L’appréciation du champ d’application des articles 1373 et 1374 du Code de procédure civile

Publié le 07/08/2019

Il incombe à la cour d’appel, saisie d’une demande d’ouverture des opérations successorales, de trancher les difficultés qui lui étaient soumises avant de renvoyer les parties devant le notaire.

Cass. 1re civ., 3 avr. 2019, no 18-14179, PB

1. Demandes d’ouverture des opérations successorales. Au cas d’espèce1, C. X et W. I., époux communs en biens, sont décédés successivement laissant pour leur succéder leurs quatre enfants, V., K., E. et D. Un jugement du 15 mars 2001 a prononcé l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de C. X. Des difficultés étant survenues lors des opérations relatives à la succession de W. I., le juge a été saisi. K. X, est décédée le (…), laissant pour héritiers M. P., son époux, et ses trois filles, U., Q. et F. (les consorts P.). Ces derniers ont assigné leurs cohéritiers en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de W. I.

Le raisonnement des juges du fond consiste à déclarer irrecevables les demandes d’ouverture des opérations de compte, liquidation et de partage successoral. La Cour de cassation ne l’entend pas ainsi et censure la cour d’appel car en statuant ainsi, alors que, saisie d’une demande d’ouverture des opérations successorales, il lui incombait de trancher les difficultés qui lui étaient soumises avant de renvoyer les parties devant le notaire, la cour d’appel a violé les textes susvisés. Il est clair que cet arrêt rendu par la Cour de cassation vient préciser la recevabilité des demandes d’ouverture des opérations successorales (II), en rappelant les strictes conditions d’application des articles 1373 et 1374 du Code de procédure civile (I).

I – Les strictes conditions d’application des articles 1373 et 1374 du Code de procédure civile

2. Procédure. La Cour de cassation exerce un contrôle rigoureux lorsqu’elle censure les juges du fond alors que le notaire n’avait pas dressé de projet d’état liquidatif et de procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties en cas de difficultés (A), et que le juge commis n’avait pas établi de rapport au tribunal des points de désaccord subsistant entre les parties (B).

A – Nécessité d’un projet d’état liquidatif rédigé par le notaire commis

3. Articles 1373 et 1374 du Code de procédure civile. Selon l’article 1373 du Code de procédure civile, en cas de désaccord des copartageants sur le projet d’état liquidatif dressé par le notaire, ce dernier transmet au juge commis un procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties ainsi que le projet d’état liquidatif. Le greffe invite les parties non représentées à constituer avocat. Le juge commis peut entendre les parties ou leurs représentants et le notaire et tenter une conciliation. Il fait rapport au tribunal des points de désaccord subsistants. Il est, le cas échéant, juge de la mise en état. On s’accorde généralement à reconnaître que « le juge commis n’est pas qualifié pour statuer sur les difficultés qui peuvent s’élever »2. Cependant, comme le précise l’article 1373 du Code de procédure civile, le juge commis fait rapport au tribunal des points de désaccord subsistants. Ainsi, en l’espèce, le notaire n’ayant pas dressé un procès-verbal de difficultés dans les formes prévues par l’article 1373 du Code de procédure civile, les dispositions de l’article 1374, applicables lorsque l’article 1373 s’applique lui aussi, ne trouvaient pas application3. C’est ainsi que la Cour de cassation a récemment jugé qu’« alors que le notaire n’avait pas dressé de procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties et que le juge commis n’avait pas établi de rapport au tribunal des points de désaccord subsistant entre les parties, la cour d’appel a violé les textes susvisés »4. En d’autres termes, il faut que le notaire ait rédigé un procès-verbal de dires pour que les demandes postérieures à celui-ci puissent être jugées irrecevables faute pour la partie soulevant une demande distincte de prouver la légitimité de son absence devant le notaire5.

