Chronique de procédure civile et pénale (3e partie)

Publié le 20/11/2019

Dans le cadre d’une chronique d’une périodicité semestrielle, le Centre d’études et de recherches en droit des procédures (EA 1201) de l’université Côte d’Azur a décidé de mettre en valeur des décisions de juges du fond comme de la Cour de cassation se rattachant à la procédure civile (incluant la procédure devant les juridictions civiles mais aussi commerciales et sociales) et à la procédure pénale. Selon un ordonnancement qui sera suivi systématiquement, des décisions portant sur les modes alternatifs à la procédure judiciaire, l’introduction de la procédure, l’instruction du procès, l’audience et les voies de recours, seront abordées au gré des choix réalisés par les auteurs.

I – Les modes alternatifs à la procédure judiciaire

A – Les MARDs

B – L’arbitrage et la transaction

II – L’introduction de la procédure

A – Les modes d’introduction de la procédure

1 – Procédure civile

2 – Procédure pénale

B – Les modes (ou les moyens) de résistance à la procédure introduite

1 – En procédure civile

2 – En procédure pénale

III – L’instruction du procès

A – Le régime des preuves

1 – En procédure civile

Le juge saisi d’une demande de liquidation d’une astreinte doit s’assurer, au besoin d’office, que l’astreinte a commencé à courir et déterminer son point de départ. Dans cette perspective, il revient au demandeur de rapporter la preuve de la date de la notification qui a fait courir l’astreinte, ceci alors même s’il revenait au greffe de procéder à ladite notification (Cass. 2e civ., 6 juin 2019, n° 18-15311, F-PBI).

Terrible décision. Elle aura pourtant les honneurs du Bulletin d’information de la Cour. Un jugement d’un conseil de prud’hommes, devenu irrévocable, avait ordonné avec exécution provisoire la réintégration dans son poste d’une salariée en prononçant une « astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter du 15e jour suivant la notification du jugement ». La salariée se voit déboutée de sa demande de liquidation de l’astreinte au motif qu’elle n’a pas permis au juge de vérifier cette date.

Il faut remarquer qu’aucune partie ne contestait que la décision avait bien été notifiée. Spécialement, l’employeur affirmait avoir réintégré la salariée dans son ancien poste, sans élever la moindre contestation sur la date à laquelle lui avait été notifié le jugement du conseil de prud’hommes.

En outre, l’alinéa 1er de l’article R. 1454-26 du Code du travail prévoit que « [l]es décisions du conseil de prud’hommes sont notifiées aux parties par le greffe de ce conseil au lieu de leur domicile. La notification est faite par lettre recommandée avec avis de réception sans préjudice du droit des parties de les faire signifier par acte d’huissier de justice ».

Dans son pourvoi, la salariée considérait d’une part que les juges avaient modifié l’objet du litige, ce à quoi la Cour de cassation répond que le juge doit s’assurer, au besoin d’office, que l’astreinte a commencé à courir et déterminer son point de départ ; d’autre part, elle affirmait qu’en lui imposant de justifier la date de réception de la notification envoyée à son adversaire par le secrétariat greffe du conseil de prud’hommes, s’était opéré un renversement de la charge de la preuve, à son détriment. Pour la haute juridiction, par application de l’article 9 CPC, c’est au demandeur de prouver son allégation.

Pourtant, en quoi la partie pouvait-elle, ici, avoir accès à la preuve de la notification ? Voilà donc une justice qui permet à une personne de se présenter devant un conseil des prud’hommes, le cas échéant sans avocat, et de demander le prononcé d’une astreinte. Cette dernière est accordée, et le juge fixe comme point de départ la notification de la décision qui, légalement, doit être opérée par le greffe. Une discussion s’élève entre les parties sur la réalité de l’exécution. Les juges optent pour une autre voie et la Cour de cassation approuve en disant que les juges, le cas échéant d’office, pour établir le point de départ du cours de l’astreinte, peuvent imposer au demandeur de prouver la notification opérée… par le greffe !

