Caractère exclusif de l’article 146 du Code civil en matière de mariage fictif

Publié le 03/10/2017

En l’absence de toute intention matrimoniale et de toute vie familiale effective, le mariage fictif ne relève pas de la sphère protégée par les articles 8 et 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Cass. 1re civ., 1er juin 2017, no 16-13441, FS-PBI

1. Le mariage et l’argent ne font pas toujours bon ménage ! En l’espèce1, un homme et une femme vivaient maritalement depuis de nombreuses années. Après leur séparation, l’homme décide de se marier avec la fille de son ancienne compagne. Les enfants du mari nés d’une précédente union assignent le conjoint survivant en annulation du mariage en vertu de l’article 146 du Code civil. Les juges du fond confirment la nullité du mariage. En cassation, l’épouse reprochait aux juges du fond que faute d’avoir recherché si la demande en nullité de mariage ne constituait pas une ingérence injustifiée dans ses droits au respect de sa vie privée et familiale, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ensemble au regard de l’article 9 du Code civil. La haute juridiction rejette le pourvoi en estimant ; « qu’un mariage purement fictif ne relève pas de la sphère protégée par les articles 8 et 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, en l’absence de toute intention matrimoniale et de toute vie familiale effective ». Les articles 8 et 12 de la Conv. EDH étant inapplicables en l’espèce (II), les héritiers devaient obtenir la nullité du mariage en vertu de l’article 146 du Code civil (I).

I – Fondement de la nullité du mariage fictif pour défaut de consentement

2. À l’occasion du pourvoi, la première chambre civile rejette le pourvoi en estimant qu’un mariage contracté en l’absence d’intention matrimoniale est nul (A) en retenant que le mariage n’avait été contracté qu’à des fins successorales (B).

A – Défaut de consentement et absence d’intention matrimoniale

3. Même si l’article 146 du Code civil dispose de manière lapidaire : « Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement », certains diront, fort justement, que : « Bien que l’article 146 ne vise expressément que le défaut de consentement, la jurisprudence admet que le texte s’applique également au défaut d’intention matrimoniale »2. Aussi nécessaire qu’elle soit, la preuve de défaut d’intention matrimoniale, revoie à l’appréciation souveraine des juges du fond3. Dans sa ligne générale, l’interprétation s’appuie sur la recherche des buts poursuivis par les époux, qui va permettre de révéler un mariage simulé4, Cette analyse est consacrée sans ambages par la Cour de cassation : « Attendu que M. X fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 7 juin 1996) de l’avoir débouté de sa demande en nullité du mariage par lui contracté, le 14 décembre 1991, avec Mme K sans avoir recherché si celle-ci n’avait pas, nonobstant la vie commune, accepté le mariage dans le seul but d’obtenir un titre de séjour en France, de sorte que la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article 146 du Code civil ; Mais attendu que le pourvoi se heurte aux constatations de la cour d’appel qui, de l’ensemble des éléments de preuve soumis à son appréciation, a souverainement retenu qu’il n’était pas établi que le mariage avait été contracté dans un but totalement étranger à son institution ; que le moyen ne peut être accueilli ; Par ces motifs ; Rejette le pourvoi »5.

4. Dans son pourvoi en cassation dirigé contre l’arrêt d’appel, l’épouse soutenait que le mariage était précédé d’un contrat de mariage en date du 30 novembre 2000, et d’ajouter que la célébration du 21 décembre 2000 a eu lieu en présence d’un tiers attestant de la volonté de M. X d’épouser Mme Y et a été suivie d’actes révélant une communauté de vie (déclarations fiscales communes et intervention de Mme Brigitte Y auprès de l’Administration en tant qu’épouse lors de l’hospitalisation de M. X et à la suite du décès).

B – Mariage contracté uniquement à des fins successorales

5. On touche ici à la question essentielle, qui consistait à rechercher la véritable intention matrimoniale. La célébration du mariage avait-elle exclusivement pour objectif de conférer des droits successoraux à l’épouse ? Ainsi la Cour de cassation censure-t-elle les juges du fond de la manière suivante : « Attendu que pour débouter M. X de sa demande d’annulation du mariage célébré le 13 juillet 1995, la cour d’appel énonce seulement que, même à admettre que le mariage ait eu pour seule fin des avantages patrimoniaux pour Mme Y qu’un testament ne lui aurait pas donnés, sa nullité ne serait pas encourue dès lors que l’un de ses effets est d’avoir permis aux conjoints de mettre en œuvre, quant à leurs biens, les conventions spéciales qu’ils avaient arrêtées le 21 juin 1995 ; Attendu qu’en se déterminant ainsi, elle n’a pas donné de base à sa décision ; Par ces motifs ; Casse et annule »6.