4. La commise judiciaire du notaire et le notaire commis. Il appartient au notaire commis, en vertu de l’article 1373 du Code de procédure civile, de préparer un projet d’état liquidatif contenant les comptes entre copartageants, la masse partageable, les droits des parties et la composition des lots à répartir. Dans cette perspective, le notaire liquidateur recueillera tous éléments propres à établir les comptes de la succession ainsi que la valeur des biens la composant, au besoin en s’aidant de la lumière de tout sapiteur de son choix aux frais de la succession concernée et qu’il rédigera à partir des éléments recueillis un projet d’état liquidatif6. En l’espèce, pour liquider la succession de W. I., les consorts P. ont assigné M. V. X, Mme E. J. et M. D. X par actes des 6 et 13 juillet 2015, devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins qu’il soit procédé aux opérations de comptes, liquidation et partage de cette succession, de sorte que les opérations ouvertes par le jugement dont l’appel n’ont, à l’évidence, pas pu donner lieu à l’établissement d’un projet d’état liquidatif. Dans le même ordre d’idées, il a été jugé que « pour déclarer irrecevables les demandes de Mme X, l’arrêt retient que les contestations ne peuvent porter que sur les points soumis au notaire et que, lorsqu’aucune contestation n’a été soumise à ce dernier par l’effet de la carence d’une partie, seule la légitimité démontrée de son absence est de nature à rendre sa demande ultérieure recevable ; qu’en statuant ainsi, alors que le notaire n’avait pas dressé de procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties et que le juge commis n’avait pas établi de rapport au tribunal des points de désaccord subsistant entre les parties, la cour d’appel a violé les textes susvisés »7. Il faut se garder de confondre la notaire commise dans le cadre de l’article 1373 du Code de procédure civile et la commise judiciaire du notaire dans le cadre de l’article 255-10 du Code civil. En effet, l’emploi de la commise judiciaire du notaire prévu par l’article 255-10 du Code civil, qui est, de beaucoup, le plus répandu8 ne peut s’accommoder que des liquidations relativement simples car il est nécessaire que le juge du divorce s’estime suffisamment informé par le notaire commis9.

B – Rapport du juge commis au tribunal sur les points de désaccord subsistant entre les parties

5. Le juge commis fait rapport au juge du fond des points de désaccord subsistant entre les parties. Si l’on examine les textes, force est de constater qu’en cas d’échec de la tentative de conciliation proposée par le juge commis, ce dernier doit faire un rapport au tribunal sur les difficultés subsistantes révélées par le procès-verbal de dires des parties dressé par le notaire commis10. Au cas d’espèce, la haute juridiction estime « qu’en matière de partage judiciaire, l’irrecevabilité des demandes formulées pour la première fois devant le tribunal n’est encourue que si le notaire en charge du projet d’état liquidatif a établi un procès-verbal de difficultés et si le juge commis a transmis un rapport au tribunal ; qu’en déclarant irrecevables les demandes portant sur le partage de la succession de W. X, à l’exception de celles portant sur la validité des testaments attribués à la défunte, bien qu’elle ait constaté l’absence de tout procès-verbal de difficultés établi dans le cadre de sa succession, la cour d’appel a violé les articles 1373 et 1374 du Code de procédure civile ».

6. La notion de désaccord subsistant. C’est, rappelons-le, l’article 1373 du Code de procédure civile qui a introduit la notion de désaccord subsistant. La difficulté réside dans la preuve du caractère subsistant du désaccord. Il est acquis qu’il existe différents modes de preuve permettant de démontrer le caractère « subsistant » des désaccords : une déclaration commune contresignée par avocat, le projet du notaire « 255-10 » et la preuve par tous moyens11.

II – Inapplication des articles 1373 et 1374 du Code de procédure civile aux demandes d’ouverture d’opérations successorales

7. Apport de l’arrêt. En censurant la cour d’appel, alors que, saisie d’une demande d’ouverture des opérations successorales, il lui incombait de trancher les difficultés qui lui étaient soumises avant de renvoyer les parties devant le notaire, la Cour de cassation écarte les articles 1373 et 1374 du Code de procédure civile des demandes d’ouverture des opérations successorales (A). Reste à déterminer quelles sont les limites pour présenter une demande d’ouverture des opérations successorales (B).

A – Demandes d’ouverture d’opérations successorales

8. La notion de demandes d’ouverture des opérations successorales. On peut estimer que constitue une demande d’ouverture des opérations successorales, toute demande ayant pour finalité d’aboutir à un partage judiciaire conformément aux articles 840 et suivants du Code civil. Il faut convenir d’ailleurs que cette notion de demande d’ouverture des opérations successorales n’est pas aisée à circonscrire. Pour autant, la jurisprudence nous en fournit quelques grandes lignes. C’est ainsi que constitue une demande d’ouverture des opérations successorales le fait d’évaluer les biens successoraux et de fixer le montant de la soulte due par le fils12. De même, une demande de donner acte par la demanderesse de son rapport à la succession de 25 992 00,00 € constitue une action en ouverture des opérations successorales13. En l’espèce, il s’agissait des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de W. X, à l’exception des demandes portant sur la validité des testaments attribués à la défunte.

9. Opération de tranchage par le juge. On a vu ainsi apparaître des difficultés en matière de liquidation des intérêts patrimoniaux des époux en instance de divorce. On sait à ce propos que le juge aux affaires familiales (juge du divorce)14 ne devait pas procéder à des opérations de tranchage en matière de partage des intérêts patrimoniaux des époux, car ce pouvoir était réservé au juge du partage. On mesure ainsi l’importance, en l’espèce, de la fonction de tranchage reconnu au juge du fond. La haute juridiction censure les juges du fond aux motifs que ces derniers étant saisis d’une demande d’ouverture liquidation-partage d’une succession, ils devaient trancher les difficultés même en l’absence de procès-verbal de dire des parties rédigé par le notaire commis15.