Certes, puisque l’astreinte tend à assurer l’exécution d’une décision de justice, elle ne peut prendre effet avant la notification de celle-ci. C’est ainsi par exemple que la Cour de cassation avait approuvé les juges du fond d’avoir estimé que l’astreinte prenait effet à compter du jour de la notification de la décision qui l’a ordonnée1. Cette solution avait déjà été affirmée par d’autres arrêts de la haute juridiction et a été consacrée par l’article 51 du décret de 1992 devenu l’article R. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution qui affirme que : « [l]’astreinte prend effet à la date fixée par le juge, laquelle ne peut pas être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire ». De sorte que si jamais le juge devait omettre d’indiquer la date de départ du cours de l’astreinte, c’est la signification de la décision exécutoire portant condamnation qui marquera cet instant2. Toutefois, en l’espèce, une date avait été fixée : celle de la notification par le greffe. Et comme c’est celui-ci qui réalise la notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, c’est forcément lui qui reçoit l’accusé de réception. Il faut être clair : la solution retenue vient imposer au demandeur, contre le texte de la loi et contre ce qui a été décidé par le juge qui a prononcé l’astreinte, de procéder par voie de signification pour assurer une preuve qu’il était facile de demander au greffe de communiquer. La salariée n’avait pas la charge de la signification.

Le juge a opté pour la date de la notification, qui relevait conformément à l’article R. 1454-26 du Code du travail de la mission du greffe : la cohérence impose de dire qu’elle n’avait pas à signifier, et pas davantage à prouver l’exécution de ce qui relevait d’un autre et spécialement d’un organe de justice.

Rappelons la nuance entre les mesures d’instruction de l’article 144 et celles de l’article 145 : les secondes sont faites pour éclairer les parties, alors que les premières, qui « peuvent être ordonnées en tout état de cause », sont là pour éclairer le juge chaque fois qu’il « ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer ». Il est dommage que ce texte n’ait pas été mis en exergue et utilisé au lieu et place des choix opérés, qui vont contre le sens commun. Certes, ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation se prononce en un tel sens3 et elle a même affirmé, dans un dossier comparable que « l’astreinte prend effet, selon l’article R. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution, à la date fixée par le juge ; qu’ayant relevé que l’astreinte accessoire à la condamnation est expressément soumise par le dispositif du jugement en ce qui concerne son point de départ, à la formalité particulière de la signification par acte d’huissier de justice, la cour d’appel a exactement retenu que si le jugement est exécutoire pour le paiement de sommes et la remise de documents sociaux dès sa notification par le greffe, en l’absence de signification, l’astreinte n’avait pas couru »4 ; la jurisprudence fait de la signification un passage obligé. Mais vingt arrêts ne valent pas une bonne raison. La règle de procédure doit accompagner les parties, non les piéger.

Yves Strickler

2 – En procédure pénale

Le procureur peut donner par tout moyen à l’officier de police judiciaire, l’autorisation de procéder à la saisie d’une somme d’argent versée sur un compte ouvert auprès d’un établissement habilité (Cass. crim., 17 avr. 2019, n° 18-84057).

Les faits de l’espèce étaient simples : un officier de police judiciaire a saisi le solde créditeur d’un compte bancaire d’un individu. Par requête du 27 septembre 2017, le procureur de la République a saisi le juge des libertés et de la détention afin que ce magistrat autorise la saisie de cette somme. Par ordonnance du 4 octobre 2017, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie. Par déclaration au greffe l’avocat de l’intéressé a relevé appel de la décision L’arrêt attaqué a confirmé l’ordonnance de saisie pénale du compte.

L’article 706-154 du Code de procédure pénale dispose en son alinéa 1 que, « par dérogation aux dispositions de l’article 706-153, l’officier de police judiciaire peut être autorisé, par tout moyen, par le procureur de la République ou le juge d’instruction à procéder, aux frais avancés du trésor public, à la saisie d’une somme d’argent sur un compte ouvert auprès d’un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts. Le juge des libertés et de la détention se prononce par ordonnance motivée sur le maintien ou la main levée de la saisie dans un délai de 10 jours à compter de sa réalisation ». C’est ce qui a été relevé en l’espèce par la chambre criminelle. L’auteur du pourvoi faisait valoir que ces instructions sont nécessairement antérieures à la saisie opérée et doivent pouvoir être identifiées par la personne mise en cause ; qu’en relevant que la requête du procureur, seul élément d’instruction produit, était du 27 septembre 2017 quand la saisie a été opérée le 25 septembre 2017, la chambre de l’instruction n’avait pas légalement justifié sa décision ne s’étant pas expliquée sur les moyens employés par le procureur pour donner les instructions à l’officier de police judiciaire en vue d’une saisie.

