Scolarisation des mineurs isolés : pour les associations de défense des mineurs isolés, l’État ne respecte pas la loi
La question de la scolarisation des mineurs étrangers isolés traduit les manquements de l’État en la matière. Laissant ces jeunes dans les dangers de l’errance, l’État, en ne permettant pas leur scolarisation, les prive des pleins moyens de s’intégrer. En septembre, trois associations engagées pour leur accueil et leur scolarisation inconditionnels (Paris d’Exil, RESF et Timmy) ont organisé un sitting dans le XIe arrondissement afin d’attirer l’attention sur ce problème de taille. Trois mois après, la situation n’a pas bougé et les inquiétudes sont ravivées avec un projet de loi préoccupant.
Le 11 septembre dernier, le trottoir donnant sur le lycée Voltaire (dans le XIe arrondissement de Paris) était couvert de tableaux Veleda, sur lesquels dansaient des mots en bambara, en français ou en arabe. Sérieux et attentifs, assis devant en tailleurs ou sur leurs genoux, des élèves répondaient aux questions des professeurs bénévoles, qui, en ce jour, donnaient leurs cours en extérieur. La particularité de ce jeune public ? Il s’agissait de mineurs étrangers n’ayant pas le droit d’être intégrés dans les lycées parisiens. L’action coup de poing organisée par les trois associations Timmy, Paris d’Exil et RESF était une occasion, en pleine rentrée scolaire, de mettre en lumière les manquements de l’État sur la question de la scolarisation des mineurs isolés. Parmi les bénévoles, Aya Abdalla. Étudiante en droit public, la vingtenaire est engagée depuis 2016 auprès des campements parisiens, où l’association Paris d’Exil aide à trouver l’aide matérielle dont les migrants ont besoin. Par sa formation universitaire, elle s’est aussi impliquée dans le pôle « mineurs » de Paris d’Exil (au sein duquel un suivi juridique est assuré) en faveur des mineurs. « Pour ces jeunes qui viennent d’arriver en France, la scolarisation constitue une période déterminante », estime-t-elle.
Des manquements importants dans l’accueil
Pourtant, la scolarisation n’est que la pointe émergée de l’iceberg. Car le collectif RESF, Paris d’Exil et Timmy tombent d’accord sur un point : les mineurs non accompagnés « sont victimes d’une variable d’ajustement brutale : les dispositifs d’évaluation ». En effet, alors que leur prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) devrait être inconditionnelle, soulignent-ils d’une seule voix, la situation sur le terrain est tout autre, à commencer par le dispositif géré par la Croix-Rouge, le DEMIE (dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers). « Les policiers, les maraudeurs s’y présentent avec les mineurs, qui sont censés être mis à l’abri. Mais du côté des associations, nous réalisons que le temps d’attente entre ce premier passage et leur entretien d’évaluation peut prendre cinq jours comme un mois et demi… Certains jeunes sont rejetés au faciès sans même être évalués », déplore encore Aya Abdalla. Une incompréhension que ressent également Delphine Dufriche, bénévole dans la branche « mineurs » de Paris d’Exil. Cette intermittente du spectacle a cherché à s’engager auprès de ces populations vulnérables dès les premières vagues d’arrivée de Syriens en France, qui fuyaient le conflit débuté en 2011. À l’époque, en tant que bénévole de la Timmy, elle décide d’ouvrir son logement à un mineur afghan pour une période de six mois. Aujourd’hui, elle continue d’aider ces jeunes totalement délaissés, qui, pour une grande partie d’entre eux, ne sont pas éligibles au droit d’asile, surtout des Africains de l’Ouest. « Les équipes d’évaluation ne sont pas du tout conformes à ce qu’exige la loi. Elles ne sont pas pluridisciplinaires, ne sont pas formées aux cultures d’origine des jeunes, et ne prennent pas le temps nécessaire lors des entretiens », regrette-t-elle.
Aya Abdalla, la future juriste, s’inquiète aussi du profil des évaluateurs. « Les entretiens (censés permettre de statuer sur leur âge, en se basant sur leur degré de maturité ou même leur posture physique) se déroulent avec une personne seulement, souvent contractuelle, qui a une formation en sciences sociales ou en travail social, mais qui n’est pas spécialiste de la question », complète-t-elle. Les refus de reconnaissance de la minorité sont près de 80 %. Malheureusement, « les décisions ne sont absolument pas motivées du point de vue du droit », souligne-t-elle. Résultat : la présomption de minorité n’est pas respectée. Certes, des recours sont possibles, notamment auprès d’un juge pour enfants. Mais les délais de procédures durent entre 2 et 24 mois, en moyenne 8 mois à Paris en ce moment. Dans ces cas, ils sont complètement livrés à eux-mêmes, sans aucune aide institutionnelle », détaille Delphine Dufriche. Face « aux demandes de documents, de jugements supplétifs, d’attestations, d’actes de naissance, c’est très compliqué pour eux », confirme l’étudiante en droit.
