La consécration du principe de loyauté procédurale, une nouvelle proposition émise dans le rapport sur l’amélioration et la simplification de la procédure civile
Formellement absent des dispositions du Code de procédure civile sur les principes directeurs du procès, le principe de loyauté procédurale a été, au fil des années, consacré comme devant dicter le comportement des parties au procès civil. Le rapport sur l’amélioration et la simplification de la procédure civile, remis au ministère de la Justice le 15 janvier 2018, aborde précisément le thème de la loyauté procédurale et prend parti sur la question de l’opportunité de sa consécration au moyen de propositions dont l’efficacité reste encore à démontrer.
Si le Code de procédure civile n’a pas fait de la loyauté un principe directeur du procès, c’est au moyen des dispositions contenues aux articles 9 et 16 du Code de procédure civile respectivement sur la légalité de la preuve et le principe du contradictoire, ainsi que de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’Homme sur le procès équitable, que la jurisprudence a réussi à dégager une véritable obligation processuelle de loyauté pour les parties. C’est ainsi que, par un arrêt rendu le 7 juin 2005, la première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé solennellement que « le juge est tenu de respecter et de faire respecter la loyauté des débats »1 et que l’assemblée plénière a formellement consacré, le 7 janvier 2011, l’existence d’un « principe de loyauté dans l’administration de la preuve »2.
Si une partie importante de la doctrine a salué l’éclosion d’une loyauté procédurale et son élévation au rang de principe de la part de la Cour de cassation, nombreux sont également les auteurs qui voient en ce principe la reconnaissance d’une règle inutile voire inopportune3.
Malgré cela, le rapport rendu par Frédérique Agostini et Nicolas Molfessis sur l’amélioration et la simplification de la procédure civile, qui s’inscrit dans le cadre des cinq grands chantiers de la justice lancés en octobre 2017 par le Gouvernement, aborde le thème de la loyauté procédurale4. Adoptant à son égard une position claire, les référents du rapport ont inséré, parmi les trente mesures visant à transformer en profondeur la procédure civile, une proposition relative à la « consécration d’un principe de loyauté en matière de procédure civile ».
Si elle s’inscrit dans un débat qui n’est pas nouveau, cette proposition apparaît intéressante au regard des moyens qui sont préconisés pour la mettre en œuvre : de nouvelles obligations (I) et de nouvelles sanctions (II) pour les parties à une instance civile.
I – Un renforcement de la loyauté procédurale par la création de nouvelles obligations
Les référents du rapport proposent d’imposer aux parties le respect d’une obligation de production intégrale des pièces qu’elles détiennent (A) ainsi qu’une obligation de célérité procédurale (B).
A – Une obligation de production intégrale des pièces détenues par une partie
L’une des manifestations les plus tangibles de la loyauté procédurale se matérialise au stade de l’administration de la preuve. Conscients de cette réalité, les référents du rapport estiment que le principe de loyauté devrait être consacré et respecté notamment en matière de preuve, via l’obligation pour les parties de produire toutes les pièces qu’elles détiennent pouvant favoriser la résolution du litige : « il est impératif que, dès l’expression de leurs prétentions, les parties produisent, non seulement l’ensemble des moyens de droit qu’elles invoquent à l’appui de leurs prétentions, mais également l’ensemble des éléments de preuve dont elles disposent ou qu’elles offrent de produire, sans pouvoir sciemment retenir par-devers elles un élément de preuve contraire à leurs allégations, sauf à abandonner le moyen que cet élément viendrait fragiliser. Il n’est pas acceptable qu’un plaideur fasse le tri dans les éléments de preuve dont il dispose pour tromper la religion du juge ».
Une telle obligation, qui rappelle, à certains égards, la procédure américaine de discovery5, pourrait présenter des avantages : elle serait en effet un instrument utile afin d’endiguer des comportements qui trop souvent amènent à une présentation partiale et fragmentée de la vérité et qui procèdent d’une utilisation biaisée de la part des parties à l’instance, des pièces dont elles disposent.
