L’impossible adoption d’un enfant par deux personnes hors mariage
Par cette décision, la Cour de cassation vient affirmer que l’adoption plénière ne peut être un instrument juridique permettant de consacrer les liens d’affection existants entre un enfant et l’ex-compagne de sa mère, le législateur français ayant réservé l’adoption aux couples mariés.
Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, no 17-11069
L’affaire soumise aux magistrats de la Cour de cassation en date du 28 février 20181 aurait pu être l’occasion de rendre une sorte de « jugement de Salomon » version moderne. Ce ne sera pas le cas. En effet, les juges de la cour régulatrice confirment qu’en droit français, un enfant ne peut être « juridiquement coupé en deux » par la reconnaissance de deux liens de filiation lorsque la querelle concerne deux personnes non mariées de même sexe. Dans cette espèce, un enfant dont la filiation paternelle n’est pas établie, est élevé par un couple de femmes : sa mère et la compagne de cette dernière. Les deux concubines mettent fin à leur relation. Afin de conserver un lien avec l’enfant, l’ex-compagne dépose une requête en adoption plénière du mineur. Les juges du fond rejettent sa demande. L’ex-compagne forme alors un pourvoi en cassation se fondant sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour elle, les textes nationaux réservant l’adoption de l’enfant aux couples mariés doivent être écartés afin de permettre de faire émerger une nouvelle forme de reconnaissance de la filiation correspondant à un lien affectif existant. Ainsi, elle considère qu’il faudrait accueillir sa requête en adoption plénière tout en préservant la filiation d’origine du mineur à l’égard de sa mère biologique et argue de la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales par les juges du fond. La Cour de cassation rejette son pourvoi : l’application des textes nationaux sur l’adoption plénière aurait pour effet de couper les liens avec la mère biologique de l’enfant, ce qui est incompatible avec le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. De plus, le droit au respect de la vie privée et familiale garanti à l’article 8 de la Convention européenne n’impose pas de consacrer, par une adoption, tous les liens d’affection, fussent-ils anciens et établis. La Cour régulatrice ne se saisira donc pas de cette affaire pour réinventer un système permettant de reconnaître deux liens de filiations maternels ou paternels lorsque les protagonistes ne sont pas mariés2. Cet arrêt est l’occasion de rappeler que l’adoption est réservée aux couples mariés (I) et de s’interroger sur les moyens pour l’ex-concubine de maintenir des relations avec l’enfant (II).
I – Le monopole de l’adoption aux couples mariés
Si la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe3 a, en parallèle, permis l’adoption d’un enfant aux couples homosexuels, cette possibilité reste cantonnée aux couples de même sexe unis par les liens du mariage. En effet, l’article 6-1 du Code civil prévoit que « le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois (…) que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe ». Or, si l’on se réfère au droit de la filiation adoptive, que celle-ci soit sous la forme simple ou plénière, les règles du Code civil ne permettent l’adoption qu’aux couples mariés. Ainsi, l’article 346 du Code civil applicable à l’adoption plénière, prévoit que « nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux », ce qui signifie que lorsqu’un projet d’adoption concerne un enfant « biologiquement étranger » aux membres du couple, la demande d’adoption ne peut être portée par le couple que s’il s’agit de deux personnes mariées de sexe différent ou de même sexe ; le cas échéant, la demande d’adoption ne pourra être présentée que par l’un des membres du couple individuellement, même s’il est pacsé ou qu’il vit en concubinage. La condition de mariage s’applique également lorsque l’enfant a une filiation établie à l’égard de l’un des individus formant le couple, que cette filiation résulte d’une vérité biologique, sociologique ou d’une adoption, même s’il est vrai que l’article 345-1 du Code civil ne fait que poser les limites de l’adoption du conjoint sans interdire l’adoption par le concubin ou le partenaire pacsé4. En effet, l’adoption plénière a pour conséquence d’effacer la filiation d’origine de l’enfant au profit de sa nouvelle filiation adoptive ; exception faite pour l’adoption du conjoint qui laisse subsister la filiation d’origine de l’enfant à l’égard du conjoint et de sa famille produisant ainsi les effets d’une adoption par deux époux. Aussi, si l’adoption plénière de l’enfant du concubin était prononcée, le concubin deviendrait le seul parent avéré de l’enfant au détriment de celui dont la filiation originelle était reconnue. Ce sont d’ailleurs les arguments utilisés par la Cour de cassation dans son arrêt du 28 février 2018 : s’appuyant sur les textes précités, la Cour précise que « l’adoption plénière du mineur par l’ex-concubine de sa mère mettrait fin au lien de filiation de celui-ci avec sa mère ce qui serait contraire à l’intérêt de l’enfant, lequel réside dans le maintien des liens avec sa mère biologique ».
