Les aspects fiscaux de l’extinction de l’usufruit des personnes physiques

Publié le 22/01/2019

L’extinction de l’usufruit des personnes physiques peut avoir des conséquences fiscales importantes, en raison de la présomption de propriété de l’usufruitier édictée à l’article 751 du Code général des impôts, mais aussi en présence d’une créance de restitution dont la déductibilité relève de l’article 773, 2°, du même code. Cette courte étude vise à rappeler les conditions d’application de ces deux dispositions, mais aussi leurs principaux effets.

L’extinction de l’usufruit emporte les conséquences fiscales définies à l’article 1133 du Code général des impôts selon lequel « sous réserve des dispositions de l’article 1020, la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu par l’expiration du temps fixé pour l’usufruit ou par le décès de l’usufruitier ». Par conséquent, l’extinction de l’usufruit d’une personne physique n’emporte aucune conséquence fiscale, à l’exception de la taxe de publicité foncière prévue à l’article 1020 du Code général des impôts. Cette disposition est logique puisqu’elle n’est que l’application fiscale des règles propres à l’extinction civile de l’usufruit.

Néanmoins, le Code général des impôts comporte notamment deux autres articles qui intéressent l’extinction de l’usufruit : l’article 751 (I) et l’article 773, 2°, (II).

I – L’article 751 du Code général des impôts

L’article 751 du Code général des impôts édicte une présomption de propriété de l’usufruitier sur le bien démembré dans certaines situations. Il convient de revenir sur les conditions d’application cet article (A), puis sur ses effets (B).

A – Les conditions d’application de l’article 751 du Code général des impôts

L’article 751 du Code général des impôts ne s’applique pas à tous les démembrements de propriété, mais se restreint à l’usufruit et la nue-propriété1. Il convient que deux conditions soient remplies, l’une tenant aux titulaires des droits démembrés, l’autre tenant à l’origine du démembrement.

Pour que la présomption prévue à l’article 751 du Code général des impôts ait à s’appliquer, l’usufruit du bien déterminé doit appartenir au défunt et sa nue-propriété doit appartenir à l’un de ses présomptifs héritiers ou descendants d’eux, ou à ses donataires ou légataires ou à toute personne interposée au sens de l’article 911, alinéa 2, du Code civil.

Cet article 911, alinéa 2, du Code civil dispose que « sont présumés personnes interposées, jusqu’à preuve contraire, les père et mère, les enfants et descendants, ainsi que l’époux de la personne incapable ».

En conséquence, les sociétés, même constituées entre descendants du défunt ou légataires ou donataires, ne sont pas assimilées à des personnes interposées. Leur recours est donc particulièrement efficient pour certaines opérations, notamment dans le cas de l’acquisition d’un bien en démembrement de propriété. En effet, dans ce type d’opération, il peut être judicieux de faire acquérir l’usufruit par les parents et la nue-propriété par une société civile immobilière dont les enfants sont associés2. Pour autant, une réponse ministérielle rappelle que l’administration fiscale se réserve le droit de mettre en œuvre la procédure de répression de l’abus de droit fiscal « selon les circonstances particulières de chaque affaire »3.

L’article 751 du Code général des impôts est d’application large puisque sont compris tous les actes à l’origine d’un démembrement entre le défunt et l’une des personnes visées par le texte, à l’exception notable des donations régulières consenties au moins trois avant le décès4. Ce délai de trois mois ne s’applique pas si la donation a été consentie dans un contrat de mariage, ce qui est rarissime en pratique.

L’idée générale est de combattre la fraude qui consisterait à procéder à une donation avec réserve d’usufruit, alors que le disposant se sait condamné à court terme.

B – Les effets de l’article 751 du Code général des impôts

Dans l’hypothèse où l’article 751 du Code général des impôts s’applique, le bien démembré intègre l’actif successoral de l’usufruitier pour sa valeur en pleine propriété. Le bien est alors évalué pour sa valeur en pleine propriété au jour de l’ouverture de la succession de l’usufruitier, le calcul des droits se faisant en fonction de lien de parenté entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. La donation est alors considérée comme n’ayant jamais eu lieu fiscalement, de sorte que l’administration fiscale ne saurait procéder à un redressement ayant pour objet un rehaussement de la valeur déclarée dans l’acte de donation5.