Malgré ses avantages, cette mesure n’est pas pour autant à l’abri de toute critique. Tout d’abord, le Code de procédure civile prévoit déjà des mécanismes d’intention des pièces (art. 138 à 142) dont on sait qu’ils sont assez peu utilisés. Ensuite, s’il est sans aucun doute souhaitable de combattre certains comportements procéduraux pouvant déboucher sur une rétention des preuves, il n’en demeure toutefois pas moins que la mise en œuvre de ce principe ne doit pas permettre de renverser la charge de la preuve établie par l’article 1353 (ancien 1315) du Code civil en vertu duquel il incombe au demandeur de prouver le fait qu’il allègue : un justiciable incapable d’apporter la preuve des faits au soutien de ses prétentions ne devra, en effet, pas pouvoir se retrancher derrière le principe de loyauté pour exiger de son adversaire qu’il pallie sa propre carence.
Pour éviter la réalisation de ce cas de figure, les référents du rapport ont précisé qu’en aucun cas, cette règle ne viendrait remettre en cause la maxime nemo contra se edere tenetur en vertu de laquelle nul n’est tenu de fournir les éléments nécessaires à sa propre accusation ou encore servant la cause adverse, ce qui, a fortiori, devrait éviter qu’un renversement de la charge de la preuve ne s’opère : « cela ne signifie pas que la partie soit tenue de prouver contre elle ; simplement, soit elle fait le choix d’une prétention et elle doit alors apporter la preuve de façon loyale, c’est-à-dire à tout le moins complète et non biaisée, soit elle n’invoque pas ledit moyen ».
En conclusion, il est toutefois possible de s’interroger sur la réelle efficacité d’une telle mesure, tant il n’est pas certain que les plaideurs se livreront à une telle pratique.
B – Une obligation de célérité dans la participation à l’instruction de l’affaire
Pour les référents du rapport, la consécration du principe de loyauté procédurale devra également passer par la mise en place d’une obligation de célérité dans la production des pièces et plus précisément par l’affirmation d’un « devoir de célérité dans la participation à l’instruction de l’affaire », dont le but serait celui de contrer les comportements visant à « [jouer] des différentes étapes pour produire de façon fragmentée les éléments de preuve ».
Ainsi, rejoignant directement celle relative à la production intégrale des pièces détenues, cette obligation pourrait contribuer à décourager les manœuvres dilatoires : les référents du rapport ont toutefois précisé qu’une telle obligation de célérité ne devrait pas pouvoir être opposée aux parties faisant état de circonstances d’obtention ou de découverte des pièces justifiant leur production tardive.
La Cour de cassation sanctionne déjà comme étant contraire à la « loyauté des débats » le fait pour une partie de surprendre son adversaire en communiquant, quelques instants avant la clôture, une pièce qu’elle détenait depuis plusieurs mois6 et, au nom du principe du contradictoire, la non-justification de l’absence au dossier de pièces figurant dans le bordereau annexé aux dernières conclusions7. De fait, donc, l’idée d’une certaine loyauté dans le bon déroulement temporel du procès sert déjà de base à la sanction de comportements dilatoires.
Toutefois, une consécration du principe dans les textes est souhaitable, ce d’autant que cette obligation de célérité est déjà inscrite dans le Code procédure civile pour l’arbitrage interne et international à l’article 1464, alinéa 38, depuis le décret du 13 janvier 20119 : une reconnaissance de cette obligation en matière contentieuse permettrait, au moins formellement, de combler le manque d’attractivité de l’instance judiciaire par rapport à l’arbitrage, souvent décrit comme étant une procédure beaucoup plus rapide.
II – Un renforcement de la loyauté procédurale par la création de nouvelles sanctions
En matière de sanction, le rapport préconise un renforcement de l’application de l’article 32-1 du Code de procédure civile (A) ainsi qu’une nouvelle sanction sur le terrain de la responsabilité civile qui serait applicable aux avocats (B).
