Protection du logement de la famille contre une demande en partage et en licitation émanant du liquidateur judiciaire d’un époux

Publié le 01/10/2019

L’article 215, alinéa 3, du Code civil est applicable à une demande en partage et en licitation du logement de la famille indivis émanant du liquidateur judiciaire de l’époux endetté fondée sur l’article 815 du Code civil.

Cass. 1re civ., 3 avr. 2019, no 18-15177

Bien essentiel de la vie familiale, le logement de la famille bénéficie d’un ensemble de règles protectrices, parmi lesquelles figure l’interdiction pour un époux d’en disposer seul pendant le mariage. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 avril 2019 permet une nouvelle fois d’en préciser le domaine.

En l’espèce, un époux séparé de biens avait été placé en liquidation judiciaire et le liquidateur avait demandé, sur le fondement de l’article 815 du Code civil, le partage et la licitation de l’immeuble indivis servant au logement de la famille. Dans un arrêt du 8 novembre 2017, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait accueilli sa demande au motif que l’article 215, alinéa 3, du Code civil n’est pas applicable lorsqu’une vente forcée est poursuivie par le liquidateur judiciaire d’un des époux, que l’action ait été engagée sur le fondement de l’article 815 ou 815-17 du Code civil.

La question se posait donc ici de savoir si la protection du logement de la famille imposée par le régime matrimonial primaire faisait obstacle à l’action en partage et en licitation du liquidateur judiciaire. La première chambre civile de la Cour de cassation y répond par l’affirmative, énonçant dans un attendu de principe rendu au visa de l’article 215, alinéa 3, du Code civil, que cette disposition est applicable à une demande en partage d’un bien indivis par lequel est assuré le logement de la famille fondée sur l’article 815 du Code civil. La décision des juges du fond est par conséquent cassée au motif que le liquidateur agissait aux lieu et place de l’époux débiteur dessaisi et que l’immeuble indivis dont étaient demandés le partage et la licitation en un seul lot constituait le logement de la famille.

La solution fait ainsi prévaloir la règle impérative du régime matrimonial primaire imposant aux époux la cogestion du logement de la famille sur celle de l’indivision permettant à tout indivisaire de provoquer à tout moment le partage des biens indivis. Elle est conforme à l’interprétation jurisprudentielle traditionnelle des termes de l’article 215, alinéa 3, du Code civil. Son application au liquidateur judiciaire du conjoint endetté (I) demandant le partage et la licitation du logement indivis des époux (II) s’inscrit ainsi dans la tendance protectrice du logement familial.

I – Application de l’article 215, alinéa 3, du Code civil au liquidateur judiciaire de l’époux dessaisi

L’article 215, alinéa 3, du Code civil interdit aux époux de disposer l’un sans l’autre des droits par lesquels sont assurés le logement de la famille et les meubles meublants le garnissant. Cette règle s’applique quel que soit le régime matrimonial choisi puisqu’elle fait partie des dispositions du régime primaire. Le fait que les époux soient en l’espèce mariés sous le régime de la séparation de biens importe peu. Le seul point déterminant est l’affectation du bien au logement de la famille, qu’il s’agisse du domicile conjugal ou de la résidence principale dès lors que la famille y vit effectivement. En l’espèce, cette qualification n’était pas contestée.

Peu importe également la nature du droit par lequel est assuré le logement de la famille : propriété, usufruit, bail, droit d’habitation, droit au maintien dans les lieux… Si le logement est assuré par un droit de propriété, il peut appartenir à l’un des époux ou aux deux. La Cour de cassation admet même qu’il puisse appartenir à une société dont l’un des époux au moins est associé si l’époux qui l’invoque est autorisé à occuper le logement en raison d’un droit d’associé ou d’une décision unanime des autres associés1. En l’espèce, l’immeuble litigieux appartenait indivisément aux deux époux.

L’objectif de la cogestion imposée par la loi aux couples mariés est d’assurer la sécurité matérielle de la famille en évitant qu’un époux ne la remette seul en cause. Si le bien est commun ou indivis, cette cogestion imposée peut recouper les hypothèses de gestion conjointe des biens communs2 ou de cogestion des biens indivis3. En revanche, si le bien appartient personnellement à un conjoint, cette règle porte atteinte au principe d’indépendance de gestion des biens propres ou personnels et crée ainsi une certaine indisponibilité du logement de la famille. L’article 215, alinéa 3, du Code civil s’analyse ainsi en une règle restrictive des pouvoirs des époux.