La faveur aux couples mariés se retrouve lorsque la requête porte sur une demande d’adoption simple. D’une part, parce que l’article 346 du Code civil s’applique aussi à l’adoption simple5, d’autre part, parce que la modulation des effets de l’adoption simple n’est prévue qu’à l’égard de l’enfant du conjoint du parent de l’enfant. En principe, l’adoption simple a pour effet de transférer les droits d’autorité parentale à l’adoptant seul sauf lorsque cet adoptant est le conjoint du parent de l’enfant auquel cas, l’autorité parentale est dévolue concurremment aux deux époux, celle-ci pouvant être exercée unilatéralement par le parent d’origine de l’enfant ou communément à condition toutefois d’en faire la demande au greffier en chef du tribunal de grande instance6. Là encore, si l’adoption simple était ouverte au concubin, cela aurait pour effet de réduire la place du parent de naissance de l’enfant au profit de son parent adoptif. Il est donc probable que si l’ex-concubine de la mère du mineur avait déposé une requête en adoption simple, la réponse de la Cour de cassation aurait été identique7.
Pour que l’adoption soit ouverte aux partenaires pacsés ou aux concubins, à l’instar de la Belgique qui évoque l’adoption aux cohabitants ou de l’Espagne qui se réfère au couple uni par une relation d’affection analogue au mariage (ces deux pays admettant le mariage au couple de même sexe)8, c’est finalement sur les effets de l’adoption que le législateur aurait à se pencher. Or, il n’est pas certain qu’il s’agisse d’une de ses priorités : saisis de la même affaire, le Conseil constitutionnel9 comme la Cour européenne des droits de l’Homme10, ont considéré que la différence de traitement entre les concubins et les personnes mariées face à l’adoption n’était pas discriminatoire au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme ; le couple marié bénéficiant d’un statut particulier (qu’il soit désormais composé de deux personnes de sexe différent ou non). Reste alors à savoir quelles sont les possibilités dont dispose l’ex-compagne de la mère de l’enfant pour conserver un lien avec ce dernier.
II – Les possibilités offertes à l’ex-compagne de la mère de l’enfant pour maintenir les liens avec l’enfant
Dans l’hypothèse où les deux concubines avaient été mariées, leur séparation aurait pu être sans conséquence sur les liens unissant chacune d’elle avec l’enfant puisqu’il aurait été possible, pendant le mariage, que l’ex-compagne de la mère adopte le mineur en la forme plénière ou simple. Le problème est qu’aucun mariage n’avait été contracté entre elles. Si la Cour de cassation a précisé dans cette affaire que le rôle de l’adoption n’était pas de consacrer tous les liens d’affection, fussent-ils anciens et établis, quelles solutions l’ex-compagne peut-elle envisager pour maintenir des liens avec l’enfant ?