L’article 751, alinéa 4, du Code général des impôts permet au nu-propriétaire d’imputer sur les droits de succession dus les droits de mutation à titre onéreux ou à titre gratuit dont il s’est acquitté lorsqu’il a acquis la nue-propriété. Si ces derniers ont été acquittés par l’usufruitier, ils peuvent être imputés par le nu-propriétaire, mais ils doivent figurer à l’actif successoral en tant que créance6.

Enfin, il convient de préciser que la présomption édictée par ce texte est une présomption simple que le nu-propriétaire peut combattre par la preuve contraire7. Il pourra ainsi justifier de la réalité de l’opération en démontrant par exemple qu’il a réellement payé la nue-propriété au moyen d’un emprunt ou d’une donation de somme d’argent. Il est donc indispensable en pratique de mentionner dans l’acte l’origine des deniers et d’en conserver la preuve. Le nu-propriétaire peut aussi rapporter la preuve d’un décès soudain et surprenant, dans l’hypothèse d’une donation de la nue-propriété consentie moins de trois mois avant le décès8.

II – L’article 773, 2°, du Code général des impôts

L’article 773, 2°, du Code général des impôts régit les conditions de déduction des dettes consenties par le défunt à ses héritiers.

Cet article dispose que « ne sont pas déductibles les dettes consenties par le défunt au profit de ses héritiers ou de personnes interposées. Sont réputées personnes interposées les personnes désignées dans les articles 911, dernier alinéa, et 1100 du Code civil. Néanmoins, lorsque la dette a été consentie par un acte authentique ou par un acte sous-seing privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession autrement que par le décès d’une des parties contractantes, les héritiers, donataires et légataires, et les personnes réputées interposées ont le droit de prouver la sincérité de cette dette et son existence au jour de l’ouverture de la succession ».

Cette disposition intéresse principalement les conditions de déduction de la créance de restitution en présence d’un quasi-usufruit. Rappelons que dans cette hypothèse, les biens objet du quasi-usufruit figurent à l’actif de la succession du quasi-usufruitier, mais que celle-ci est débitrice d’une créance de restitution à l’égard du nu-propriétaire par application de l’article 587 du Code civil9. Ainsi, dès lors que le quasi-usufruit porte sur une somme d’argent, le quasi-usufruitier doit restituer au terme de son droit, et sauf convention contraire des parties, le montant nominal de la somme10.

Au plan civil, la doctrine distingue le quasi-usufruit légal, c’est-à-dire l’usufruit portant sur des choses consomptibles telles que l’argent ou les liqueurs11, du quasi-usufruit conventionnel, c’est-à-dire du quasi-usufruit étendu par la volonté des parties aux choses fongibles telles que les valeurs mobilières12.

Au plan fiscal, il convient de distinguer trois types de quasi-usufruit13 :

  • le quasi-usufruit légal ;

  • le quasi-usufruit constitué par la volonté d’un tiers ;

  • et le quasi-usufruit ayant son origine dans une convention entre le quasi-usufruitier et le nu-propriétaire.

Dans les deux premiers cas, la créance de restitution est librement déductible fiscalement de l’actif successoral du quasi-usufruitier, car elle ne relève pas de l’article 773, 2°, du Code général des impôts dans la mesure où le texte vise expressément « les dettes consenties par le défunt ». Ce n’est pas le cas ici, puisque le quasi-usufruit naît : soit de l’application de la loi, soit de la volonté d’un tiers. Cela vise les hypothèses fréquentes de quasi-usufruit résultant de la distribution de dividendes prélevés sur les réserves14, de l’usufruit légal ou conventionnel du conjoint survivant ou encore d’une clause bénéficiaire démembrée.

En effet, dans ces hypothèses, il serait illogique que la dette de restitution ne puisse pas être déduite de l’actif successoral dans la mesure où l’article 773, 2°, vise à combattre une « collusion » organisée par le défunt et ses héritiers qui souhaiteraient alourdir le passif successoral en ayant recours par exemple à des « reconnaissances de dettes factices »15. Or, la naissance d’une dette de restitution faisant suite à l’extinction du quasi-usufruit du conjoint survivant au titre d’une clause bénéficiaire démembrée, d’une donation entre époux ou d’un usufruit légal constitue une dette sincère et véritable qui doit pouvoir être déduite de l’actif successoral.