Pour la Cour de cassation, la mention du procès-verbal suffit. En retenant qu’il résulte du procès-verbal de saisie que l’officier de police judiciaire a procédé à cette mesure sur autorisation du parquet, la mesure est validée. Là encore, cette décision apparaît conforme au texte. Celui-ci prévoit une autorisation donnée par tout moyen. C’est dire qu’elle peut l’être oralement. En revanche, pour la régularité de la procédure, le procès-verbal, dont les mentions valent jusqu’à inscription de faux, doit porter mention que l’autorisation a été donnée. Le texte ne prévoit nullement qu’il doit être porté mention de la manière dont elle l’a été.

Cédric PORTERON

Justifie sa décision, la chambre de l’instruction qui, pour rejeter une requête en annulation d’une ordonnance de renouvellement d’une mesure de sonorisation d’un véhicule, retient que la motivation de cette ordonnance, selon laquelle la mesure avait permis d’apporter des éléments utiles à l’information judiciaire en cours, et qui complète celle de l’ordonnance initiale, apparaît suffisante (Cass. crim., 20 mars 2019, n° 18-87250).

En l’espèce, il s’agissait de savoir si la sonorisation contestée et son renouvellement avaient été mis en œuvre en conformité avec les exigences légales applicables. Par ordonnance de soit-communiqué du 24 mars 2016, le magistrat instructeur avait ordonné la communication immédiate du dossier de la procédure au procureur de la République pour réquisitions ou avis aux fins de mise en place d’un dispositif de sonorisation ou de captation. Par mention manuscrite du même jour, le procureur de la République avait donné un avis favorable à cette investigation5. Par ordonnance du 25 mars 2016 le magistrat instructeur avait ordonné la mise en place sous son contrôle d’un dispositif technique pour une durée de 3 mois tandis que par commission rogatoire du même jour, il avait délivré commission rogatoire aux fins de mise en place de ce dispositif. Le juge avait motivé son ordonnance en retenant que les investigations menées démontraient que M. X pourrait être impliqué dans les faits objet de l’information et que, placé sur écoute, il ressortait des conversations enregistrées par les enquêteurs que ce dernier se montrait très prudent au téléphone et qu’un dispositif de sonorisation du véhicule utilisé fréquemment pourrait apporter des éléments.

Pour la chambre criminelle, il ressort de l’article 706-96 du Code de procédure pénale, devenu les articles 706-96-1 et 706-97, que seule l’ordonnance par laquelle le juge d’instruction autorise les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique de captation et d’enregistrement des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel doit être motivée au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure6. Dès lors, la chambre de l’instruction a justifié sa décision.

Cédric PORTERON

L’avocat choisi par le mis en examen doit être avisé des actes de la procédure, notamment de la tenue d’un débat contradictoire sur l’éventuel placement en détention provisoire de son client après révocation de son contrôle judiciaire antérieurement ordonné (Cass. crim., 13 févr. 2019, n° 18-86559).

Pour la Cour de cassation, la solution est claire : il se déduit des articles 145 et 141-2 du Code de procédure pénale que l’avocat choisi par le mis en examen doit être avisé des actes de la procédure. C’est donc le cas de la tenue d’un débat contradictoire sur l’éventuel placement en détention provisoire de son client après révocation de son contrôle judiciaire antérieurement ordonné. La chambre de l’instruction ne peut dès lors retenir que l’absence au débat contradictoire de l’avocat désigné par le mis en examen pour l’assister tout au long de la procédure n’a pas porté atteinte aux droits de la défense en raison de l’assistance de ce dernier par l’avocat de permanence. Il s’agit de cette manière d’assurer à la personne poursuivie non pas le droit d’être assisté, mais celui d’être défendu par l’avocat que l’on a choisi. En ce sens, cette décision se démarque d’une décision rendue par la chambre criminelle le 5 novembre 20027.

Dès lors, pour passer outre, le juge des libertés et de la détention doit, avant de faire appel à un avocat commis d’office, justifier qu’il s’est trouvé dans l’impossibilité de joindre l’avocat désigné par le mis en examen ou que joint, ce dernier a indiqué qu’il était empêché. On remarquera également qu’il n’est pas nécessaire que la personne ait formulé par ailleurs une remarque sur ce point8.