6. Il n’est pas douteux que l’analyse in concreto des faits ayant abouti à la célébration du mariage dépendra de la façon dont les juges auront découvert l’intention des époux. Bien que traditionnelle, la notion de but poursuivi n’est pas très heureuse. Dans sa décision, n° 2012-261 QPC du 22 juin 2012, le Conseil constitutionnel souligne dans les considérants 6 et 7 : « en premier lieu, que l’article 146 du Code civil subordonne la validité du mariage au consentement des époux ; qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le mariage est nul, faute de consentement, lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale ; et que la protection constitutionnelle de la liberté du mariage ne confère pas le droit de contracter mariage à des fins étrangères à l’union matrimoniale ; que, par suite, le grief tiré de ce que l’article 146 du Code civil porterait atteinte à cette liberté doit être écarté »7. Dans la même veine, la haute juridiction estime que l’intention de lucre et de cupidité, n’ayant pour but que d’appréhender le patrimoine de Philippe Y, afin d’assurer son avenir et celui du fils doit être annulé pour fictivité du mariage8.

II – Sanction du mariage fictif pour défaut de consentement

7. Pour la Cour de cassation, la nullité du mariage pour défaut de consentement (A) ne peut être remise en cause sur le fondement du respect de la vie privée et familiale tel que protégé par la Convention européenne des droits de l’Homme (B).

A – Nullité absolue du mariage fictif

8. L’article 184 du Code civil dispose que : « Tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 peut être attaqué, dans un délai de 30 ans à compter de sa célébration, soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public ». La place tout à fait particulière qu’occupe la nature de la nullité dans l’hypothèse du défaut de consentement prévue par l’article 146 du Code civil résulte d’un débat doctrinal qui a été résolu par la loi du 19 février 19339. Dès lors la nullité pour défaut de consentement, de caractère absolu, peut être invoquée par tout intéressé10.

9. Force est de considérer que la preuve du défaut d’intention conjugale réelle est difficile à rapporter, comme la doctrine a pu l’affirmer à juste titre11, d’autant plus qu’au mariage blanc s’ajoute « le mariage gris » qui consiste à contracter un mariage en cachant ses réelles intentions12. Le mariage gris ou frauduleux est sanctionné pénalement par l’article L. 623-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui dispose : « Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement, ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Ces peines sont également encourues lorsque l’étranger qui a contracté mariage a dissimulé ses intentions à son conjoint. Ces mêmes peines sont applicables en cas d’organisation ou de tentative d’organisation d’un mariage ou d’une reconnaissance d’enfant aux mêmes fins. Elles sont portées à 10 ans d’emprisonnement et à 750 000 € d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée ».

10. À cet égard, la doctrine souligne que : « (…) le défaut de volonté matrimoniale avait un caractère unilatéral alors que, dans les hypothèses classiques, le défaut de consentement se rencontre chez les deux conjoints »13. C’est ainsi que la Cour de cassation rejette le pourvoi en précisant : « Mais attendu que le pourvoi se heurte aux constatations des juges du fond qui, de l’ensemble des éléments de preuve soumis à leur appréciation, ont souverainement retenu que M. M. n’a jamais eu l’intention sincère de fonder un foyer avec Mme D. qu’il l’avait trompée sur ses intentions véritables et dont il avait surpris le consentement ; que le moyen n’est pas fondé ; Par ces motifs : Rejette le pourvoi ».