En revanche, dans le troisième cas, la créance de restitution n’est en principe pas déductible de l’actif successoral du quasi-usufruitier, à moins que le quasi-usufruit ne fasse l’objet d’une convention antérieure au décès par acte authentique ou sous seing privé ayant date certaine. Cette hypothèse pourrait par exemple concerner les actes de donation de somme d’argent avec réserve de quasi-usufruit16.

En tout état de cause, la rédaction d’une convention de quasi-usufruit définissant les droits et pouvoirs de chacun est vivement recommandée quand bien même la déduction de la dette de restitution serait admise.

Notes de bas de pages

  • 1.
    En effet, le droit d’usage et d’habitation est exclu du champ d’application du texte (BOI-ENR-DMTG 10-10-40-10, 29 sept. 2014, § 80).
  • 2.
    Fruleux F., « V. Succession », JCl. Enregistrement, fasc. n° 60, « Biens appartenant en usufruit au défunt et en nue-propriété à ses successibles (CGI, art. 751) », n° 17 ; v. BOI-ENR-DMTG 10-10-40-10, 29 sept. 2014, § 250.
  • 3.
    Rép. min. Borotra, n° 65962 : JOAN, 22 févr. 1994, p. 674.
  • 4.
    Fruleux F., « V. Succession », JCl. Enregistrement, fasc. n° 60, spéc. nos 41 et s.
  • 5.
    Cass. com., 1er mars 2017, n° 15-14170 ; Cass. com., 1er mars 2017, n° 15-14171 ; Cass. com., 1er mars 2017, n° 15-14172 – Cass. com., 1er mars 2017, n° 15-14173 : Defrénois 28 sept. 2017, n° 128y1, p. 37, obs. Bonnet G. ; JCP N 2017, 1279, note Fruleux F.
  • 6.
    Cass. com., 3 juin 2003, n° 01-12711 : Defrénois 15 oct. 2003, n° 37817, p. 1253, note Chappert A. – Cass. com., 13 nov. 2003, n° 01-16358 : RFN 2004, 1, obs. Mathieu M.
  • 7.
    Fruleux F., « V. Succession », JCl. Enregistrement, fasc. n° 60, spéc. nos 87 et s.
  • 8.
    Cass. com., 17 janv. 2012, n° 10-27185.
  • 9.
    Mercier V., « Usufruit – Prérogatives de l’usufruitier – Droit de l’usufruitier (usage et jouissance) », JCl. Civil, fasc. n° 10, art. 582 à 599, 2011, n° 69.
  • 10.
    C. civ., art. 1895.
  • 11.
    Malaurie P. et Aynès L., Droit des biens, 7e éd., 2017, Lextenso, n° 152.
  • 12.
    Grimaldi M. et Roux J.-F., « La donation de valeurs mobilières avec réserve de quasi-usufruit », Defrénois 15 janv. 1994, n° 35677, p. 3 ; v. aussi Sauvage F., « Les nouvelles frontières du quasi-usufruit », JCP N 2000, 691.
  • 13.
    V. Orlhac C. et Fruleux F., « Distribution de réserves, quasi-usufruit et présomption de fictivité », JCP N 2014, 1340, spéc. nos 26 et s.
  • 14.
    Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-16246 : JCP G 2015, 767, spéc. n° 26, note Tadros A. ; JCP N 2015, 1167, spéc. n° 38, note Orlhac C. et Fruleux F. ; Defrénois 30 nov. 2015, n° 121m1, p. 744, note Gentilhomme R. ; D. 2015, p. 1752, note Rabreau A. 
  • 15.
    Orlhac C. et Fruleux F., « Distribution de réserves, quasi-usufruit et présomption de fictivité », déjà cité, n° 32.
  • 16.
    Sur ce point, Nyzam B., « Plaidoyer en faveur de la donation de somme d’argent avec réserve d’usufruit », Defrénois 25 janv. 2018, n° 132q9, p. 13.
X