Cédric PORTERON

Constitue une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction concomitante à l’accomplissement d’une perquisition, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne, la présence, au cours de l’exécution de cet acte, d’un tiers, étranger à la procédure, ayant obtenu d’une autorité publique une autorisation à cette fin, fût-ce pour en relater le déroulement dans le but d’une information du public (Cass. crim., 9 janv. 2019, n° 17-84026).

Dans le cas d’espèce, des journalistes ont filmé avec une autorisation, une perquisition réalisée au domicile d’une personne mise en cause. Un film a été diffusé montrant certains extraits de la perquisition. Lors de sa comparution devant la juridiction, le prévenu a soulevé, in limine litis la nullité de cet acte. La juridiction a rejeté la demande. Le prévenu, le parquet et la partie civile ont alors relevé appel. Par un arrêt rendu le 12 juin 2017, la cour d’appel a confirmé le jugement. Un pourvoi a alors été formé aboutissant à une solution de principe de la chambre criminelle : même s’il s’agit d’informer, même avec une autorisation, la simple présence d’un tiers à la procédure lors d’un acte constitue une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne.

On rappellera les dispositions de l’article 11 du Code de procédure pénale lequel dispose que « sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète ». Après un arrêt rendu le 10 janvier 20179, la chambre criminelle de la Cour de cassation était amenée à répondre à la question de l’incidence sur la procédure d’une violation du secret de l’instruction, non postérieure, mais concomitante à réalisation d’un acte puisque la présence d’un tiers à l’acte d’instruction constitue une violation in situ du secret.

La jurisprudence a d’abord jugé que la violation du secret de l’instruction n’avait pas d’incidence sur la procédure. Puis, la chambre criminelle a évolué. Elle a considéré que cette irrégularité pouvait avoir une incidence sur la validité de l’acte dès lors que la violation concomitante causait un grief à celui qui l’invoquait10. Toutefois, la démonstration d’un tel grief reste difficile. La violation n’est pas celle commise par un journaliste dans le cadre d’une diffusion postérieure de l’information. Elle résulte de l’autorisation donnée à la présence du journaliste par les enquêteurs ou le magistrat lors du déroulement de l’acte. C’est pourquoi la chambre criminelle de la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence en jugeant qu’il résulte de l’article 11 du Code de procédure pénale que constitue une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction concomitante à l’accomplissement d’une perquisition, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne, l’exécution d’un tel acte par un juge d’instruction ou un officier de police judiciaire en présence d’un tiers qui, ayant obtenu d’une autorité publique une autorisation à cette fin, en capte le déroulement par le son ou l’image. L’image n’est donc pas la seule en cause. Le reportage radio est aussi visé.

La présente affaire revenait après que le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État, a dans sa décision du 2 mars 2018, déclaré conforme à la constitution l’alinéa premier de l’article 11 du Code de procédure pénale. Le défendeur au pourvoi invoquait la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, relative au droit à la liberté d’expression. Néanmoins, cette jurisprudence s’applique dans le cas où, in concreto, le juge peut peser les intérêts entre la liberté d’expression et d’autres valeurs consacrées, tel le principe de l’intimité de la vie privée ou la présomption d’innocence. On se situe alors dans le cadre d’une violation du secret qui est postérieure à l’acte par une révélation.

Lorsqu’il s’agit d’examiner la violation par les enquêteurs de ce secret au moment même où l’acte est réalisé, la question de la prééminence de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales sur d’autres valeurs protégées ne se pose pas. Tout au plus, le fait de filmer correspond alors à une finalité pédagogique concernant le fonctionnement d’une enquête. On peut se poser la question de savoir si cela relève réellement du droit du public à l’information sur une affaire en cours.

La présente décision précise que la présence, au cours de l’exécution de cet acte, d’un tiers étranger à la procédure, ayant obtenu d’une autorité publique une autorisation à cette fin, fût-ce pour en relater le déroulement dans le but d’une information du public, constitue une violation du secret de l’instruction portant nécessairement atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne. C’est dire que la seule chose qui pourrait empêcher la critique et l’annulation de l’acte serait l’acceptation expresse de celui qui en est l’objet, ce qui paraît difficile à obtenir à l’occasion d’une perquisition.