Cependant, en l’espèce, la demande en partage et en licitation du logement de la famille n’émanait pas d’un époux mais du liquidateur judiciaire du conjoint endetté. La cour d’appel d’Aix-en-Provence avait donc considéré que l’article 215, alinéa 3, du Code civil n’était pas applicable à la vente forcée poursuivie par le liquidateur judiciaire, qu’il agisse sur le fondement de l’article 815 ou de l’article 815-17 du même code. Cette solution s’inspire vraisemblablement de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation admettant que l’article 215, alinéa 3, du Code civil est inopposable aux créanciers en dehors d’un cas de fraude, sous peine de frapper le bien d’une insaisissabilité contraire à la loi4, ou que le juge qui subordonne les mesures de redressement judiciaire à la vente du logement de la famille n’enfreint pas l’article 215, alinéa 3, du Code civil5. L’esprit de cette disposition implique en effet de la limiter aux époux et de l’écarter dès lors que l’acte mettant en péril les droits par lesquels est assuré le logement de la famille émane d’un tiers.

Pourtant, l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence est cassé par la première chambre civile de la Cour de cassation qui admet son application au liquidateur judiciaire d’un époux agissant sur le fondement de l’article 815 du Code civil. Ce dispositif n’est cependant pas en contradiction avec sa jurisprudence antérieure car il est motivé par le fait qu’il agissait aux lieu et place de l’époux débiteur dessaisi. Le liquidateur judiciaire n’apparaît donc pas ici comme un tiers à la règle de cogestion du logement familial mais comme le représentant de l’époux tenu de la respecter.

La solution est conforme à l’article L. 641-9 du Code de commerce, qui indique que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit à partir de sa date le dessaisissement pour le débiteur de l’Administration et de la disposition de ses biens tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée, et qui précise que concernant son patrimoine, ses droits et actions sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Le liquidateur judiciaire représentant l’époux dessaisi devait donc obtenir le consentement de son conjoint pour disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille dès lors que l’acte visé relevait de la cogestion imposée aux époux. La question se posait par conséquent également de savoir si la demande en partage et en licitation du logement de la famille l’exigeait.

II – Application de l’article 215, alinéa 3, du Code civil à la demande en partage et en licitation du logement de la famille indivis

L’article 215, alinéa 3, du Code civil impose le consentement des deux époux pour disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille. Sont ainsi interdits les actes qui anéantissent ou réduisent les droits réels ou personnels de l’un des conjoints sur ce bien6. Cependant, tous les actes de disposition ne sont pas soumis à la gestion conjointe des époux. D’une part, la Cour de cassation réserve à l’époux propriétaire du logement de la famille la possibilité d’en disposer à cause de mort7 ; d’autre part, il est traditionnellement admis que cette règle ne vise que les actes de disposition volontaires (vente, donation, concession à bail…). Ainsi, même si l’article 215, alinéa 3, du Code civil ne porte pas atteinte aux pouvoirs des époux de contracter des dettes, la Cour de cassation refuse qu’un époux puisse constituer seul une hypothèque conventionnelle sur le logement familial en garantie d’une dette8. Elle estime également qu’un époux ne peut pas résilier seul le contrat d’assurance garantissant le logement de la famille9.

En revanche, en sont écartés les actes de disposition involontaires. Ainsi, l’article 215, alinéa 3, n’exclut pas le droit pour un créancier d’inscrire une hypothèque judiciaire sur le logement de la famille10. De même, il n’interdit pas en principe à un époux de se porter caution, sous réserve de la fraude entre l’époux caution et le créancier11.

En l’espèce, la question se posait de savoir si l’article 215, alinéa 3, du Code civil s’applique à une demande en partage et en licitation du logement indivis des époux. La cour d’appel l’avait exclu au motif qu’il s’agissait d’une vente forcée poursuivie par le liquidateur judiciaire d’un époux. Cette qualification pouvait sembler justifier une telle solution, la Cour de cassation ayant déjà exclu la protection du logement de la famille en cas de vente forcée12. Cependant, les décisions rendues en ce sens concernent des hypothèses dans lesquelles l’acte émanait du représentant des créanciers de l’époux endetté, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 3 avril 2019, le liquidateur judiciaire, agissant sur le fondement de l’article 815 du Code civil, ne représentait pas les créanciers mais l’époux dessaisi.