Si un recours judiciaire a été lancé, et que « l’apparence joue du jeune en sa défaveur, ou si les documents d’identité n’existent pas, les tests osseux interviennent. Mais cela pose là encore plusieurs problèmes : au niveau éthique, ces tests sont parfois faits sans consentement. Par ailleurs, les études ont montré que les résultats sont imprécis, et qu’il y a une marge d’erreur entre 12 et 18 mois. C’est énorme ! », Et de rappeler que les critères n’ont pas évolué et qu’ils sont toujours basés sur le poignet type d’Américains bien nourris des années 30. Pourtant les recours sont utiles : malgré le nombre important de refus initiaux, « un peu plus de 50 % des jeunes dont nous avons suivi le parcours, plus de 50 %, seront finalement reconnus mineurs par le juge des enfants », avance Delphine Dufriche.
Le droit bafoué
En cette matinée de septembre, le réseau associatif a frappé fort et entraîné la colère de l’académie, qui affirme scolariser tous les mineurs étrangers. Mais « à Paris, le Casnav (Centre académique pour la scolarisation des nouveaux arrivants et enfants du voyage) a posé comme condition à la scolarisation des jeunes qu’ils bénéficient d’une prise en charge définitive… qui ne peut dépendre que de la décision du juge ! En Seine-Saint-Denis, c’est plus simple : il suffit d’un certificat d’hébergement, de passer un test au CIO et les enfants sont scolarisés », explique encore Delphine Dufriche, montrant ainsi une non-uniformisation des prises en charge sur le territoire.
Timmy, Paris d’Exil et RESF rappellent les fondamentaux du droit. « Ce qu’on fait, en tant qu’associations, c’est de répondre à l’urgence (famille d’accueil, cours de français…). On n’a pas vocation à pallier les manquements de l’État, on le fait uniquement car l’État laisse des adolescents en grand danger », précise néanmoins Delphine Dufriche, bouleversée par la façon inhumaine dont son traités ces jeunes.
La Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France est signataire, stipule aux articles 28 et 29 que l’éducation des enfants est un droit, la circulaire de l’Éducation nationale n° 2012-141 de 2012 précise que « l’école est un droit pour tous les enfants résidant sur le territoire national quels que soient leur nationalité, leur statut migratoire ou leur parcours antérieur ».
Le Code de l’Éducation a inscrit l’obligation d’instruction pour tous les enfants et l’obligation de mettre en place des actions particulières pour l’accueil et la scolarisation des enfants non francophones arrivants sur le territoire. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme énonce, dans son avis du 28 juin 2016 qu’« en France, chaque enfant et adolescent a droit à l’éducation, quelle que soit sa situation administrative ».
Enfin, le Défenseur des droits rappelle dans son rapport de 2016 sur les droits de l’enfant, que « tout mineur dispose du droit de poursuivre sa scolarité au-delà de l’âge de 16, et même de 18 ans ». Dans sa recommandation, il précise également « l’obligation d’assurer un accès effectif à une scolarité ou à une formation professionnelle à tous les mineurs non accompagnés ».
Une question qui dépasse la scolarité
Dans un rapport de juin 2017, le Sénat préconise que « la scolarité doit s’accompagner d’un hébergement stable et pérenne », conscient que l’inscription seule ne permet pas d’assurer une intégration et un quotidien sereins. Pourtant cet hébergement, qui devrait être assuré par l’État, n’est pas toujours correct, ni adapté aux adolescents ou ne respecte plus les règles minimales de l’hygiène. « Seuls quelques dizaines de jeunes sont hébergés en hébergement solidaire, estime Delphine Dufriche. Les autres restent dehors. Ils sont épuisés, dorment dans des camps, des gares, où ils peuvent. Ils sont en général très déprimés et peuvent bien sûr tomber dans des réseaux dangereux « . En un an, quatre mineurs se sont suicidés.
Des informations plus que préoccupantes, d’autant plus que l’État semble sur la voie d’un désengagement progressif. Depuis 2007 en effet, la loi avait intégré la prise en charge des MIE dans le droit commun de la protection de l’enfance, et donc relevant de la compétence des départements. Or le gouvernement souhaiterait remettre en question cette protection départementale en considérant d’abord ces enfants comme des étrangers. Le gouvernement veut même aller plus loin en créant « un fichier national, afin d’éviter des doubles demandes [dans deux départements différents, par exemple]. Le Défenseur des droits s’oppose fermement à ce fichier qu’il considère comme « une atteinte grave à la vie privée s’agissant de personnes considérées mineures jusqu’à preuve du contraire » et met en garde les pouvoirs publics contre « la tentation de considérer systématiquement ces jeunes gens d’abord comme des « fraudeurs ». Le Défenseur rappelle qu’il restera vigilant « quant au potentiel glissement (…) vers « un droit spécifique », « hors du droit commun » qui ne serait pas conforme avec les engagements internationaux de la France. Malgré ces prises de position en faveur des mineurs, les craintes de Delphine Dufriche deviennent de plus en plus réelles. « Cela créerait deux droits différents, l’un pour les mineurs nationaux, l’autre pour les mineurs isolés, étrangers ». En cette matinée de septembre, Omar, 16 ans, originaire de Guinée, avait osé prendre la parole. « On vous demande de nous aider pour que nous ne restions pas à la rue. Tout ce que nous voulons, c’est aller à l’école. C’est la base de tout, pour avoir un métier et mieux nous intégrer. On demande simplement l’application du droit dans le pays des droits de l’Homme ! »