Il est intéressant de noter que les termes utilisés sont larges. La captation ou l’enregistrement de l’acte ne sont pas des conditions nécessaires pour que la violation du secret de l’instruction soit constituée. La simple présence d’un tiers étranger à l’enquête est suffisante pour l’établir et entraîner la nullité de l’acte. Par ailleurs, la présente décision, rendue en matière de perquisitions pourrait être étendue à tout acte d’enquête ou d’instruction.

Cédric PORTERON

B – L’instance civile (…)

1 – Les incidents d’instance (…)

2 – La mise en état (…)

C – L’instruction pénale

Lorsqu’elle infirme une ordonnance du juge d’instruction ayant refusé d’accomplir un acte sollicité par une partie ou par le procureur de la République en application des articles 81 ou 82 du Code de procédure pénale, la chambre de l’instruction n’a pas de pouvoir d’injonction à l’égard du magistrat instructeur (Cass. crim., 22 janv. 2019, n° 18-83304).

La présente décision a le mérite de rappeler l’étendue des pouvoirs de la chambre de l’instruction suite à un refus d’acte.

Dans le cadre d’une information ouverte des chefs de viol aggravé et d’aide à l’entrée, au séjour et à la circulation irréguliers d’un étranger en France, M. X a été mis en examen de ce dernier chef. Saisi de réquisitions supplétives tendant à la mise en examen de l’intéressé du chef d’agression sexuelle aggravée, le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de rejet de demande d’acte. Le procureur de la République a interjeté appel de cette décision. La chambre de l’instruction a infirmé l’ordonnance entreprise. Elle a évoqué partiellement et ordonné un supplément d’information, enjoignant par là même au magistrat instructeur de mettre M. X en examen du chef de viol aggravé et d’agression sexuelle. La Cour de cassation casse la décision rendue. En ordonnant un supplément d’information aux fins de mise en examen de M. X, en visant l’article 202 du Code de procédure pénale, elle ne pouvait enjoindre au juge d’instruction d’y procéder. Ayant énoncé expressément qu’elle évoquait partiellement le dossier, elle pouvait seule procéder aux actes qu’elle estimait nécessaires, et ainsi mettre en examen, avant de renvoyer le dossier au magistrat instructeur.

En réalité, la chambre de l’instruction s’était embrouillée dans la manière de procéder. Cette décision est logique et conforme au texte. Il résulte de l’article 207 du Code de procédure pénale que, lorsqu’elle infirme une ordonnance du juge d’instruction ayant refusé d’accomplir un acte sollicité par une partie ou par le procureur de la République en application des articles 81 ou 82 du Code de procédure pénale, la chambre de l’instruction dispose de trois possibilités : elle peut, soit se borner à renvoyer le dossier au juge d’instruction ou à tel autre afin de poursuivre l’information11, soit procéder à une évocation partielle du dossier en accomplissant elle-même certains actes avant de renvoyer le dossier au juge d’instruction, soit, enfin, évoquer et, éventuellement, ordonner un supplément d’information, en application de l’article 202 du Code de procédure pénale, notamment aux fins de mise en examen. Elle ne peut donc utiliser cette troisième possibilité tout en enjoignant au juge d’instruction de mettre en examen12.

Cédric PORTERON

IV – L’audience de jugement

A – La convocation à l’audience

1 – En procédure civile (…)

2 – En procédure pénale

Justifie sa décision, la chambre de l’instruction qui, pour rejeter l’argumentation d’une personne accusée aux fins de remise en liberté, énonce qu’elle a régulièrement comparu devant la cour d’assises, jury constitué, dans les délais prévus aux alinéas 8 et 9 de l’article 181 précité (Cass. crim., 17 avr. 2019, n° 18-84057).

Selon l’article 181, alinéa 8, du Code de procédure pénale, l’accusé détenu en raison des faits pour lesquels il est renvoyé devant la cour d’assises doit être immédiatement remis en liberté s’il n’a pas comparu devant celle-ci à l’expiration du délai d’1 an à compter notamment de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive. La présente décision apporte une intéressante contribution aux conditions d’application de cette disposition.