B – Régime juridique des demandes d’ouverture d’opérations successorales

10. Recevabilité des demandes d’ouverture des opérations successorales. Il est évident, et beaucoup d’auteurs l’ont souligné16, que la recevabilité des demandes d’ouverture des opérations successorales doit être circonscrite. On est ainsi amené à citer un arrêt récent de la cour d’appel d’Angers qui motive sa décision ainsi : « sur la recevabilité de la demande d’ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession, en considérant que l’article 1360 du Code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité, l’assignation en partage contient un descriptif sommaire du patrimoine à partager et précise les intentions du demandeur quant à la répartition des biens ainsi que les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable ». Poursuivant, les juges du fond constatent que « Maître O., notaire, atteste avoir “à maintes reprises essayé de proposer aux parties concernées, soit la vente pure et simple des immeubles, soit même un partage en nature, sur le principe duquel personne n’a vraiment pris position” ». Dans ces conditions et en l’absence d’accord des parties pour effectuer le partage des parcelles grâce à l’intervention amiable d’un notaire, celles-ci l’ayant rendu irréalisable en ne répondant pas à ses propositions, il convient d’infirmer le jugement et de faire droit à la demande de partage judiciaire, nul n’étant tenu de demeurer dans l’indivision17. Il résulte qu’en vertu de cette jurisprudence toute demande nouvelle sera qualifiée de distincte et pourra donc être déclarée irrecevable.

11. Conclusion. De fait, l’action en partage judiciaire paraît de plus en plus semée d’embûches, le partage amiable est une donc une voie qu’il ne faut pas méconnaître.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « Ouverture des opérations liquidatives : pas de PV de difficultés mais le juge doit statuer ! », Documentation Expresse, n° 2019-10, 29 mai 2019 ; Mikalef-Toudic V., « Seules les demandes en cours de partage judiciaire peuvent être déclarées irrecevables », Dalloz actualité 15 avr. 2019 ; Chaminade D., « Le tribunal qui ouvre le partage statue aussi sur les difficultés qui lui sont soumises », La Quotidienne, 10 mai 2019, Éd. Francis Lefebvre.
  • 2.
    Gaget M. (actualisé par Salinière C. et Copain C.), « Partage en justice », JCl. Procédure civile, fasc. 983, n° 39, dernière mise à jour 26 juin 2014.
  • 3.
    Darmois V., « Sur l’irrecevabilité des demandes formées postérieurement au rapport établi par le juge commis : domaine des articles 1373 et 1374 du Code de procédure civile », Gaz. Pal. 3 juill. 2018, n° 325p7, p. 67.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 14 mars 2018, n° 17-16045.
  • 5.
    Darmois V., « Sur l’irrecevabilité des demandes formées postérieurement au rapport établi par le juge commis : domaine des articles 1373 et 1374 du Code de procédure civile », Gaz. Pal. 3 juill. 2018, n° 325p7, p. 67.
  • 6.
    CA Limoges, 2 avr. 2013, n° 12/00487.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 14 mars 2018, n° 17-16045.
  • 8.
    Delecraz Y., « La commise judiciaire du notaire dans le partage post-divorce », JCP N 2015, 1084, nos 8-9.
  • 9.
    Niel P.-L., « Le juge du divorce et les règles de la commise judiciaire du notaire », LPA 30 déc. 2015, p. 10.
  • 10.
    Niel P.-L., Nouvelle pratique notariale en droit du divorce, 2019, Ellipses, n° 203, p. 162.
  • 11.
    Buat-Ménard É., « Juge du divorce et liquidation-partage : nouveaux textes, nouveaux pouvoirs », AJ fam. 2016, p. 296.
  • 12.
    Cass. 1re civ., 16 juin 2011, n° 10-17983.
  • 13.
    CA Bordeaux, 1re ch. civ., sect. B, 29 nov. 2011, n° 10/03591.
  • 14.
    Le juge du divorce avait cependant quelque pouvoir en matière de tranchage : maintien dans l’indivision, attribution préférentielle, désaccord persistant à la suite du rapport par le notaire désigné sur le fondement de l’article 255-10 du Code civil, table ronde n° 2, « Le partage amiable et le partage judiciaire dans le cadre d’une procédure de divorce », RLDC 2014/12, supplément, n° 121.
  • 15.
    Mikalef-Toudic V., « Seules les demandes en cours de partage judiciaire peuvent être déclarées irrecevables », Dalloz actualité 15 avr. 2019.
  • 16.
    Mikalef-Toudic V., « Seules les demandes en cours de partage judiciaire peuvent être déclarées irrecevables », Dalloz actualité 15 avr. 2019.
  • 17.
    CA Angers, 12 nov. 2018, n° 17/00480.
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