur la sincérité de l’intention matrimoniale de son épouse » et avait ainsi exprimé sa volonté, quelques mois après l’union, de demander l’annulation du mariage. La Cour de cassation13 a rejeté le pourvoi formé par l’épouse car selon elle, le mariage était nul parce que l’épouse « n’avait pas eu l’intention de se soumettre à toutes les obligations nées de l’union conjugale ». Selon un auteur, par cet arrêt, la Cour de cassation montrait qu’elle « continue à contrôler la notion d’obligation essentielle du mariage »14.
Cette notion d’obligation essentielle du mariage est fondamentale, car elle sert à déterminer quelle est la validité du consentement donné au mariage. En voulant éluder les conséquences principales du mariage, un conjoint révèle que son consentement n’existe pas. Il y a un mensonge sur la réalité de sa volonté de prononcer le « oui » solennel.
La Cour de cassation précisait dès 1963 que « le mariage est nul, faute de consentement, lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale »15. En outre, selon le même auteur, dans son arrêt de 2012, la Cour « prend garde de préciser que cette limite est conforme à la liberté nuptiale que garantit l’article 12 de la Convention EDH ».
Par l’arrêt ici commenté, la Cour poursuit donc son œuvre dans des termes similaires en précisant qu’un défendeur en nullité du mariage ne peut invoquer valablement la Convention européenne des droits de l’Homme en absence de volonté de satisfaire aux obligations essentielles du mariage.
B – La nullité du mariage et ses effets
Dans certains cas, les époux ont le choix entre intenter une action en divorce ou intenter une action en nullité. La particularité de l’annulation du mariage, c’est son effet rétroactif, même si la théorie du pariage putatif peut être appliquée dans certains cas16. C’est une disposition prévue à l’article 201 du Code civil qui indique que « le mariage qui a été déclaré nul produit, néanmoins, ses effets à l’égard des époux, lorsqu’il a été contracté de bonne foi ». Selon le second alinéa, « si la bonne foi n’existe que de la part de l’un des époux, le mariage ne produit ses effets qu’en faveur de cet époux ».
Lorsque l’un des époux est décédé, le seul moyen pour les héritiers est de tenter de faire annuler le mariage pour éviter notamment que le conjoint survivant puisse bénéficier des avantages financiers résultant de son état.
En cas d’annulation du mariage, tous les effets d’ordre patrimonial disparaissent. Cela concerne les droits successoraux, « en pleine propriété ou en usufruit »17. De plus, « les conventions matrimoniales étant aussi nulles, la liquidation se fera soit sur la base d’une convention nouvelle entre les ex-époux, soit sur la base d’une société de fait, car il faudra bien aboutir à la liquidation de cette communauté d’intérêts »18.
De la même façon, les donations faites en vue du mariage ne sont plus valables, et le cas échéant, les biens reçus doivent être restitués.
En l’espèce, il est évident que les enfants du défunt ont agi sur le fondement de la nullité pour éviter que l’épouse hérite de son époux qui ne l’était finalement plus.
C’est la même motivation qui avait amené les héritiers d’un père à introduire une requête devant les juridictions pour éviter que l’épouse, condamnée pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sur son mari, puisse prétendre à tout héritage19.
En somme, l’objectif est doublement atteint, par les héritiers qui ont obtenu la nullité du mariage de leur père, et de façon plus remarquable, par la Cour de cassation qui, par cette décision, donne une ligne claire quant au rapport qu’il existe non seulement entre l’intention matrimoniale et l’existence même du mariage, mais aussi entre le droit issu de la Convention européenne de droits l’Homme et l’application des normes nationales en matière de nullité du mariage. Un conjoint ne peut donc pas bénéficier des dispositions de la Convention si le mariage en cause est dépourvu de réelle volonté de partager la vie familiale, le but de l’union étant uniquement d’ordre financier. Le recours devant la Cour européenne est en principe possible, mais la marge d’appréciation laissée aux juridictions nationales sur le contrôle de la validité des unions devrait le rendre inutile.
Notes de bas de pages
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1.
CEDH, 16 déc. 2003, n° 64927/01.
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2.
V. Gonzalez G., obs. sous CEDH, 16 déc. 2003, n° 64927/01, Palau-Martinez c/ France : RDP 2004, p. 843.
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3.
CEDH, gde ch., 22 janv. 2008, n° 43546/02, E. B. c/ France.
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4.
Cass. 1re civ., 4 déc. 2013, n° 12-26066 : LPA 7 févr. 2014, p. 9, note Hisquin J.-M.
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5.
CA Versailles, 15 juin 1990 : Juris-Data n° 1990-046710 ; D. 1991, p. 268, note Hauser J.
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6.
V. not. sur ces questions, Buffelan-Lanore Y. et Larribau-Terneyre V., Droit civil. Introduction, Biens, Personnes, Famille, 16e éd., 2009, Sirey, p. 546-7.
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7.
V. not. Devers A. et a., « Chronique de jurisprudence », Gaz. Pal. 19 nov. 2011, n° I7844, p. 19.
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8.
CA Caen, 23 févr. 2017, n° 16/01437.
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9.
Cass. 1re civ., 6 janv. 2010, n° 08-19500.
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10.
Cass. 1re civ., 12 nov. 1998, n° 96-19701.
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11.
Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 01-12574.
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12.
CA Toulouse, 11 juin 2013, n° 11/05409.
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13.
Cass. 1re civ., 19 déc. 2012, n° 09-15606.
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14.
LEFP févr. 2013, n° 2, p. 3, Raoul-Cormeil G.
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15.
Cass. 1re civ., 20 nov. 1963, n° 72-12722, Appietto.
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16.
V. sur ces questions, Lamarche M. et Lemouland J.-J., v° Mariage, 3°, nos 165 et s. : Rep. civ. Dalloz.
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17.
Ibid., nos 163 et s.
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18.
Ibid.
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19.
Cass. 1re civ., 19 déc. 2012, n° 09-15606.