Malgré le fait que seul le lien de filiation maternel est établi, il ne sera pas possible non plus pour l’ex-concubine de créer un second lien de filiation pour la simple raison qu’elle est dotée du même sexe que la mère de l’enfant. Si n’importe quelle personne de sexe masculin pourra procéder à l’établissement de la filiation grâce à la reconnaissance de l’enfant11, cette voie n’est pas ouverte à la personne de sexe féminin ; l’enfant ne pouvant avoir qu’une seule filiation maternelle et une seule filiation paternelle12. Il en est de même en cas de demande d’établissement de la filiation par possession d’état : la Cour de cassation l’ayant refusé il y a quelques mois au concubin de même sexe du parent du mineur13. Comme il est fait remarquer dans le récent rapport Le « droit à l’enfant » et la filiation en France et dans le monde14, depuis la loi de 201315, il existe une inégalité en droit de la filiation : la filiation basée sur une réalité biologique ou une vérité sociologique ne permettant de reconnaître la filiation qu’aux personnes de sexe différent contrairement à la filiation adoptive (dès lors que le couple est uni par les liens du mariage).
De même, si une délégation partielle de l’autorité parentale a déjà été admise en faveur du concubin de même sexe16, pour être acceptée, cette mesure suppose une démarche volontaire de la part de la mère de l’enfant17 – plus difficile à imaginer en cas de séparation du couple – et que les circonstances l’exigent au regard de l’intérêt de l’enfant, condition appréciée souverainement par les juges du fond18.
C’est peut-être avec l’article 371-4, alinéa 2, du Code civil que l’ex-compagne de la mère trouvera une maigre consolation : ce texte permettant à n’importe quel tiers de solliciter auprès du juge aux affaires familiales la fixation des modalités des relations entre lui et l’enfant, notamment lorsque ce tiers « a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs et durables ». Cet article qui répond à la situation exposée de l’ex-concubine ne lui confère aucun droit relatif à l’autorité parentale mais lui permettra de se voir accorder un droit de visite, de correspondance ou d’hébergement. Mais là encore, c’est sous le prisme de l’intérêt de l’enfant que la demande sera étudiée par le juge aux affaires familiales19.
Pour terminer, il convient de souligner que si l’adoption n’est pas permise actuellement à l’ex-compagne de la mère, cette interdiction n’est pas définitive. Puisque l’autorité parentale disparaît à l’émancipation ou la majorité de l’enfant20, l’obstacle du transfert d’autorité parentale n’aura plus lieu d’être. Néanmoins, cette adoption ne pourra être prononcée qu’en la forme simple ; l’adoption plénière n’étant permise qu’en faveur des enfants âgés de moins de 15 ans21. Dans cette hypothèse, l’adopté devra consentir à son adoption22 et le magistrat vérifiera que cette adoption est conforme à l’intérêt de ce dernier23. Cela pourrait être un moyen pour l’ex-concubine de faire profiter à l’enfant de droits de succession plus avantageux que s’il était considéré comme un tiers à la succession24.
Notes de bas de pages
-
1.
Cass. 1re civ., 28 févr. 2018, n° 17-11069 : Bull. civ. I ; Gaz. Pal. 27 mars 2018, n° 316y9, p. 27, note Le Maigat P. ; Lexbase hebdo 5 avr. 2018, n° 737, comm. Brusorio-Aillaud M.
-
2.
Le Maigat P., « Refus de l’adoption plénière par la concubine de la mère en raison de la rupture du lien de filiation biologique », Gaz. Pal. 27 mars 2018, n° 316y9, p. 27.
-
3.
L. n° 2013-404, 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe : JO 18 mai 2013, p. 8253.
-
4.
Salvage-Gerest P., « Adoption : un concubin n’est pas un conjoint », AJ fam. 2016, p. 454.
-
5.
C. civ., art. 361.
-
6.
C. civ., art. 365.
-
7.