A – Une sanction de droit commun : amende civile et dommages et intérêts prévus par l’article 32-1 du Code de procédure civile
En règle générale, la communication de pièces obtenues de façon déloyale10 ou produites tardivement11 est sanctionnée par leur irrecevabilité, les juges écartant alors ces pièces déloyales des débats.
En revanche, aucun moyen ne permet expressément aux justiciables d’obtenir une éventuelle indemnisation à la suite d’un comportement déloyal qui leur aurait causé un préjudice. En effet, l’article 32-1 du Code de procédure civile, aux termes duquel « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 €, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés » ne vise pas directement la sanction des comportements procéduraux pouvant être jugés comme déloyaux.
Partant du constat de la très faible application qui est faite de ce texte en matière de loyauté procédurale, les référents du rapport préconisent une mise en œuvre renforcée de l’article 32-1 du Code de procédure civile, « laissé sans application », afin de « sanctionner de façon adaptée les comportements déloyaux ».
Si le rapport demeure muet quant aux éventuels moyens à adopter afin de garantir une plus large application de l’article 32-1 du Code de procédure civile aux comportements déloyaux – ce qui pourrait passer, à titre d’exemple, par la modification de son texte et la mention expresse des comportements « déloyaux » parmi les causes pouvant donner lieu au paiement d’une amende civile ou de dommages et intérêts – l’initiative mérite d’être saluée car elle augmenterait les possibilités pour les parties d’obtenir un dédommagement face à un comportement contraire à la loyauté procédurale et devrait corrélativement inciter les justiciables à s’abstenir de les adopter.
Pour autant, une telle mesure sera-t-elle appliquée ? En effet, tant l’amende civile que les dommages et intérêts prévus en cas de procédure abusive sont très rarement prononcés. Il n’est dès lors pas assuré que ls comportements déloyaux, même mentionnés à l’article 32-1, seront effectivement sanctionnés par les juges.
B – Une sanction spécialement prévue pour les avocats agissant déloyalement
Enfin, soucieux de renforcer le dispositif assurant le respect de la loyauté procédurale, le rapport précise « qu’une telle obligation de loyauté devra peser sur l’avocat dans tous les cas de représentation obligatoire » en le sanctionnant non seulement sur le plan disciplinaire mais également sur le terrain de la responsabilité civile.
Les articles 1.312, 5.113 et 5.414 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat font déjà de la loyauté un principe essentiel de la profession et le contentieux ordinal en assure le respect au travers des différentes sanctions (avertissement, blâme, interdiction temporaire, radiation) pouvant être infligées à tout avocat agissant en méconnaissance d’une des normes qu’il est tenu de respecter.
Les avocats étant déjà soumis au respect de cette obligation au regard de leurs devoirs déontologiques, il n’est pas certain que l’élargissement de leur responsabilité au plan civil pour une violation du devoir déontologique de loyauté, comme le prône le rapport, soit nécessaire ou opportun.
En effet, cette mesure, qui pourrait se concrétiser à titre d’exemple en instituant une cause de responsabilité civile de plein droit pour l’avocat en cas de violation de l’obligation déontologique de loyauté, exposerait les avocats à un risque excessif de double peine pour la violation d’une seule et même obligation (déontologique), là où un élargissement de l’applicabilité de l’article 32-1 aux cas de comportement déloyaux des seules parties permettrait déjà de décourager l’essentiel des pratiques déloyales affectant le cours de l’instance.
Notes de bas de pages
-
1.
Cass. 1re civ., 7 juin 2005, n° 05-60044 : Bull. civ. I, n° 241.
-
2.
Cass. ass. plén., 7 janv. 2001, nos 09-14667 et 09-14316.
-
3.
V. Miniato L., « L’introuvable principe de loyauté en procédure civile », D. 2007, p. 1035, pour qui ce principe serait « inutile », « inopportun » et « incohérent » ; v. également pour une analyse critique de l’émergence du principe, Perrot R., « La loyauté procédurale », RTD civ. 2006, p. 151 ; v. également note sous comm. : Lamy B., « La loyauté, principe perturbateur des procédures », JCP G 2011, doctr. 988.