B – Exclusion des mariages fictifs de la protection des articles 8 et 12 de la Conv. EDH

11. On aurait tort de penser cependant que dans l’arrêt annoté, la notion de mariage simulé conduit nécessairement à la définition traditionnelle retenue par la haute juridiction. Au cas d’espèce, la Cour de cassation précise que « mariage purement fictif ne relève pas de la sphère protégée par les articles 8 et 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, en l’absence de toute intention matrimoniale et de toute vie familiale effective »14. Dans la recherche de cette notion d’effectivité, il est inévitable que cette dernière renvoie au fameux arrêt Marckx15 qui précise dans son paragraphe 31 : « La première question à trancher consiste à savoir si le lien naturel entre Paula et Alexandra Marckx a donné lieu à une vie familiale protégée par l’article 8. En garantissant le droit au respect de la vie familiale, l’article 8 présuppose l’existence d’une famille. La Cour marque son plein accord avec la jurisprudence constante de la Commission sur un point capital : l’article 8 ne distingue pas entre famille “légitime” et famille “naturelle”. Pareille distinction se heurterait aux mots “toute personne” ; l’article 14 le confirme en prohibant, dans la jouissance des droits et libertés consacrés par la Convention, les discriminations fondées sur “la naissance”. La Cour note au surplus que le comité des ministres du Conseil de l’Europe voit dans la mère seule et son enfant une famille parmi les autres (résolution (70) 15 du 15 mai 1970 sur la protection sociale des mères célibataires et de leurs enfants, par. I-10, par. II-5, etc.). L’article 8 vaut donc pour la “vie familiale” de la famille “naturelle” comme de la famille “légitime”. D’autre part, il n’est pas contesté que Paula Marckx a pris en charge sa fille Alexandra dès sa naissance et n’a cessé de s’en occuper, de sorte qu’il a existé et existe entre elles une vie familiale effective ». Dans l’arrêt rapporté, outre le défaut d’intention matrimoniale, la Cour de cassation rejoint la Cour EDH en ayant recours à la notion d’effectivité de la vie familiale.

12. En raison de la présence d’obligations positives incombant aux hautes parties contractantes, la Cour de cassation aurait pu procéder à un contrôle de proportionnalité, car s’agissant des obligations positives, l’atteinte disproportionnée à droit subjectif est sanctionnée « puisque la rupture du juste équilibre le prive d’une obligation positive qui aurait rendu son droit plus effectif »16.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C.L.G. La Conv. EDH (art. 8 et 12) ne protège pas un mariage purement fictif en l’absence d’intention matrimoniale et vie familiale effective. Dr. & patr. hebdo, n° 1105, p. 2 ; Louis D., « Mariage fictif : les articles 8 et 12 de la Conv. EDH ne s’appliquent pas », Dalloz actualité, 15 juin 2017.
  • 2.
    Gallmeister I., « Nullité du mariage : défaut de consentement d’un époux », Dalloz actualité, 17 janv. 2013.
  • 3.
    Le Lamy Droit des personnes et de la famille, Preuve du mariage simulé, Dekeuwer-Défossez F.
  • 4.
    Ibid.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 12 nov. 1998, n° 96-19701.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 01-12574 : Bull. civ. I, n° 215 ; RJPF 2004/1, n° 30, obs. Leborgne A.
  • 7.
    Cons. const., 22 juin 2012, n° 2012-261 QPC.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 19 déc. 2012, n° 09-15606.
  • 9.
    Lamarche M. et Lemouland J.-J., Mariage (30 sanctions de l’inobservation des conditions de formation), Répertoire de droit civil, n° 49.
  • 10.
    Massip J., « Nullité pour erreur d’un mariage et du contrat de mariage qui l’a accompagné », LPA 27 mars 1996, p. 15.
  • 11.
    Lamarche M. et Lemouland J.-J., Mariage (30 sanctions de l’inobservation des conditions de formation), Répertoire de droit civil, op cit., n° 153.
  • 12.
    Le Lamy Droit des personnes et de la famille, Mariage de complaisance ou mariage blanc, Dekeuwer-Défossez F.
  • 13.
    Massip J., « De quelques cas de nullité du mariage », LPA 11 déc. 1998, p. 24.
  • 14.
    Louis D., « Mariage fictif : les articles 8 et 12 de la Conv. EDH ne s’appliquent pas », Dalloz actualité, 15 juin 2017., op cit.
  • 15.
    CEDH, 13 juin 1979, n° 6833/74, Marckx c/ Belgique.
  • 16.
    Moutel B., L’« effet horizontal » de la Convention européenne des droits de l’Homme en droit privé français essai sur la diffusion de la CEDH dans les rapports entre personnes privées, Thèse, 2006, Limoges, n° 99, p. 118.
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