M. X a été renvoyé, par ordonnance du juge d’instruction du 18 janvier 2017 devant la cour d’assises. Par arrêt du 28 novembre 2017, la chambre de l’instruction a prolongé sa détention provisoire pour un délai de 6 mois à compter du 2 mars 2018. Il a alors comparu devant la cour d’assises, jury constitué, à compter du 12 mars 2018. L’affaire a été renvoyée, le 19 mars 2018. L’intéressé a présenté une demande de mise en liberté.

Pour rejeter la demande de mise en liberté, l’arrêt querellé en a fait plus que nécessaire. Après avoir constaté sa comparution devant la cour d’assises, il a énoncé que la détention provisoire de X constitue l’unique moyen de mettre fin au trouble grave, durable et persistant à l’ordre public, de protéger le mis en examen, d’éviter le renouvellement des faits et de garantir la représentation de l’intéressé, ces objectifs ne pouvant être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique. Or, l’article 145-2 du Code de procédure pénale n’était plus applicable. Partant, la chambre de l’instruction n’avait pas besoin d’y faire référence.

Cédric PORTERON

B – Le déroulement de l’audience

1 – L’audience civile

L’exigence d’un procès équitable implique qu’en matière disciplinaire, la personne poursuivie ou son avocat soit entendue à l’audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision. (Cass. 1re civ., 20 févr. 2019, n° 18-12298).

La présente décision, remarquable par sa concision pose un principe en matière disciplinaire sur le fondement de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. L’arrêt déféré à la Cour avait condamné un avocat à une peine disciplinaire, après avoir relevé que l’intéressé avait produit une note en délibéré en réponse aux observations du ministère public.

Le moyen du pourvoi relevait ainsi qu’il avait été entendu en ses observations reprenant ses différentes conclusions écrites. Son avocat avait également été entendu, puis le bâtonnier, qui n’avait pas déposé à l’occasion de cette audience de conclusions écrites, en ses observations orales concluant à la confirmation de la décision critiquée et le ministère public également en ses seules observations orales. La parole ne lui ayant pas été donnée à l’issue du procès, l’intéressé a fait parvenir à la Cour, en vertu des dispositions de l’article 445 du Code de procédure civile une note en délibéré en réponse aux observations du ministère public.

Or l’exigence d’un procès équitable implique qu’en matière disciplinaire, la personne poursuivie ou son avocat soit entendue à l’audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision. Pour la Cour de cassation, qui vise la matière disciplinaire dans son ensemble, le dépôt d’une note en délibéré par la personne poursuivie n’est pas de nature à supprimer cette exigence.

Cédric PORTERON

2 – L’audience pénale

Le président d’une chambre des appels correctionnels peut, lors des débats, décider d’entendre en qualité de témoin, mais sans observer les prescriptions des articles 435 à 457 et 513 du Code de procédure pénale, une personne présente dans la salle, dès lors que la déclaration de culpabilité n’est pas fondée, même pour partie, sur ses déclarations faites à l’audience. (Cass. crim., 20 févr. 2019, n° 18-80421).

L’arrêt attaqué, déclarant M. X coupable de violences volontaires sur mineur de 15 ans suivi d’une ITT supérieure à huit jours, a été rendu à l’issue d’une audience correctionnelle au cours de laquelle la mère de l’enfant a été entendue en ses explications, sans prêter serment et alors qu’elle n’était pas convoquée comme témoin. La particularité était que la cour d’appel a confirmé le jugement par un arrêt qui ne rapporte pas les termes de cette audition, mais retient les déclarations de la mère de l’enfant faites aux services de police. Ayant formé un pourvoi en cassation, le prévenu faisait valoir les dispositions des articles 435 à 457 du Code de procédure pénale.

Selon les dispositions de l’article 446, les témoins entendus à l’audience d’une juridiction correctionnelle doivent, avant de commencer leur déposition, prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Par ailleurs, il relevait que le président de la chambre des appels correctionnels ne dispose d’aucun pouvoir propre semblable au pouvoir discrétionnaire qu’accorde l’article 310 du Code de procédure pénale au président de cour d’assises. Il ne peut d’office ni solliciter ni accueillir la déposition, même à titre de simple renseignement, de quiconque dont le témoignage n’a pas été au préalable requis par une partie.