-
4.
Ici comme dans le rapport, seule sera traitée la loyauté procédurale telle qu’elle s’affirme en matière civile. Nous ne traiterons pas de la loyauté procédurale en matière pénale qui, surtout au stade de l’administration de la preuve, varie substantiellement de la première : devant le juge répressif, en effet, les parties bénéficient d’une grande latitude de moyens pour apporter la preuve de leurs prétentions. Ainsi, en matière pénale, le respect de la loyauté de la preuve s’applique uniquement aux autorités de poursuite dont il est légitime d’attendre le respect de la légalité, et ne saurait trouver d’application à l’égard des parties privées (par exemple, pour le plaignant : Cass. crim., 23 juill. 1992, n° 92-82721 ; pour la partie civile : Cass. crim., 15 juin 1993, n° 92-82509).
-
5.
Procédure d’investigation préalable à tout procès délimitant le champ du procès (v. Brounon-Ernst A., Chaudoir N., Letalleur S.et a., The English of Law : U.S. Law & Politics, p. 280 – traduction libre de l’anglais) et imposant aux parties de produire tous les documents en relation avec celui-ci (Haravon M., « Le rapport Doing Business 2007 de la Banque mondiale : le mirage des classements pour mesurer l’efficacité de la justice civile », JCP E 2006, 2369).
-
6.
Cass. 2e civ., 2 déc. 2004, n° 02-20194 : Bull. civ. II, n° 514 ; v. également : CA Versailles, 23 févr. 2017, n° 14/07614.
-
7.
Cass. 3e civ., 6 juin 2007, n° 06-13996.
-
8.
« Les parties et les arbitres agissent avec célérité et loyauté dans la conduite de la procédure ».
-
9.
Elle avait toutefois été affirmée bien avant le décret : par exemple, Cass. 2e civ., 11 juill. 2002 : JCP 2003, I 103.
-
10.
Cass. 2e civ., 7 oct. 2004, n° 03-12653 : Bull. civ. II, n° 380 – Cass. ass. plén., 7 mars 2011, nos 09-14316 et 09-14667 : Bull. civ. ass. plén., n° 1 – Cass. 2e civ., 5 oct. 2004, n° 02-13476 ; CA Limoges, 23 sept. 2003 : D. 2003 somm., p. 2411.
-
11.
CA Versailles, 23 févr. 2017, n° 14/07614.
-
12.
Article 1.3 :
-
13.
« Les principes essentiels de la profession guident le comportement de l’avocat en toutes circonstances.
-
14.
L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.
-
15.
Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.
-
16.
Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence ».
-
17.
Article 5.1 :
-
18.
« L’avocat se conforme aux exigences du procès équitable. Il se comporte loyalement à l’égard de la partie adverse. Il respecte les droits de la défense et le principe du contradictoire.
-
19.
La communication mutuelle et complète des moyens de fait, des éléments de preuve et des moyens de droit se fait spontanément, en temps utile et par les moyens prévus par les règles de procédure.
-
20.
Un avocat correspond avec un confrère par voie électronique à l’adresse figurant sur les documents professionnels de son correspondant ».
-
21.
Article 5.4 :
-
22.
« L’avocat chargé d’introduire une procédure contre une partie dont il connaît le conseil, doit aviser au préalable son confrère, dans la mesure où cet avis ne nuit pas aux intérêts de son client.
-
23.
En cours de procédure, les rapports de l’avocat avec son confrère défendant l’adversaire doivent s’inspirer des principes de courtoisie, de loyauté et de confraternité régissant la profession d’avocat.
-
24.
L’avocat qui inscrit un appel à l’encontre d’une décision rendue par une juridiction pénale doit en informer aussitôt ses confrères concernés par la cause. Il en va de même pour les requêtes en nullité.
-
25.
Il en est de même pour tout appel civil et, plus généralement, de l’exercice de toute voie de recours ou de toute procédure au fond ».