Néanmoins, la Cour de cassation a aussi déjà affirmé que l’article 215, alinéa 3, ne fait pas obstacle au droit de chacun des époux de demander le partage du logement indivis13 sur le fondement de l’article 815 du Code civil, faisant ainsi prévaloir la règle selon laquelle « nul ne peut être contraint à demeure dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué ». Elle a en outre également admis que le liquidateur d’un débiteur en liquidation judiciaire puisse agir en partage d’un bien indivis sur le fondement de cette disposition14.

Cependant, en l’espèce, la demande ne se limitait pas au partage du logement de la famille mais portait également sur sa licitation en un seul lot ; or la Cour de cassation a nuancé sa position en exigeant, pour admettre la demande en partage des biens indivis des époux, que soient préservés les droits sur le logement de la famille15, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La double demande poursuivie par le liquidateur judiciaire exerçant les droits et actions du débiteur dessaisi allait inévitablement entraîner la vente du logement familial. C’est ce qui explique la cassation de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et l’application par la Cour de cassation de l’article 215, alinéa 3, du Code civil à la demande en partage du logement familial indivis.

Cette solution impose donc au liquidateur judiciaire d’obtenir le consentement du conjoint de l’époux dessaisi pour procéder au partage et à la licitation en un seul lot du logement de la famille, sous peine de nullité de l’acte le privant de son droit.

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 3 avril 2019 s’inscrit ainsi dans la tendance protectrice du logement de la famille mais s’avère sévère pour les créanciers de l’époux endetté si son conjoint ne consent pas à la vente du logement indivis. Seul le recours à l’article 815-17 du Code civil, qui accorde aux créanciers de l’indivisaire le droit de provoquer le partage au nom de leur débiteur, semble désormais pouvoir permettre au liquidateur judiciaire d’échapper à l’impérativité de cogestion du logement de la famille lorsque les droits du conjoint de l’époux endetté sont menacés16.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 11 mars 1986, n° 84-12489 : Bull. civ. I, n° 62 ; Cass. 1re civ., 14 mars 2018, n° 17-16482.
  • 2.
    C. civ., art. 1422 et C. civ., art. 1424.
  • 3.
    C. civ., art. 815-3.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 4 juill. 1978, n° 75-15253 : Bull. civ. I, n° 256.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 24 févr. 1993, n° 91-04140 : Bull. civ. I, n° 85.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 16 mai 2000, n° 98-13441 : Bull. civ. I, n° 144.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 22 oct. 1974, n° 73-12402 : Bull. civ. I, n° 275.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 17 déc. 1991, n° 90-11908 : Bull. civ. I, n° 357.
  • 9.
    Cass. 2e civ., 10 mars 2004, n° 02-20275 : Bull. civ. II, n° 100 – Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 05-19402 : Bull. civ. I, n° 482.
  • 10.
    Cass. 1re civ., 8 janv. 1985, n° 83-15647 : Bull. civ. I, n° 7.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 17 nov. 1981, n° 80-11181 : Bull. civ. I, n° 337 – Cass. 1re civ., 18 juin 1985, n° 83-14915 : Bull. civ. I, n° 188 – Cass. 1re civ., 1er juill. 1986, n° 85-12695 : Bull. civ. I, n° 191.
  • 12.
    Cass. 3e civ., 12 oct. 1977, n° 76-14482 : Bull. civ. III, n° 345 – Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-14102 : Bull. civ. I, n° 163.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 4 juill. 1978, n° 75-15253 : Bull. civ. I, n° 256.
  • 14.
    Cass. com., 3 déc. 2003, n° 01-01390 : Bull. civ. IV, n° 189 ; Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-25098 : Bull. civ. I, n° 132.
  • 15.
    Cass. 1re civ., 19 oct. 2004, n° 02-13671.
  • 16.
    V. not. en ce sens : Dalloz actualité, 6 mai 2019, obs. Boisson J. ; Dr. famille 2019, comm. 127, note Torricelli-Chrifi S. ; Gaz. Pal. 2 juill. 2019, n° 355f9, p. 46, note Depret A.