La chambre criminelle retient que les prescriptions des articles 435 à 457 et 513 du Code de procédure pénale relatives à l’audition d’un témoin par la chambre des appels correctionnels n’ont pas été respectées. Pour autant, dans le cadre d’un réalisme procédural, la cassation n’est pas prononcée dès lors que la déclaration de culpabilité n’a pas été fondée, même pour partie, sur les déclarations faites à l’audience. Ce faisant, la Cour accorde plus de pouvoir au président correctionnel qu’il n’en dispose. La seule limite est qu’il ne doit pas faire référence à ce qu’il a pu entendre.

De ce point de vue, la décision apparaît critiquable. Comment déterminer quelle aura pu être l’influence des paroles prononcées sur l’intime conviction du juge ? Certes, il n’y a pas fait référence dans la décision. Pour autant, ont-elles été réellement neutres dans sa conviction ? Nul n’en saura rien dès lors que le juge prend soin de ne pas en faire état. Si la réalité peut être en conformité avec la motivation, elle peut aussi ne pas être conforme avec les apparences. Ainsi, cette décision pourrait avoir pour conséquence de forcer le juge qui a outrepassé ses pouvoirs en matière d’audition à ne pas faire état de ce qui l’a déterminé, au prix peut-être d’une motivation erronée, afin de ne pas être sanctionné.

Cédric PORTERON

Il résulte des articles 168 et 706-71, alinéa 2, du Code de procédure pénale que les experts cités doivent déposer devant la cour d’assises soit en personne, soit par un moyen de télécommunication audiovisuel garantissant la confidentialité de la transmission.

L’audition d’un expert par un moyen de communication exclusivement sonore, en l’espèce un téléphone, même en l’absence d’opposition des parties, entraîne la cassation de l’arrêt (Cass. crim., 20 févr. 2019, n° 18-82164).

Dans une logique grandissante de dématérialisation, voire de déshumanisation la présente décision refuse de franchir une étape. On ne peut que s’en réjouir.

M. X, l’expert psychologue, qui était en congés à l’étranger mais en possession de ses rapports d’expertises contenus dans la mémoire de son ordinateur, a été entendu exclusivement par téléphone par la cour d’assises. Sur pourvoi, l’auteur faisait valoir à juste titre que le principe de l’oralité implique la comparution physique des témoins et experts, sauf le recours à un moyen de télécommunication, dans les conditions prévues par l’article 706-71 du Code de procédure pénale, dont les dispositions sont destinées à garantir la confidentialité et la fiabilité des transmissions. Ainsi, en procédant à l’audition de l’expert par téléphone, sans que les dispositions de l’article 706-71 du Code de procédure pénale aient été respectées, la cour a violé le principe et les textes susvisés.

Cette décision ne peut qu’être approuvée, même si cette audition avait été faite ainsi sans opposition des parties. Le principe de l’oralité des débats est d’ordre public. Il vise à s’assurer de la confidentialité, mais il garantit aussi que celui qui témoigne et dépose est celui qui prend la parole, ce qui ne peut pas être le cas au téléphone. La présence des témoins et des experts doit rester le principe. Permettre de simples conversations émises par voie de télécommunication serait d’ouvrir la voie à un procès téléphoné.

Cédric PORTERON

En application de l’article 306 du Code de procédure pénale, devant la cour d’assises, le huis clos ne peut être ordonné que si la publicité est dangereuse pour l’ordre ou pour les mœurs. Cass. crim., 20 févr. 2019, n° 18-82915.

Le principe de publicité des débats reste un point important de la procédure pénale. Elle est une garantie pour que les citoyens s’assurent de la manière dont la justice est rendue. Parfois, le huis clos peut être admis et les citoyens ferment alors les yeux. Pour autant, il ne peut pas être utilisé par simple convenance. Le cas soumis à la chambre criminelle de la Cour de cassation présentait toutefois quelques particularités.

Au cours des débats, en raison d’un mouvement de protestation du barreau, qui empêchait la poursuite de l’audience, le président a proposé que les débats se poursuivent à huis clos. Il a donné la parole sur ce point au ministère public et aux parties. La défense et la partie civile s’étant opposées au renvoi de l’affaire et ayant indiqué s’en rapporter sur la poursuite des débats à huis clos, à laquelle le ministère public ne s’est pas opposé, la cour d’assises, par arrêt incident, après avoir relevé que seul le huis clos permettait la poursuite des débats, a déclaré la publicité dangereuse pour l’ordre public et ordonné le huis clos.