Dans ce sens, v. Cass. 1re civ., 20 févr. 2007, n° 06-15647 : Bull. civ. I, n° 71 ; AJ fam. 2007, p. 182, obs. Chénédé F. ; D. 2007, p. 1047, note Vigneau D. ; Dr. famille 2007, étude 80, note Murat P. ; JCP G 2007, II, 10068, note Neirinck C. ; RJPF mai 2007, 5/32, p. 19, note Mécary C. ; RTD civ. 2007, p. 325, note Hauser J. – Cass. 1re civ., 19 déc. 2007, n° 06-21369 : Bull. civ. I, n° 392 ; D. 2008, p. 1028, note Luxembourg F. ; Dr. famille 2008, étude 28, note Murat P. ; JCP G 2008, II, 10046, note Favier Y. ; RJPF mars 2008, 3/28, p. 21, obs. Garé T. ; RTD civ. 2008, p. 287, note Hauser J.
-
8.
Brunetti-Pons C. (dir.), Le “droit à l’enfant” et la filiation en France et dans le monde (CEJESCO de l’université de Reims, CERDACC de l’université de Haute-Alsace), 2018, Paris, Lexisnexis, p. 171 et s.
-
9.
Cons. const., 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC : AJ fam. 2010, p. 489, obs. Mécary C. ; D. 2010, p. 2744, note Chénédé F. ; Dr. famille 2011, étude 17, p. 17, note Tzutzuiano C. ; RTD civ. 2010, p. 776, note Hauser J.
-
10.
CEDH, 15 mars 2012, n° 25951/07, Gas et Dubois c/ France : AJDA 2012, p. 1726, chron. Burgorgue-Larsen L. ; AJ fam. 2012, p. 220, note Siffrein-Blanc C. ; D. 2012, p. 1241, note Dionisi-Peyrusse A. ; RLDC 2012, n° 97, p. 39, note Le Boursicot M.-C. ; RTD civ. 2012, p. 275, note Marguénaud J.-P. ; RTD civ. 2012, p. 306, note Hauser J. En revanche, admettre l’adoption coparentale aux concubins hétérosexuels et l’interdire aux concubins homosexuels a été jugé contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme. V. CEDH, 19 févr. 2013, n° 19010/07, X et a. c/ Autriche : AJDA 2013, p. 1794, chron. Burgorgue-Larsen L. ; AJ fam. 2013, p. 227, note Chénédé F. ; D. 2013, p. 502, obs. Gallmeister I. ; RTD civ. 2013, p. 329, note Marguénaud J.-P. ; RTD civ. 2013, p. 363, note Hauser J.
-
11.
C. civ., art. 316.
-
12.
En cas d’adoption simple de l’enfant, il s’agit plutôt d’une juxtaposition des filiations originelle et adoptive et non véritablement d’une juxtaposition de deux filiations maternelle et paternelle.
-
13.
Cass. 1re civ., avis, 7 mars 2018, n° 17-70039 : Bull. civ. I ; Lexbase hebdo 5 avr. 2018, n° 737, comm. Brusorio-Aillaud M.
-
14.
Brunetti-Pons C. (dir.), Le « droit à l’enfant » et la filiation en France et dans le monde, op. cit., p. 351 et s.
-
15.
L. n° 2013-404, 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, préc.
-
16.
Cass. 1re civ., 24 févr. 2006, n° 04-17090 : Bull. civ. I, n° 101 ; AJ fam. 2008, p. 250, obs. Chénédé F. ; RTD civ. 2008, p. 470, note Hauser J.
-
17.
C. civ., art. 377.
-
18.
Pour un refus, v. Cass. 1re civ., 8 juill. 2010, n° 09-12623 : Bull. civ. I, n° 158 ; AJ fam. 2010, p. 394, obs. Chénédé F. ; RJPF nov. 2010, 11/29, p. 23, note Eudier F. ; RTD civ. 2010, p. 547, note Hauser J.
-
19.
TGI Briey, 21 oct. 2010, n° 09/00482 : AJ fam. 2010, p. 540, obs. Miloudi F. ; D. 2011, p. 1060, note Gallmeister I. ; RTD civ. 2011, p. 118, note Hauser J.
-
20.
C. civ., art. 371-1.
-
21.
C. civ., art. 345.
-
22.
C. civ., art. 345, al. 3.
-
23.
C. civ., art. 353.
-
24.
C. civ., art. 368.