La haute juridiction a cassé l’arrêt considérant « qu’en prononçant ainsi, alors que le mouvement de protestation du barreau et son opposition à la poursuite de l’audience ne constituaient pas un danger pour l’ordre ou les mœurs justifiant le huis clos, et qu’en cas de trouble apporté à l’ordre par des personnes assistant à l’audience, il appartenait au président de la cour d’assises d’ordonner leur expulsion, la cour d’assises a méconnu les textes susvisés ».

La portée de cet arrêt mérite d’être mesurée. Ce qui apparaît critiqué par la Cour c’est surtout que le huis clos ait pu être considéré comme le seul moyen de faire face à un trouble à l’audience et qu’il ait pu être considéré comme le seul moyen de poursuivre les débats. La Cour de cassation vise les dispositions de l’article 321 du Code de procédure pénale. Selon ces textes, lorsque, à l’audience de la cour d’assises, l’un des assistants trouble l’ordre de quelque manière que ce soit, le président ordonne son expulsion de la salle d’audience. C’est dire que doit d’abord être envisagée l’expulsion de celui qui dérangerait le bon déroulement des débats. Certes, mais qu’en serait-il si d’autres personnes prennent le relais ? L’expulsion d’une ou plusieurs personnes, n’exclut pas que par la suite d’autres troublent le déroulement de l’audience. Le président devrait-il alors se cantonner à une expulsion ? On pourrait dès lors considérer que dans ce cas, le trouble persistant le huis clos serait le recours ultime. En soi, le mouvement ne pouvait justifier le recours, mais sa persistance après expulsion l’aurait pu.

Quoi qu’il en soit, le recours au huis clos avait dans le cas d’espèce le mérite d’éviter un affrontement institutionnel. Mais l’on peut comprendre que l’existence de mouvements ne puisse justifier en soi le prononcé du huis clos. Il suffirait alors à tous mouvements d’interdire l’accès aux autres justiciables à la vue de la manière dont la justice est rendue.

Cédric PORTERON

C – L’issue de l’audience (…)

V – Les voies de recours

A – Les voies de recours ordinaires

1 – En matière civile

2 – En matière pénale

B – Les voies de recours extraordinaires

1 – En matière civile

2 – En matière pénale

(À suivre)

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 2e civ., 23 juin 2005, n° 03-16851 : Bull. civ. II, n° 171 ; JCP G 2005, IV 2815.
  • 2.
    Ibid.
  • 3.
    V. Cass. 2e civ., 21 déc. 2006, n° 05-19679 : Bull. civ. II, n° 383.
  • 4.
    Cass. 2e civ., 1er févr. 2018, n° 17-11321 : Bull. civ. II, n° 17.
  • 5.
    V. égal sur les sonorisations : Cass. crim., 19 févr. 2019, n° 18-84671 : l’article 230-33 du Code de procédure pénale n’exige pas une continuité entre l’expiration du délai de 15 jours, durant lequel la géolocalisation en temps réel est autorisée par le procureur de la République, et la délivrance de l’autorisation du juge des libertés de la détention faisant courir, à partir de ce moment, un nouveau délai d’1 mois.
  • 6.
    Sur la nécessité de motiver les commissions rogatoires de sonorisation not. Cass. crim., 13 févr. 2008, n° 07-87458 : Bull. crim., n° 40 – Cass. crim., 6 janv. 2015, n° 14-85448 : Bull. crim., n° 8.
  • 7.
    Cass. crim., 5 nov. 2002, n° 02-85886.
  • 8.
    Contra Cass. crim., 5 nov. 2002, préc.
  • 9.
    Cass. crim., 10 janv. 2017, n° 16-84740 : Bull. crim. 2017, n° 1.
  • 10.
    Cass. crim., 19 juin 1995, n° 94-85915 : Bull. crim. 1995, n° 223.
  • 11.
    Elle ne peut dans ce cas lui donner d’injonction quant à la conduite de l’information : Cass. crim., 17 nov. 1998, n° 98-81717.
  • 12.
    Sur le défaut d’injonction à l’attention du magistrat instructeur v. not. : Cass. crim., 31 oct. 2017, n° 16-86897 ; Cass. crim., 9 déc. 2015, n° 13-84163.